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« L’apport du nouveau code foncier en matière de
résolution des conflits au Burundi ».

Par Emery Nukuri1

INTRODUCTION ET CONTEXTE.

D’une superficie de 27834 km² 2, le Burundi est un pays enclavé situé dans la région des
Grands Lacs et entouré par la République démocratique du Congo à l'ouest, le Rwanda au
nord, et la Tanzanie à l'est et au sud. La population du Burundi est estimée à 8.053.574 ha-
bitants, soit une densité moyenne de 310 hab. /km2. L’accroissement annuel de la popula-
tion est estimé à 3%3. Jusque maintenant, le Burundi connait une dépendance particulière-
ment forte à la terre4 parce que90% de la population Burundaise dépend directement des
ressources tirées de la culture de la terre5. Pour reprendre..il sied de soutenir que, « sans
terre, la vie est impossible »6.
    Sous la période précoloniale, les terres du Burundi appartenait au Mwami. Les autres
burundais n’en étaient que des usagers. La société Burundaise traditionnelle considérait la
terre comme un patrimoine collectif inaliénable administré par le Mwami et ses délé-
gués sur base du droit coutumier7. Pendant la période coloniale, la colonisation allemande

1 Emery Nukuri est Assistant à la Faculté de droit U.B et doctorant en droit des biens à la Katholieke
  Universiteit Leuven (adresses mail : kuriemery@yahoo.fr ou emery.nukuri@kuleuven-kulak.be).
2 République du Burundi, Premier rapport de mise en application de la Charte Africaine des droits
  de l’homme et des peuples, Bujumbura, septembre 2010, p 6.
3 Idem, p.2.
4 République du Burundi‐ Lettre de politique foncière de 2008, § 2 : « Alors que le Burundi compte
  déjà parmi les pays les plus densément peuplés du monde, la pression foncière s’amplifie encore. Le
  pays connaît une croissance démographique sans précédent. Par ailleurs, le retour de réfugiés de
  longue date s’effectue dans un contexte difficile, dans la mesure où, dans de nombreux cas, la plu-
  part de leurs terres ne sont plus vacantes. Des cessions et concessions irrégulières de terres doma-
  niales viennent ajouter à la confusion ».
5 République du Burundi, Ministère de l’eau, de l’environnement, de l’aménagement du territoire et
  de l’urbanisme, op.cit, p.2.
6 Iwacu, Deuxième anniversaire du code foncier : des améliorations et des attentes », disponible sur
  http://www.iwacu-burundi.org/deuxieme-anniversaire-du-code-foncier-des-ameliorations-et-des-att
  entes/ (visité le 12 août 2013).
7 DE CLERK L., « La place de la coutume dans le droit actuel du Burundi », Revue administrative et
  juridique du Burundi, 1er trimestre 1968, n° 2, p. 31.

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puis belge ont fortement altéré le système traditionnel de gestion des terres8 par l’importa-
tion du droit Européen9.
     Après l’indépendance, entre 1960 et 1980, (surtout à la faveur de la crise de 197210), on
assiste à l’instrumentalisation du droit par les élites politiques pour s’accaparer des biens
fonciers des autres11. Avec le code foncier de 1986, le législateur Burundais a gardé l’illu-
sion du colonisateur qui croyait au passage généralisé de la coutume au droit écrit en ma-
tière foncière, malgré le cout élevé de l’enregistrement12 et la forte centralisation du sys-
tème13. La sécurisation foncière prévue par le code foncier de 1986 inspiré du système tor-

 8 A la différence des colonies françaises ou britanniques, l’administration belge ne reconnaissait au-
   cun droit à la propriété de droit civil aux sujets coloniaux. A l’exception des terres appartenant aux
   quelques rares Burundais immatriculés comme « évolués », les terres détenues par des Burundais
   étaient systématiquement considérées comme des terres domaniales, ce qui permettait à l’adminis-
   tration belge de les céder à tout moment à des colons, à des entreprises ou à l’Eglise (auxquels le
   droit à la propriété privée était reconnu). Le droit à la propriété privée ne fut accordé aux sujets
   coloniaux qu’en 1960, à la veille de l’indépendance, sans pour autant remettre en question les dés-
   équilibres structurels entre dirigeants et dirigés dont se sont saisies les nouvelles élites politiques.
   Voir GAHAMA J., Le Burundi sous administration belge, (Paris, 1986).
 9 Le Code civil livre II du Burundi intitulé : « Des biens et des différentes modifications de la pro-
   priété » était constitué par les décrets du Congo Belge du 30 juillet 1912, du 30 juin 1913, du 6
   février 1920 et du 20 juillet 1920 rendus exécutoires au Burundi par l’ordonnance du Rwanda
   Urundi du 8 mars 1927, in Bellon R. et DELFOSSE P., Codes et lois du Burundi, Bruxelles, Mai-
   son Ferdinand Larcier, 1970, p.68 qui vont bouleverser la conception de la propriété foncière du
   Burundi précolonial. Pour plus de développements sur le sujet voir NIMPAGARITSE D.O, Orga-
   nisation foncière et disparité des statuts immobiliers au Burundi, arrière plan historique, courbes
   de développements et nécessité d’intégrer un nouveau droit, Thèse, Bruxelles, 1983.
10 Des milliers de réfugiés Hutus ont été obligés de fuir vers les pays voisins laissant derrière leurs
   terres qui ont été occupés par les résidents qui ont eu l’occasion d’avoir des terres dont ils avaient
   besoin en raison de la pression démographique.
11 Le code foncier de 1986 de même que la législation coloniale antérieur ont été décriés comme des
   instruments de spoliations du passé. En effet, dès le départ de ces réfugiés, la réaction des autorités
   administratives locales, des chefs de cellules aux gouverneurs de province, a consisté à redistribuer
   leurs terres comme si celles-ci étaient simplement vacantes. Mais cette forme d’accaparement des
   terres n’a pas été un phénomène observable uniquement pendant les périodes de crise sociopoli-
   tique. Au Burundi, depuis l’indépendance, les officiels locaux s’attribuent des terres domaniales
   durant leur occupation du pouvoir. Jusqu’aujourd’hui, cette pratique n’a pas complètement dispa-
   rue.
12 République du Burundi‐ Lettre de politique foncière de 2008, p5 : « L’enregistrement foncier
   exige des coûts auxquels la plupart des Burundais ne peuvent actuellement pas faire face. Elle im-
   plique la production d’une attestation d’identité, l’achat et le transport des bornes, le déplacement
   d’un géomètre et de son aide, la production d’un PV d’arpentage et de bornage, le paiement d’une
   taxe communale et d’une contribution pour les indigents. Sans même tenir compte des surcoûts –
   très importants – dus à la corruption, les dépenses à prévoir s’avèrent souvent trop élevées en re-
   gard du prix d’acquisition de la parcelle ».
13 République du Burundi‐ Lettre de politique foncière de 2008, p5 : « L’insuffisance de la déconcen-
   tration et l’absence de décentralisation rendent les services fonciers difficilement accessibles pour
   les usagers. Pour l’ensemble du pays, il n’existe que trois bureaux – à Bujumbura, Gitega et Ngozi
   – pour examiner des demandes et y faire suite ».

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rens14, certes plus protectrice a été un leurre et n’a pas produit l’effet escompté; car la pro-
cédure longue, très couteuse est restée inaccessible à la majorité de la population pauvre.
     Quelques années après l’adoption du code foncier de 1986, on commence à constater
des difficultés d’application surtout au niveau de l’enregistrement des droits fonciers15. La
révision du code foncier était prévue par ailleurs au Protocole 4, article 8 (i) de l’Accord
d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000 qui stipulait que :
« Le Code foncier du Burundi doit être révisé afin de l’adapter aux problèmes actuels rela-
tifs à la gestion des terres ». La nécessité de réviser le code foncier se reflétait également au
niveau procédural. On sait que les litiges fonciers représentent 71,90% de toutes les affaires
soumises aux cours et tribunaux16. Cette situation conflictuelle était aggravée par les litiges
entre les rapatriés, rentrant dans leur pays, et ceux occupant « leurs parcelles historiques »
que les résidents considèrent comme les leurs après l’usucapion de 30 ans.
     Depuis le début des années 2000, une multitude de rapports sur la problématique fon-
cière émanant d’Organisations Internationales et d’Organisations Non gouvernementales
consacraient des formules telles que « la bombe foncière » et attiraient l’attention sur l’im-
portance d’une bonne résolution des conflits fonciers comme gage pour la sécurité natio-
nale17. Parmi ces conflits, nous distinguerons les conflits entre l’Etat et les personnes pri-
vées et ceux opposants des personnes privées entre elles.
     La loi N°1/13 portant révision du code foncier promulguée le 9 aout 2011 a suscité
beaucoup d’espoir surtout que la population avait beaucoup d’attentes en ce qui est de la
résolution des conflits fonciers.

14 En 1861, en Australie où cette loi a été mise en place par le Gouverneur d’alors, Sir Robert Ri-
   chard TORRENS, la propriété foncière était d’origine récente. La Couronne britannique disponibi-
   lisa elle-même de larges moyens matériels et financiers pour couvrir les opérations de mesurage,
   de cadastrage, de bornage et de délivrance des titres fonciers à la suite de l’immatriculation des
   terres prises en possession par les colons. Ce système d’immatriculation offre à la propriété fon-
   cière une grande sécurité couverte par le titre de propriété délivré, une localisation parfaite ainsi
   qu’une grande facilité de transactions. Pour plus de développements voir NIMPAGARITSE D.O,
   Organisation foncière et disparité des statuts immobiliers au Burundi. Arrière-plan historique;
   courbes de développement; nécessité d’intégrer un nouveau droit, Thèse de doctorat spécial, Uni-
   versité Libre de Bruxelles, 1983, pp.482 et s.
15 KOHLHAGEN D., Vers un nouveau code foncier au Burundi?,? in l’Afrique des grands lacs. An-
   nuaire 2009-2010, pp 67-98.
16 RCN justice et démocratie, Statistiques judiciaires Burundaises, rendement, délais et typologie des
   litiges dans les tribunaux de résidence, Bujumbura, décembre 2009, p.25. La question foncière est
   sociale et culturelle dans le sens que la terre n’est pas seulement une richesse économique mais un
   élément de la culture, une partie de la vie d’une famille et de son histoire. L’attachement à la terre
   est à ce point important que dans certaines régions les gens préféreraient vendre tout leur avoir
   pour ne pas perdre un procès foncier qui représente à la fois un point d’honneur et un défi familial.
   Voir NTAMPAKA C., Gouvernance foncière en Afrique centrale, Rapport FAO, 2008, p.5, dispo-
   nible sur ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/ak018f/ak018f00.pdf (visité le 10/08/2014).
17 INTERNATIONAL CRISIS GROUP(ICG), Réfugiés et déplacés au Burundi. Désamorcer la
   bombe foncière, Nairobi et Bruxelles, ICG, 2003.

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« L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au Burundi ».

    De plus la révision du code foncier a été mal comprise par la majorité de la population
qui l’a confondue avec une réforme agraire impliquant une redistribution équitable des
terres et une correction des injustices du passé notamment les spoliations foncières comme
l’exprime bien KOLHAGEN :

       « Les attentes liées à la réforme et les confusions sont nombreuses. Intervenu au mo-
       ment du retour massif de réfugiés, le débat sur la nouvelle politique foncière porte
       tant sur une réforme à long terme que sur la nécessité de trouver des solutions d’ur-
       gence aux problèmes des rapatriés et de supprimer efficacement des préjudices cau-
       sés en violation du code existant. Les risques – et les tentatives – d’instrumentalisa-
       tion du débat s’ajoutent aux difficultés de compréhension que connaissent les ques-
       tionnements parfois très techniques liés à la gestion domaniale et foncière».

C’est ainsi que les rapatriés et certaines victimes de la mauvaise gouvernance foncière
avaient placé la barre des attentes très haute en espérant que la réforme va réparer les injus-
tices du passé alors qu’en principe la loi dispose pour l’avenir.
     Même actuellement la question foncière ne cesse d’être un sujet de débats, de passions,
de conflits et surtout d’effusion de sang entre voisins et plus grave encore entre frères pa-
rents et enfants. C’est pour ces raisons que nous avons voulu chercher à savoir par cet ar-
ticle intitulé, « L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au
Burundi », dans quelle mesure le nouveau code foncier a contribué à la résolution des
conflits fonciers. Du point de vue méthodologique, nous allons consulter les textes juri-
diques régissant la matière, la doctrine et interroger la pratique.
     L’article sera subdivisé en deux chapitres. Nous analyserons, dans un premier chapitre,
l’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits entre l’Etat et les
personnes privées et dans un deuxième chapitre, l’apport du nouveau code foncier en ma-
tière de résolution des conflits entre les personnes privées.

Chapitre I : l’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits
             fonciers entre l’Etat et les personnes privées.

Les conflits fonciers entre l’Etat et les personnes privées sont causés par la mauvaise gou-
vernance foncière et la problématique de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Section I : Apports du nouveau code foncier en matière de gouvernance foncière.

Parmi les conflits fonciers du Burundi figurent en premier lieu les conflits entre l’Etat et les
particuliers causés d’abord par la non délimitation des terres relevant du patrimoine foncier
de l’Etat ainsi que l’attribution abusive ou l’accaparement des terres de l’Etat par l’élite di-
rigeante. Le code foncier de 2011 a préconisé deux solutions pour diminuer ce genre de
conflits à savoir l’inventaire des terres domaniales et la diminution du nombre des autorités

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Emery Nukuri

compétentes pour attribuer les terres domaniales et la limitation de leur pouvoir d’apprécia-
tion par la mise en place d’un organe consultatif.

§ 1. Inventaire des terres domaniales

La non délimitation du domaine de l’Etat depuis l’époque coloniale jusqu’alors est problé-
matique18 car à la faveur de la pression démographique, la population a continué à occuper
les terres de l’Etat supposées vacantes et y a implanté même des champs et des construc-
tions. Ce qui fait que si l’Etat veut utiliser ces terres, la population demande l’indemnité
d’expropriation alors que, à la faveur de cette non délimitation, l’Etat déclarerait ces terres
sur base du principe de la présomption de domanialité des terres vacantes19comme lui ap-
partenant, pour échapper au versement de l’indemnité d’expropriation.
    Le code foncier de 2011, contrairement à celui de 1986 qui se bornait à affirmer seule-
ment le principe de la propriété de l’Etat sur les terres vacantes, a prévu, à son article 213,
que :

       « les terres du domaine privé de l’Etat doivent être mesurées, bornées, immatriculées
       au plan du cadastre national et enregistrées par les services en charge des titres fon-
       ciers ».

Ce qui est déjà un pas au niveau des prévisions légales. Le législateur Burundais a fait un
pas en avant en confiant le travail d’inventaire des terres domaniales à la Commission na-
tionale terres et autres biens à travers la loi N°1/01 du 04 janvier 2011 portant révision de la
loi N°1/17 du 4 septembre 2009 portant missions, composition, organisation, et fonctionne-
ment de la Commission nationale terres et autres biens qui dispose en son article 5 que :

18 L’article 2 de l’ordonnance du 1 juillet 1884 du Congo Belge rendue exécutoire au Rwanda-Urun-
   di par l’ordonnance du 8 mars 1927:« Nul n’a le droit d’occuper sans titre les terres vacantes ni de
   déposséder les indigènes des terres qu’ils occupent. Les terres vacantes doivent être considérées
   comme appartenant à l’Etat ». Mais l’administration coloniale s’est contenté seulement d’affirmer
   ce principe et n’a pas organisé une prise en possession systématique des terres qui après enquête
   de vacance devaient être délimités, enregistrés comme des terres de son domaine propre. Elle a
   pris l’option de prendre en possession les seules terres vacantes qui lui étaient nécessaire pour ses
   besoins immédiats. Les autres terres vacantes étaient frappées d’une présomption de domanialité.
   Par conséquent, L’administration coloniale Belge n’est pas parvenu à résoudre le conflit entre les
   droits de l’Etat et les droits des populations locales en départageant une fois pour toutes le do-
   maine intangible de l’Etat et le domaine réservée à la population. Le principe de présomption de
   domanialité de l’Etat sur les terres vacantes posé par les Belges a été maintenu même après l’indé-
   pendance par le législateur. Même le nouveau code foncier le réaffirme à l’article 214 al.2 : « Font
   notamment partie du domaine privé de l’Etat, tant qu’ils ne sont pas affectés ou réaffectés à un
   service ou à un usage public : les biens fonciers vacants et sans maître; (…) ».
19 Les terres étaient jadis vacantes mais elles ne le sont plus car elles ont été continuellement occu-
   pées par la population.

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« L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au Burundi ».

       « La Commission est particulièrement chargée :- Mettre à jour, en concertation avec
       les services compétents, l’inventaire des terres de l’Etat, identifier et proposer la ré-
       cupération de celles qui ont été irrégulièrement attribuées(…) ».

La mission d’inventaire a été accomplie par la CNTB bien que ce travail louable accompli
est à la fois inconnu du public et mal apprécié20. Néanmoins, un problème de taille reste
irrésolu, celui de l’arpentage, du bornage des terres domaniales alors que cela était une
priorité21pour éviter la poursuite de l’occupation de ces terres par les populations ainsi que
leur attribution abusive.
    Mr. Damien MACUMI, coordonnateur du programme national foncier, espère que :

       « Avec l’aide de l’Union Européenne de 5,5 millions d’euros, le programme d’enre-
       gistrer les terres de l’Etat commencera en janvier 2014 et durera 4 ans (…). Grâce
       aux photos aériennes déjà disponibles, (...) les conflits entre la population et l’Etat
       burundais vont diminuer car toutes les terres seront identifiées »22.

Même si l’appui financier était au rendez vous, ce qui n’est pas évident car jusqu’en oc-
tobre 2014, il n’a pas encore commencé, l’immatriculation des terres domaniales demande
des moyens techniques et humains que le Burundi va difficilement mobiliser en raison de
l’insuffisance de géomètres qualifiés.
    Comme l’exprime bien le professeur Didace NIMPAGARITSE: cette enregistrement

       « s’accompagnerait forcément du recrutement et de l’entretien d’une « armée » de
       fonctionnaires, ainsi que d’un corps notarial très dense. Et le pays devrait d’abord
       envisager la formation de ces effectifs. Ces agents et cadres devront également être
       dotés d’un matériel technique et d’autres équipements à la hauteur de la mission qui
       ne serait plus confinée à quelques centres à vocation urbaine, mais qui couvrirait
       tout le pays »23.

Aussi, faut –il la disponibilisation des moyens financiers, humains, techniques pour appli-
quer le code foncier en procédant à ce bornage, pour éviter de nouveaux conflits dans ce
domaine.

20 Car masqué par le travail plus controversé de la CNTB en matière de résolution des conflits entre
   rapatriés et résidents.
21 Burundi, Note conceptuelle du secteur foncier, disponible sur : http://www.burundiconference.gov.
   bi/IMG/pdf/Note_conceptuelle_secteur_foncier.pdf.
22 Iwacu : Les terres de l’Etat : une ressource rare, des périmètres contestés, disponible sur http://ww
   w.iwacu-burundi.org/les-terres-de-letat-une-ressource-rare-des-perimetres-contestes(visité le
   09/09/2014).
23 NIMPAGARITSE D., Organisation foncière et disparité des statuts immobiliers au Burundi. Ar-
   rière-plan historique; courbes de développement; nécessité d’intégrér un nouveau droit, Thèse de
   doctorat spécial. Université Libre de Bruxelles, 1983, pp.482 et s.

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§ 2. Attribution de terres domaniales.

I. Diminution du nombre d’autorités compétentes.

Le code foncier de 1986 fixait dans la section 2 du chapitre III, titre III intitulée « autorités
compétentes » les règles gouvernant les catégories de terres domaniales pouvant faire l’ob-
jet de cession ou de concession ainsi que les autorités compétentes pour chaque catégorie.
Ainsi, aux termes de son article 253 :

      « Les terres du domaine privé de l’Etat sont, pour l’application de la présente sec-
      tion, classées comme suit:1er catégorie: terre rurale d’une superficie inférieure ou
      égale à quatre hectares; 2e catégorie: terre rurale d’une superficie supérieure à
      quatre hectares et n’excédant pas cinquante hectares; 3e catégorie: terre urbaine
      d’une superficie inférieure ou égale à dix hectares; 4e catégorie: terre rurale d’une
      superficie supérieure à cinquante hectares;5e catégorie: terre urbaine d’une superfi-
      cie supérieure à dix hectares ».

L’article 254 du code foncier de 1986 prévoyait que le gouverneur de province est compé-
tent pour accorder la cession ou la concession d’une terre domaniale de la première catégo-
rie; le Ministre ayant l’agriculture dans ses attributions, pour les terres de la deuxième caté-
gorie, le Ministre ayant l’urbanisme dans ses attributions, pour les terres de la troisième ca-
tégorie. Il ajoutait que la cession ou la concession de terres de la quatrième et de la cin-
quième catégorie doit être, à peine de nullité, préalablement autorisée par un décret pris sur
proposition du Ministre compétent24.
     Au niveau de la catégorisation des terres domaniales le code foncier a diminué les caté-
gories du code de 1986 et le nombre des autorités compétentes en matière de cession et de
concession. En effet, l’article 221 du code foncier de 2011 classe les terres du domaine pri-
vé de l’Etat comme suit : 1ère catégorie : terre rurale d’une superficie n’excédant pas vingt
cinq hectares; 2ème catégorie : terre rurale d’une superficie excédant vingt cinq hectares;
3ème catégorie : terre urbaine d’une superficie n’excédant pas un hectare; 4ème catégorie :
terre urbaine d’une superficie excédant un hectare. C’est en fonction de ces catégories que
le législateur a déterminé les autorités compétentes en matière de cession et de concession.
Le Ministre ayant les terres dans ses attributions est compétent pour une terre rurale d’une
superficie n’excédant pas vingt cinq hectares; le Ministre ayant l’urbanisme dans ses attri-
butions pour une terre urbaine d’une superficie n’excédant pas un hectare et le Président de
la République par voie de décret après délibération en Conseil des ministres, pour les deux
autres catégories de terres. Néanmoins, ces autorités compétentes ne peuvent, sous peine de
nullité, céder ni concéder une terre domaniale non enregistrée25.La centralisation de ce pou-
voir assorti de l’avis consultatif est un apport du nouveau code foncier dans la résolution
des conflits futurs.

24 Article 254 du code foncier du Burundi de 1986.
25 Article 222 du code foncier du Burundi.

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« L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au Burundi ».

Tableau synthétique de la diminution du nombre d’autorités compétentes

 Code foncier de 1986                               Code foncier de 2011
 Catégorie de terre     Autorité compétente         Catégorie de terre domaniale         Autorité compétente en
 domaniale              en matière de cession                                            matière de cession et
                        et de concession                                                 de concession
 Terre rurale           Gouverneur de pro-          Terre rurale d’une superficie        Le Ministre ayant les
 d’une superficie       vince                       n’excédant pas vingt cinq            terres dans ses attribu-
 inférieure ou                                      hectares                             tions
 égale à quatre
 hectares
 Terre rurale           le Ministre ayant           Terre rurale d’une superficie        Le Ministre ayant l’ur-
 d’une superficie       l’agriculture dans ses      excédant vingt cinq hectares         banisme dans ses attri-
 supérieure à           attributions                                                     butions pour une terre
 quatre hectares                                                                         urbaine d’une superfi-
 et n’excédant pas                                                                       cie n’excédant pas un
 cinquante hec-                                                                          hectare
 tares
 Terre urbaine          le Ministre ayant           Terre urbaine d’une superfi-         le Président de la Ré-
 d’une superficie       l’urbanisme dans ses        cie n’excédant pas un hec-           publique par voie de
 inférieure ou          attributions                tare                                 décret après délibéra-
 égale à dix hec-                                                                        tion en Conseil des mi-
 tares                                                                                   nistres
 Terre rurale           Le Président de la          Terre urbaine d’une superfi-         le Président de la Ré-
 d’une superficie       République sur pro-         cie excédant un hectare              publique par voie de
 supérieure à cin-      position du Ministre                                             décret après délibéra-
 quante hectares        compétent                                                        tion en Conseil des mi-
                                                                                         nistres
 Terre urbaine          Le Président de la
 d’une superficie       République sur pro-
 supérieure à dix       position du Ministre
 hectares               compétent

Il sied de signaler en passant que le code foncier de 2011 a levé le flou sur la question des
terres des paysannats qui constituaient encore des concessions selon le code de 1986. En
effet, l’article 455 de code dispose :

       « Les détenteurs de parcelles constitutives de paysannats dont leur occupation a été
       régulière et légale obtiennent la pleine propriété. (…)Tout litige qui naîtra de l’ap-
       plication de cet article sera réglé par la Commission foncière nationale ».

Ainsi les anciens concessionnaires sont devenus des propriétaires; mais la question des pay-
sannats bien que tranchée est superposée à celle des conflits fonciers entre rapatriés et rési-
dents; car ces terres situées dans la plaine de l’Imbo ont passé dans plusieurs mains à la

                                                                                                              733
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Emery Nukuri

faveur des crises du passé en particulier celle de 1972. La réponse aux conflits fonciers est
tributaire de la solution des conflits entre rapatriés et résidents26.

II. Création d’une Commission consultative : La Commission foncière nationale.

Selon le code foncier de 2011, la cession ou la concession d’une terre doit être, à peine de
nullité, accordée par l’autorité compétente après avis conforme de la Commission fon-
cière nationale27. Cette commission doit être représentative des acteurs ayant un intérêt
certain et actuel. Le décret mettant en place cette commission foncière a été signé le 31 dé-
cembre 2012 et ses membres ont été nommés le 1er avril 2013. La Commission donne son
avis préalablement à la cession ou à la concession des terres domaniales, à l’expropriation
foncière pour cause d’utilité publique. Elle peut également donner son avis sur toute autre
question foncière que le Gouvernement peut lui soumettre. La Commission Foncière Natio-
nale est dotée d’un Secrétariat Permanent28. Mais la Commission nationale foncière prévue
à l’article 452 du code foncier risque de ne pas avoir l’efficacité voulue pour empêcher en-
core l’arbitraire dans ce domaine pour trois raisons :
● Primo, au niveau de sa composition, les membres de la Commission nationale foncière
    sont nommés par décret sur proposition du ou des Ministres ayant les terres dans leurs
    attributions. La commission nationale foncière est un organe complètement dépen-
    dant de l’exécutif car il serait difficile de croire que ses membres puissent donner
    un avis non conforme au Ministre qui a proposé au Président la nomination et qui
    sollicitent les avis conformes. Il ya à craindre qu’elle soit une caisse de résonnance de la
    décision des ministres. Par ailleurs ses membres travaillent à temps partiel à la commis-
    sion mais restent fonctionnaires dans les ministères qu’ils représentent. D’où il faut pour
    que la Commission soit efficace lui donner l’autonomie organique.
● Secundo, au niveau de fonctionnement, la commission nationale n’a aucune autonomie
    financière et de ce fait ne dispose pas de budget de fonctionnement. C’est ainsi que
    son secrétariat permanent n’a pas encore été mis en place faute d’argent pour le rémuné-
    rer. L’absence d’autonomie financière handicape son fonctionnement car «C’est une
    structure qui demande beaucoup de moyens parce qu’on doit recruter un secrétaire per-
    manent et des experts »29. Le fait de lui priver des moyens de fonctionnement, n’est –il

26 Plus de la moitié des conflits fonciers entre rapatriés et résidents se concentre dans la plaine de
   l’Imbo surtout que lorsque la personne se réfugiait abandonnant sa terre, cet abandon était considé-
   ré comme un manquement à l’obligation de mettre en valeur le paysannat concédé, motif à base
   duquel la terre était attribuée à une autre personne qui n’était pas parti en exil. Maintenant, les
   conflits naissent entre l’ancien concessionnaire parti en exil et le nouveau concessionnaire installé
   par l’Etat.
27 Article 223 du code foncier du Burundi.
28 Article 453 du code foncier du Burundi.
29 Iwacu, La commission foncière nationale, qui connaît? http://www.iwacu-burundi.org/la-commissi
   on-fonciere-nationale-qui-connait/(visité le 10/12/2013).

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« L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au Burundi ».

  pas un moyen de la contraindre à la soumission comme le dit le proverbe Burun-
  dais : « amaboko atanga yama ari hejuru y’ayakira » ce qui signifie littéralement les
  bras de celui qui donne sont toujours au dessus de ceux de celui qui reçoit (qui doit se
  courber pour bien recevoir).
● Tertio, par ailleurs certains ministres n’ont pas même pris l’habitude de demander leur
  avis. C’est par exemple au niveau de l’urbanisme, aucun dossier ne passe dans la com-
  mission pour qu’elle donne son avis préalablement alors que c’est là où il ya beaucoup
  d’attributions de terres domaniales et de possibles abus30. Nous rejoignons Mr. NDIKU-
  MASABO Vincent quand il affirme avec raison que, « la commission doit donner préa-
  lablement son avis et les mesures prises par le ministre sans l’avis préalable de la com-
  mission sont réputées nulles. Au cas contraire, prévient-il, on retournerait dans l’ancien
  système monarchique où le chef pouvait donner n’importe comment une terre, d’où il
  doit y avoir des mesures »31. L’état des lieux montre que des attributions illégales des
  terres subsistent surtout que certains ministres ont continué à donner des terres sans
  même les délimiter. D’où nous proposons à notre humble avis de renforcer son indépen-
  dance et par voie de conséquence son efficacité par :
  – la révision des modalités de nomination des membres notamment par voie d’approba-
      tion parlementaire,
  – l’octroie de l’autonomie organique et financière à la commission.

Section II. Apport du nouveau code foncier en matière d’expropriation pour cause d’utilité
            publique.

Le code foncier de 1986 était fortement critiqué en matière d’expropriation pour cause
d’utilité publique car il a été constaté que parfois l’Etat abusait des expropriations notam-
ment en expropriant des populations dans la périphérie des villes à Bujumbura pour redis-
tribuer ces mêmes terres à d’autres personnes qui ont des moyens d’y construire des villas
de luxe32. Par ailleurs l’indemnité d’expropriation était insuffisante car elle n’avait pas été
actualisée et n’était pas payée préalablement. Ce qui était une violation du droit national et
international33.

30 Iwacu, La commission foncière nationale, qui connaît? http://www.iwacu-burundi.org/la-commissi
   on-fonciere-nationale-qui-connait/(visité le 10/12/2013).
31 NDIKUMASABO V., cité par Iwacu, La commission foncière nationale, qui connaît? http://www.
   iwacu-burundi.org/la-commission-fonciere-nationale-qui-connait/ (visité le 10/12/2013).
32 Iwacu, « Le nouveau code foncier a apporté des améliorations » disponible sur http://www.iwacu-
   burundi.org/le-code-foncier-a-apporte-des-ameliorations/ (visité le 5/09/2014).
33 En effet, le droit de propriété est un droit de l’homme par excellence consacré par la DUDH en son
   article 1, par la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples en son article 14.. Le droit
   de propriété est consacré par la Constitution du Burundi au titre des droits fondamentaux par l’ar-
   ticle 36 de la Constitution qui dispose : « Toute personne a droit à la propriété. Nul ne peut être
   privé de sa propriété que dans les cas et de la manière établie par la loi et moyennant une juste et
   préalable indemnité ou en exécution d’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée».

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Emery Nukuri

     Le code foncier de 2011 a apporté plusieurs innovations en ce domaine :
● Primo, en ce qui concerne le motif de l’expropriation, le code foncier de 2011 a clarifié
  que l’expropriation n’est permise que pour cause d’utilité publique. L’article 411 du
  code foncier stipule que : « Le droit de propriété exercé en vertu d’un titre foncier, d’un
  certificat foncier, d’un titre administratif ou d’un mode coutumier d’acquisition, peut
  être exproprié pour cause d’utilité publique au bénéfice de l’Etat ou de toute autre per-
  sonne publique, moyennant le versement d’une juste et préalable indemnité »34. Ceci
  permet d’éviter les expropriations des paysans pauvres des abords des villes au profit
  des riches qui y construisent des villas.
● Secundo, pour éviter des expropriations arbitraires, le code foncier de 2011 prévoit que
  la mutation résultant de l’expropriation foncière doit être constatée dans un titre foncier
  établi par le Conservateur des Titres Fonciers, au vu de la décision de justice ou de l’acte
  constatant l’accord des parties et après paiement de l’indemnité d’expropriation35.
● Tertio, pour éviter le détournement du pouvoir d’expropriation le code foncier de 2011
  prévoit que les biens expropriés ne peuvent être utilisés par le bénéficiaire de l’expro-
  priation que pour la destination d’utilité publique énoncée dans la déclaration provisoire
  d’utilité publique et dans la décision d’expropriation36. Au cas contraire ils seront rétro-
  cédés à leur ancien propriétaire en ces termes : « Si les biens expropriés pour cause
  d’utilité publique ne reçoivent pas cette destination dans les délais prévus par le projet
  final approuvé, et si aucune demande de prolongation n’a été introduite avant la fin des-
  dits délais par le promoteur et approuvée, l’administration notifie aux expropriés la fa-
  culté qui leur est offerte de les reprendre et publie à cet effet un avis au Bulletin Officiel
  du Burundi(…)37.
● Quarto, selon le code foncier de 2011, l’indemnité d’expropriation doit être fondée sur
  la valeur du bien exproprié appréciée de commun accord ou à la date du jugement. Elle
  doit être acquittée avant l’enregistrement de la mutation et au plus tard dans les quatre
  mois suivant l’accord amiable des parties ou la signification du jugement irrévocable y
  relatif. Passé ce délai, l’exproprié peut demander à l’autorité expropriante ou à la juridic-
  tion compétente l’annulation de l’expropriation, avec dommages-intérêts s’il y a lieu (ar-
  ticle 453 du code foncier de 2011). Pour les tarifs d’indemnisation, l’article 426 du code
  foncier prévoit que les Ministres ayant les terres dans leurs attributions fixent par Ordon-
  nance conjointe le niveau minimal des tarifs d’indemnisation des immeubles par nature
  et par incorporation, après avis de la Commission Foncière Nationale. Il en est ainsi de
  l'ordonnance ministérielle n° 720/CAB/304/2008 du 20 mars 2008 portant actualisation

     Comme l’exprime très bien la Constitution de la République du Burundi, le droit de propriété ne
     saurait être absolu. Mais cette privation ne peut avoir lieu que dans les conditions prévues par la
     loi.
34   Art. 411 de la Loi n°1/13 du 9 août 2011 portant révision du code foncier du Burundi.
35   Article 413 du code foncier de 2011.
36   Article 414 du code foncier de 2011.
37   Article 414 du code foncier de 2011.

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« L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au Burundi ».

    des tarifs d’indemnisation des terres, des cultures et des constructions en cas d’expro-
    priation pour cause d’utilité publique. Ces tarifs devraient être régulièrement actualisés
    mais cela n’a pas été fait, ce qui porte atteinte à la justesse de l’indemnité d’expropria-
    tion38.
Le code foncier de 2011 respecte le droit à un procès équitable pendant toute la procédure;
car, aux termes de l’article 428, les personnes expropriées peuvent également saisir la juri-
diction compétente pour contester le bien-fondé de l’expropriation, la consistance de l’in-
demnité ou le délai de déguerpissement. Le législateur a voulu de cette façon contrecarrer
l’arbitraire ou l’abus de pouvoir des autorités compétentes en matière d’expropriation pour
cause d’utilité publique.
     Si les autorités respectaient les dispositions du code foncier de 2011, cela permettrait de
rétablir la confiance des citoyens en leur administration foncière. Mais même aujourd’hui
des conflits naissent dans ce domaine pour le non versement de l’indemnité d’expropria-
tion39 ou son insuffisance40. D’où des efforts pour la consolidation de l’Etat de droit restent
à fournir.

Chapitre II : l’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits
              fonciers entre les personnes privées.

Les conflits fonciers entre les personnes privées sont liés à la contestation des droits fon-
ciers successoraux de la femme, à l’insuffisance de la sécurisation foncière, sans oublier
l’épineux conflit foncier des résidents et des rapatriés.

Section I. Apport du nouveau code foncier en matière de droits fonciers de la femme.

Théoriquement, les femmes comme les hommes ont droit à la propriété foncière. Au Burun-
di, la majorité de la population foncière accède à la propriété foncière par voie de succes-
sion, les autres modes d’acquisition de la propriété notamment l’achat, la prescription ac-
quisitive, l’acquisition par voie de cession par l’Etat sont exceptionnelles.
     Pratiquement, les femmes n’ont pas un droit d’accès facile à la propriété foncière car :

38 Ordonnance ministérielle n° 720/CAD/304/2008 du 20 mars 2008.
39 La population dépossédée de ses biens immobiliers par le traçage de ce tronçon réclame des in-
   demnités pour les pertes subie Voir l’article Iwacu, Construction de la route Nyamirambo-Buban-
   za : les indemnités d’expropriation au cœur des tensions.disponible sur http://www.iwacu-burundi.
   org/construction-de-la-route-nyamirambo-bubanza-les-indemnites-dexpropriation-au-coeur-des-te
   nsions/.
40 A Gatunguru, futur lieu de construction du palais présidentiel, les habitants se sont fortement op-
   posés aux indemnisations insuffisantes selon eux. Iwacu, Gatunguru : un site, un palais et beau-
   coup de colère, http://www.iwacu-burundi.org/gatunguru-un-site-un-palais-et-beaucoup-de-colere/
   (visité le 12/09/2014).

                                                                                                 737
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      « Dans les coutumes burundaises, les terres étaient détenues par des familles et non
      par des individus. Les hommes mariés géraient ces terres en tant que chefs de fa-
      mille, mais cela impliquait pour eux des obligations et la nécessité de garantir un ac-
      cès équitable (à la terre) aux femmes et aux hommes non mariés qui dépendaient
      d’eux. Dans la jurisprudence des tribunaux indigènes puis dans les tribunaux de
      l’État burundais, l’interprétation privatiste des droits fonciers coutumiers a conféré
      un droit exclusif aux chefs de famille »41.

Or, telle que la coutume est interprétée par la jurisprudence de la plupart des tribunaux, les
femmes ne détiennent pas de terres à titre individuel et ne jouissent donc pas de droit à l’hé-
ritage sur les parcelles appartenant à leur père que si elles ne sont pas mariées. Il n’y a d’ex-
ception que pour les biens fonciers se trouvant dans le milieu urbain pour lesquels la juris-
prudence de la Cour suprême accepte que les femmes jouissent d’un droit égal à la succes-
sion.
    Cette situation juridique est aujourd’hui dénoncée par de nombreuses organisations de
défense des droits humains, telles que l’Association des Femmes Juristes du Burundi (AF-
JB) qui réclament une loi écrite consacrant l’égalité des sexes en matière d’héritages. Selon
Jeanine Nkinabacura, coordinatrice de l’Association des Femmes juristes du Burundi

      « le grand problème quant à l’accès de la femme à la terre réside toujours au niveau
      de la succession. En l’absence de la loi qui régit la succession, c’est la coutume qui
      s’applique alors qu’elle est discriminatoire vis-à-vis de la femme. Pourtant l’Etat bu-
      rundais a ratifié plusieurs conventions qui parlent de l’égalité entre l’homme et la
      femme. Celles-ci font partie intégrante de la constitution. »42

Néanmoins, il n’est pas évident que l’introduction du modèle occidental du droit des suc-
cessions égalitaire puisse être véritablement acceptable aux populations rurales43. A notre
humble avis, le code foncier aurait pu, sans toucher au domaine des successions, assimiler
les terres à une forme de copropriété familiale.44Ainsi, le partage des terres familiales ne
serait pas interprété comme une succession mais comme le partage d’une copropriété. Mais
la question est socialement et politiquement sensible à tel point que le Code foncier n’a pas
voulu y apporter une quelconque innovation. Et ce n’est pas par hasard que ni le document
de politique foncière ni le nouveau projet de code n’abordent le problème et que le projet de

41 KOLHAGGEN D., Vers un nouveau code foncier au Burundi? in l’Afrique des grands lacs. An-
   nuaire 2009-2010, pp 67-98.
42 Iwacu, Les femmes sont discriminées, disponible sur http://www.iwacu-burundi.org/les-femmes-s
   ont-discriminees/ (visité le 1/12/2013)..
43 «Dans les milieux ruraux, il n’y a pratiquement plus rien à partager. Ainsi, il pense qu’introduire
   une nouvelle donne revient à déstabiliser les relations sociales : «Visiblement, les femmes des mi-
   lieux ruraux ne veulent pas être à la base de cette déstabilisation. » Iwacu, Succession : l’absence
   de la loi discrimine les Burundaises disponible sur http://www.iwacu-burundi.org/succession-labse
   nce-de-la-loi-discrimine-les-burundaises/ (visité le 12/8/2014).
44 KOLHAGGEN D.

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                         Open Access –              - http://www.nomos-elibrary.de/agb
« L’apport du nouveau code foncier en matière de résolution des conflits au Burundi ».

loi sur les successions a été mis dans les tiroirs du gouvernement; ce qui ne décourage pas
les associations féminines. Selon Anne-Spès NISHIMWE, coordinatrice de la CAFOB :

       « même si le président de la République a empêché que cette loi soit évoquée, elle
       indique que les femmes ne vont pas renoncer, car l’objectif est d’avoir une base lé-
       gale sur les successions et les régimes matrimoniaux. Par ailleurs, elle rappelle qu’il
       ne s’agit pas d’une loi pour les femmes, mais pour tout le monde. Elle ne va pas fa-
       voriser les uns au détriment des autres, car si une femme mariée hérite chez ses pa-
       rents, c’est un plus pour son époux. »45.

Ainsi, nous pensons que le législateur devait légiférer et lever le flou dans ce domaine, pour
éviter les conflits fonciers qui déchirent le tissu social et les relations familiales.

Section II. Apport du nouveau code foncier en matière de sécurisation foncière.

Parmi les causes des conflits fonciers figure la difficulté pour la population de prouver son
droit de propriété par un écrit émanant de l’administration qui est facilement opposable aux
tiers. Le code foncier de 1986 avait dans la continuité de la législation coloniale opté pour
le régime d’immatriculation. Le régime de l’immatriculation ou de l’enregistrement des
terres mis en place au Burundi par l’Administration tutélaire belge et confirmé par le Bu-
rundi indépendant est directement inspiré par le « Real Property Act » de 1861 édicté par
l’Autorité britannique en Australie et connu sous l’appellation de loi TORRENS ou de
« TORRENS ACT » (du nom de son initiateur Gouverneur d’alors, Sir Robert Richard
TORRENS). Etant donné que ce système exigeait des moyens humains techniques et finan-
ciers exorbitants, la Couronne britannique rendit disponibles de larges moyens matériels et
financiers pour couvrir les opérations de mesurage, de cadastrage, de bornage et de déli-
vrance des titres fonciers à la suite de l’immatriculation des terres prises en possession par
les colons. Ce système d’immatriculation des terres, offrant à la propriété foncière enregis-
trée au Service des Titres Fonciers, une grande sécurité couverte par le titre de propriété
délivré (« deed »), une localisation parfaite ainsi qu’une grande facilité de transactions per-
mettant par ailleurs une large possibilité de crédit aux colons propriétaires fonciers46. Du
jour de l’immatriculation foncière, le droit de propriété, matérialisé par le certificat d’enre-
gistrement délivré, devient irrécusables et inattaquable en ce sens que ce certificat est doté
d’une force probante très solide.
     En s’inspirant de ce système, le législateur colonial tablait, au Burundi comme dans le
reste des colonies, sur les avantages de sécurité, de confiance que le régime de l’immatricu-
lation pourrait procurer aux colons, aux étrangers et aux rares Burundais proches des co-

45 Iwacu, Succession : l’absence de la loi discrimine les Burundaises disponible sur http://www.iwac
   u-burundi.org/succession-labsence-de-la-loi-discrimine-les-burundaises/ (visité le 12/8/2014).
46 Pour plus de précisions, voir Didace NIMPAGARITSE : Organisation foncière et disparité des sta-
   tuts immobiliers au Burundi. Arrière-plan historique; courbes de développement; nécessité d’inté-
   grer un nouveau droit. Thèse de doctorat spécial. Université Libre de Bruxelles, 1983, pp.482 et s.

                                                                                                 739
                         https://doi.org/10.5771/2363-6262-2014-4-726, am 08.01.2022, 05:56:00
                              Open Access –              - http://www.nomos-elibrary.de/agb
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