Réserves Parcs - Ardenne & Gaume
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Parcs Réserves Pêche et Nature Volume 67 Revue trimestrielle de conservation de la nature Fascicule 1 et de gestion durable d’Ardenne et Gaume • 1e trimestre 2012 1
Certifié PEFC Sommaire Ce papier est issu de forêts gérées durablement et de sources contrôlées. Sommaire www.pefc.org PARC & RESERVES (anciennement Parcs Nationaux) Volume 66, fascicule 4, 2011 Revue éditée par ARDENNE&GAUME a.s.b.l. avec l’aide du Ministre des Travaux publics, de l’Agriculture, de la Ruralité, de la Nature, de la Forêt et du Patrimoine de la Région wallonne, Carlo Di Antonio, la col- laboration des milieux scientifiques et universitaires et d’associations de Le Service de la Pêche à la croisée des chemins 5 protection de la nature. Par Xavier Rollin EDITEUR RESPONSABLE : Willy DELVINGT La politique des rempoissonnements Chemin de Potisseau, 124 11 5100 Wépion du Service de la Pêche Par Xavier Rollin COMITE DE LECTURE : MM Philippe LEBRUN, Louis-Marie DELESCAILLE et Cédric VERMEULEN Les piscicultures régionales du Service 23 SECRETARIAT DE LA REVUE : de la Pêche : vers des conservatoires Willy Delvingt Chemin de Potisseau, 124 de la biodiversité aquatique 5100 Wépion Par Xavier Rollin Les articles signés n’engagent que les auteurs. Les manuscrits non in- sérés ne sont pas rendus. La repro- La Salmoniculture régionale d’Erezée : 31 duction des articles n’est autorisée qu’avec l’assentiment du Comité premier bilan après 2 ans de Direction d’ARDENNE & GAUME. par Xavier Rollin et Yvan Neus Site internet : www.ardenne-et-gaume.be Premier succès de reconditionnement de trois saumons 39 © ARDENNE & GAUME a.s.b.l. atlantiques sauvages à la Salmoniculture régionale Viroinval (Belgique) d’Erezée par Yvan Neus, Daniel Gilson et Xavier Rollin © WWW.sxc.hu POUR S’ABONNER • Rédacteur en chef : W. DELVINGT versez 20 e au CCP n°000-169593-37, • Mise en page : IMPRIBEAU IBAN BE35 0000 1695 9337, • Photos de couverture : BIC BPOT BE B1 d’Ardenne et Gaume Pêcheur en barque Bambois : M. Fautsch pour plus de détails, voyez la couverture de dos. Contrôle de pêcheur : V. Paquay Bassins de grossissement de smolts, D./20050146/3-2005 pisciculture d'Erezée : W. DELVINGT ISSN 1370-6322 • Photo dos : M. Fautsch • Imprimerie : IMPRIBEAU
© www.sxc.hu Edito Edito Pêche et Nature Le Service de la pêche, créé à la demande des pêcheurs en 1981, au lendemain de la régionalisation, a progressi- vement joué un rôle essentiel dans la gestion durable de nos cours d’eau. A l’origine, il s’agissait essentiellement de lutter contre les pollutions, de veiller à la qualité des déversements des truites et cyprins et d’assurer une meilleure police de la pêche. Dans une seconde phase, outre les activités citées plus haut, le Service de la pêche développa les piscicultures de l’ombre (espèce en net déclin dans certains cours d’eau) et du saumon atlantique, dans le cadre de l’opération Saumon 2000. Sa collaboration étroite avec les services chargés de la gestion mécanique des cours d’eau permit d’amorcer les changements de politique en la matière, passant d’une gestion essentiellement centrée sur l’hydraulique et la physico- chimie, à une gestion plus durable centrée sur l’écosystème. De même, grâce à une étroite collaboration avec les Fédérations piscicoles et le soutien des milieux scientifiques, la politique des déversements piscicoles évolua sensiblement. Ainsi en Meuse, les déversements massifs de cyprins furent progressivement diminués et les sommes épargnées consacrées à l’amélioration de l’écosystème aquatique (par exemple par la création ou l’amélioration de frayères). Dans les cours d’eau à truites, l’accent est également mis sur une politique globale de gestion de l’écosystème aqua- tique. Mais ici, l’impact de la pêche est plus grand, et il est souvent peu aisé de trouver un équilibre entre la satisfaction des pêcheurs et la gestion durable des écosystèmes aquatiques. Grâce aux articles qui suivent, le lecteur pourra apprécier à la fois les progrès parcourus dans la gestion durable de nos cours d’eau et ceux qui restent à accomplir (pour autant que les moyens soient donnés, ce qui est loin d’être assuré en ces temps difficiles). W. Delvingt © www.sxc.hu 3
Le Service de la Pêche à la croisée des chemins Par Xavier Rollin1 / Xavier.rollin@spw.wallonie.be Le Service de la Pêche de la Région sur les plans wallonne (Service Public de Wallonie) est administratifs né en 1981, juste après la régionalisa- et techniques. tion des Eaux et Forêts, à la demande Le Service de déjà ancienne - antérieure à 1960 - des la Pêche est fédérations de pêcheurs2 . rattaché à la A l’époque, suite à de nombreuses Direction de et diverses atteintes aux cours d’eau la Chasse et (pollutions organiques et chimiques, de la Pêche © A. Lamotte destruction des habitats piscicoles et son équipe et des zones de frayères, etc.), les d’encadre- pêcheurs wallons avaient vivement ment adminis- souhaité, et finalement obtenu après tratif localisée un long combat, la création d’un ser- dans les ser- Pêches aux filets maillants vices centraux Ces nouvelles missions, géné- vice spécialisé au sein de l’Administra- du DNF. ralement réalisées en appui des tion des Eaux et Forêts - actuellement autres services extérieurs du DNF ou Département de la Nature et des Forêts Avec son statut particulier de service d’autres départements de la DGARNE, (DNF) de la Direction générale de l’Agri- extérieur compétent sur l’ensemble concernent principalement : culture, des Ressources Naturelles et du territoire wallon, le Service de la de l’Environnement (DGARNE) - dans Pêche avait initialement comme • la participation aux inventaires pis- la surveillance halieutique et la ges- principale vocation la lutte contre les cicoles des cours d’eau et des lacs tion des populations piscicoles de nos nombreuses pollutions qui prévalaient (pêches à l’électricité, relevés de fleuves, lacs et rivières. à l’époque et le renforcement des passes à poissons, pêches aux filets contrôles d’un nombre sans cesse maillants, etc.), avec ou sans l’aide Treize agents territoriaux furent ainsi croissant de pêcheurs. En effet, ce d’autres collègues de la DGARNE engagés et répartis sur tout le territoire nombre augmenta sans cesse depuis et/ou de pêcheurs, wallon en autant de triages piscicoles et en 4 brigades correspondant à une ou la fin de la deuxième guerre mondiale • la remise d’avis par rapport à des plusieurs provinces (Hainaut ; Namur ; pour culminer en 1983 avec 113.299 demandes d’autorisation diverses Luxembourg ; Brabant wallon et Liège). permis vendus en Wallonie. touchant de près ou parfois aussi Cette équipe fût rapidement mise en Très vite, les missions du service se de loin aux cours d’eau (centrales place par l’Ir. Willy Delvingt qui dirigea diversifièrent considérablement vers des hydroélectriques, prises d’eau, le service jusqu’en 1989 et est toujours missions à caractère plus technique, à construction d’étangs, travaux affectueusement considéré aujourd’hui un tel point que la lutte contre la pollu- divers, circulation d’embarcations, par les agents comme le « père fonda- tion et les missions de police ne repré- rempoissonnements, etc.), teur » du Service de la Pêche. Elle fût sentent plus aujourd’hui qu’une part • la participation à l’encadrement complétée par l’engagement de deux réduite du temps de travail, eu égard à technique et/ou administratif de ouvriers piscicoles, de deux assistantes l’amélioration notable de la qualité des nombreux projets d’études, de et d’un ingénieur agronome afin d’assu- eaux du réseau hydrographique wallon sensibilisation ou d’amélioration rer l’encadrement des agents de terrain et ce grâce à la conjonction de plu- de l’état des cours d’eau et lacs sieurs facteurs, (PCDN, Projets LIFE, FEP, conventions, principalement écloseries artisanales…), la multiplica- • la participation à l’encadrement tion des stations technique et/ou administratif de d’épuration nombreuses structures impliquées grâce aux efforts dans la pêche, la pisciculture et la de la Wallonie protection du milieu aquatique (le (sous l’impulsion Fonds Piscicole de Wallonie et ses de l’Union euro- groupes de travail, les 5 Commis- péenne) mais sions Provinciales Piscicoles, les 26 aussi à la dispari- Fédérations halieutiques, les cen- © A. Lamotte tion d’un certain taines de Sociétés de Pêche, les tissu industriel. 16 Contrats de Rivière, les 2 Mai- sons de la pêche, les 25 Ecoles de Pêches à l’électricité Pêche, le Conseil de Filière Piscicole, 1 DNF, responsable du Service de la Pêche (depuis 2008), 15 Avenue Prince de Liège, 5100 Jambes 2 Par exemple, le compte-rendu de la séance du 24 octobre 1960 du Comité central du Fonds piscicole rapporte cette demande : « M. Monami précise qu’en fait, sa proposition (d’un subside de 50.000 FB en vue d’étoffer le personnel de la Section d’Hydrobiologie de la Station de recherches des Eaux et Forêts à Groe- nendaal, NDLR) vise à la création d’un véritable Service de la Pêche ». 5
Dragage sur l’Ourthe en amont de Bomal le Conseil Supérieur Wallon de la de la qualité de l’eau – prin- Pêche…), cipalement les poissons, les • l’encadrement légal (autorisations) macrophytes et les macroin- et les contrôles des rempoisson- vertébrés benthiques – dans nements financés et/ou organisés tout projet de travaux ou d’ac- par le Fonds Piscicole de Wallonie tions potentiellement néfastes aux ou par les sociétés de pêche et les cours d’eau est d’ailleurs maintenant © A. Lamotte particuliers, largement consacrée dans les prin- • la gestion des piscicultures doma- cipes mêmes de la Directive Cadre niales, le cas échéant, avec les de l’Eau (2000/60/CE). Celle-ci impose de cantonnements, et des rempois- l’atteinte du bon état écologique – sonnements de restauration et de fondé sur la qualité biologique, phy- « catastrophes soutien, sico-chimique et hydromorphologique écologiques locales » ont pu • la prévention et la répression contre – et chimique de nos masses d’eau ainsi être évitées grâce à ces avis ? Nul les pollutions, le sauvetage des pois- naturelles à l’horizon 2015. Désormais, ne le sait. Cela est difficile à déterminer sons et l’estimation des dommages dans l’évaluation de la qualité de l’eau, car l’Homme semble naturellement piscicoles, la primauté est donnée aux éléments plus enclin à quantifier les catastrophes de la qualité biologique, dont les pois- qui surviennent que les fruits discrets de • l’information, la formation et la sons, sur la qualité physico-chimique leur prévention. Néanmoins, même sensibilisation des collègues, des de l’eau. une analyse historique rudimentaire pêcheurs et du grand public à la protection de la faune et des habi- Ainsi, à une gestion purement nous rappelle les avatars du passé, tats aquatiques. hydraulique des cours d’eau et à une quand la Semois, l’Ourthe et l’Amblève vision purement physico-chimique de – notamment – étaient curées à vif et L’inflation de ces nouvelles missions la qualité de l’eau centrée sur ses fonc- leurs îles naturelles arasées au nom sans apport supplémentaire de moyens tions d’usage, se substitue progressive- de la lutte contre les inondations ou humains a nécessairement rendu moins ment une gestion plus respectueuse encore quand la très nationale Direc- visible les actions de ce petit service des êtres vivants et de leurs habitats et tion de l’Hydraulique agricole rectifiait décentralisé à un tel point que d’aucun une vision plus intégrée des différentes des cours d’eau comme la Thûre, la se demande parfois, en particulier cer- fonctions de nos cours d’eau : écono- Hantes, réduisant ainsi à néant les habi- tains pêcheurs lassés par le manque mique, sociale, mais aussi écologique. tats naturels issus de siècles d’érosion. de contrôles au bord de l’eau : « Mais Si quelques « accidents » surviennent que fait donc le Service de la pêche ? ». Considéré parfois par certains encore aujourd’hui, ces dégradations Il est vrai que, devenu un service comme excessif, voire « marginal », physiques n’ont généralement plus d’appui en matière de contrôles en dans ses avis, tantôt trop proche des le caractère systématique qu’on leur 2006, son influence est d’abord et pêcheurs tantôt trop proche des natu- connaissait à l’époque et on doit s’en avant tout indirecte et sa plus belle ralistes, le Service de la Pêche aura réjouir tout en reconnaissant les efforts satisfaction est sans aucun doute de sans aucun doute, modestement restant à réaliser dans ce domaine. constater le changement progressif mais avec conviction, contribué depuis sa création à cette « révolution Dans un autre registre, le Service de mentalité constaté chez la plupart copernicienne ». de la Pêche octroie chaque année des gestionnaires des cours d’eau en environ 500 autorisations de rempois- Wallonie, se traduisant par l’évolution En terme plus quantitatif, le Service sonnement (pour environ 2000 à 2500 de la conception des travaux le long de la Pêche a, par exemple en 2009, rempoissonnements) dans les cours et sur les cours d’eau, et la meilleure remis un avis sur 179 dossiers de travaux d’eau et lacs de Wallonie et contrôle prise en compte de leur flore et de sur les cours d’eau. Ces avis, souvent quantitativement et qualitativement leur faune, autrefois négligées à côté très techniques et peu connus du grand plus d’un quart des opérations de des enjeux économiques et sociaux. public, sont d’une importance capitale rempoissonnement (27 % en 2009). Cette sensibilité, particulièrement pour la prise en compte de la dimen- En effet, depuis la création du Fonds des agents du Service de la Pêche, à sion écologique de nos cours d’eau lors piscicole en 1954, celui-ci organise tenir compte des éléments biologiques de la réalisation de travaux. Combien © V. Paquay Sauvetage de poissons en Meuse en chômage 6
des critères relatifs à l’origine géogra- phique et à la qualité génétique des poissons livrés (souche locale…), en concertation avec les acteurs de la filière, afin notamment de se confor- © V. Paquay mer à de nouvelles normes belges ou européennes. Les contrôles techniques des pois- sons livrés représentent l’autre facette Bivouac de carpistes de l’amélioration de la qualité des pois- des marchés publics de rempoisson- afin de tirer toujours plus haut les stan- sons de déversement, indispensables nements des cours d’eau belges dans dards de qualité des poissons livrés pour vérifier la conformité des lots livrés. le but de soutenir la pêche et/ou les au Fonds piscicole, au bénéfice des Ici aussi, les clauses techniques du nou- populations piscicoles en difficulté pêcheurs, des rivières, mais aussi des veau cahier spécial des charges ont démographique. piscicultures elles-mêmes. En effet, été revues afin d’objectiver les contrôles Ici encore, l’influence du Service de celles-ci, situées au fil de l’eau, étaient sur le terrain. En outre, depuis 2012, les la Pêche est surtout indirecte. Si les pre- régulièrement infectées par certaines responsables des rempoissonnements viroses mortelles à leurs ont la possibilité d’effectuer eux-mêmes élevages, transmises par l’ensemble des contrôles administratifs des poissons eux-mêmes et techniques en l’absence de l’agent infectés et déversés à proxi- du Service de la Pêche, avec le même mité de la prise d’eau. Ainsi, matériel que celui-ci. pour lutter contre de tels En matière de répression, le Service phénomènes, furent intro- de la Pêche doit faire face actuelle- © V. Paquay duits progressivement des ment à une recrudescence du bracon- critères d’attribution des nage halieutique sur les cours d’eau marchés et de contrôle navigables, en particulier dans les cours concernant la qualité sani- d’eau navigables où la pêche nocturne Déversement du Fonds piscicole de wallonie taire (certificats sanitaire, etc.) des de la carpe commune est autorisée miers rempoissonnements étaient d’une poissons, mais aussi morphologique depuis 2007. Ainsi, à la demande qualité souvent médiocre, notamment (qualité des nageoires, des opercules, du Ministre de tutelle de l’époque B. sur le plan sanitaire, le Service de la etc.). Tout récemment, ces critères ont Lutgen, il a été mis en place depuis Pêche ne ménagea pas ses efforts été mieux objectivés et complétés par 2010 et sur une base annuelle un « Plan Fig. 1. Evolution du nombre de procès-verbaux dressés en matière de pêche en Wallonie de 2000 à 2011 (Source : DPC-DGARNE-SPW 2012). 7
les trois piscicultures régionales qu’il gère. Celles-ci, situées à Achouffe, Emptinne et Erezée, ont comme prin- cipale vocation de contribuer à la conservation voire à la restauration de certaines espèces aquatiques de Wallonie, en particulier des poissons ayant disparus régionalement (sau- mon de l’Atlantique, truite de mer…) ou localement en grande difficulté démo- graphique (ombre commun…). Vu leur importance, un article spécifique leur est consacré dans ce numéro. En 2011, le Service de la Pêche a produit dans ces trois piscicultures régionales 335.000 petits saumons de l’Atlantique et a introduit dans plusieurs grandes rivières mosanes (Ourthe, Amblève, Contrôle de pêcheur / © V. Paquay Vesdre, Lesse…) environ 282.000 petits saumons de l’Atlantique dont 242.000 Police Pêche » en étroite collaboration administratives infligées suite aux inter- tacons, 25.000 smolts et 15.000 pré- avec les cantonnements forestiers, pellations du Fonctionnaire sanctionna- smolts, dans le cadre de la réintro- l’Unité anti-braconnage et les polices teur de la DGARNE. duction de cette espèce en Wallonie locales et fédérale (navigation) dans (projet « Meuse Saumon 2000 » en col- une vingtaine de zones sensibles. Ce Néanmoins, ces actions, bien que laboration avec l’Université de Liège et plan a engendré une hausse sensible menées avec détermination, semblent les Facultés Universitaires Notre-Dame du nombre de procès-verbaux dressés jusqu’à présent insuffisantes pour juguler de la Paix de Namur). Il a aussi réussi en matière de pêche en Wallonie en les importants problèmes de bracon- pour la première fois en Belgique, 2010 et 2011. Par exemple, en 2010, nage halieutique rencontrés en Wallo- avec l’aide de l’Université de Liège, ce plan a permis le contrôle de 611 nie ces dernières années. En particulier, à revalider des géniteurs sauvages pêcheurs en plus des contrôles ordi- il faut dire que l’arsenal répressif de la après leur reproduction, ce qui a permis naires de ces services, dont environ 1/3 Wallonie en matière de pêche n’est plusieurs reproductions d’affilée des étaient en infraction. A cette occasion, pas complètement adapté (montant mêmes sujets. En effet, il faut savoir 175 procès-verbaux ont été dressés de la transaction immédiate faible que la plupart des grands géniteurs par l’ensemble des services ainsi que par rapport au prix du permis B néces- sauvages meurent dans la nature après 33 avertissements. Comme prévu, saire pour pêcher la carpe commune la reproduction (voir article spécifique certaines zones se sont avérées parti- de nuit, impossibilité de poursuivre à dans ce numéro). culièrement problématiques comme l’étranger pour exiger le paiement des A ce bilan, il faut ajouter la produc- la Basse Meuse liégeoise où 52 % des pêcheurs contrôlés se trouvaient en amendes et des transactions, nécessité tion de plusieurs dizaines de milliers de infraction. Toutes zones confondues, de faire appel à un traducteur-juré juvéniles de l’ombre commun, de la les infractions les plus fréquemment pour l’audition des contrevenants non moule perlière et même récemment constatées ont été la pêche en dehors francophones, etc.) et que certaines de près de trois mille juvéniles de son- des heures d’ouverture (31 %), le non- dispositions du Code de la fonction neurs à ventre jaune (un charmant respect des conditions imposées pour publique telles que l’absence d’obli- crapaud), trois espèces en grande la pêche nocturne de la carpe (29 %) gation de participer aux missions de difficulté démographique en Wallonie, et la pêche sans permis (25 %). Si 251 police pour les agents âgés de plus de dans le cadre de diverses collabora- cannes ont été saisies ainsi qu’un 50 ans ne sont pas facilement com- tions avec Natagora et d’autres ser- zodiac avec son moteur et un filet, patibles avec l’accroissement de la vices de la DGARNE (DGO3) wallonne 16 contrevenants (8 %) ont refusé la demande des contrôles durant la nuit (Département d’Etude du Milieu Naturel saisie. En outre, 16 transactions ont été ou les week-ends. et Agricole, Direction de la Nature, Can- acceptées et payées pour un montant Une autre activité importante du tonnements DNF). Avec ses piscicul- de 850 €, sans compter les amendes Service de la Pêche se déroule dans tures, le Service de la Pêche contribue 8
donc chaque jour davantage à la même période, ils atteindront néces- largement débat au sein du monde restauration de la biodiversité de cer- sairement l’âge de la retraite ou de halieutique. Néanmoins, les raisons taines espèces aquatiques en difficulté la préretraite endéans une période les plus probables sont surtout d’ordre en Wallonie. assez courte. Comme ailleurs dans sociologique : urbanisation des popu- Le Service de la Pêche contribue la fonction publique, la question reste lations, concurrence avec d’autres aussi à la lutte contre les pollutions. A posée de savoir si ces personnes seront loisirs, recherche du plaisir immédiat, ce niveau, ses missions se sont réo- remplacées et si oui, dans quels délais. évolution des familles,…. Quoi qu’il en rientées ces dernières années, au gré Cette période de transition, toujours soit, si cette tendance à la baisse devait difficile à négocier, devra être mise à continuer au même rythme qu’entre des réorganisations de l’Administra- profit pour augmenter l’efficacité du tion wallonne dans ce domaine, pour 1995 et 2005, la question du maintien travail des agents encore en place ou se centrer à présent sur l’estimation d’un « Service de la Pêche », créé de des nouveaux arrivants, notamment des dommages piscicoles. En effet, par la volonté des pêcheurs, se poserait grâce à une plus grande utilisation des l’absence d’une permanence au sein immanquablement, surtout dans un technologies disponibles, notamment du service, faute d’effectif suffisant, ne contexte politique de réduction des dans le domaine des télécommunica- permet pas d’envisager efficacement dépenses publiques, voire de « dégrais- tions et de l’informatique. La formation ce type d’interventions urgentes 24 h sage » de la fonction publique… des nouveaux arrivants par les agents sur 24h, 7 jours sur 7 jours et 365 jours expérimentés paraît également fon- En conclusion, d’une mission essen- par an, même en appui à d’autres damentale dans un système encore tiellement répressive à sa création en services. Ces estimations de dom- fortement basé sur le développement 1981, les missions du Service de la mages piscicoles revêtent une impor- des compétences individuelles plutôt Pêche se sont considérablement diver- tance considérable dans la fixation que sur la capitalisation du savoir et du sifiées par la suite pour devenir aussi des « compensations financières » aux savoir-faire au niveau collectif. Hélas, les plus techniques. L’action du Service plaignants, qu’elles interviennent ou procédures de recrutement étant assez de la Pêche est essentiellement pré- non dans le cadre d’une procédure longues et ne débutant parfois qu’après ventive, qu’il s’agisse des avis remis pénale. Ainsi, suite à la grave pollution le départ de l’agent à remplacer, ce sur les projets de travaux sur, dans ou de la Meuse par la société Chimac- transfert de connaissance ne pourra autour des cours d’eau et des lacs, Agriphar avec deux insecticides, les se faire qu’à partir des agents encore plaignants ont touché de la firme un de l’information des pêcheurs et des en place. Les futurs agents C1 promis montant de 350.000 euros évalué sur missions d’encadrement technique et devraient jouer à ce niveau un rôle clé. la base du rapport d’estimation des de conseils des multiples organismes Le futur du Service de la Pêche sera impliqués dans la gestion piscicole, dommages piscicoles du Service de la également fonction de l’évolution de halieutique ou de l’eau en général. Elle Pêche. Ce montant, un record dans la la pêche récréative en Wallonie. A ce triste histoire des pollutions industrielles peut être répressive dans les contrôles niveau, la tendance est nettement à wallonnes, est actuellement utilisé dans des pêcheurs ou des pisciculteurs, ou la baisse depuis le milieu des années diverses actions de restauration et de conservatoire dans les rempoisson- 80 si l’on se base sur les statistiques préservation de certaines espèces de nements d’espèces aquatiques en de vente des permis de pêche en poisson de la Basse Meuse liégeoise grande difficulté démographique. Fina- Wallonie. En effet, la pêche « en eaux telle que l’anguille. lement, elle peut être réparatrice libres » a perdu environ 50 % de ses L’avenir du Service de la Pêche adhérents dans la jeune région depuis avec l’estimation des dommages pisci- sera étroitement lié à l’évolution de ses le milieu des années ’80 et ce, malgré coles suite à des mortalités liées à des moyens humains. En effet, la plupart une certaine stabilisation depuis 5 ans. pollutions agricoles ou industrielles… des agents ayant été engagés à la Les raisons de cette diminution font © www.sxc.hu 9
La politique des rempoissonnements du Service de la Pêche par Xavier Rollin1 / Xavier.ROLLIN@spw.wallonie.be S’il est une problématique déli- cate et controversée, c’est bien celle des rempoissonnements ou repeuplements des lacs et rivières en poissons ou, plus rarement, en écre- visses. Pointés du doigt par les uns comme une pratique non durable voire néfaste visant simplement à satisfaire le plaisir de quelques pêcheurs, et par les autres comme un moyen essentiel de soutien de la pêche ou de restauration de nos populations de poissons et d’écre- visses en difficulté démographique, les rempoissonnements échappent souvent à une analyse rationnelle. © A. Lamotte C’est pourquoi, avant de se forger une opinion personnelle sur le sujet, cela vaut la peine de se pencher quelque peu sur leur origine histo- Aménagement d’un aqueduc pour restaurer la libre circulation du poisson rique et leur évolution, sans toutefois prétendre à un travail exhaustif ou mise en œuvre par l’Administration de la plupart des grands poissons d’historien. des Eaux et Forêts alors rattachée au migrateurs anadromes venant se Ministère (national) de l’Agriculture, reproduire en eau douce après un L’idée du repeuplement des eaux cette stratégie de repeuplement séjour plus ou moins long en mer tels de Wallonie naît au XIXème siècle fit principalement appel aux alevi- que la truite de mer, la grande alose, avec la raréfaction des poissons de nages, c’est-à-dire aux repeuple- l’alose feinte ou la lamproie marine, nos rivières liée à l’essor de l’industrie ments sous la forme d’alevins ou de pour ne citer que ces espèces (Philip- et de l’agriculture, et avec le déve- juvéniles et concernèrent surtout la part & Vranken, 1983). Elle fût pour- loppement des techniques de la truite commune dans les cours d’eau tant poursuivie après la seconde pisciculture, en particulier chez les non navigables, ainsi que le brochet, guerre mondiale, surtout en ce qui truites et les saumons (maîtrise de le gardon et la carpe commune concerne la truite commune, afin de la reproduction artificielle, etc.). En dans les cours d’eau navigables ou faire face à un nouvel enjeu, celui de 1882, le Gouvernement belge institua flottables. Malheureusement, elle l’augmentation considérable à cette une Commission des repeuplements fût accompagnée de mesures de époque du nombre de pêcheurs des cours d’eau et, une année plus destruction des prédateurs de la récréatifs en Belgique, augmentation tard, la révision de la loi sur la pêche faune piscicole, sans doute dans qui perdura jusqu’à la fin des années encouragea la pratique du repeu- le but d’augmenter l’efficacité de quatre-vingt. plement des cours d’eau afin d’es- cette mesure compensatoire, princi- Durant cette période de fort essor sayer d’atténuer les effets destruc- palement la loutre et le héron, deux démographique et économique, teurs sur les poissons de la pollution espèces qui disparurent de Wallonie. la pression humaine sur les milieux industrielle et de la multiplication des barrages sur le territoire. Les repeu- Malgré quelques succès tem- aquatiques ne fit qu’augmenter plements étaient donc considérés poraires à court terme, cette poli- les dégradations tant de la qua- comme un moyen de remédiation, tique des repeuplements considérés lité physico-chimique de l’eau (en une mesure compensatoire à un comme des mesures compensatoires l’absence de politique épuratoire dépeuplement piscicole lié à la des- fût globalement un échec sur le long européenne) que des habitats aqua- truction des habitats (au sens large, y terme (Keith et al., 2011) et n’empê- tiques (colmatage des fonds lié à compris la qualité physico-chimique cha par exemple pas la disparition l’érosion artificielle, construction de et chimique de l’eau), un moyen totale du saumon de l’Atlantique du multiples barrages infranchissables d’accélérer « la reconstitution des bassin de la Meuse quelques décen- pour les poissons, rectification des populations de poissons ». Largement nies plus tard, comme celle d’ailleurs cours d’eau…). Cela engendra une 1 DNF, responsable du Service de la Pêche, 15 Avenue Prince de Liège, 5100 Jambes 11
augmentation considérable des dys- • elle s’affranchissait aussi de la capa- virales contagieuses (principalement fonctionnements et de l’instabilité cité d’accueil du cours d’eau récep- la septicémie hémorragique virale et écologique de nombreux cours teur puisque les poissons déversés la nécrose hématopoïétique infec- d’eau ou tronçons de cours d’eau, n’étaient pas destinés à s’implanter tieuse), qui ne manquèrent pas de ceux-ci passant brutalement d’un et à y rester durablement. contaminer les piscicultures instal- état écologique à un autre. Cette évolution lia de plus en lées au fil de l’eau avec des consé- Face à cette instabilité croissante plus intimement la pêche récréa- quences économiques importantes de nombreuses rivières et pour satis- tive au secteur de la pisciculture, liées d’une part à l’arrêt des ventes faire un nombre toujours croissant de le secteur privé de la pisciculture et de la production, et d’autre part pêcheurs à la ligne, les rempoisson- prenant progressivement le relais des à l’assainissement des sites de pro- nements concernèrent de plus en piscicultures publiques pour la pro- duction touchés. Elle favorisa aussi plus des poissons adultes de taille duction de ces poissons adultes de l’introduction dans la nature de cer- pêchable. Cette pratique était déversement, relais encouragé par taines espèces piscicoles exotiques appréciée d’un nombre croissant le développement des techniques dans les eaux wallonnes (sandre, de pêcheurs et/ou de gestionnaires de la pisciculture des poissons de perche-soleil, black-bass…), avec de parcours de pêche, surtout sal- consommation au début des années des conséquences environnemen- monicoles, pour un certain nombre quatre-vingt. tales variables (importantes pour le de raisons : sandre, faible pour la perche-soleil, En quelques décennies, on nulle pour les black-bass). C’est sans • elle était en mesure de rencontrer passa donc d’une conception du doute pour limiter ce genre de risque la demande sociale croissante ; repeuplement considéré comme que les parlementaires belges condi- • elle était assez efficace, les études une « mesure de compensation tionnèrent tout déversement de pois- scientifiques confirmant que la environnementale » liée à certaines sons et d’écrevisses, à travers la loi sur majorité des poissons déversés destructions d’origine anthropique la pêche fluviale du 1er juillet 1954, à était reprise dans les semaines qui et assuré essentiellement par le sec- l’autorisation du Ministre de tutelle, suivaient le déversement ; teur public à une vision centrée sur ou de son délégué. Cette mission la « satisfaction immédiate d’une • elle rendait le résultat de la pêche de délivrance des autorisations de demande sociale grandissante » liée beaucoup plus prévisible pour les rempoissonnement, d’abord assurée à la pêche récréative, demande pêcheurs, dans la mesure où les par les cantonnements forestiers, fût rencontrée essentiellement par le poissons à taille pêchable restaient reprise par le Service de la Pêche à secteur privé de la pisciculture. Cette beaucoup moins longtemps en partir de sa création. évolution, d’abord développée sur rivière avant d’être pêchés ; Avec le développement des les parcours salmonicoles, se géné- • elle était plus simple à gérer pour les ralisa rapidement aux autres cours connaissances scientifiques en éco- responsables des sociétés de pêche d’eau, à mesure que l’élevage des logie et la naissance de l’écologie par rapport à celle, incertaine en nouvelles espèces repeuplées était politique se développa l’idée que les milieux instables voire impossible maîtrisé. cours d’eau, comme d’autres types en milieux dégradés, basée sur les d’habitats, doivent être considérés Cette politique de rempoisson- alevinages ; comme des écosystèmes et pas seu- nement centrée sur la rencontre • elle transférait en grande partie les lement dans leur dimension physique, d’une demande sociale ne fût pas risques du milieu naturel d’accueil hydraulique - conception qui pré- sans inconvénients, à commencer souvent perturbé vers le milieu dominait à l’époque. Les pêcheurs pour les piscicultures elles-mêmes. mieux maîtrisé des piscicultures, furent d’ailleurs les fers de lance de En effet, elle fût à l’origine de la des pêcheurs de rivière vers les cette conception nouvelle, ce qui dispersion dans la nature de pois- pisciculteurs… ; les opposa, parfois violemment et sons infectés par certaines maladies aux côtés de quelques naturalistes engagés, à certains projets destruc- teurs pour les habitats aquatiques de l’Hydraulique agricole, puis du Ministère de l’Equipement et des Transports. Les cours d’eau sont donc des milieux vivants, dont les poissons sont une composante, qui réagissent © A. Lamotte 12 Alimentation du poisson en étang
aux diverses variations d’origine natu- par le manque de moyens financiers En tant que responsable des relle ou anthropique, notamment aux consacrés par le secteur public à la autorisations de déversements, le rempoissonnements. Ainsi, par des recherche appliquée sans débou- Service de la Pêche n’échappa bien interactions complexes telle que la chés industriels. Cette carence en sûr pas à ces débats idéologiques. compétition intra- ou interspécifique informations scientifiques voire la Malgré leur faible efficacité, il prôna (espace, alimentation, reproduction, mauvaise connaissance des infor- pourtant longtemps le recours aux comportement…), les rempoisson- mations existantes par les gestion- alevinages à partir d’alevins de pisci- nements sont susceptibles d’avoir naires de la pêche et des milieux culture, tout en tolérant les rempois- des conséquences négatives sur aquatiques laissa immanquablement sonnements directs afin de ne pas ces milieux pris dans leur ensemble. la place à une certaine subjectivité trop préjudicier les sociétés de pêche Ces conséquences, quoique rare- dans les débats, parfois houleux, qui y avaient recours. Cependant, ment étudiées ou quantifiées, étaient entre les « pour » et les « contre », ce cette dernière tolérance fût plutôt considérées d’autant plus négative- qui creusa un certain fossé entre un choix « par défaut » car tout était ment que les quantités déversées pêcheurs et naturalistes, non encore considéré comme préférable aux dépassaient parfois nettement la comblé à ce jour. déversements de poissons à taille capacité d’accueil du cours d’eau Ces débats « moraux » menèrent pêchable qui assimilait les rivières à et que les poissons déversés étaient également à des divisions entre les des « pêcheries », vision consumériste de « mauvaise qualité » apparente pêcheurs eux-mêmes, entre d’une des rivières considérée comme « à (sanitaire, morphologique…). part le cercle des pêcheurs « bobos » proscrire ». Quoi qu’il en soit, avec cette prise (« écologistes-bourgeois ») opposés à Cette vision « idéologique » des de conscience et le développe- tout rempoissonnement de poissons rempoissonnements fit perdre un ment de la « pensée écologique », se de taille pêchable et tolérant seule- temps précieux à la Wallonie, enfer- développa un antagonisme croissant ment les alevinages pour répondre mée qu’elle était dans ses propres entre l’objectif de satisfaction immé- à la demande sociale, et d’autre contradictions. En effet, comment diate de la demande sociale pour la part les pêcheurs « viandards » (« vil- prôner les alevinages à partir d’ale- pêche récréative et celui de la pré- lageois-populaires »), partisans des vins d’élevage quand on sait leurs servation à long terme des écosys- seuls rempoissonnements « directs » effets néfastes sur la biodiversité tèmes aquatiques. Cet antagonisme ou « surdensitaires », considérant les génétique des populations indi- tomba rapidement dans le champ cours d’eau comme des « supports à gènes et sauvages ? Comment idéologique du fait de la relative poissons » et non comme des écosys- prôner les seuls alevinages quand lenteur des scientifiques à quantifier tèmes aux équilibres fragiles. A noter on sait que la capacité d’accueil l’impact des rempoissonnements sur que le propos est ici volontairement du milieu, même restauré, est lar- des écosystèmes, complexes par caricatural, mais il reflète assez bien gement insuffisante pour satisfaire la nature dans leur fonctionnement et – selon nous – l’état d’esprit de ceux demande sociale ? Comment prô- variables dans leurs états, ou justifiée qui le tenait. ner les alevinages quand on sait leur faible efficacité dans la plupart des situations ou sans un diagnostic préalable de l’état de la population piscicole à soutenir ? Cette situation devint progressivement intenable face aux nouvelles connaissances scientifiques disponibles et nécessita un changement de cap radical. Ce changement radical nécessita de : 1. réactualiser nos connaissances scientifiques sur l’impact des rempoissonnements sur la pêche © A. Lamotte et les écosystèmes aquatiques, y compris les impacts géné- tiques largement méconnus Vidange d’étang jusqu’alors ; 13
Figure 1. Distance génétique entre les truites communes de piscicultures et de différentes rivières (Ourthe, Amblève, Vesdre) de Wallonie (Source : Flamand et al., 2011). 2. adapter les rempoissonnements 7. sortir du cadre moralisateur des chaque année (par hybridation) des en fonction de leurs objectifs et « bons pêcheurs » et des « mau- truites d’élevage, génétiquement de la qualité du « milieu récep- vais pêcheurs » afin de favori- moins bien adaptées au milieu natu- teur » (contexte conforme, ser une approche rationnelle rel que les truites de rivière, vers les perturbé ou dégradé), celle-ci et équilibrée des problèmes, la truites indigènes sauvages à tra- étant diagnostiquée dans des collaboration entre acteurs, etc. vers les rempoissonnements répé- plans de gestion piscicole et Le point 1 fit l’objet en 2009 d’un tés depuis au moins le milieu du halieutique ; rapport réalisé conjointement par XXe siècle, surtout dans les parties 3. donner la priorité à la restaura- des scientifiques et des fonction- moyenne et aval des rivières. tion des habitats, sans angélisme naires wallons au sein de l’ex-Groupe Cette constatation n’est pas quant aux répercussions sur la d’Intérêt pour la Pêche, les Poissons contradictoire avec la faible effi- pêche ; et l’Aquaculture (GIPPA, 2009). cacité constatée des repeuple- L’aspect le plus novateur du rap- ments pour le soutien à moyen 4. améliorer la qualité des poissons port fut sans conteste les nouvelles et long terme des populations de déversés de manière à aug- connaissances scientifiques relatives truite de rivière. En effet, même si menter l’efficacité des repeu- à la génétique des populations wal- ces rempoissonnements semblent plements de restauration et de lonnes de la truite de rivière (fario) et générer peu de poissons capables soutien ; à l’impact des rempoissonnements de s’adapter à moyen terme dans 5. pour les rempoissonnements à (Flamand et al., 2009). Ces résultats le cours d’eau d’accueil et de s’y caractère purement halieutique, confirmèrent la structure génétique reproduire efficacement, ce sont minimiser l’impact de ceux-ci complexe par rivière des populations leur intensité et surtout leur répétition sur le milieu naturel afin qu’ils de truite fario de Wallonie, probable- durant des décennies qui induisent ne perturbent pas l’équilibre ment liée au comportement mar- un tel flux génique cumulé et fina- naturel des milieux récepteurs, qué de « homing » (fidélité au lieu lement un tel impact sur les popu- en particulier ceux encore bien de naissance) de cette espèce et lations résidentes. Quoi qu’il en soit, préservés ; la perturbation de cette structure comme les truites de pisciculture sont 6. renforcer les contrôles tech- par les activités humaines, à laquelle génétiquement différentes et plus niques des rempoissonnements les rempoissonnements contribuent homogènes que leurs homologues afin d’éviter la diffusion acciden- pour une part importante (Berrebi & indigènes sauvages, les rempoisson- telle dans la nature d’espèces Cherbonnel, 2009 ; Berrebi & Gilles, nements conduisent progressivement non souhaitées, exotiques ou 2011). Ils suggérèrent l’existence d’un à une banalisation des truites de non ; apport de gènes étrangers cumulés rivière sur le plan génétique et donc 14
durablement la capacité d’accueil du milieu. Néanmoins, ces actions doivent être menées sans naïveté quant à leurs effets sur la pêche ; en effet, il serait très illusoire de penser qu’elles suffisent à satisfaire à elles seules la demande sociale des pêcheurs dans le cadre d’une société de pêche établie sur un par- cours salmonicole. Ainsi, plusieurs études financées par le Fonds Pisci- cole de Wallonie entre 1999 et 2002 dans plusieurs sociétés de pêche (Ir. B. Laffineur) ont montré que la productivité naturelle (sur une base annuelle) des parcours étudiés était © A. Lamotte comprise entre 0,4 et 2,5 truite(s) de taille pêchable par pêcheur pour une « demande de pêche » comprise entre 16,6 et 25 truites de Rempoissonnement dans l’Ourthe taille pêchable par pêcheur. Au vu à une importante perte de biodi- que la banalisation progressive des d’une telle pression de pêche, il serait versité. En outre, il est de mieux en populations sauvages de truite com- étonnant que les actions d’améliora- mieux reconnu scientifiquement que mune sur le plan génétique et la tion des habitats aquatiques – aussi la capacité adaptative des truites transmission de caractères inadaptés indispensables soient-elles – puissent domestiques d’élevage au milieu des sujets domestiques vers les sujets à elles seules suffire à satisfaire une naturel est bien inférieure à celle sauvages mènent en fait à une perte telle demande sociale. Une analyse des populations sauvages indigènes de la capacité adaptative (« fitness » rationnelle de la situation en zone (McGinnity et al., 2003 ; Jonsson & en anglais) de ces dernières aux salmonicole mène donc à la conclu- conditions locales à moyen et long sion qu’il paraît difficile d’arrêter les Jonsson, 2011). En effet, en conditions termes. En conclusion, il apparaît rempoissonnements directs sans d’élevage, les truites domestiques que les rempoissonnements induisent réduire drastiquement les prélève- sont capables de transmettre à leur souvent un affaiblissement à moyen ments et provoquer le mécontente- descendance des caractères qui et long termes des populations de ment de nombreux pêcheurs établis auraient été éliminés rapidement notre truite commune sauvage en sociétés de pêche dans cette par sélection naturelle si elles avaient autochtone plutôt que leur renfor- zone. Pour le Service de la Pêche, vécu en rivière. Ainsi, elles accu- cement ou leur soutien. un équilibre doit donc être trouvé mulent en élevage, de génération entre les intérêts écologiques des en génération, et ce très rapide- Les points 2 à 4 furent évoqués de cours d’eau et leurs intérêts écono- ment, certains caractères parfaite- manière générale dans la Déclara- miques (tourisme…) et sociaux (vie ment inadaptés au milieu naturel, tion de Politique Régionale du Gou- rurale…). Par conséquent, d’autres caractères qu’elles transmettent vernement wallon en juillet 2009, mais mesures doivent accompagner les progressivement ensuite par hybri- aussi avec le point 5 dans le rapport actions de restauration du milieu. dation au gré des rempoissonne- du GIPPA de la même année. Plu- Sans prétendre à l’exhaustivité, il ments répétés. Un autre élément est sieurs commentaires peuvent être s’agit par exemple de l’instauration basé sur l’hypothèse probable que la émis à ce stade. ou du développement de pratiques diversité génétique locale des truites En ce qui concerne les repeuple- telles que le « Catch & Release » (relâ- est liée, au moins partiellement par ments de restauration et de soutien, cher obligatoire du poisson après sa sélection naturelle, à une adaptation il est primordial de donner la priorité, capture), une meilleure répartition plus ou moins importante aux condi- sur toute action de repeuplement, spatiale et temporelle de la pres- tions locales de l’habitat (vitesse du aux actions de restauration des sion de pêche, l’amélioration de courant, température de l’eau…). habitats (y compris la qualité de la qualité – notamment génétique Par conséquent, il est fort probable l’eau), seules capables d’améliorer (« souches locales ») des poissons 15
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