L'apport des sciences de la gestion à la compréhension du phénomène de la formation à distance et en ligne - Érudit
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Document généré le 4 déc. 2021 00:07 Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire International Journal of Technologies in Higher Education L’apport des sciences de la gestion à la compréhension du phénomène de la formation à distance et en ligne Patrick Pelletier Volume 11, numéro 2, 2014 Résumé de l'article Que nous apprennent les sciences de la gestion à propos du phénomène de la URI : https://id.erudit.org/iderudit/1035635ar formation à distance et en ligne? Le présent article répond à cette question en DOI : https://doi.org/10.7202/1035635ar prenant pour objet d’analyse le contenu d’une revue de littérature. Des enseignements de la théorie des organisations sont également mobilisés afin de Aller au sommaire du numéro mieux comprendre cette pratique d’enseignement considérée ici sous l’angle d’une pratique sociale. L’objectif est de comprendre les raisons amenant les organisations à développer cette pratique et les manières dont la récursivité entre les usages et les propriétés socio-matérielles des technologies se Éditeur(s) co-construisent dans cette pratique. CRIFPE ISSN 1708-7570 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Pelletier, P. (2014). L’apport des sciences de la gestion à la compréhension du phénomène de la formation à distance et en ligne. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire / International Journal of Technologies in Higher Education, 11(2), 52–71. https://doi.org/10.7202/1035635ar Tous droits réservés © CRIFPE, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
RITPU • IJTHE L’apport des sciences de la gestion à la compréhension du phénomène de la formation à distance et Patrick Pelletier en ligne TÉLUQ École des sciences de l’administration patrick.pelletier@teluq.ca Recension de recherches et réflexion pédagogique Résumé Abstract Que nous apprennent les sciences de la gestion à What can we learn about distance learning from ma- propos du phénomène de la formation à distance et nagement science? This article answers this ques- en ligne? Le présent article répond à cette question tion through the review of the literature with les- en prenant pour objet d’analyse le contenu d’une re- sons learned from organization theory. We propose vue de littérature. Des enseignements de la théorie various avenues of research to better understand ins des organisations sont également mobilisés afin de and outs of technologies dedicated to learning. The mieux comprendre cette pratique d’enseignement objective is to understand, first, the reasons lea- considérée ici sous l’angle d’une pratique sociale. ding organizations to legitimize this practice and L’objectif est de comprendre les raisons amenant to mobilize stakeholders to ensure its development, les organisations à développer cette pratique et les and secondly, the ways in which recursion between manières dont la récursivité entre les usages et les uses and socio-material properties of the technolo- propriétés socio-matérielles des technologies se co- gies used in this context. construisent dans cette pratique. Keywords Mots-clés Distance learning, management science, organiza- Formation à distance et en ligne, sciences de la ges- tion theory, social practice tion, théorie des organisations, pratique sociale Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la licence cc $ = Creative Commons Attribution - Pas de Modification 2.5 Canada http://creativecommons.org/licences/by-nd/2.5/ca/deed.fr 52 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(2) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU Introduction nifestent alors qu’ils s’approprient, développent ou Cet article se veut une réponse à Bernadette Char- encore transforment une technologie. lier qui, au sein même de cette revue en 2011, in- Après avoir catégorisé les contenus et les thémati- vitait la communauté scientifique à créer un espace ques abordés par les sciences de la gestion et iden- de recherche interdisciplinaire sur l’usage des tech- tifié les faiblesses des écrits prescriptifs, analytiques nologies dans les pratiques d’enseignement. et critiques qu’elles proposent sur la FDL, nous ex- Des approches sont à inventer en collaboration posons différentes contributions que serait suscep- avec d’autres disciplines : sciences cognitives, tible d’apporter le corpus de la théorie des organi- sciences de la gestion, etc. Ce dont on a besoin sations à leur compréhension. Pour ce faire, nous actuellement pour sortir des approximations mobilisons le néo-institutionnalisme sociologique sur les effets supposés – négatifs ou positifs – des « technologies de l’intelligence », c’est (Dimaggio et Powell, 1983) pour mieux interpréter de travailler ensemble pour mieux appréhender les raisons amenant les organisations à légitimer la ce que j’appellerais l’intimité des pratiques. On FDL; la sociologie de l’acteur-réseau (Akrich, Cal- apprend plus en regardant, dans le détail, com- lon et Latour, 1986) et l’économie des conventions ment les enseignants, les élèves « bricolent » en (Boltanski et Thévenot, 1991) pour rendre compte utilisant les technologies (Charlier, 2011, p. 29). des manières dont ces organisations interprètent les Nous répondons à cette invitation en présentant pressions de leur environnement et établissent des l’apport des sciences de la gestion à la compréhen- compromis dans le développement de cette pratique sion du phénomène de la formation à distance et d’enseignement; et enfin les théories interactionnis- en ligne (FDL) dans les établissements voués tra- tes pour comprendre la récursivité entre les usages ditionnellement à l’enseignement présentiel. Bien et les propriétés socio-matérielles (Orlikowski, 2007) qu’elles aient développé un champ de connaissan- des technologies utilisées. ces qui, à différents égards, s’avère riche d’ensei- gnement pour comprendre pourquoi (les raisons) et Méthodologie comment (les manières) ces établissements déve- loppent la FDL, nous constatons que les sciences Effectuée au début de l’année 2012 dans l’un des de la gestion nous apprennent peu sur l’« intimité » moteurs de recherche les plus utilisés en sciences de de cette pratique d’enseignement. Or, le corpus de la gestion (ABI/Inform Global), notre revue de lit- la théorie des organisations nous semble davantage térature se base sur les termes « Management scien- porteur lorsqu’il nous amène à la considérer sous ce » (sciences de la gestion) et « Distance learning » l’angle d’une pratique sociale (Johnson, Langley, (FDL). Au nombre de 100, les articles retenus (An- Melin et Whittington, 2007; Trowler, 2005). nexe 1) sont publiés dans 86 revues académiques évaluées par des pairs (Annexe 2). La période à l’étu- Pour le chercheur intéressé à la perspective de la de (1994-2011) révèle que le premier article corres- pratique sociale, la rationalité des acteurs est en- pondant aux termes de recherche paraît en 1994. racinée dans le détail de la vie quotidienne. L’or- ganisation est analysée à travers le sens pratique Cette revue de littérature emprunte à la fois aux ob- des acteurs. L’un des objectifs est d’expliciter les jectifs de la « scoping review » et de la « critical re- connaissances, le plus souvent tacites, et les com- view » (Paré, Trudel, Jaana et Kitsiou, 2015). Alors pétences que mobilisent ces acteurs à travers leurs Ces revues sont réparties principalement en deux catégories. La première est associée de facto à différentes disciplines interactions sociales. Cela ne peut se faire sans constituant les sciences de la gestion : le marketing, le ma- considérer les interprétations qu’ils donnent à leur nagement, la comptabilité, la recherche opérationnelle et la environnement, les prédispositions qu’ils ont acqui- gestion des technologies de l’information. La seconde caté- gorie est liée au contexte de l’enseignement supérieur : la ses dans le passé, les significations qu’ils attribuent pédagogie; l’usage du numérique dans les pratiques d’ensei- à leurs actions et les capacités créatives qu’ils ma- gnement; et la gestion des établissements. 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(2) 53 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE tance, que ce soit au niveau du design pédagogique que le premier type vise par une approche com- ou du système de diffusion (Power, 2002). préhensive à examiner la nature et le contenu des activités de recherche, le second soulève les pro- Troisièmement, le domaine d’expertise des auteurs blèmes, les faiblesses et les controverses caractéri- devait être en l’occurrence celui des sciences de la sant ces activités. Nous le faisons uniquement sur gestion, cette « discipline appliquée » (Martinet et le plan théorique. Pesqueux, 2013) dont l’objet de réflexion est un en- semble de pratiques, de discours et de connaissances Différents critères d’inclusion des articles (Webster théoriques et pratiques relatifs à la conduite des or- et Watson, 2002) ont été respectés pour assurer la ganisations (Cohen, 1996). cohérence de notre démarche ayant pour but de ré- pondre à la question suivante : que nous apprennent Ces critères d’inclusion nous ont amené à exclure les sciences de la gestion à propos du phénomène les articles portant sur : les spécificités techniques de la FDL? des logiciels outils et/ou plateformes de gestion de cours; les transformations technologiques et/ou orga- Premièrement, les pratiques de FDL devaient cor- nisationnelles des bibliothèques; et les changements respondre aux éléments constitutifs de la définition curriculaires dans l’enseignement des sciences de qui suit : un contexte d’enseignement et d’appren- l’information. tissage visant le transfert de connaissances et de contenus et l’acquisition de compétences, se cen- Une première sélection des articles s’est fait sur la trant sur l’apprenant à distance de l’enseignant et base du contenu de leurs résumés. Une seconde a été de ses pairs sur un réseau privé ou public (Internet effectuée sur la base du contenu des articles. Nous ou intranet) (Balancier, Georges, Jacobs, Martin et les avons comparés en fonction de trois principales Poumay, 2006). catégories et sous-catégories d’objets de recherche. Elles ont émergé au cours de l’analyse. Deuxièmement, ces pratiques devaient prendre place dans des établissements voués traditionnel- La première catégorie (30 % des écrits) est associée lement à l’enseignement présentiel. Qui plus est, aux spécificités de l’environnement : la concurrence ce sont dans les établissements présentiel et voués entre établissements et la normalisation des prati- à l’enseignement des sciences de la gestion que ques. Cette catégorie nous permet de comparer les l’on retrouvait au milieu des années 2000 le plus articles en fonction de la question suivante : quel- grand nombre de pratiques de FDL (Centre pour les sont les pressions liées au développement de la la recherche et l’innovation dans l’enseignement, FDL? 2005). Enfin, le choix de la bimodalité est légitime La seconde catégorie (19 %) révèle les facteurs orga- dans la mesure où elle se différencie du modèle in- nisationnels de la FDL : les identités professionnel- dustriel de médiatisation de l’enseignement propre les des professeurs, le niveau d’engagement des res- aux établissements voués exclusivement à la dis- sources humaines et la disponibilité des ressources Nous avons identifié au sein des écrits 25 concepts pou- matérielles. Quels sont les facilitants et les contrain- vant être associés à cette définition : Open learning, dis- tes liés à la mise en œuvre de la FDL? Telle est la tance education, virtual classroom, advanced learning networks, virtual universities, Web courses, distance-in- question à laquelle tentent de répondre les articles. dependent technologies, Internet-based distance learn- ing, distributed learning environment, online recorded La troisième catégorie (51 %) réfère à l’ingénierie lectures, distance campus, online campus, on-line learn- pédagogique : le design des pratiques et l’évalua- ing, Web-based virtual learning environment, cyberlearn- tion des apprentissages. La question mobilisant les ing, on-line education, Web-enhanced teaching, flexible learning, computer-based learning, distributed online auteurs est : quelle est la nature des pratiques de FDL courses, virtual learning environment, Web-based learn- et de leurs impacts? ing technologies, Internet-based distance education, In- ternet/Web-based education, technology-mediated dis- Trois types d’approches caractérisent les écrits. Alors tance education, mobile learning. que l’approche prescriptive (58 % des écrits) expose 54 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(2) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU des principes qui, au nom d’une finalité pragmatique, sont vouées à améliorer une situation, l’approche La concurrence analytique (37 %) expose des connaissances basées sur l’étude empirique d’un élément du phénomène. Sur le plan prescriptif, des auteurs légitiment la L’approche critique (5 %) interroge les interpréta- FDL dans un contexte où les frontières avec l’en- tions idéologiques faites de ce phénomène. treprise seraient portées à disparaître. Fallshaw (2000) défend l’émergence d’une industrie post- Le choix des écrits, des catégories de contenus et secondaire du savoir. Les besoins de qualification des types d’approches a été validé par un assistant de nouveaux jeunes adultes qui auront à concilier de recherche. Les résultats ont été comparés à l’aide travail et études représentent un marché lucratif d’une grille d’analyse commune qui s’est stabilisée (Mihhailova, 2006; Wee et Chen, 2001). Folkers au cours du processus d’analyse. (2005) expose différentes pressions du nouvel en- Tableau 1 : Grille d’analyse des articles : types de contenus et vironnement concurrentiel : la croissance de la de- catégories des thèmes de recherche mande de la formation tout au long de la vie, la venue d’étudiants non traditionnels (plus âgés et à Approches Prescriptive Analytique Critique temps partiel) et la présence de nouveaux compé- Catégories titeurs, les universités virtuelles et privées. Hart et Rush (2007) soutiennent l’idée de considérer les Spécificités de Q : quelles sont les pressions liées au l’environnement 30 % développement de la FDL? étudiants à titre de consommateurs afin de favoriser Concurrence 23 % 16 % 2% 5% une culture d’excellence. Normalisation 7% 4% 3% 0% Chan et Welebir (2003) proposent une analyse sec- torielle : les compétiteurs sont les autres universi- Facteurs Q : quels sont les facilitants et les tés, les nouveaux entrants sont les universités vir- organisationnels 19 % contraintes liés au développement de tuelles, les substituts proviennent des entreprises la FDL? productrices de savoir, les fournisseurs offrent des Ressources technologies éducatives et les consommateurs sont humaines et 16 % 0% 16 % 0% les étudiants. Les établissements voués tradition- matérielles nellement à l’enseignement présentiel ne doivent Identités 3% 3% 0% 0% pas offrir des programmes complets mais plutôt des professionnelles cours ciblés. Par rapport aux établissements exclu- Ingénierie Q : quelle est la nature des pratiques de sivement à distance, leur avantage demeure pour 51 % l’instant dans leur accréditation et leur capacité à pédagogique FDL et de leurs impacts? Design 46 % 38 % 8% 0% nouer des alliances stratégiques. Les partenariats Évaluation des représentent en fait une stratégie de positionnement 7% 0% 7% 0% des plus enviables (Alavi, Yoo et Vogel, 1997; Baer, apprentissages 2000; Black, 2002; Boyd et Halfond, 2001; Cunha 58 % 37 % 5% et Putnik, 2007; Daniel, 1994; Muskett, 1996). L’image de marque (« branding ») demeure des Les spécificités de l’environnement plus efficaces (Fagan, 2003; Folkers, 2005). Cer- Nous verrons que les écrits défendent une conception tains estiment le transfert des « bonnes pratiques » fonctionnaliste des organisations. Elles sont définies en matière de « e-commerce » et de « e-govern- en fonction d’une performance à acquérir dans un en- ment » (Fagan, 2003; Granitz et Greene, 2003). vironnement concurrentiel dictant largement les stra- Sur le plan analytique, la taille, le statut, le niveau tégies génériques à adopter. Or, cette logique d’adap- d’enseignement et la localisation géographique ont tation nous paraît idéologique. un impact sur le développement de l’offre (Ozdemir 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(2) 55 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE Sur le plan analytique, nous constatons qu’il s’avère et Abrevaya, 2007). Ozdemir, Altinkemer et Barron difficile de poser un constat. À la fin des années 90, (2008) soulignent que la FDL est aux États-Unis Koch et Fisher (1998) soulignent que la normali- davantage utilisée dans les établissements moins sation largement légitimée dans les entreprises de- prestigieux, dans des États de fortes densités de po- meure marginale en enseignement supérieur. Mid- pulation et dans les programmes de 1er cycle. dlehurst et Woodfield (2006) traitent du phénomène Sur le plan critique, les discours faisant la promo- dans différents pays (Jordanie, Malaisie, Australie, tion de la concurrence trouvent sur leur chemin Kenya et Royaume-Uni) et concluent qu’il existe quelques objections. En prenant pour objet le dis- de nombreuses différences entre ceux-ci. Oos- cours du vice-doyen de l’Open University (Angle- thuizen, Loedolff et Hammann (2007) évaluent la terre) qui avance que les organisations qui sont en qualité des cours d’un établissement d’Afrique du crise financière doivent développer la FDL, Sim- Sud : il existe un fossé entre ce qui est offert et les mons (2001) soutient que cet objectif amène le critères définis par The Higher Education Quality remplacement des professeurs par des ordinateurs Committee (HEQC). et des enseignants à temps partiel, ce qui consti- tue un danger pour l’enseignement supérieur. Pour Première contribution : Newton (2003), le débat se situe au niveau de la la quête de légitimité propriété intellectuelle, du maintien de la qualité des cours et de la valorisation du vedettariat aca- Force est de reconnaitre que les sciences de la ges- démique, c’est-à-dire l’offre de cours par des célé- tion véhiculent l’idéologie du marché, si ce n’est brités universitaires. Il s’agit d’un phénomène ame- l’utopie managérialiste de l’efficacité industrielle. nant à la dévaluation du corps professoral. Osborne L’environnement est associé à des variables éco- et Oberski (2004) préviennent de leur côté les États nomiques (marché et positionnement), techniques européens à propos du risque de la marchandisation (taille, localisation et accréditation) et symboliques de l’éducation. Le contrôle des entreprises et des (statut et image de marque). consommateurs sur les curricula est en avant-plan de leur argumentaire. Pratt (2005) avance que les Peut-on réduire l’environnement des établissements d’en- établissements australiens ont adopté les technolo- seignement supérieur à l’idée de marché? Il faut préciser gies sans examen critique, conduisant dans certains que ces établissements poursuivent des objectifs multiples cas à un gaspillage des ressources. L’effet de mode et hétérogènes difficilement réductibles à la maximisation du profit. Leurs performances sont en fait difficilement est à la source de cet échec. Borchers (2004) remet mesurables. Puis, il faut différencier les types d’établis- en question à ce propos les choix précipités dans sements. Alors que ceux de type privé poursuivent une un contexte marqué de promesses sur le plan éco- finalité interne de survie et de développement (Santo et Verrier, 1993), ceux de type public sont soumis à des fina- nomique. lités externes d’intérêt général définies et imposées par des instances gouvernementales. La concurrence ne s’exerce La normalisation pas de manière directe sur eux puisqu’ils sont financés par ces instances qui contrôlent le prix payé par les étudiants Sur le plan prescriptif, des auteurs (Connoly, Jones et (Wauthy, 2006). Soulignons que différentes difficultés se O’Shea, 2005; Long, Tricker, Rangecroft et Gilroy, présentent à l’idée de concurrence à l’échelle internatio- 1999; Lych, 2003; Stella et Gnanam, 2004) propo- nale : la reconnaissance des diplômes et des équivalences, l’obtention de licences d’exploitation et l’existence des sent des modèles et des critères de normalisation. monopoles publics subventionnés. L’objectif est de soutenir des pratiques qui favo- Comme le soulignait Guri-Rosenblit en 2005, cela n’est risent les apprentissages et de protéger la qualité pas sans lien avec le fait que : « The blurring of meaning between « distance education » and « e-learning » led to des systèmes nationaux d’éducation. On préconise expectations and predictions that dozens of thousands of l’évaluation par les pairs et le développement de students would be able to join higher and continuing edu- normes pour chacune des parties prenantes, puis on cation programs at lower costs, compared with classroom teaching » (p. 18). légitime l’obtention d’une accréditation. 56 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(2) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU La théorie des organisations s’avère ici des plus utiles, nous amenant à considérer notamment les la FDL. Enfin, cela est d’autant plus questionnable dimensions culturelles et cognitives du développe- que les discours des acteurs administratifs justifiant le ment de la FDL; des dimensions le plus souvent positionnement stratégique servent le plus souvent à négligées par les sciences de la gestion puisqu’éloi- légitimer des décisions prises selon des procédures qui gnées des préoccupations économiques. relèvent soit de l’inconscient, soit du calcul politique Le néo-institutionnalisme sociologique (DiMaggio (Weick, 1995). et Powell, 1983) nous apprend que les organisations Vaut mieux ainsi analyser les stratégies de dévelop- ne sont pas avant tout rationnelles face aux pres- pement de la FDL sous l’angle de leur formation que sions de leur environnement. La raison est qu’el- de leur planification. Alors que planifier des stratégies les sont imbriquées dans des réseaux imprégnés de est le plus souvent le fait d’acteurs administratifs éta- valeurs, de normes, de règles et de croyances qui blissant un plan formalisé et décomposé en différents définissent le monde et « ce qu’il devrait être ». Cet objectifs sur la base de données le plus souvent quan- encastrement social les amènerait en fait à adopter tifiables, former des stratégies relève d’un exercice de facto les pratiques les plus légitimées, voire les collectif de réflexion et d’apprentissage où différents plus socialement acceptées par les institutions de acteurs sont appelés à contribuer. La pratique sociale leur environnement. Les organisations feraient cette de la FDL s’y situe a priori. adoption pour éviter l’ambiguïté, faciliter l’acquisi- Comprendre cette pratique sociale, c’est interpréter les tion de ressources et résoudre les imperfections ou cadres de référence cognitifs et normatifs qui condi- l’asymétrie des informations qu’elles détiennent à tionnent les organisations et motivent leurs intentions propos des pressions de leur environnement. stratégiques à obtenir la légitimité auprès des institu- Sans pour autant leur permettre de gagner en effi- tions (Thornton, Ocasio et Lounsbury, 2012). Or, ces cience, la quête de légitimité à laquelle se prêtent cadres font l’objet de traductions comme le soutient les organisations les amènerait à adopter des prati- la sociologie de l’acteur-réseau (Akrich, Callon et La- ques similaires aux autres organisations de leur en- tour, 1986). En cela, les interprétations que font les vironnement, ce qui est troublant pour les sciences organisations des pressions de leur environnement ne de la gestion pour lesquelles le positionnement est sont jamais uniformes, subissant des transformations. basé le plus souvent sur la différenciation (Hafsi et Il y a traduction en fonction des valeurs, des croyan- Martinet, 2007). Ainsi, la rationalité du marché telle ces. Selon cette perspective, il importe d’identifier qu’elle est incarnée par les écrits légitimant l’idéal l’enjeu prioritaire et les énoncés problématiques que de la planification stratégique n’est pas sans criti- formulent les acteurs pour enrôler d’autres acteurs ques. D’autant plus, nous apprennent Mintzberg et qui, par intérêts individuels, vont supporter les inten- Waters (1985), qu’il est difficile en contexte d’en- tions stratégiques des organisations. À cet égard, la seignement supérieur de générer des plans clairs construction d’un réseau oriente les manières dont les et ciblés guidant de manière explicite les actions à Soulignons que les désavantages de la planification stratégi- entreprendre. Pourtant, il s’agit de ce type de plan que sont multiples. Premièrement, elle repose sur l’idée que que les sciences de la gestion invitent à suivre pour l’environnement dans lequel évolue l’organisation est stable, qu’il est en fait prévisible. Deuxièmement, elle est un exer- Trois institutions s’avèrent déterminantes quant à l’action cice de programmation. De ce fait, il s’avère difficile pour et au devenir des organisations (Scott, 2008). L’institution quiconque qui se prête à un tel exercice de tirer profit des réglementaire consiste en les lois et les règlements sou- avantages des processus intuitifs, créatifs et d’apprentissage tenus par un système coercitif centralisé qui assure leur auxquels s’adonnent les acteurs qui l’entourent. Troisième- respect (le gouvernement, par exemple). L’institution nor- ment, elle peut rendre l’organisation inflexible, voire résis- mative définit des normes et des valeurs à atteindre et de- tante à tout changement. À cet égard, le modèle de la plani- vant être respectées puisqu’assurées par des mécanismes fication préconise que l’organisation doit s’adapter de façon sociaux propres aux participants (les associations profes- séquentielle et linéaire, c’est-à-dire étape par étape. En cela, sionnelles, notamment). Et puis, l’institution cognitive se les contradictions et les incertitudes de l’environnement ne traduit par les représentations symboliques tenues pour peuvent être considérées. acquises. 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(2) 57 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE la et Lewis (2001) avancent qu’il n’est pas surpre- organisations légitiment, développent et mettent en nant en contexte de restructuration budgétaire que œuvre la FDL. les établissements offrent la FDL sans fournir les S’attarder à cette pratique dans cette perspective, ressources nécessaires. Newton (2003) lève de son c’est défendre ainsi l’idée que l’analyse des choix côté le doute sur les motivations réelles des admi- que font les organisations ne peut se faire dès lors nistrateurs. qu’à partir de ce qui se produit à l’intérieur de cel- La littérature présente d’autres contraintes : la les-ci. Les contextes historique, social, politique et sous-estimation du temps dans le développement culturel dans lesquels elles évoluent deviennent par des cours; la difficile constitution d’équipes inter- conséquent un lieu d’intérêt, ce que montre Pelle- départementales; la sous-estimation des problèmes tier (2013) dans une analyse du processus d’institu- à régler avec des partenaires locaux et internatio- tionnalisation de la FDL dans les écoles de gestion naux; la présence de processus de planification peu québécoises. Bien que le discours de la concurrence détaillés; l’attitude négative du corps professoral internationale ait été mis de l’avant par ces écoles, vis-à-vis les technologies; le changement de rythme la « concurrence » s’avère locale. Afin d’obtenir les lié à la flexibilité des horaires (Bhati, N., Mercer, ressources nécessaires au développement de leurs S., Rankin, K. et Thomas, 2010; Carr-Chellman, pratiques, ces organisations ont joué le jeu des ins- 2000; Flowers, Newton et Paine, 1998; Garrison titutions. Elles ont tiré profit de leur capital symbo- et Borgia, 1999; Henderson et Bradey, 2008; Mu- lique et ont construit des opportunités de change- tula, 2002; Newton, 2003; Payette et Gupta, 2009; ment leur étant favorables. Smith et Mitry, 2008; Teghe et Knight, 2004; Whi- Ces considérations nous amènent à poser sur le te, 2007). plan analytique les questions suivantes pour mieux Les principaux problèmes pour soutenir la rentabi- comprendre la FDL : quels sont les cadres de ré- lité de la FDL résident dans les seuils élevés d’ins- férence qui orientent la quête de légitimité des cription et dans les résistances des professeurs et des organisations auprès des institutions de leur envi- étudiants (Navarro, 2000). Les potentialités de l’in- ronnement? En outre, comment les organisations teractivité contribuent à l’augmentation de la fac- traduisent ces cadres? Plus concrètement, quelles ture. La gestion de la propriété des droits d’auteur sont les raisons faisant que les établissements dé- s’y ajoute. Enfin, il demeure difficile d’évaluer les veloppent ou ignorent la FDL? coûts de structure et la rentabilité des cours. Enfin, il serait faux de croire que les pratiques de Les facteurs organisationnels FDL ne sont qu’obstacles et difficultés. Si leur dé- Nous verrons que les écrits identifient différents veloppement nécessite temps et ressources, leurs facteurs contraignant ou facilitant le développe- rétributions se présentent à long terme (Hasni, Wan ment de la FDL. Par ailleurs, ces écrits rendent peu et Izah., 2011; Holley, 2002). compte des manières dont les interactions entre les Les identités professionnelles acteurs influencent ce développement. Sur le plan prescriptif, le changement ayant trait Les ressources humaines et matérielles aux identités professionnelles des professeurs est Sur le plan analytique, on nous apprend qu’il y au cœur de l’enjeu du développement de la FDL. aurait bien souvent inadéquation entre les pratiques Pour Miller (2007), le professeur doit assumer de administratives et pédagogiques, notamment pour nouveaux rôles de « concepteur pédagogique » ce qui est du nombre d’employés nécessaires au pour créer des cours et de « gestionnaire d’appren- soutien organisationnel de la FDL. Shea, Motiwal- tissage » pour les piloter. Pour Heckman et Annabi (2006), cela se traduit dans les termes suivants : 58 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(2) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU « From questioner of students to trainer of student questioners; from provider of feedback to teacher acteurs, administrateurs et professeurs, s’insèrent student responders; from provider of information to dans des processus décentralisés entre différents teacher of student information providers; from ana- sous-systèmes relativement indépendants (Mintz- lyst (with a focus on rational deduction) to editor berg, 2004). À cet égard, il s’avère important de (with a focus on story values) » (p. 148). Smith et comprendre comment la FDL se développe dans un Mitry (2008) préviennent à cet égard que : « educa- contexte fait de multiples objectifs, rationalités et tors and students will not realize the true potential lieux de pouvoir, ce que décrit notamment Miladi of e-learning until the administrators of all univer- (2006) dans un article sur les processus de chan- sities adhere to the higher academic standard of gement qu’ont connus des établissements français full-time faculty expertise » (p. 147). appelés à devenir des campus numériques. L’auteur démontre que la logique du partenariat avec le Deuxième contribution : monde de l’entreprise et d’autres établissements l’obtention de compromis d’enseignement a remis en cause l’autonomie professionnelle des professeurs, particulièrement Nous constatons que les sciences de la gestion véhi- au niveau des manières dont ils conçoivent leurs culent ici une vision rationaliste des organisations, cours. Nombreux sont ceux qui ont adopté l’ab- ce qui rend peu compte de leur complexité. sence ou le refus de communication afin de résis- ter aux buts des administrations qui ont vu dans les La théorie des organisations nous apprend que les campus numériques un moyen de positionnement établissements d’enseignement supérieur se distin- stratégique. Les changements mis en place ont eu guent entre autres par l’incertitude de leurs préfé- pour conséquence de rationaliser le travail et de rences qui sont mal définies et peu cohérentes entre bureaucratiser davantage les établissements, ce qui elles. Ils fonctionnent ce faisant par tâtonnements allait à l’encontre des objectifs de départ. L’auteur en exploitant les leçons tirées du passé (Cohen et souligne à cet égard que « … plus il y a d’incerti- March, 1974). La complexité de leurs procédures tudes, plus il y a des jeux d’acteurs pour limiter ces et leurs structures rend toute décision rationnelle incertitudes » (p. 57). difficile. Cela n’est pas sans lien au fait que les professeurs appartiennent à de multiples réseaux et L’autonomie professionnelle constitue ainsi une que leur participation à des projets est fluctuante. problématique de taille pour le développement En ce sens, il y aurait davantage une identification à de la FDL. Par ailleurs, plus il y a contrôle sur la profession qu’à l’organisation, peu d’importance l’autonomie, plus il y a baisse de la conscience vouée à la formalisation des comportements et aux professionnelle (Mintzberg, 2004). Y réside toute systèmes de planification et de contrôle. À l’instar la complexité des établissements d’enseignement de Denis et al. (2007), l’autonomie qui favorise la supérieur, lesquels se transforment par des modi- paralysie collective amène les professeurs à se dis- fications successives plus ou moins restreintes sur socier des orientations centrales des organisations. des périodes relativement longues. La décentralisation tant horizontale (niveaux de Comme le suggère Feldman (2000) à propos des gestion et d’autorité) que verticale (domaine d’in- routines que développent les organisations, nous térêts) fait que les processus de décision sont très devons comprendre les raisons pour lesquelles la dispersés et les changements implantés s’avèrent FDL ne produit pas toujours les effets escomptés, dilués. D’emblée, il demeure difficile de changer crée les effets prévus mais engendre de nouveaux les valeurs et les façons de faire traditionnelles problèmes, permet la production de nouvelles op- (Meyer et Rowan, 1977). portunités ou fait tomber les idéaux. Pour ce faire, Afin d’avoir une meilleure compréhension de la il importe de considérer en termes de pratiques FDL, il importe de s’attarder aux manières dont les sociales les manières dont les acteurs mobilisent 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(2) 59 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE la FDL découle des relations entre les besoins des des connaissances tacites et formelles, interprètent étudiants, les capacités techniques des technologies des normes et des règles, actualisent et remettent et les apprentissages réalisés. en question des valeurs, formulent des critiques, se réfèrent à des modèles explicatifs, improvisent Le design et construisent des routines en tant que réponses à Sur le plan prescriptif, on souligne l’importance de l’incertitude. réfléchir aux possibilités des technologies et non de L’économie des conventions (Boltanski et Théve- s’en servir pour transférer les méthodes de l’ensei- not, 1991) nous invite à cet égard à comprendre les gnement présentiel (Schank, 1998). Cela amène à manières dont les acteurs scellent des compromis une redéfinition du matériel et des contenus, ce qui acceptables pour répondre à des situations où il y a implique du temps et des ressources (Neumann, incertitude. Comme le souligne Pichault (2009) : 1998). Nombreux sont les auteurs qui présentent des Cette incertitude les met dans l’impossibilité de étapes pour construire des pratiques centrées sur les décider de manière rationnelle, c’est-à-dire de étudiants (Chai et al., 2010; Chuang, 2009; Chun- décider en définissant quels sont leurs intérêts, ting, Shen et Ceccarelli, 2005; Neumann et Neu- en procédant à un calcul des coûts et des bé- mann, 2010; Zabriskie et McNabb, 2007; Zamfir, néfices liés à chaque alternative possible, et en 2011). On soulève l’importance d’opérer des trans- choisissant la plus avantageuse pour eux. Dans formations dans les conceptions de l’enseignement, de telles décisions, les individus ont forcément d’effectuer un changement de paradigme (Curcher, besoin de repères pour fonder de telles déci- 2011; Hutchinson, 2007; Santally et Alain, 2006). sions. Certains de ces repères sont des énoncés Les écrits préconisent de rendre les plateformes de explicites mais la plupart d’entre eux revêtent gestion de cours intéressantes, interactives et faci- des formes plus implicites, révélatrices de conventions. (p. 65) les d’usage (Greasley, Bennett et Greasley, 2004). Une convention est en soi un ensemble de repères Afin de favoriser les apprentissages, on préconise auxquels les acteurs se réfèrent pour décider des la quantité et la qualité des interactions (Bradley, comportements qu’ils vont adopter. Toute décision 2009; Crawford, 2001; Gibson, 2001; Grandzol et individuelle est à la fois la cause et la conséquence Grandzol, 2006; Hay, Peltier et Drago, 2004; Men- d’une convention. À cet égard, le compromis est à khoff, 2011; Muirhead, 2002; Tikhomirov et al., obtenir quand plusieurs conventions sont présentes. 2009); les communications authentiques (Köck et Paramythis, 2011); et la création d’espaces colla- Ces différentes considérations nous amènent à po- boratifs (Conaway, Easton et Schmidt, 2005; Da- ser les questions suivantes : quelle est la nature niels, 2009; Dreher et al., 2009; Hazari et al., 2009; des compromis liés au développement de la FDL? Konstantinidis, 2010; Levy et Hadari, 2010; Li et Comment les organisations concilient-elles les Pitts, 2009; Nica et Grayson, 2011; Wang et Bra- incertitudes autour de conventions? En quoi ces man, 2009). conventions influencent-elles et sont-elles influen- cées par les identités professionnelles et les res- On souligne l’importance de déterminer les attentes sources humaines et matérielles en présence? Plus des apprenants et d’évaluer leurs expériences anté- concrètement, quelles sont les raisons qui font que rieures en termes d’apprentissage (Alexander, 2001; la FDL est adoptée ou ignorée? Wee et Chen, 2001; Zapalska et Brozik, 2006). Il s’avère des plus pertinents d’offrir des cours reliés à leurs intérêts (Combe, 2005; Scagnoli, 2001); de L’ingénierie pédagogique personnaliser ces cours et de créer un état psycho- logique associé à la performance (Rossin et al., Nous verrons que les écrits s’inscrivent dans une 2009) et de privilégier la résolution de problèmes logique déterministe et techniciste où l’efficacité de (Du et Havard, 2003). Les cours peuvent tant être 60 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(2) www.ritpu.org
IJTHE • RITPU centrés sur le contenu à enseigner, les interactions entre élèves, le développement des compétences ou habiletés technologiques. la résolution de problèmes complexes (Rungtusa- natham, Ellram, Siferd et Salik, 2004). Troisième contribution : Sur le plan analytique, Xiaoqing (2007) avance que la co-construction des usages la FDL présente de nombreuses lacunes en termes de personnalisation, de mobilité et de coordination Afin de mieux comprendre les effets supposés né- des groupes d’étudiants. Pour Gerow et al. (2010), gatifs ou positifs de la FDL, il importe de statuer cette pratique d’enseignement peut créer la perte que leurs usages ne reposent pas uniquement sur un d’intérêt et d’attention envers les contenus (« cy- schéma de causalité linéaire ou d’une stratégie dé- berslack »). Johnson et al. (2009) démontrent qu’il libérée, planifiée étape par étape, comme le propo- faut considérer un ensemble de facteurs pour mesu- sent le plus souvent les écrits. Les caractéristiques rer précisément les intérêts des étudiants. Il en est propres d’une technologie ne permettent pas en fait de même pour Gulliver et Ghinea (2009) qui dé- d’aborder les manières dont les acteurs en font usa- montrent que la personnalité et le type de cognition ge (Jauréguiberry et Proulx, 2011). Ils inventent à de l’étudiant affectent le niveau d’assimilation de l’occasion des usages imprévus, les détournent des l’information, le besoin de réussite et le niveau de usages prescrits par leurs concepteurs ou encore les confiance. Watters et Robertson (2009) soulèvent rejettent. quant à eux l’intérêt varié selon le niveau d’étude Mieux comprendre la FDL en tant que pratique so- des étudiants. Les « graduate » ont une apprécia- ciale implique de montrer les manières dont elle est tion plus positive que les « undergraduate ». Tan- structurée par les usages et est structurante de ceux- ner et al. (2009) nous apprennent que les étudiants ci. En ce sens, une technologie n’est jamais plei- démontrent davantage d’intérêt pour les pratiques nement neutre, révélant une matérialité à laquelle de FDL que les professeurs. Crandall et al. (2010) l’humain ne peut jamais pleinement s’affranchir. démontrent l’intérêt des étudiants pour l’accessibi- Ce constat amène à préciser qu’il y a une médiation lité des ressources d’enseignement que procurent qui s’opère entre le social et la technique. La tech- les plateformes de gestion de cours. Al-Asfour et nologie est structurante parce qu’elle met en place Bryant (2011) soulignent l’importance de la flexi- des règles, des ressources et des fonctions et des bilité, de la communication et des soutiens techni- composantes cognitives qui influencent les usages, ques pour obtenir la satisfaction des étudiants. lesquels à leur tour amènent à transformer l’arte- fact (Orlikowski, 2007). À ce propos, l’interface L’évaluation des apprentissages d’un logiciel a des incidences cognitives sur les manières de chercher et de classer l’information. Quelques articles relevant du plan analytique dé- À ce propos, l’interactivité, l’hypertextualité et la montrent qu’il n’y a pas de réelles différences en connectivité qui caractérisent Internet ont une in- termes d’apprentissage entre les pratiques d’ensei- fluence sur les usages qu’en font les acteurs (Lévy gnement traditionnelles et la FDL (Kock, Verville et Lasserre, 2011). et Garza, 2007; McLaren, 2004; Mintu-Winsatt, 2001; Overbaugh et Lin, 2006; Thirunarayanan Analyser la construction des usages sociaux de la et Perez-Prado, 2001). Sosin, Lecha, Agarwal, FDL, c’est réaliser qu’ils sont aussi le prolonge- Bartlett et Daniel (2004) nous apprennent que la ment de pratiques déjà formées. Il y a affiliation, FDL a un léger impact positif sur les performan- c’est-à-dire hybridation entre les usages du passé ces des étudiants. Par ailleurs, cela dépend du type et ceux du présent. Tout usage se heurte en fait au de technologie utilisée. Piccoli, Ahmad et Ives poids des habitudes et de la tradition, aux résistan- (2001) avancent qu’il n’y a pas non plus de diffé- ces des acteurs et aux significations symboliques rences lorsqu’il est question du développement des instituées. 2014 - International Journal of Technologies in Higher Education, 11(2) 61 www.ijthe.org
RITPU • IJTHE ganisations. Ce constat est d’autant plus intéressant Ces considérations théoriques nous amènent à poser que ces contextes constituent normalement l’objet les questions suivantes : quels sont les « patterns » des sciences de la gestion. qui se dégagent des usages de la FDL? Quelles sont Nous avons souligné que l’on ne peut analyser les influences réciproques qu’entretiennent les pra- les pratiques sans s’attarder au « pourquoi » et au tiques d’enseignement présentielles et les pratiques « comment » de celles-ci. L’analyse des manières à distance? Plus concrètement, quels sont les usa- dont les organisations traduisent dans leur quête de ges qui influencent le design des pratiques et les légitimité les pressions des institutions demeure né- apprentissages des étudiants? cessaire. Il en est de même à propos des façons dont les organisations scellent des compromis à travers Discussion et conclusion les incertitudes liées à l’autonomie professionnelle et aux multiples pouvoirs et coalitions caractérisant Par un survol des intérêts de recherche des sciences traditionnellement ces organisations. Il en appelle à de la gestion, nous avons démontré qu’elles parti- une meilleure compréhension des manières dont les cipent au champ de connaissances sur la FDL. Le ressources sont mobilisées et leurs effets sont in- plus souvent prescriptifs et largement centrés sur terprétés. Enfin, nous avons jugé des plus utiles de l’ingénierie pédagogique, les écrits nous appren- s’attarder aux « patterns » des usages. À ce propos, nent peu par ailleurs sur l’environnement et les or- différentes questions ont été soulevées. Tableau 2 : Questions de recherche sur le plan analytique Thèmes Processus Questions de rechercheProcessus Spécificités de Quête de légitimité • Quels sont les cadres de référence qui orientent la quête de légitimité l’environnement des organisations auprès des institutions de leur environnement? • Comment les organisations traduisent-elles les cadres de référence?Quête de légitimité • Quelles sont les raisons faisant que les établissements développent ou ignorent la FDL? Facteurs Obtention de compromis • Quelle est la nature des compromis liés au développement de la FDL? organisationnels • Comment les organisations concilient-elles les incertitudes autour de conventions? • En quoi les conventions influencent-elles et sont-elles influencées par les identités professionnelles et les ressources humaines et matérielles en présence?Obtention de compromis • Quelles sont les raisons faisant qu’une technologie de la FDL est adoptée, adaptée ou ignorée? Ingénierie Co-construction des • Quels sont les « patterns » qui se dégagent des usages de la FDL? pédagogique usages • Quelles sont les influences réciproques qu’entretiennent les pratiques d’enseignement présentielles et les pratiques à distance?Co- construction des usages • Quels sont les usages qui influencent le design des pratiques et les apprentissages des étudiants? 62 2014 - Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 11(2) www.ritpu.org
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