AFGHANISTAN : CLÉ DE VOÛTE DE LA SÉCURITÉ LOCALE ET RÉGIONALE

 
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AFGHANISTAN : CLÉ DE VOÛTE DE LA SÉCURITÉ LOCALE ET RÉGIONALE
COMMISSION DE LA
DÉFENSE ET DE LA
SÉCURITÉ (DSC)

AFGHANISTAN :
CLÉ DE VOÛTE DE LA
SÉCURITÉ LOCALE ET
RÉGIONALE

Projet de rapport spécial révisé

par Wolfgang HELLMICH (Allemagne)
Rapporteur spécial

171 DSC 18 F | Original : anglais | 4 octobre 2018

Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission de
la défense et de la sécurité, il ne représente que le point de vue
du rapporteur spécial.
TABLE DES MATIÈRES

I.      INTRODUCTION ................................................................................................................. 1

II.     POLITIQUE DE L’ADMINISTRATION TRUMP/DES ÉTATS-UNIS ...................................... 1

III.    RAPPORT D’ACTUALISATION SUR LA RSM .................................................................... 2

IV.     ANDSF ET FORCES D’INSURRECTION ............................................................................ 4
        A.  LES ANDSF ................................................................................................................ 4
        B.  LES TALIBANS........................................................................................................... 6
        C.  DAECH EN AFGHANISTAN – EIIL-K ......................................................................... 7
        D.  AUTRES GROUPES D’INSURGÉS............................................................................ 8

V.      POINT SUR L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ DES CIVILS ......................................... 8

VI.     GOUVERNANCE ................................................................................................................. 9
        A. ÉLECTIONS ET RÉFORME ÉLECTORALE ............................................................... 9
        B. EFFORTS POUR ENDIGUER LA CORRUPTION .................................................... 11

VII.    RECENTRAGE SUR LA DIMENSION RÉGIONALE.......................................................... 13
        A.  PAKISTAN ................................................................................................................ 13
        B.  INDE ......................................................................................................................... 16
        C.  CHINE ...................................................................................................................... 18
        D.  IRAN ......................................................................................................................... 19

VIII. CONCLUSIONS À L’INTENTION DES PARLEMENTAIRES DES ÉTATS MEMBRES
      DE L’OTAN ........................................................................................................................ 20

        ANNEXE : FLUX DU TRAFIC MONDIAL D’HÉROÏNE ENTRE 2012 ET 2016.................. 22

        BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 23
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I.    INTRODUCTION

1.     L’aggravation de la violence suscitée en Afghanistan par la nouvelle montée en puissance des
talibans et d’autres forces d’insurrection a ramené ce pays à l’avant-plan de la scène internationale.
Les gains tactiques et stratégiques engrangés par les talibans de même que la corruption
institutionnelle persistante poursuivent leur effet d’attrition sur les forces de défense et de sécurité
nationale afghanes (ANDSF) et viennent modifier l’équilibre des forces sur le terrain. Alors que la
situation du gouvernement afghan et de ses forces se détériore, les membres de l’OTAN et leurs
partenaires internationaux intensifient leurs efforts.

2.     Durant la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN tenue à Bruxelles le
25 mai 2017, les Alliés ont décidé non seulement de maintenir le soutien qu’ils apportent à la mission
Resolute Support (RSM) menée par l’OTAN en Afghanistan, mais également de revoir à la hausse
leurs contributions financières et en effectifs. Au cours des années qui viennent, les Alliés auront un
rôle décisif à jouer dans le redressement d’une situation sécuritaire de plus en plus précaire sur le
terrain.

3.     En août 2017, l’administration Trump a fait savoir que l’action des États-Unis à l’appui des
ANDSF et la mission de lutte antiterroriste menée parallèlement par Washington dans le pays
seraient guidées par « les conditions sur le terrain ». Dans cette perspective, les États-Unis
procèdent actuellement à une mini-montée en puissance des forces et des ressources qu’ils
consacrent à l’Afghanistan. L’administration Trump a clairement annoncé, par ailleurs, que sa
participation en Afghanistan serait dictée par son interprétation du concept de partage des charges
dans le cadre de l’Alliance – autrement dit, elle attend de ses Alliés qu’ils en fassent plus pour aider
l’OTAN à accomplir sa mission au sens large en Afghanistan, à savoir stabiliser ce pays de sorte
qu’il ne soit plus le terreau fertile du terrorisme international.

4.     Les nouvelles règles d’engagement permettent aux forces internationales de collaborer plus
étroitement avec les ANDSF à l’établissement d’une force de combat plus efficace en théâtre. En
outre, il semblerait que les pressions exercées par la communauté internationale incitent aujourd’hui
le gouvernement afghan à revoir à la hausse les efforts nécessaires qu’il doit consacrer à
l’éradication de la corruption sévissant dans les institutions de sécurité du pays. De son côté,
l’administration Trump a assoupli les restrictions auxquelles étaient soumises les forces de combat
sur le terrain, avec pour résultat un doublement des frappes aériennes menées en 2017 sous
commandement états-unien.

5.    Les États-Unis exercent également une pression accrue sur les États de la région pour qu’ils
apportent une contribution déterminante à la paix et à la sécurité futures en Afghanistan. C’est
notamment le cas pour le Pakistan, qui n’en fait pas assez pour restreindre la liberté d’action des
talibans afghans et d’autres groupes terroristes internationaux dans ses zones frontalières avec
l’Afghanistan.

6.    Ce projet de rapport spécial livre un bilan approfondi de l’évolution de la situation de sécurité
en Afghanistan, qui comporte notamment une évaluation de l’état des forces d’insurrection et des
ANDSF. Par ailleurs, il revient en détail sur les variables régionales complexes qui pèsent sur la lutte
pour l’avenir de l’Afghanistan. En conclusion, il soumet différentes perspectives à l’examen des
parlementaires des pays membres de l’OTAN.

II.   POLITIQUE DE L’ADMINISTRATION TRUMP/DES ÉTATS-UNIS

7.     Au terme de plusieurs mois de consultations, le président Donald Trump a annoncé, dans un
discours à l’adresse des troupes prononcé à Fort Myer (Arlington, Virginie) le 21 août 2017, le
lancement d’une nouvelle « politique envers l’Afghanistan et l’Asie méridionale ». Rompant avec la
politique de son prédécesseur qui prévoyait un retrait militaire progressif d’Afghanistan, M. Trump a

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réaffirmé l’engagement continu de Washington dans le cadre de la mission de formation, de conseil
et d’assistance (ITAAM) et de ses missions de lutte antiterroriste. La nouvelle stratégie des
États-Unis prévoit notamment le déploiement de plusieurs milliers d’hommes supplémentaires, un
assouplissement des règles d’engagement appliquées par les forces états-uniennes et une
accentuation des pressions exercées sur les pays voisins pour les amener à contribuer à la
stabilisation de l’Afghanistan. Écartant par ailleurs le calendrier de retrait avec clause de
temporisation (sunset clause) prévu par l’administration Obama, la nouvelle stratégie indique que
les retraits militaires futurs seront dorénavant fonction des conditions sur le terrain (Maison Blanche,
2017). À côté de ces vastes réaménagements stratégiques, le président n’a abordé que peu de
détails, signalant notamment que les métriques devant présider à l’évaluation des conditions figurant
dans la clause de temporisation révisée restent à définir.

8.     Si la nouvelle stratégie prévoit un engagement politique moins poussé des États-Unis dans le
volet relatif à la gouvernance afghane, elle renforce clairement l’engagement de Washington sur le
plan de l’action militaire. Plus précisément, elle se fonde sur l’hypothèse selon laquelle il serait
possible d’amener les talibans à négocier un accord politique en les maîtrisant sur le champ de
bataille (IISS, 2017). Dans cette perspective, le président Donald Trump, faisant une fois encore le
lien avec le débat sur le partage des charges1, a demandé aux pays membres ainsi qu’aux
partenaires de l’OTAN engagés en Afghanistan de calquer leur attitude sur celle des États-Unis en
revoyant troupes et financement à la hausse.

9.    La politique plus vaste de l’administration Trump dans la région affiche elle aussi une évolution
assez significative. L’administration exerce aujourd’hui de fortes pressions sur les acteurs
déterminants pour la sécurité générale dans la région, qui pourraient peser de manière décisive sur
les conditions prévalant sur le champ de bataille afghan. Cette approche régionale élargie est
déterminante, en ce qu’elle constitue un des éléments clés à partir desquels seront tracés, à terme,
les contours de l’approche de l’administration Trump pour l’Afghanistan. Les défis liés à ces variables
régionales sont évoqués plus loin de manière détaillée.

III.    RAPPORT D’ACTUALISATION SUR LA MISSION RESOLUTE SUPPORT

10. Les membres et les partenaires de l’OTAN sont convenus, durant le sommet de Varsovie tenu
en 2016, de prolonger la mission Resolute Support (RSM) au-delà de 2016, de maintenir le
financement des ANDSF jusqu’à la fin 2020 et de renforcer le soutien politique et pratique apporté
aux institutions gouvernementales afghanes. Annoncés officiellement dans la déclaration du
sommet de Varsovie sur l’Afghanistan, ces engagements ont été réaffirmés lors de la réunion des
chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN tenue à Bruxelles en mai 2017.

11. Les objectifs de la RSM n’ont pas changé : il s’agit, premièrement, de faire en sorte que
l’Afghanistan ne redevienne pas un sanctuaire pour des forces terroristes disposant de moyens
d’exporter la violence et l’instabilité, et deuxièmement, de mettre en place des conditions ainsi que
de mobiliser un soutien permettant à l’Afghanistan de préserver sa sécurité, sa gouvernance et son
développement dans la durée.

12. Pour atteindre ces objectifs, la RSM continuera d’entraîner, de conseiller et d’assister les
ANDSF, le ministère de la défense et le ministère de l’intérieur en mettant dorénavant l’accent sur
le volet plus tactique de ces tâches (ITAAM). Les forces de l’OTAN et des partenaires collaboreront
étroitement avec une série d’éléments des ANDSF – police, armée de l’air, forces d’opérations
spéciales et forces terrestres conventionnelles – au départ de commandements régionaux et
fonctionnels implantés à Kaboul, Mazar-e-Sharif, Hérat, Kandahar et Laghman
(Resolute Support, 2018a). Afin de pérenniser les excellents résultats obtenus dans le cadre de la

1      Le projet de rapport annuel publié cette année par la DSCTC [170 DSCTC 18 F] est essentiellement
       consacré au débat sur le partage des charges qui se poursuit aujourd’hui au sein de l’Alliance.

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formation des forces spéciales afghanes par leurs homologues des États-Unis, la nouvelle politique
états-unienne envers l’Afghanistan et l’Asie méridionale prévoit l’envoi de conseillers états-uniens et
alliés supplémentaires, et ce jusqu’aux échelons « bataillon » et « brigade » des forces
conventionnelles afghanes. Jusque-là, à quelques exceptions près, ces conseillers étaient présents
uniquement au niveau du corps d’armée (US Lead IG, 2017).

13. Les forces affectées à la RSM continueront par ailleurs de recourir à certains éléments
facilitateurs du combat pour remédier aux insuffisances capacitaires des ANDSF – moyens de
renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR), systèmes d’artillerie, appui feu aérien
et soutien logistique sous la forme notamment de moyens aériens d’évacuation médicale
(département de la défense des États-Unis, 2017). On notera également, et c’est là un point
important, que la modification des règles d’engagement s’appliquant aux forces états-uniennes dans
le cadre de la nouvelle politique envers l’Afghanistan et l’Asie du Sud a eu pour effet de supprimer
certaines réserves qui limitaient l’appui feu et le soutien aérien aux opérations rapprochées contre
des forces hostiles (Wasserbly, 2017). Ceci a permis aux forces des États-Unis opérant dans le
cadre des missions Freedom’s Sentinel (OFS) et Resolute Support d’intensifier leurs opérations
aériennes de manière significative. En 2017, par exemple, on a dénombré 1 248 sorties comptant
au moins un tir d’arme (contre 615 en 2016).

14. La révision, par l’administration Trump, de la politique envers l’Afghanistan et l’Asie du Sud
s’est traduite par un relèvement significatif des niveaux de forces de la RSM. Depuis la publication
de la nouvelle stratégie en août dernier, les États-Unis ont déployé 3 000 personnes
supplémentaires en Afghanistan, dont 2 400 ont été affectés à la RSM de l’OTAN (SIGAR,
juillet 2018). Il est également prévu d’affecter, à partir de février 2018, 1 000 membres
supplémentaires aux brigades d’assistance aux forces de sécurité (SFAB) nouvellement créées.
Spécifiquement entraînées pour exercer une fonction de conseil au combat, les SFAB vont entraîner,
conseiller et assister les ANDSF conventionnelles au niveau du bataillon (SIGAR, janvier 2018 ;
Wellman, 2018).

15. L’appel lancé par le président Donald Trump aux membres et aux partenaires de l’OTAN pour
qu’ils emboîtent le pas aux États-Unis a été suivi d’effets. Dans le sillage de la dernière réunion en
date des ministres de la défense de l’OTAN, en novembre 2017, le secrétaire général de l’OTAN
Jens Stoltenberg a annoncé que l’effectif de la mission de l’OTAN en Afghanistan passerait de
13 000 à 16 000 environ. Hormis les États-Unis, 27 autres pays fournissant des troupes à la RSM
se sont également engagés à revoir leurs contributions à la hausse (OTAN, 2017). C’est ainsi que
le ministre allemand de la défense a annoncé que son pays prévoyait de porter les forces allemandes
en Afghanistan de 980 à 1 300 personnes (Sprenger, 2018). Le Monténégro, dernier pays à avoir
rejoint l’OTAN, s’est également engagé à augmenter le niveau de ses troupes de 50 % environ
(Tomovic, 2018). À ce jour, tous les pays contributeurs de troupes se sont engagés à intensifier leurs
efforts de soutien en matériel et/ou en effectifs à destination de la RSM.

16. Si l’on tient compte des renforts d’ores et déjà sur place, la RSM réunit aujourd’hui
16 229 personnes déployées par 39 pays (26 membres de l’OTAN et 13 partenaires d’opérations).
Avec 8 475 éléments, les États-Unis restent, de loin, le premier pays fournisseur de troupes. Les
troupes états-uniennes, outre leur participation à la RSM dirigée par l’OTAN, mènent également des
opérations aériennes et de lutte antiterroriste dans le cadre de l’opération Freedom’s Sentinel dirigée
par l’USFOR-A, ce qui porte à 14 000 le nombre total de membres des forces armées états-uniennes
actuellement présents en Afghanistan (département de la défense des États-Unis, 2017). Tout en
se félicitant de l’arrivée récente de ces renforts sur le terrain, les responsables états-uniens et de
l’OTAN ont indiqué que les engagements internationaux n’en étaient toujours pas respectés pour
autant, et ont mis en garde contre ces insuffisances en troupes qui pourraient, selon eux,
compromettre la réussite de la mission ainsi que la protection effective des forces.2

2     On notera qu’avec l’achèvement du déploiement des SFAB, les troupes des États-Unis sur place
      devraient dépasser la barre des 15 000 cette année.

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IV.   ANDSF ET FORCES D’INSURRECTION

      A.    LES ANDSF

17. La RSM a débuté en 2015, alors que dans le même temps les forces afghanes prenaient en
charge la responsabilité exclusive de la sécurité sur la totalité du territoire afghan. Les ANDSF sont
aujourd’hui sur le point d’entamer leur quatrième saison de combats depuis qu’elles se trouvent à la
tête de la lutte contre l’insurrection dirigée par les talibans, et les responsables de l’OTAN se
montrent optimistes quant à leur évolution. En novembre 2017, le général John W. Nicholson,
commandant de la RSM, déclarait que la situation penchait dorénavant en faveur des ANSDF et que
l’on était clairement sorti du « blocage », terme qu’il avait utilisé à peine sept mois plus tôt pour
décrire la confrontation entre gouvernement et insurgés (Nicholson, 2017a, 2017b). Le général
Curtis Scaparrotti, commandant suprême des forces alliées en Europe, a déclaré partager le
sentiment du général Nicholson lors d’une visite récente à Kaboul en février 2018, se disant
convaincu que « les talibans ne pourraient l’emporter sur le champ de bataille »
(Resolute Support, 2018b).

18. Début 2017, le président afghan Ashraf Ghani entamait la mise en œuvre de ce qu’il est
convenu d’appeler la « feuille de route pour les ANDSF », à savoir la stratégie devant permettre de
réformer ces dernières sur une période de quatre ans. Ce plan vise 1) à renforcer les capacités de
combat, en particulier celles des forces aériennes et d’opérations spéciales ; 2) à améliorer les
capacités de commandement ; 3) à renforcer l’unité d’effort et de commandement entre les
ministères de la défense et de l’intérieur, et 4) à combattre la corruption au sein de toutes les forces
de sécurité afghanes. Ces mesures ont pour objectif de ramener 80 % de la population sous le
contrôle du gouvernement, et d’obliger les talibans à s’asseoir à la table des négociations d’ici 2020.
Les paragraphes suivants font le point sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la feuille
de route du président afghan pour les ANDSF.

      Progrès concernant la feuille de route pour les ANDSF

19. Si la mise en œuvre de la feuille de route pour les ANDSF du président Ashraf Ghani a été
plus lente que certains l’escomptaient, elle a néanmoins fourni des résultats concrets depuis 2017.
Conformément au plan susmentionné, défini dans les grandes lignes par le gouvernement de
Kaboul, les principales mesures suivantes ont été prises. Tout d’abord, en vue d’augmenter les
effectifs et de renforcer les capacités des forces aériennes et d’opérations spéciales : le
commandement opérations spéciales de l’armée de terre afghane (ANASOC) a renforcé ses
installations d’entraînement, permettant ainsi de former quatre, et non plus deux, compagnies de
forces de sécurité spéciales afghanes (ASSF) par an. Dans le même temps, l’armée de l’air afghane
(AAF) a reçu huit premiers hélicoptères sur les 159 UH-60 Black Hawk, ce qui a marqué l’amorce
de la restructuration de sa flotte actuelle, composée de 47 Mi-17 vieillissants (Hecker, 2018).
Deuxièmement, concernant l’amélioration du leadership, le ministère de l’intérieur a remplacé 13 de
ses hauts responsables, dont le ministre lui-même. Au ministère de la défense, cinq des six
commandants de corps de l’armée nationale afghane (ANA) ont été démis de leurs fonctions et
remplacés par des officiers plus jeunes, dont trois possèdent déjà une formation et une expérience
dans le domaine des opérations spéciales. De plus, tous les commandants de l’ANA devront se
soumettre à un processus d’évaluation normalisé et global. Troisièmement, la police afghane des
frontières (ABP) porte désormais le nom de forces afghanes de sécurité frontalière (ABF) et sa tutelle
a été transférée du ministère de l’intérieur au ministère de la défense. Il devrait en être de même
pour la police d’ordre civil afghane (ANCOP) dans le courant de l’année, ce qui signifie que toutes
les forces de sécurité offensives vont se retrouver à terme sous le contrôle du ministère de la défense
(département de la défense des États-Unis, 2017). Le transfert de tutelle de l’ABP et de l’ANCOP à
l’administration du département de la défense des États-Unis devrait permettre de consolider les
efforts déployés par le ministère de l’intérieur pour faire appliquer efficacement les lois et éradiquer
la corruption (département de la défense des États-Unis, 2018).

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20. La feuille de route pour les ANDSF du président afghan contient également un plan visant à
recentrer les domaines d’action de la police nationale afghane (ANP), depuis les opérations de lutte
contre l’insurrection vers des tâches incombant traditionnellement à la police de proximité. L’ANP,
qui compte quatre branches principales et trois sous-branches, relève du ministère de l’intérieur3.
Parmi les branches principales, la police afghane en uniforme représente la plus grande force de
police, avec 99 068 éléments homologués. Ses tâches sont variées, allant du contrôle de la
circulation à la lutte contre les incendies et au recueil du renseignement, ce qui fait d’elle l’épine
dorsale de l’ANP. Mais les efforts déployés par l’ANP pour devenir une force de police civile efficace
sont paralysés par sa participation active aux opérations de lutte contre l’insurrection aux côtés de
l’ANA. Étant donné que les forces de l’ANP ne sont pas « suffisamment formées et équipées » pour
pouvoir mener des opérations de lutte contre l’insurrection, « la perspective quasi permanente qu’il
faudra se battre contre » les forces d’insurrection alimente les hauts niveaux d’attrition dans les
rangs de son personnel (département de la défense des États-Unis, 2018). Dès lors, et bien qu’il
soit encore trop tôt pour pouvoir mesurer l’efficacité du projet du président Ashraf Ghani, son objectif
de redéfinition du rôle et des responsabilités de l’ANP, dont il veut faire une force de police qualifiée
et compétente, demeure crucial.

21. La corruption, et en particulier l’extorsion d’argent public, est également citée comme une autre
cause d’inefficacité, dont la pratique nuit grandement aux opérations de l’ANP. Parmi les exemples
d’extorsion constatés au quotidien, il y a les amendes et taxes injustifiées, le plus généralement
imposées à la population par des officiers de la police afghane à des postes de contrôle. Plus grave
encore, l’ANP est également accusée d’accepter des dessous-de-table de la part de « criminels et
d’insurgés en échange de son silence » sur leurs activités (PNUD, 2007). Dès lors, la corruption
institutionnelle largement répandue dans les rangs de l’ANP entrave l’action de ses forces, qui ne
peuvent pas mener leurs tâches de lutte contre la criminalité et de police civile en toute impartialité
et dans des proportions suffisantes. C’est pourquoi la réduction de la corruption au sein des forces
de sécurité afghanes dans leur ensemble est l’une des principales initiatives auxquelles le président
Ashraf Ghani a accordé la priorité dans son plan de réforme.

22. Les ANDSF restent en-deçà de leurs effectifs autorisés, soit 195 000 éléments pour l’ANA et
157 000 pour la police nationale afghane (ANP) (soit 352 000 au total). Bien que, comme mentionné
plus haut, l’effectif total des ANDSF soit resté relativement stable au cours de l’année écoulée, tant
l’ANA que l’ANP sont confrontées à un haut niveau d’attrition. Les désertions représentent 70 %
environ de l’ensemble des pertes d’effectifs, la cause plus fréquemment invoquée pour ce
phénomène étant le commandement défaillant (département de la défense des États-Unis, 2017).
Au-delà des chiffres, on constate également que le taux de rotation élevé (de 25 à 30 % par an)
empêche les ANDSF de disposer de forces plus expérimentées. En particulier, la récurrence des
déploiements de longue durée, la perspective de devoir participer à des opérations de combat de
façon quasi permanente et les conditions de vie difficiles contribuent au problème de réenrôlement
des militaires dans les rangs de l’ANP et de l’ANA (département de la défense des États-Unis, 2018).
Sur recommandation de la RSM, l’ANA a mis en place un système de prime à l’intention des effectifs
demeurant au sein des forces jusqu’au terme de leur période d’enrôlement (US Lead IG, 2017). Il
est cependant trop tôt pour juger de l’efficacité de cette mesure. À côté des ANDSF financées sur
une base multilatérale, il faut également compter avec la police locale afghane (ALP) placée sous
l’autorité du ministère de l’intérieur et qui, forte de 30 000 membres, reçoit le soutien des États-Unis
(département de la défense des États-Unis, 2017).

23. Le gouvernement afghan et l’USFOR-A envisagent aujourd’hui de mettre sur pied une nouvelle
force, la force territoriale de l’armée nationale afghane (ANATF), qui relèverait du ministère de la
défense. Forte de 7 500 officiers de l’ANA et d’un effectif de 28 500 éléments recrutés au niveau
local, elle aurait pour objectif d’empêcher les insurgés de reprendre du terrain dans les zones sous

3     Les quatre branches principales de l’ANP sont la police afghane en uniforme, le système de
      recensement et de paie des effectifs afghans (APPS), la police afghane des frontières, et la police
      criminelle afghane. Les trois sous-branches sont la police locale afghane, la force afghane de protection
      publique, et la police antidrogue afghane.

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contrôle gouvernemental. Des programmes pilotes devraient débuter en 2018 dans différentes
provinces, avec une éventuelle deuxième série en 2019 (département de la défense des États-Unis,
2018). Si le modèle de l’ANATF s’avère efficace, il permettra à l’ANA, à court terme, de libérer des
ressources pour des opérations offensives ; et à long terme, d’évoluer sur le modèle d’une force plus
réduite et financièrement plus abordable (département de la défense des États-Unis, 2017). Certains
observateurs craignent que cette proposition ne revienne purement et simplement qu’à former et
équiper des milices privées qui œuvreraient essentiellement à la réalisation de leurs propres
objectifs. Bien que ces milices de l’ANATF seraient placées sous la tutelle du ministère de la
défense, de telles inquiétudes ne sont pas dénuées de fondement. Certains projets antérieurs qui
faisaient eux aussi appel à des forces recrutées au niveau local – on pense tout particulièrement à
l’ALP – ont enregistré des résultats mitigés, assurant la sécurité dans certaines régions mais se
rendant coupables, ailleurs, de violations des droits humains à l’encontre des populations locales
(US Lead IG, 2018).

24. Essentiellement imputables à des tirs et à des attentats au moyen d’engins explosifs
improvisés (IED) et dans une moindre mesure à l’explosion de mines, les pertes enregistrées par
les ANDSF n’ont pas vraiment évolué par rapport à l’année précédente (département de la défense
des États-Unis, 2017). Les attaques de l’intérieur commises au sein des ANDSF (« vert sur vert »)
et sur les forces de la RSM (« vert sur bleu ») ont certes diminué mais restent préoccupantes car
elles nuisent au moral des troupes et alimentent la méfiance entre forces afghanes et internationales.
Afin de parer à ce danger, le ministère de la défense a adopté en septembre 2017 une nouvelle
politique visant à améliorer les procédures de protection des effectifs des ANDSF et de la RSM,
notamment par un renforcement des mécanismes de sélection. Une politique similaire devrait
également être introduite pour le ministère de l’intérieur. Afin de soutenir l’action des deux ministères
dans ce domaine, la RSM a créé un poste de conseiller pour la menace intérieure (ITA)
(SIGAR, janvier 2018).

      B.    LES TALIBANS

25. Incapables d’atteindre l’objectif opérationnel fixé pour l’année 2017, à savoir s’emparer d’une
capitale de province, les forces talibanes ont commencé, au cours de l’année, à rediriger leurs efforts
sur les districts. C’est ainsi qu’elles ont été en mesure, en recourant à des techniques d’infiltration
plutôt qu’à des attaques frontales, de prendre provisoirement le contrôle de certains centres de
population. Mais les ANDSF avec, dans la plupart des cas, un soutien aérien des forces
internationales, ont fait preuve d’efficacité et ont repris assez rapidement ces territoires perdus
(IHS Jane’s, 2017 ; département de la défense des États-Unis, 2017). Repoussés en dehors de la
plupart des centres urbains, les talibans ont en revanche réussi à étendre légèrement leur emprise
sur les zones rurales, où le gouvernement n’assure pas une représentation efficace. Selon les
estimations les plus récentes de la RSM fondées sur des données d’octobre 2017, les talibans
tiennent 14 % environ des 407 districts que compte le pays, contre 56 % pour le gouvernement
(Burns et Baldor, 2018), les 30 % restants étant disputés. En termes de contrôle des populations, la
RSM évalue l’emprise des insurgés à 10 % environ et celle du gouvernement à plus ou moins 60 %,
la situation des 30 % restants n’étant pas établie (département de la défense des États-Unis, 2017).

26. Comme ils ne parviennent pas à s’emparer de centres urbains, même au niveau des districts,
les talibans ont de plus en plus recours à des opérations de type guérilla contre les bases, les points
de contrôle et les convois des ANDSF partout dans le pays, et mènent à Kaboul et dans d’autres
grandes villes des attaques massives visant les populations civiles. Entre le 17 et le 19 octobre 2017,
ils ont commis, dans les provinces de Paktia, Ghazni et Kandahar, une série d’attentats qui ont fait
plus d’une centaine de morts, principalement des membres des forces armées et de police
(ICG, 2017b). Ces incidents montrent que les talibans s’intéressent de plus en plus aux installations
des ANDSF, et ce dans le but de dérober du matériel militaire et de saper le moral des forces
afghanes (ONU, 2017). Plus récemment, en janvier 2018, les talibans ont revendiqué deux attaques
spectaculaires à Kaboul. Le 21 janvier, un raid contre l’hôtel Intercontinental a fait 22 morts,
principalement des étrangers. Une semaine plus tard, une bombe dissimulée dans une ambulance

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explosait dans une des zones les plus protégées de la capitale, à proximité de bâtiments
gouvernementaux et d’ambassade, faisant plus de 100 morts (ICG, janvier 2018). Plus récemment,
le 10 septembre 2018, les talibans ont perpétré quatre attentats au nord de l’Afghanistan, qui ont fait
au moins 57 victimes parmi les officiers de la police afghane (Rahim et Abed, 2018). Ces quatre
attentats ont été les derniers en date d’une série d’attaques des talibans ayant pris pour cible les
forces de sécurité afghanes.

27. Une recrudescence de la violence à l’encontre des fonctionnaires de la sécurité a été observée
après un cessez-le-feu provisoire de trois jours qu’avaient respecté les talibans, le gouvernement
afghan et les forces internationales présentes dans la région durant l’Aïd el-Fitr (ICG, juillet 2018).
Malgré une nette diminution de la violence durant le cessez-le-feu provisoire, l’EIIL-K (État islamique
en Iraq et au Levant-Khorasan) a cependant représenté une exception en perpétrant un attentat qui
a fait au moins 26 victimes. Néanmoins, le fait que les talibans comme les forces afghanes aient
respecté cette trêve temporaire a témoigné d’un « fort soutien national en faveur de la paix », alors
que le président afghan a proposé des « négociations inconditionnelles » avec les talibans
(ICG, juillet 2018). Par ailleurs, les hauts responsables états-uniens et les talibans s’apprêteraient à
mener des négociations de paix éventuelles, dont l’échange de prisonniers représenterait le point
de départ décisif (Ahmad, 2018). Ces rumeurs de négociations de paix potentielles ont été
renforcées après que des diplomates états-uniens et des représentants des talibans se sont
rencontrés à Doha en juillet 2018, où ils ont jeté les bases pour de futures négociations (Popaizai et
Wilkinson, 2018).

28. L’intégration entre les talibans et le réseau Haqqani s’est poursuivie, à tel point que pour
certains observateurs, il n’y a plus lieu de considérer ces deux groupes comme des entités distinctes
(département de la défense des États-Unis, 2017). Les différends internes entre
Haibatullah Akhundzada et Sirajuddin Haqqani, respectivement chefs des talibans et du réseau
Haqqani, auraient été aplanis avec l’aide d’une médiation pakistanaise. Cette fracture a toutefois
permis à Sirajuddin Haqqani de gagner en influence au sein de la choura de Quetta, le conseil de
direction des talibans (IHS Jane’s, 2017). Cette évolution est jugée inquiétante par les observateurs,
car le réseau Haqqani s’est montré traditionnellement moins soucieux de limiter les pertes civiles
(département de la défense des États-Unis, 2017). De plus, le 4 septembre 2018, les talibans ont
officiellement annoncé la mort de Jalaluddin Haqqani, fondateur du réseau Haqqani. Bien que sa
mort ne devrait pas avoir un impact sur les opérations du réseau Haqqani, cette disparition est tout
de même hautement symbolique pour le groupe militant.

      C.    DAECH EN AFGHANISTAN – EIIL-K

29. Les opérations de lutte antiterroriste, l’action des ANDSF et les combats contre les talibans
ont eu pour effet de réduire l’emprise de l’EIIL-K en territoire afghan (département de la défense des
États-Unis, 2017). Les positions occupées par le groupe dans le sud de la province de Nangarhar
ont particulièrement souffert de la campagne intensive de frappes aériennes menée par les
États-Unis. À la fin de l’année 2017, l’EIIL-K n’occupait plus que trois districts de cette province,
contre neuf fin 2015. Certains éléments du groupe semblent toutefois s’être réimplantés dans
d’autres parties du pays, plus particulièrement dans les provinces de Kunar et de Jowzjan
(US Lead IG, 2018 ; Nicholson 2017b).

30. Malgré ces pertes territoriales, le groupe s’est montré résilient et a toujours les moyens de
mener des attaques de grande envergure. Cherchant à attiser les conflits confessionnels, l’EIIL-K
s’en est pris en priorité à la communauté chiite d’Afghanistan. C’est ainsi qu’il a revendiqué
l’attentat-suicide du 28 décembre 2017 contre un centre culturel chiite de Kaboul, qui a fait au moins
41 morts et 84 blessés (SIGAR, janvier 2018). Le groupe est également responsable, en partie, de
la recrudescence des attaques contre des cibles civiles et militaires à Kaboul en janvier 2018. Il a
notamment revendiqué l’attentat du 24 janvier contre le bureau de Save the Children à Kaboul, où
trois personnes au moins ont trouvé la mort, ainsi que le raid contre une académie militaire survenu
le 29 janvier, qui a tué 11 membres des ANDSF (ICG, janvier 2018). Plus récemment, le

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6 septembre 2018, l’EIIL-K a perpétré un double attentat à la bombe dans le quartier de Kaboul à
majorité chiite, Qala-e-Nazir, qui a fait 20 morts.

31. Les opérations de l’USFOR-A et des ANDSF ainsi que les désertions ont pesé sur les effectifs
combattants de l’EIIL-K. Le groupe tente de compenser ses lourdes pertes en recrutant les membres
déçus d’autres groupes d’insurgés présents dans la région, principalement des anciens talibans et
des membres de Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) (département de la défense des États-Unis, 2017).
Les pressions croissantes exercées sur les combattants de Daech en Syrie et en Iraq n’ont toutefois
pas entraîné, à ce jour, un gonflement des effectifs de la branche afghane de l’organisation
(Nicholson, 2017a). D’après les évaluations de la RSM pour décembre 2017, l’EIIL-K peut compter,
sur l’ensemble du territoire afghan, sur un millier de personnes environ (Bunch, 2017).

32. L’EIIL-K continue d’éprouver des difficultés à se financer et à rallier le soutien des populations
locales. Son idéologie ne fait pas beaucoup d’émules dans la population civile et ses tentatives de
lever des fonds en usant de moyens illégaux le placent en concurrence – et le mettent en conflit –
avec les talibans et d’autres groupes d’insurgés (département de la défense des États-Unis, 2017).
La concurrence que se livrent les talibans et l’EIIL-K sur le plan du recrutement de membres et de
la levée de fonds est également exacerbée par les récentes rumeurs liées à d’éventuelles
négociations de paix entre les États-Unis et les talibans. Si, d’un point de vue idéologique, les actions
menées par les talibans à l’échelle locale continuent de s’inscrire en contradiction avec l’objectif de
l’EIIL-K d’instaurer un califat mondial, les talibans s’avèrent être plus forts sur le champ de bataille,
plus de 150 combattants de l’EIIL-K ayant récemment été forcés de se rendre aux hauts
responsables afghans de la sécurité après avoir été tenus en échec par les talibans dans la province
de Djozdjan en août 2018 (Sahak, 2018). Il est donc compliqué pour l’EIIL-K de s’imposer comme
un acteur majeur face à la présence durable exercée par les talibans à l’échelle régionale.

      D.    AUTRES GROUPES D’INSURGÉS

33. Une des priorités des opérations de lutte antiterroriste menées en Afghanistan par les
États-Unis reste l’endiguement de la menace représentée par al-Qaida. Le groupe maintient une
présence limitée mais robuste dans l’est, le nord-est et, dans une moindre mesure, dans le sud-est
de l’Afghanistan. De plus, al-Qaida sous-continent indien, groupe affilié dans cette région, est
parvenu à s’implanter dans le sud et le sud-est du pays ainsi qu’au Pakistan. Aujourd’hui, al-Qaida
a plus ou moins renoncé à se montrer offensif et consacre tous ses efforts à assurer sa propre survie
et à parrainer des groupes armés locaux (Giustozzi, 2018 ; département de la défense des
États-Unis, 2017). D’autres organisations extrémistes violentes, principalement les talibans,
continuent d’apporter un refuge et un soutien aux membres d’al-Qaida en leur offrant des
sanctuaires, tactique qui, de l’avis de l’USFOR-A, constitue « probablement l’obstacle le plus
important sur la voie de l’éradication du mouvement en Afghanistan » (US Lead IG, 2018). On ne
dispose toutefois d’aucune information donnant à penser que les deux groupes coordonnent leur
action au niveau stratégique (département de la défense des États-Unis, 2017).

V.    POINT SUR L’ENVIRONNEMENT DE SÉCURITÉ DES CIVILS

34. Dans l’ensemble, la situation sécuritaire des citoyens afghans reste précaire. D’après la
mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), le conflit a fait 10 453 victimes
civiles en 2017, dont 3 438 morts et 7 015 blessés. Pour la première moitié de 2018, la MANUA a
dénombré 1 692 morts, soit le nombre le plus élevé de victimes civiles jamais enregistré en milieu
d’année sur une « période comparable au cours des 10 dernières années » (MANUA,
15 juillet 2018). Bien que ce bilan global reste élevé, le nombre annuel de victimes a enregistré sa
première baisse depuis 2012 (MANUA, février 2018). À côté de ce nombre toujours élevé de
victimes, le conflit a également entraîné le déplacement de plus de 445 000 civils en 2017
(UNOCHA, 2018). Cela porte à 2 millions le nombre de déplacés internes en Afghanistan, le nombre

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de réfugiés vivant à l’extérieur du pays étant, quant à lui, de 2,6 millions (Amnesty International,
2018).

35. D’après le dernier rapport de la MANUA, le nombre de victimes d’engins explosifs improvisés
combinés a dépassé, en 2017, celui des personnes tuées ou blessées dans le cadre d’engagements
terrestres. La mission se dit préoccupée par la recrudescence des attentats à caractère
confessionnel dirigés contre des lieux de culte et des personnalités religieuses, et en particulier par
le recentrage croissant des attentats de l’EIIL-K sur la communauté chiite afghane. Rien que lors de
l’été 2018, l’EIIL-K a revendiqué deux attentats perpétrés à l’encontre de la communauté chiite : en
juin, un attentat-suicide ciblant un rassemblement d’érudits religieux a fait au moins 12 morts et
17 blessés (Mashal et Sukhanyar, 2018) et en août, deux kamikazes ont pris pour cible des fidèles
chiites dans la province de Paktia, blessant 81 personnes et en tuant 25 autres (Al Jazeera, 2018).

36. D’après la MANUA, les forces antigouvernementales ont été responsables de près de deux
tiers de la totalité des victimes du conflit en 2017, contre un cinquième pour les forces
progouvernementales. Les autres pertes sont à mettre au compte d’échanges de tirs non identifiés
au cours de combats terrestres, de débris de guerre explosifs et de tirs de roquettes en provenance
du Pakistan.

37. De nombreuses voix se sont élevées pour commenter les conséquences, en termes humains,
de l’intensification des frappes aériennes menées par les forces internationales et afghanes. De fait,
selon les chiffres produits par la MANUA, le bilan des victimes de tirs aériens pour 2017 a été le plus
élevé jamais enregistré d’une année sur l’autre depuis 2009, date à laquelle on a commencé à établir
des statistiques. La MANUA indique cependant qu’une fois ces chiffres mis en perspective,
l’augmentation du nombre de morts et de blessés reste relativement peu élevée par rapport à la
multiplication significative des opérations aériennes au cours de l’année écoulée, et conclut à une
réduction globale du coefficient de risque. Évoquant ce sujet, le général de division aérienne
James B. Hecker, qui dirige le commandement aérien de l’OTAN en Afghanistan, a déclaré que
l’entraînement des pilotes afghans dispensé par la RSM n’avait pas seulement pour objectif de
développer les compétences techniques de ces derniers, mais aussi de leur impartir « une mentalité
les encourageant autant que possible à épargner les civils » (Hecker, 2018).

VI.   GOUVERNANCE

      A.    ÉLECTIONS ET RÉFORME ÉLECTORALE

38. À côté des enjeux directement liés à la sécurité et à la réforme du secteur sécuritaire, l’État
afghan se trouve confronté à la montée des défis politiques. S’exprimant sur le sujet, le
général James W. Nicholson a rappelé combien il était important d’organiser, dans un délai
raisonnable, des scrutins crédibles qui permettraient de renforcer la légitimité du gouvernement et
d’accentuer la pression sociale sur les talibans (Nicholson, 2017b). Lancée en prévision du scrutin
législatif et des élections au niveau des conseils de districts programmés pour octobre 2018 et en
vue de l’élection présidentielle d’avril 2019, le processus de mise en œuvre de la réforme électorale
progresse plutôt lentement. Des problèmes politiques et techniques liés notamment à la difficulté de
constituer les listes électorales ainsi que des préoccupations d’ordre sécuritaire et des litiges à
caractère politique ralentissent les préparatifs en vue des élections.

39. La nouvelle loi électorale votée en novembre 2016 devait instituer un découpage électoral
destiné à combattre le type de fraude la plus répandue observée lors du scrutin présidentiel de 2014,
à savoir le bourrage d’urnes, (SIGAR, janvier 2018). Plusieurs projets ambitieux visant à introduire
un système d’inscription et de vérification basé sur des données biométriques ont été écartés en
raison de la longueur des délais nécessaires à l’acquisition des équipements voulus. La nouvelle
option choisie consisterait à demander aux citoyens de présenter directement leur tazkira (la carte
d’identité nationale afghane) dans un bureau de vote afin de se voir délivrer une carte d’inscription

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électorale sous la forme d’un document papier (SIGAR, janvier 2018 ; Yawar Adili, 2017b). Il faut
toutefois savoir que 10 millions d’Afghans environ – principalement des femmes, d’anciens réfugiés
rentrés au pays et des individus déplacés à l’intérieur du pays – ne possèdent pas de documents
permettant de les identifier (Darnolf, 2018 ; NRC, 2016). D’après différents observateurs, l’autorité
centrale afghane responsable des questions d’état civil (ACCRA), qui est censée émettre ces
documents officiels, ne dispose pas des moyens institutionnels et de fonds suffisants pour délivrer
à tous les électeurs éligibles les tazkiras devant leur permettre de s’inscrire en temps voulu sur les
listes électorales (Darnolf, 2018).

40. L’adoption de la nouvelle loi électorale a coïncidé, en novembre 2016, avec la nomination par
le gouvernement des nouveaux membres de la commission électorale indépendante (IEC) et de la
commission des plaintes électorales (ECC). L’IEC et l’ECC, dorénavant les deux principales entités
chargées de l’administration et de la supervision des élections, sont depuis quelque temps en butte
aux critiques des partis politiques et des institutions de la société civile. Les principaux reproches
qui leur sont adressés concernent leur immobilisme, leurs divisions internes et le manque de
compétences de leur direction (Nations unies, 2017). Le 15 novembre 2017, le président
Ashraf Ghani limogeait Najibullah Ahmadzaï, président de l’IEC, accusé d’incompétence par cinq
des sept membres de la commission. Cette décision est intervenue après que plusieurs groupes de
l’opposition, appuyés par des manifestations, eurent exigé la démission de tous les commissaires.
Avec six des 10 postes à pourvoir au secrétariat de l’IEC toujours vacants et les préparatifs en vue
des élections tournant de plus en plus à l’affrontement ouvert entre factions politiques opposées, les
observateurs mettent sérieusement en doute la capacité de l’IEC et de l’ECC à gérer correctement
le processus électoral (Yawar Adili, 2017a).

41. En août 2018, l’ECC a annoncé qu’il serait interdit à 35 candidats, dont 12 sont actuellement
membres du parlement, de se présenter aux élections du 20 octobre en raison des liens qu’ils
entretiennent avec des groupes armés (RFE/RL, août 2018). Si cette annonce a été saluée par
certains diplomates étrangers, qui estiment que cela contribuera à garantir la tenue d’élections
équitables et légitimes, elle a été accueillie par des critiques dans le pays, où elle a donné lieu à des
débats sur la question de savoir si l’ECC est un organe véritablement indépendant et si le fait
d’empêcher des candidats de se présenter est juste et équitable. Cela a accentué les tensions
politiques en Afghanistan s’ajoutant aux préoccupations de sécurité préexistantes à l’approche des
élections. Des inquiétudes demeurent face à l’éventualité de voir le mécontentement des candidats
bannis des élections et de leurs partisans provoquer une flambée de violence susceptible de retarder
les élections ou, tout au moins, de les perturber.

42. La sécurité des électeurs reste également une question préoccupante. En 2017-2018, l’IEC a
pour la première fois établi une cartographie des bureaux de vote dans tout le pays, de manière à
évaluer leur accessibilité pour les électeurs (Nations unies, 2017). L’IEC estime que parmi les
7 300 bureaux de vote du pays, 1 707 répartis sur 32 districts sont particulièrement vulnérables en
termes de sécurité (Shaheed, 2018a). Pour contribuer à la sécurité et à l’équité des élections en
Afghanistan, la MANUA a, en juillet 2018, décidé d’allouer 57 millions de dollars américains
supplémentaires au budget électoral (MANUA, 25 juillet 2018). Le département de la défense des
États-Unis a fait savoir que les États-Unis et les membres de l’OTAN ne prévoient pas d’affecter des
forces significatives au maintien de la sécurité dans le cadre des élections (département de la
défense des États-Unis, 2017). Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a néanmoins
offert l’aide (limitée) de l’OTAN pour les élections législatives d’octobre 2018 face aux craintes de
voir les problèmes de sécurité entraver le processus électoral (RFE/RL, avril 2018).

43. La lenteur des préparatifs en vue des élections – le scrutin législatif avait, dans un premier
temps, été programmé pour 2015 – fragilise la légitimité des instances parlementaires afghanes et
entraîne des troubles internes du fait, notamment, que le succès des élections locales et législatives
est une condition préalable à la réalisation d’amendements constitutionnels attendus de longue date.
Ainsi, la mise en application de l’accord de 2014 sur le partage du pouvoir exécutif entre le président

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