FÊTE SES 200 ANS L'ÉCOLE NATIONALE DES CHARTES
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2 / Les 200 ans de l’École des chartes L’École aujourd’hui G rand établissement numériques appliquées à l’histoire », Édition spéciale sous tutelle du ministère « Humanités numériques », de l’Enseignement « Histoire transnationale », COUVERTURE image de gauche : supérieur, de la « Études médiévales » – et, depuis « Les élèves archivistes Recherche et de 2010, délivre le doctorat dans paléographes au départ l’Innovation et membre ses domaines de compétence d’une excursion en autocar, devant le bâtiment de l’École de l’Université PSL, l’École nationale (histoire, lettres, histoire de l’art). nationale des chartes, au 19, des chartes est administrée par une Les masters numériques forment rue de la Sorbonne (1932). » directrice/ un directeur, assisté(e) des professionnels de la recherche image de droite : d’un conseil d’administration et d’un et des responsables de projets « Les élèves derrière le lustre de l’École, au 65, rue de conseil scientifique. Deux instituts informatiques dans le secteur Richelieu, sur lequel on peut lui sont rattachés, le Comité des du patrimoine ou des sciences lire l’inscription : Gesta rerum scripturarum apicibus travaux historiques et scientifiques humaines et sociales. Chaque année, convenit commendari ut perhenni memorie contradantur (« Il convient de confier les faits aux (CTHS) et l’Unité régionale de l’École accueille en formation caractères d’écriture pour en transmettre formation à l’information initiale environ 200 élèves le souvenir inaltérable »). Inscription empruntée au scientifique et fonctionnaires préambule d’une charte de l’évêque de Valence du technique l’École n’a cessé stagiaires et étudiants ; 19 octobre 1201 (AF 421 dans la collection de fac-similés lithographiques de l’École) (Urfist) de la formation Paris. d’accompagner continue touche © ENC - CL. MYR MURATET (2015) A la pointe de la modernisation quant à elle près la recherche de 2 000 auditeurs. historique, des métiers de Le centre Jean- SOMMAIRE dont, depuis la conservation Mabillon, laboratoire 3 Du parchemin au numérique sa fondation, de recherche elle a renouvelé en profondeur de l’établissement, qui associe par Michelle Bubenicek les méthodes, l’École n’a cessé chercheurs, enseignants- d’accompagner la modernisation chercheurs et conservateurs, 4 Une École pour la France des métiers de la conservation, y incarne la dimension collective, et pour le monde compris dans le contexte récent de interdisciplinaire et internationale par Olivier Poncet la révolution numérique. des activités de recherche dans le Spécifique de l’École des chartes, le domaine des sciences historiques 5 Profession : diplôme d’archiviste paléographe, telles qu’elles sont enseignées à archiviste paléographe créé en 1829, demeure le socle de l’École nationale des chartes. par Yann Potin la formation dans l’établissement. Il L’École est aussi un grand éditeur forme des chercheurs expérimentés, en sciences humaines et sociales : 15 Jouvence intellectuelle pour la plupart futurs conservateurs chaque année, une cinquantaine par Alain Fuchs du patrimoine et des bibliothèques. d’ouvrages papier et numériques L’École propose également plusieurs sont publiés par les éditions de 16 2021 : un dictionnaire parcours de master – « Technologies l’École et du CTHS. ■ et un timbre Revue mensuelle créée en 1978, Directrice de la rédaction : Valérie Hannin Ont contribué à ce numéro : éditée par Les Éditions Croque Futur Assistante et coordinatrice de la rédaction : 41 bis, avenue Bosquet, 75007 Paris Claire Cellier Wallet Michelle Bubenicek, directrice de l’École nationale des chartes Conseillers de la direction : Olivier Poncet, professeur d’Histoire des institutions, Président et directeur de la publication : Michel Winock, Jean-Noël Jeanneney diplomatique et archivistique modernes Claude Perdriel Rédactrice en chef : Héloïse Kolebka à l’École nationale des chartes Directeur général : Philippe Menat Secrétaire général de rédaction : Directeur éditorial : Maurice Szafran Raymond Lévêque assisté de Grégoire Morelli Alain Fuchs, président de l’Université PSL Directeur éditorial adjoint : Guillaume Malaurie Directrice artistique : Marie Toulouze Yann Potin, archiviste aux Archives nationales Directeur délégué : Jean-Claude Rossignol Service photo : Jérémy Suarez-Lalouni Dépôt légal février 2021. © 2021 Éditions Croque Futur. Eutrophisation/Ptot : 0.013 kg - Origine du papier : France - Fabricant : Burgo, certifié PEFC - Imprimerie Typoset. Imprimé en France. Printed in France. LHTAP_002 2 26/01/2021 15:25
3/ Les 200 ans de l’École des chartes /3 Du parchemin au numérique F ondée par une ordonnance du 22 février de l’art ; histoire du livre et des medias ; humanités 1821, l’École nationale des chartes fête en numériques. L’École forme ainsi des spécialistes de 2021 son bicentenaire. Cette commémora- la conservation, des chercheurs et des enseignants- tion, qui donnera lieu tout au long de cette chercheurs rompus à la critique des documents et année à de nombreuses festivités, est assu- dont le point commun s’avère leur très grande fa- rément l’occasion à la fois de souligner et miliarité avec les fonds ou les objets patrimoniaux, d’expliciter, auprès des érudits, des spécialistes, mais qu’il s’agisse d’archives, de manuscrits, de livres, de aussi du public le plus vaste possible et notamment presse, d’audiovisuel ou, désormais, de données di- des jeunes générations, le rôle de notre institution, gitales, car toutes les productions humaines qui per- une institution singulière qui appartient au bien com- mettront à l’avenir d’écrire l’histoire de nos sociétés mun de toutes celles et de tous ceux qu’anime un goût sont à présent, ne l’oublions pas, très largement nu- passionné pour l’histoire et le patrimoine. mériques. Cette vocation explique sa position par- ticulière, à l’articulation du monde Depuis deux cents ans, en effet, académique et des milieux profes- les sources de notre passé, de toute sionnels du patrimoine. nature et sous tous leurs aspects, qu’elles soient écrites, non écrites Les deux cents années d’existence ou désormais numériques, figurent de l’École des chartes ont été mar- au cœur des enseignements et de la quées par un esprit d’innovation recherche de l’École. Par son nom qui a inspiré l’élargissement continu même, qui lie le terme d’« École » de ses enseignements vers l’étude à celui, plus énigmatique pour de de nouveaux supports (photogra- non-initiés, de « charte », l’institu- phiques, audiovisuels, informa- tion peut, certes, intriguer, mais tiques…) ou de nouvelles pratiques son rôle s’éclaire lorsque l’on com- (comme les jeux vidéo). Au-delà prend que le mot n’est autre que la de l’ouverture des formations à des version francisée de la forme latine disciplines actuelles, la création de « carta » (« acte écrit, document masters spécialisés et l’essor des solennel »), terme fondateur de la doctorats ont contribué à conforter science diplomatique. A l’époque la place de l’École au sein de l’Uni- de sa fondation, donc, où le mot de versité, tout en valorisant sa contri- charte semblait pouvoir englober à bution aux évolutions historiogra- lui seul l’ensemble du patrimoine phiques récentes marquées par écrit, l’École a inscrit, jusque dans l’interdisciplinarité, les humanités son nom, l’objet de sa vocation. numériques et computationnelles, l’histoire globale. Nos élèves et nos C’est ce qui, dès l’origine, fait de ce grand établisse- étudiants ont la chance d’être formés dans divers do- ment une institution à la fois spécifique et éminem- maines relevant, ailleurs, de disciplines cloisonnées, ment pluridisciplinaire. La variété même des sources ce qui leur donne une compréhension globale et des justifie en effet les chaires d’excellence que l’École clés uniques pour analyser les textes, les traces, les accueille en son sein et la diversité de ses enseigne- œuvres. ments. Les « Chartes » constituent de ce fait une ins- ©ENC-CL.MYR MURATET 2019 titution unique en son genre, seul établissement d’en- Assurément, c’est cette étroite fréquentation des seignement supérieur, en France et dans le monde, à sources qui reste la marque de fabrique de l’École, proposer un bouquet de disciplines rares qui sont ail- comme de ses anciens élèves et étudiants, et conti- leurs éclatées entre différentes facultés et maints cur- nue de définir l’« esprit chartiste ». ■ sus : paléographie ; philologie latine et romane ; ar- chivistique ; codicologie ; diplomatique ; histoire des Michelle Bubenicek institutions ; histoire du droit ; archéologie ; histoire Directrice de l’École nationale des chartes LHTAP_003 3 26/01/2021 15:26
4 / Les 200 ans de l’École des chartes Une École pour la France et pour le monde C onçue avant tout pour lire, comprendre et trans- d’une administration savante, tenace et à la passion mettre l’histoire et le patrimoine de la France, communicative. l’École des chartes fut d’abord française par ses L’acculturation des chartistes à des territoires auxquels enseignements, par le recrutement de ses élèves rien ou presque ne semblait les avoir préparés dans leur et par leur insertion dans la société de leur temps. Mais formation est notable. Beaucoup, comme Paul Boudet dès le milieu du xixe siècle, son destin international en Indochine ou Gabriel Esquer en Algérie, ont littéra- s’affirme. lement confondu leur destin avec celui des hommes et Ses anciens élèves portaient loin leur regard, comme des lieux qu’ils ont découverts au hasard d’une nomina- l’indianiste Eugène Burnouf, et l’originalité de son pro- tion administrative. Et leur ouverture est saluée : Léo- gramme de formation suscitait l’envie d’autres pays pold Sédar Senghor vantait ainsi le travail du chartiste dans une Europe qui, de Vienne au Vatican en passant André Villard, nommé en 1936 archiviste-bibliothé- par Liverpool ou Saint-Pétersbourg, se couvrit de ré- caire du gouvernement de l’Afrique occidentale fran- pliques des Chartes. Et ceux qui n’en possédaient pas çaise et conservateur du musée de Dakar, et déclarait lui confiaient volontiers leurs érudits, spécialement la qu’il s’était efforcé de « trouver un lien entre la culture Suisse qui fournit depuis les années 1870 de l’Afrique et d’Europe ». Du reste, au- un lot régulier d’élèves, dont certains sui- jourd’hui encore, l’héritage chartiste est virent des carrières hors norme comme le sensible à l’École des bibliothécaires, ar- futur ethnologue Alfred Métraux, élève chivistes et documentalistes de Dakar pendant une année en 1921-1922. instituée en 1967 en pleine coopération Après la Première Guerre mondiale, avec les Chartes. le recrutement déborda hors de l’Eu- De manière générale, les chartistes ont su rope pour gagner l’Amérique et l’Asie. mêler leur apprentissage initial avec les Quelques jeunes gens provenant des expériences étrangères qui s’offraient à pays placés sous l’étroite dépendance eux comme, par exemple aux États-Unis, de la France (Liban, Indochine, Séné- René Girard profitant des audaces des gal) connurent parfois de remarquables campus universitaires pour y dévelop- destins dans leur pays d’origine après les per sa théorie mimétique, ou Yves Péro- indépendances, comme Seydou Madani tin pour y forger sa conception des trois Sy, garde des Sceaux puis ambassadeur Seydou Madani Sy âges des archives au contact des institu- du Sénégal au Royaume-Uni. Enfin, la Reçu au concours d’entrée de tions américaines. Aujourd’hui encore, cohorte des auditeurs libres n’a cessé de- l’École en 1955 en tant que l’École des chartes fournit son lot de col- citoyen français, il en sortit en puis le xixe siècle de permettre à l’École 1961 après l’indépendance du laborateurs et de responsables aux ins- de partager ses méthodes et ses connais- Sénégal. Haut fonctionnaire titutions supranationales nées de la Se- sances avec de jeunes savants venus des sénégalais, il devint, entre conde Guerre mondiale, à l’Organisation cinq continents. autres, recteur de Dakar, des Nations unies à Genève, à l’Unesco L’évasion des chartistes dans le monde garde des Sceaux auprès du à Paris ou au Bureau international du emprunta des voies variables. Ils furent président Abdou Diouf et travail à Genève dont les services d’ar- présents, dès leur création et durable- ambassadeur de son pays au chives sont dirigés par des archivistes ment, dans les grands établissements de Royaume-Uni. paléographes. recherche institués par la France à l’étran- Les archivistes paléographes constituent ger (École française de Rome, Casa de historiquement un groupe homogène, Velázquez). Plusieurs archivistes paléographes épou- dont le centre de gravité est et demeure très majori- sèrent et épousent encore la carrière diplomatique, tairement la fonction publique française. Les quelques mais c’est surtout la projection coloniale de la France membres qui se sont trouvés et se trouvent encore par- sur les continents africain et asiatique qui constitua un tout sur le globe, de la Nouvelle-Zélande au Brésil, leur puissant terrain d’application de leur formation hors sont moins étrangers qu’il n’y paraît : par leur fonctions de l’Europe. Ils ont accompagné et souvent inspiré le et par leurs écrits, ils répondent à la vocation d’une développement des institutions patrimoniales dans les École fidèle à elle-même quels que soient le temps et © CL. MAKHA RACINE SY territoires français outre-mer, presque contemporaines l’espace. ■ de l’installation de l’administration française. Ainsi, avant la fin des années 1830, Adrien Berbrugger jeta Olivier Poncet les bases de la future bibliothèque d’Alger. Bientôt, de Professeur d’histoire des institutions, diplomatique Dakar à Hanoi, les chartistes constituèrent l’armature et archivistique modernes à l’École nationale des chartes LHTAP_004 4 26/01/2021 15:26
Événement /5 L’ÉCOLE DES CHARTES PROFESSION : ARCHIVISTE PALÉOGRAPHE Fondée par ordonnance royale en 1821, l’École des chartes forme ses élèves aux sciences auxiliaires de l’histoire (paléographie, diplomatique, archivistique, histoire du livre, philologie, histoire du droit, histoire de l’art, archéologie, humanités numériques). Depuis deux cents ans, elle a contribué à forger une conscience française du patrimoine, et accompagné des évolutions décisives de l’histoire de France. Par Yann Potin L ’École des chartes, qui s’ap- Indissociable depuis une de Louis XVIII le 22 février prête à célébrer son bicen- vingtaine d’années de la re- 1821. Contrairement à la tenaire durant toute l’an- fondation numérique de l’en- sé dentaire É cole normale née 2021, a traversé deux seignement supérieur et de la supérieure (ENS), refondée en siècles d’histoire avec une dis- recherche, l’École des chartes s’installant définitivement rue crétion aussi légendaire que demeure également, avec d’Ulm en 1847, « les Chartes » l’érudition dont elle est le sanc- l’École du Louvre, une des furent une é cole nomade, tuaire et le refuge. Une institu- meilleures portes d’entrée aux L’AUTEUR rattachée à des institutions ad- tion discrète, mais aussi mo- métiers de la conservation et Archiviste ministratives, patrimoniales et deste : par la taille de ses du patrimoine ou de l’adminis- aux Archives universitaires successives, sans promotions – une vingtaine tration des bibliothèques. nationales, avoir, jusqu’en 2014, ni autono- Yann Potin vient d’élèves –, elle demeure la plus Les « grandes écoles » ont de publier Trésor, mie de situation ni inscription petite des « grandes écoles » fini par distinguer, pour le écrits, pouvoirs. claire dans l’espace urbain. mais aussi peut-être la moins vi- meilleur et pour le pire, l’en- Archives et En suivant l’histoire de ses sible du grand public. A moins seignement supérieur français bibliothèques localisations à Paris, entre d’État en France que le corps des anciens élèves du modèle universitaire do- à la fin du Moyen Bibliothèque royale (de 1829 ne soit plus célèbre que l’École minant en Europe. Leur fon- Age (CNRS à 1846), palais des Archives elle-même : ceux qui s’honorent dation, qu’il s’agisse de l’École Éditions, 2020). dans le Marais (de 1847 à de porter le titre exclusif d’« ar- polytechnique (1794) ou de la 1897) et Sorbonne (de 1897 chiviste paléographe » sont première École normale supé- à 2014), on peut essayer de mieux connus sous le nom de rieure (1795), est associée à comprendre comment l’École « chartistes ». Le terme associe à un système d’instruction pu- des chartes est parvenue à tra- l’image de l’érudit une connota- blique méritocratique conçu cer une voie, parfois escarpée, tion parfois ironique, où le goût contre les universités d’Ancien entre la connaissance des do- et le savoir des archives se Régime durant la Révolution. cuments et la description des mêlent trop facilement à la rigi- L’É cole royale des chartes monuments, c’est-à-dire entre dité de la méthode, sinon à la fut quant à elle créée sous la la science historique et l’exper- poussière des vieux papiers. Restauration, par ordonnance tise patrimoniale. Au DR LHTAP_005 5 26/01/2021 15:26
6/ École des chartes DATES CLÉS Le comte Siméon 1821, 22 février Fondation de l’École est chargé en La « BEC » : première des chartes par Louis XVIII. Elle est 1821 de créer une revue d’histoire école pour former L rattachée à la ’ordonnance du 11 novembre 1829 qui réorganise l’École des Bibliothèque royale, rue de Richelieu. des experts en chartes prévoit que l’Imprimerie royale publie gratuitement un volume de documents édités et traduits par les élèves de L’expérience prend fin en 1823. textes médiévaux l’École, portant le titre de Bibliothèque de l’École royale des chartes. Parallèlement doit être publié un volume annuel de « chartes natio- 1829 MOTS CLÉS Refondation de nales », la Bibliothèque de l’histoire de France, préparé aussi par les l’École : les élèves Diplomatique élèves. Beau projet pédagogique, mais abandonné, car il marche sur en sortent avec le Science auxiliaire de l’histoire les plates-bandes de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Le diplôme d’archiviste qui étudie des actes et documents titre de Bibliothèque de l’École des chartes est toutefois repris par la paléographe. officiels (diplômes, chartes, revue créée en 1839 par la Société de l’École des chartes, destinée traités), analyse leur élaboration, « à créer entre les anciens élèves une confraternité studieuse ». 1846 leur authenticité et leur L’École est Cette revue est vouée « à l’étude de l’histoire et de la littérature d’après transmission. Avant d’être les documents originaux ». Elle doit « explorer le vaste héritage que le définitivement enseignée à l’École des chartes, établie. Moyen Age a légué à nos bibliothèques et à nos archives », mais aussi elle fut, à partir du XVe siècle, 1850, 4 février l’œuvre d’ecclésiastiques (Jean « s’occuper des débris de l’Antiquité classique ». Son champ d’étude Décret accordant Mabillon, bénédictin de la est vaste, des « monuments inédits » de toute nature (chartes, ins- aux archivistes congrégation de Saint-Maur, criptions, poésies, etc.) aux questions de critique historique, avec le paléographes la rédigea en 1681 De re diplomatica, « contrôle des assertions inexactes avancées par les historiens » ou les priorité dans le ouvrage fondateur de la recherches sur les anciens dialectes de France. Le succès est immé- recrutement des diplomatique). diat. Rois et reines s’abonnent. Louis-Napoléon Bonaparte en fait archivistes l’une de ses lectures dans sa prison de Ham. Érudits et historiens départementaux. Paléographie (Michelet dès 1840 avant Augustin Thierry) souscrivent en masse. 1866 Science dont les buts sont de Vitrine de l’École, la BEC, comme on dit, se veut aussi alors l’affir- L’École déménage à déchiffrer, d’analyser et de suivre mation du professionnalisme des chartistes, face aux archivistes et l’hôtel de Breteuil, les écritures anciennes dans leur développement historique. Le bibliothécaires improvisés. Elle paraît en deux livraisons annuelles, auprès des Archives diplôme d’archiviste paléographe se revendique encore aujourd’hui « revue d’érudition ». Elle s’est ou- impériales. est octroyé depuis 1829 aux élèves verte aux périodes moderne et contemporaine, et aborde de nou- 1884 de l’École des chartes à l’issue de veaux objets de recherche, comme l’histoire des images ou du droit, Les chartistes sont leur scolarité. souvent dans le cadre de numéros thématiques. Elle est désormais accueillis en priorité accessible par le portail numérique Persée. aux Archives nationales. Jacques Berlioz Directeur de recherche émérite au CNRS 1897 et directeur de l’École nationale des chartes de 2006 à 2011 L’École emménage rue de la Sorbonne. 2006 BNF, 1849 (TB,SER3)-1859 (TB,SER4) – ARCHIVES NATIONALES, F1A 1170/YANN POTIN Création du master « Technologies numériques appliquées à l’histoire ». 2008-2012 Co-fondatrice du Campus Condorcet, l’École délivre des doctorats et se BRIDGEMAN IMAGES – BNF, L ATIN 5969 FOLIO 1 dote d’un centre de recherche. 2015 Le président François Hollande inaugure le nouveau bâtiment du 65, rue de Richelieu. Sous la Restauration L’ordonnance créant l’École des chartes signée le 22 février 1821 au palais des Tuileries par le roi Louis XVIII. LHTAP_006 6 26/01/2021 15:26
/7 point de forger un savoir des Lumières finissantes, de- et une méthode « chartiste » venu administrateur impérial, propre et internationalement avait suggéré à Napoléon, en reconnue, qui fit des émules mal d’historiographie officielle, à l’étranger (en Autriche dès que des jeunes gens se forment 1854) et qui, à partir de la aux travaux littéraires auprès technique paléographique, de de savants expérimentés, dans la critique diplomatique et de un « nouveau Port-Royal ». Par- l’amour des archives et du livre, delà la rupture révolutionnaire, a su créer un lien original entre il s’agissait de renouer avec la l’histoire, la philologie, le droit tradition documentaire et ju- et l’histoire de l’art, mais aussi ridique de l’Ancien Régime, la statistique et l’informatique. incarnée depuis le xviie siècle par l’ér udition cr itique La lente conquête de bénédictine et des figures sa- l’autonomie vantes comme Jean Mabillon, La mémoire chartiste ad- fondateur de la diplomatique. met pour père fondateur Cette volonté de « ranimer un un philosophe et mora- genre d’études [historiques] liste, lointain précurseur de indispensables à la gloire de la l’« anthropologie », le baron de France » est au cœur de la justi- Gérando. Dès 1807, ce savant fication de la future école. Son nom, en écho au régime de la « Charte » de 1814 (« octroyée » par Louis XVIII) et à l’imaginaire politique d’une monarchie contrac- tuelle et féodale, fait référence aux « chartes », qu’il s’agit de décrypter, d’analyser et de rendre lisibles au plus grand Manuscrit Copie Cet enjeu intellectuel et poli- nombre, par l’édition critique. d’une page du procès tique se double d’une nécessité de condamnation de pratique : l’établissement de Jeanne d’Arc (1431). MOT CLÉ Le parchemin du nombreux droits de propriété xve siècle de 293 folios requiert la consultation de do- Charte (comprenant cuments anciens devenus peu à Du grec ancien khártês, « rouleau aussi le procès en peu indéchiffrables sans exper- de papyrus », ce terme est utilisé à réhabilitation) partir de l’époque mérovingienne a été édité, entre 1841 tise savante. pour désigner un acte privé ou un et 1849, par Le 22 février 1821, le comte acte authentique consignant des Jules Quicherat, Siméon, ministre de l’Intérieur, droits, des privilèges, paléographe, se voit donc confier la mission professeur de de créer une « école royale des généralement accordés par un diplomatique et qui BNF, 1849 (TB,SER3)-1859 (TB,SER4) – ARCHIVES NATIONALES, F1A 1170/YANN POTIN suzerain. C’est une des sources dirigea l’École des chartes », avec pour objectif de premières de l’histoire médiévale. chartes de 1871 à former des experts en textes JULES QUICHERAT sa mort, en 1882. médiévaux, placés sous la tu- telle de l’Académie des ins- criptions et belles-lettres. Mais DANS LE TEXTE cette dernière, refondée en 1816, et jalouse de ses privi- « Ranimer cette poussière avant lèges sur les textes historiques officiels, est peu disposée à se qu’elle périsse » BRIDGEMAN IMAGES – BNF, L ATIN 5969 FOLIO 1 transformer en centre de for- Une branche de la littérature française […] va, si l’on ne se presse d’y porter remède, mation ou de recherche. être privée d’une classe de collaborateurs qui lui est indispensable ; je veux parler, L’École est dépourvue de lo- Sire, de ces hommes qui […] ont acquis la connaissance de nos manuscrits, se sont rendu caux et ses cours sont dispensés familières les écritures si diverses de nos archives, de nos chartes, des documents de tout tour à tour par les conserva- genre que nous ont laissés nos ancêtres, et savent traduire tous les dialectes du Moyen Age. teurs de la Bibliothèque royale […] Ces archives entassées, que le cours des âges rendra de plus en plus illisibles, sont les et des Archives du royaume. débris de notre ancienne histoire. Il faut donc se hâter de ranimer cette poussière avant Privée de débouchés et de qu’elle périsse.” moyens par le gouvernement Rapport adressé au roi Louis XVIII par le comte Siméon, ministre de l’Intérieur, 22 février 1821. ultra de Villèle, elle disparaît au bout de deux années, LHTAP_007 7 26/01/2021 15:26
8/ École des chartes non sans avoir donné ministre de l’Instruction pu- naissance à deux promotions blique Salvandy un nouveau Affaire Dreyfus, Zola fait d’élèves qui initieront une ré- statut par l’ordonnance du forme en profondeur des mé- 31 décembre 1846, garantis- appel à Paul Meyer thodes, à l’instar de Benjamin sant un budget pour l’École, et Guérard, premier véritable di- pour les élèves des places d’ar- recteur de l’École entre 1848 chivistes et de bibliothécaires, et 1854. à l’issue d’une scolarité L’École des chartes est refon- sanctionnée par un travail de dée par l’ordonnance du 11 no- recherche original : la thèse vembre 1829 sous le ministère de l’École des chartes, dont les libéral de Martignac et sous critères forment à plus d’un l’inspiration de Champollion- titre le socle futur du doctorat Figeac (frère aîné du célèbre en histoire. égyptologue), mais sans plus de Face à la difficile professionna- débouchés. Érudit contesté et lisation des « travailleurs histo- mondain, Champollion-Figeac riques » dans les bibliothèques et fait office, jusqu’en 1848, de les Archives, l’École des chartes professeur de paléographie et peut conduire à des carrières ad- de directeur des études. ministratives. On relève, entre L’enseignement, à l’École, 1821 et les années 1870, une est fondé sur la paléographie cinquantaine de chartistes tra- et la diplomatique, la science vaillant dans l’administration, des diplômes, des chartes, des judiciaire notamment, soit 15 à actes officiels, qui a pour but 20 % des diplômés. de définir leur structure, leur tradition et leur authenticité. La philologie, l’étude des « dia- En 1848 les lectes du Moyen Age », est élèves demandent une science alors à inventer puisque aucun dictionnaire à devenir L une « École ors de son procès, d’ancien français n’existe. après son article La première année est acces- de l’histoire RENNES, COLLECTIONS DU MUSÉE DE BRETAGNE, 2006.0012.64 – VINCENNES, SERVICE HISTORIQUE DE L A DÉFENSE, 4J118 « J’accuse… ! » pu- sible à tous les bacheliers. Un ALBERT HARLINGUE/ROGER-VIOLLET – PARIS, ÉCOLE FRANÇAISE D’EXTRÊME-ORIENT, FONDS LOUIS FINOT, FINL01154 blié dans L’Aurore en examen sélectionne parmi eux janvier 1898, Émile six à huit élèves pensionnaires, de France » Zola fait appel à plu- c’est-à-dire rémunérés, qui col- sieurs chartistes, dont laborent aux travaux de trans- Armé es d’une licence de Paul Meyer (en haut), cription de la Bibliothèque droit, acquise avant ou au directeur de l’École, royale et reçoivent, au terme de cours de leur scolarité, les Arthur Giry, et Auguste deux années d’enseignements premières générations d’élèves Molinier pour expertiser le bordereau (ci-dessus) qui a spécialisés, le diplôme d’ar- bénéficient en effet, à partir de fait accuser en 1894 le capitaine Dreyfus de trahison. chiviste paléographe. Mais les 1847, d’un cours permanent Ceux-ci acceptent mais posent une condition : si leur débouchés restent décevants : d’histoire du droit civil, cano- examen les amenait à conclure contre Dreyfus, ils le di- la Bibliothèque royale comme nique et féodal, inauguré par raient devant la cour d’assises. Zola acquiesce et les ex- les Archives départementales Eugène de Rozière. Jusqu’en perts bénévoles se mettent au travail. Paul Meyer et ses qui se développent au sein 1886, il s’agira de la seule for- confrères sont formels : le bordereau est bien de l’écri- des préfectures résistent à re- mation laïque à l’histoire du ture du commandant Esterhazy. Face aux attaques du cruter de manière pérenne droit ecclésiastique. Alors qu’il chartiste Émile Coüard, archiviste de Seine-et-Oise, des experts par trop qualifiés. n’existe aucune formation ad- qui conteste la formation paléographique donnée aux En 1839, élèves et anciens ministrative et politique avant Chartes, Meyer réplique : « Ce qui importe, en pareille élèves forment en réaction 1870 et la création de l’École matière, c’est de posséder une préparation générale que une Société de l’É cole des libre des sciences politiques, l’École des chartes donne certainement, et d’avoir l’esprit chartes, qui publie une revue, l’École des chartes est donc critique, ce qui ne s’obtient pas si facilement. » Zola perd la Bibliothèque de l’École des aussi une pépinière adminis- son procès, mais l’affaire Dreyfus est relancée. Au pro- chartes, pour faire connaître les trative par défaut. cès de Rennes, en 1899, Meyer, Molinier et Giry main- travaux des élèves, conquérir La ré volution de 1848 tiennent leur position. Même si, pour Maurice Barrès, une légitimité éditoriale et sa- et l’avènement de la antidreyfusard acharné, les professeurs de l’École des vante, et bientôt des postes. IIe République marquent une chartes « révoltèrent et réjouirent la France par leur in- Après sept années de com- étape décisive : les élèves re- croyable bouffissure d’intellectuels », la route était tra- bat, le corps en formation vendiquent de faire l’his- cée pour la réhabilitation du capitaine. J. B. des anciens élèves obtient du toire « des progrès de la liberté LHTAP_008 8 26/01/2021 15:26
/9 française » par leurs études et transmise jusqu’à nos jours. demandent au gouvernement Concrètement, l’archiviste dé- provisoire de devenir une partemental est souvent le seul « École de l’histoire de France ». à pouvoir lire les documents Le ministre de l’Instruction pu- anciens : il doit d’abord clas- blique Hippolyte Carnot ima- ser les fonds d’archives, selon gine aussi de mettre la forma- un cadre systématique et va- tion chartiste au service de lable pour tout le territoire, et l’éphémère École nationale en donner des inventaires et d’administration (1848-1849). répertoires, en vue de les com- Deux ans plus tard, la ques- muniquer au public. Ainsi, en tion des débouchés est en par- 1848, on recense plus d’un tie résolue par un décret du million de chartes, registres, ministère de l’Intérieur du liasses et cartons antérieurs 4 février 1850 qui accorde à 1789 qu’il s’agit de décrire ! aux archivistes paléographes L’archiviste veille bientôt sur la priorité, et bientôt le mono- les archives des communes et pole, dans le recrutement des des hôpitaux, publie des docu- archivistes départementaux ments inédits, en vue d’alimen- au sein des administra- ter l’histoire locale, et anime tions préfectorales, là où, les sociétés savantes qui bour- jusqu’alors, prévalait le re- geonnent à travers « la France crutement local. Ce système des petites patries ». garantit l’émergence d’une Hors de la tutelle des GABRIEL HANOTAUX véritable culture profession- ministères « régaliens », Républicains Hanotaux fut ministre des Affaires nelle nationale, socle de la pra- les Archives nationales de- étrangères de 1894 à 1898. Plusieurs chartistes devinrent tique archivistique française viennent après 1871 ministres sous la IIIe République. L’École s’exporte en Indochine C RENNES, COLLECTIONS DU MUSÉE DE BRETAGNE, 2006.0012.64 – VINCENNES, SERVICE HISTORIQUE DE L A DÉFENSE, 4J118 ’est en Indochine que archives de l’administra- ALBERT HARLINGUE/ROGER-VIOLLET – PARIS, ÉCOLE FRANÇAISE D’EXTRÊME-ORIENT, FONDS LOUIS FINOT, FINL01154 la présence chartiste, tion et refusant de les aban- à la fin du xixe et au donner à un établissement xxe siècle, fut la plus soute- scientifique de recherche. nue et la plus éclatante. Boudet, qui prend une part Louis Finot, loin de sa pre- active à la vie scientifique mière thèse sur les finances locale, crée aussitôt une de Charles VI, s’intéresse institution originale, sou- au sanskrit et à la civilisa- plement adaptée aux réali- tion indienne ; en 1894, il tés locales, la direction des soutient une autre thèse Archives et Bibliothèques sur les lapidaires indiens. de l’Indochine (qu’il pré- La Mission archéologique side durant trente ans). d’Indo-Chine qu’il conduit Quatre centres sont ins- en 1898 devient, en 1901, titués, à Hanoi, Saigon, l’École française d’Extrême- Phnom Penh et Huê. Il dé- Orient (Efeo), dont le siège veloppe la lecture publique est à Saigon puis à Hanoi. Louis Finot Ce chartiste, posant devant le Vat Xieng Thong à Luang et s’entoure d’une équipe Le chartiste s’y montre ha- Prabang, au Laos, participa à la création de l’École française d’Extrême- de chartistes, notamment Orient en 1898, qu’il dirigea à plusieurs reprises entre 1920 et 1930. bile organisateur et volon- de Rémi Bourgeois ou tiers baroudeur. Il multi- Simone de Saint-Exupéry, plie voyages et missions, du Siam à Ceylan en passant par la sœur aînée de l’auteur du Petit Prince. La dernière re- la Birmanie et l’Inde. En 1917 arrive en Indochine un autre crue de Boudet est Ngo Dinh Nhu, premier archiviste paléo- chartiste, Paul Boudet, pour prendre en charge « un projet graphe originaire d’Indochine, qui a consacré sa thèse aux d’organisation des archives de la colonie ». Finot désire pour Annamites du Tonkin au xviie siècle. Ngo Dinh Nhu devint le l’Efeo une mission totale, qui ferait office à la fois d’univer- conseiller spécial de son frère Diem, président du Conseil du sité, d’institut de recherche, de bibliothèque et d’archives na- Vietnam en 1954 puis premier président de la République du tionales, mais il capitule devant les attentes du gouverneur Vietnam du Sud, avec qui il fut assassiné à Saigon en 1963 au général Albert Sarraut, soucieux de garder le contrôle des début de l’intervention américaine. J. B. LHTAP_009 9 26/01/2021 15:26
10 / École des chartes 14-18 : le prix du sang Croix de guerre Le 16 mars 1927, le président de la République Gaston Doumergue sort du 19, rue de la Sorbonne, où il vient de remettre la croix de guerre à l’École des chartes. A sa gauche, le directeur Maurice Prou. L ’École des chartes a payé un lourd tribut à la est une école d’histoire », il reconnaît aussi les mé- Grande Guerre et fut un des établissements rites des universités allemandes. Il s’agit pour lui scientifiques qui en a le plus souffert. Le bi- de concilier les droits de la patrie et les devoirs lan officiel en témoigne : 51 élèves ou an- intemporels de l’intelligence. ciens élèves tués sur 307 mobilisés (soit Les chartistes se mobilisent en faveur un sixième). Le nombre des tués impres- du patrimoine : la Société de l’École des sionne car il représente 10 % des char- chartes proteste contre le bombarde- tistes. Certes l’idée de pertes sans équi- ment de la cathédrale de Reims ; des mo- valent peut s’expliquer par l’étroitesse de bilisés cherchent à sauver les archives l’effectif des chartistes (500 environ en des villages menacés. Durant la guerre le 1914) pour lequel les disparitions nombre des admis diminue. En 1917- AGENCE ROL/BNF, EI-13 (1410) – PARIS, ÉCOLE NATIONALE DES CHARTES/MYR MURATET pèsent plus lourd que sur des 1918, la 3e année n’a aucun élève. Augustin groupes plus fournis. Durant Trois thèses seulement sont soute- Cochin la guerre, les réunions de la nues en 1918. La relève des géné- Chartiste, spécialiste Société de l’École des chartes se rations ne s’effectua par la suite de la Révolution réduisent souvent à une suite que partiellement. D’où une française et de d’éloges funèbres. Le patrio- perte de visibilité et d’influence ses origines tisme est intense : « Je suis dans l’entre-deux guerres. intellectuelles, l’historien fut tué, heureux de me faire casser la Après 1918, l’ère des commé- à l’âge de 39 ans, figure pour que le pays soit morations commence. Le 18 mars le 8 juillet 1916, délivré » (Maurice Dieterlen, 1920 est inaugurée à l’École la plaque près de Péronne, au dans sa dernière lettre, en oc- comportant le nom des élèves et an- ANDRÉ BONIN/GALLIMARD/OPALE/LEEMAGE cours de la bataille tobre 1915). Un autre char- ciens élèves tués. Lors du cente- de la Somme. tiste écrit : « Ce n’est pas un es- naire de l’École, en 1921, le pré- prit belliqueux qui nous anime sident de la République Alexandre […]. Le patriotisme n’est point Millerand parraine une grande cé- l’ignorance ni la haine de l’étran- rémonie à la Sorbonne, où le sacri- ger. » Et si Maurice Prou, pro- fice des chartistes est souligné. Le fesseur de diplomatique, affirme 16 mars 1927 la croix de guerre devant les élèves de 2e année, en no- est remise à l’École, et le 11 jan- vembre 1914 : « L’École des chartes est vier 1936 la Légion d’honneur lui une école de patriotisme parce qu’elle est accordée. J. B. LHTAP_010 10 26/01/2021 15:26
/ 11 un service scientifique travaux historiques et scienti- 1888 (Gustave Servois) seront du ministère de l’Instruc- fiques, le réseau de cadres ter- régulièrement dirigées par des tion publique. A l’instar de la ritoriaux issus de l’École des chartistes. Bibliothèque nationale, les chartes développe la connais- De plus en plus attractive, chartistes y sont désormais ac- sance du patrimoine local : l’ar- avec un accroissement annuel cueillis en priorité à partir de chiviste incarne une notabilité des diplômés (qui passent de 1884, date à laquelle le service érudite et la polyvalence du 15 à 20 par an après 1890), des Archives départementales est également rattaché à l’Ins- truction publique. En étudiant la Révolution, la Commune, la révolution Dès 1847 l’École des chartes avait trouvé un asile durable au de 1848, les chartistes participent à l’émergence sein des Archives nationales, qui d’une « histoire contemporaine » à part entière acquirent en 1862 pour la loger l’hôtel Le Tonnelier de Breteuil, savoir, notamment dans les l’École emménage au sein de la rue des Francs-Bourgeois. Entre départements ruraux. Ses re- Sorbonne en 1897, profitant des 1871 et 1882, la personnalité cherches et publications contri- locaux prévus pour la faculté de de Jules Quicherat, un di- buent à articuler identité natio- théologie et laissés vacants. En recteur pionnier en matière nale et patrimoine régional et étroite collaboration avec l’École d’archéologie monumentale, trouvent un premier aboutis- pratique des hautes études, fervent républicain en même sement dans la loi de 1887 sur créée en 1868, elle développe temps que l’éditeur incom- la protection des monuments une méthode critique des parable du procès de Jeanne historiques. sources qui devient proprement d’Arc, confère à l’École un « chartiste ». Un de ses chefs de tournant patrimonial décisif, Au sein de la Sorbonne file est l’historien Charles-Victor confirmé par sa participation Dans l’administration cen- Langlois, qui a été formé dans à la fondation de l’École du trale, le magistère de l’École des ces deux écoles et qui en a livré, Louvre en 1882. chartes s’affirme en parallèle : dans l’Introduction aux études Par l’intermédiaire des la Bibliothèque nationale à par- historiques coécrite avec Charles sociétés savantes, coordonnées tir de 1874 (Léopold Delisle) Seignobos, le texte de référence. depuis 1861 par le Comité des et les Archives nationales en L’affirmation de la scientificité de l’histoire est alors synonyme de formation professionnelle, mais aussi de responsabilité mo- rale. L’audition en tant qu’ex- Chartiste sulfureux perts des professeurs Arthur Giry, Paul Meyer et Auguste A vec Roger Martin du Gard (Prix Nobel de littéra- Molinier lors des procès de ture en 1937) ou François Mauriac (qui n’acheva l’affaire Dreyfus (cf. p. 16) le pas sa scolarité), Georges Bataille est l’un des plus confirme, au point de révéler illustres chartistes écrivains. Admis à l’École en 1918, l’École au grand public, même AGENCE ROL/BNF, EI-13 (1410) – PARIS, ÉCOLE NATIONALE DES CHARTES/MYR MURATET il soutient en 1922 une thèse (perdue) sur L’Ordre de si le camp antidreyfusard est chevalerie, conte en vers du xiiie siècle. Il est aussitôt aussi bien représenté derrière chargé d’une mission en Espagne pour retrouver les ma- Robert de Lasteyrie. nuscrits français médiévaux qui peuvent s’y trouver. Il En parallèle, la méthode cri- est conservateur à la Bibliothèque nationale de 1922 tique se déploie sur des terrains à 1942, puis en 1949 (après des ennuis de santé) à la documentaires plus récents et bibliothèque Inguimbertine à Carpentras. En 1951 il participe à l’émergence d’une prend la direction de la Bibliothèque municipale d’Or- « histoire contemporaine » à léans (qu’un jour il sauve des flammes). Une vraie car- part entière dans le cadre de la rière de chartiste. Doublée d’une grande vie d’écrivain, GEORGES BATAILLE Société d’histoire moderne et de sulfureuse réputation. contemporaine ou de la Société ANDRÉ BONIN/GALLIMARD/OPALE/LEEMAGE Mais quid du chartiste dans son œuvre littéraire (qui débute par une plaquette sur Notre- d’histoire de la révolution de Dame de Reims) ? Il participe en 1929-1930 à la revue d’histoire de l’art Documents, ou- 1848 : Pierre Caron et Camille verte à l’ethnologie, où il détourne subtilement la pratique traditionnelle de l’érudition. Bloch éditent les sources de Il écrit sur l’Apocalypse de Saint-Sever. L’histoire est pour lui une dimension essentielle, la Révolution française à par- même s’il refuse toute spécialisation : La Part maudite (1949), sous-titré Essai d’écono- tir des années 1900 sous mie générale, tient de l’histoire culturelle, mais aussi de la sociologie, de l’anthropologie l’impulsion de Jean Jaurès ; et de la géopolitique. Bataille s’attache aussi à la profondeur historique des événements : Georges Bourgin engage les en opposition aux Temps modernes de Sartre, il crée en 1946 Critique, sur le modèle avoué premières synthèses savantes du Journal des savants du xviie siècle. Il fait œuvre d’érudition en éditant avec Pierre sur la Commune en 1907 et la Klossowski, en 1959, Le Procès de Gilles de Rais. J. B. IIIe République en 1939. LHTAP_011 11 26/01/2021 15:26
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