No. 04 - Accès à l'information et limites de la transparence vis-à-vis du public - NATO
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No. 04 Accès à l’information et limites de la transparence vis-à-vis du public
CENTRE POUR L’INTÉGRITÉ DANS LE SECTEUR DE LA DÉFENSE Le Centre pour l’intégrité dans le secteur de la défense (CIDS) favorise l’intégrité, les mesures de lutte contre la corruption et la bonne gouvernance dans le secteur de la défense. En collaboration avec ses partenaires norvégiens et internationaux, il a pour but de renforcer les compétences, de sensibiliser l’opinion et de fournir des moyens pratiques afin de limiter les risques de corruption. Le CIDS a été créé en 2012 par le ministère de la Défense norvégien. Les opinions contenues dans le présent livret sont celles de l’auteur et ne reflètent pas néces- sairement celles du ministère de la Défense norvégien, qui ne saurait en aucun cas en être tenu responsable. À PROPOS DE L’AUTEUR Expert international associé au CIDS, Francisco Cardona est un spécialiste renom- mé de l’élaboration et l’évaluation des ré- formes de la fonction publique et de l’admi- nistration publique, du droit et de la justice administratifs, des politiques de lutte contre la corruption et du renforcement des institu- tions. Son expérience s’étend de son Espagne natale, où il a poursuivi une carrière dans la fonction publique, aux organisations interna- tionales, notamment au programme SIGMA de l’OCDE, où il a passé 15 ans en tant qu’ana- lyste principal de politiques dans le domaine de la gouvernance publique. Il conseillait alors 25 pays en transition et en développement d’Europe de l’Est, d’Afrique, d’Amérique latine et de la région des Caraïbes. Juriste diplômé de l’université de Valence (1976), il est titu- laire de plusieurs masters d’administration pu- blique.
AVANT-PROPOS Guides to Good Governance Le CIDS publie aujourd’hui le quatrième livret Ce guide a été rédigé par Francisco Cardona, de la série des Guides de bonne gouvernance. expert international de haut niveau au CIDS. Nous avons pour objectif, au travers de ces Je tiens à le remercier de nous avoir fait béné- derniers, de faire le point sur des probléma- ficier de ses compétences et de sa longue ex- tiques clés touchant à la « bonne gouvernance périence. ». Concises sans tomber dans la simplification à outrance, ces brochures s’adressent à un vaste Je voudrais également adresser mes remercie- public. ments à Ingrid Busterud, rédactrice, qui assuré la mise en forme de cette brochure. L’auteur s’est efforcé de présenter de manière synthétique les meilleures pratiques qui, au Nous espérons que cette contribution à la niveau international, régissent l’accès du pub- bonne gouvernance pourra être mise à profit lic aux informations. Il est en effet malaisé de par un vaste public, tant au sein du secteur de trouver le bon équilibre entre cette exigence la défense qu’en dehors de celui-ci. L’accès du et le souci légitime d’un État de protéger cer- public aux informations s’avère essentiel dans taines données afin, entre autres, de préserv- une société libre et démocratique et constitue er la sûreté et la sécurité du pays et de ses un des piliers de la bonne gouvernance. Le citoyens. C’est particulièrement le cas dans CIDS prendra connaissance avec intérêt des le domaine de la défense, où le secret reste observations que voudront bien lui faire par- jusqu’à un certain point indispensable. Mais il venir les lecteurs de cette brochure. arrive parfois que des considérations de sécu- rité nationales soient invoquées dans le seul Oslo, le 23 mai 2016 but de dissimuler des informations ayant voca- tion à être largement diffusée et qui devraient être portées sur la place publique. J’espère que nous sommes parvenus à trouver ce juste équilibre. Per Christensen Directeur du CIRD
«Gento ommolut velentium untis qui intiorent facipid ut as nones dolora di vel illaudiorpos vo- luptios nullace aquatat laccum sit ommossundel TABLE DES MATIÈRES magnit, sedit eseceaque prepe natur» INTRODUCTION........................................................................................................................................................ 3 UN « DROIT DE SAVOIR » EN DEVENIR.................................................................................... 4 LA TRANSPARENCE, OU COMMENT PASSER D’UNE VALEUR ABSTRAITE À DES PRATIQUES INSTITUTIONNALISÉES RELAYÉES PAR LES INSTITUTIONS DE POUVOIR. ...................................................................................... 7 UN ÉQUILIBRE DÉLICAT PAR RAPPORT À D’AUTRES VALEURS DU SERVICE PUBLIC........................................................................................................................................ 10 LIBRE ACCÈS À L’INFORMATION ET CONFIDENTIALITÉ DES SECRETS D’ÉTAT. ..................................................................................................................................... 10 LIBRE ACCÈS À L’INFORMATION ET PROTECTION DES LANCEURS D’ALERTE............................................................................................................................................................ 14 CONCLUSIONS........................................................................................................................................................ 19 2
Introduction L’information, la liberté d’expression et la Les principaux facteurs limitant la transpa- transparence jouent un rôle primordial en rence sont à mettre en lien avec la protec- démocratie ; c’est sur elles, en effet, que re- tion des secrets d’État et la protection de la posent la participation éclairée des citoyens vie privée. Bien que répondant à des préoc- au processus politique et, au bout du compte, cupations légitimes, ces restrictions doivent la protection des droits de l’homme. Pilier de être considérées comme des exceptions au la participation citoyenne, de la redevabilité principe fondamental d’un accès complet aux de la fonction publique et de la transparence informations. gouvernementale au sens large, l’accès à l’in- formation est indissociable de toute véritable La protection des secrets d’Etat est légitime démocratie. Il aide les individus à se forger une dans la mesure où elle est justifiée ; la trans- image plus positive d’eux-mêmes en tant que parence, elle, n’a pas besoin de justification. citoyens et réduit les risques d’autoritarisme, Mais ce principe est loin d’être appliqué dans de corruption et de mauvaise administration. de nombreux pays. De plus, le droit à l’infor- mation (« droit de savoir ») et la protection des Cette brochure explique comment la transpa- secrets d’État sont des notions aux finalités rence est en train de s’ériger en vertu publique opposées. Ceci explique pourquoi l’idée – er- dans de nombreux pays. La transparence est ronée – selon laquelle sécurité nationale et devenue emblématique de la bonne gouver- défense nationale doivent, par définition, res- nance. Plus un État se montre ouvert et trans- ter en dehors du champ législatif et échapper parent, plus son système de gouvernance pu- au contrôle du citoyen est encore très répan- blique aura des chances d’être efficace. due aujourd’hui. Nous allons nous pencher sur la manière dont L’auteur s’est délibérément abstenu d’aborder la transparence s’impose progressivement la protection des données privées (person- dans les pratiques administratives en usage nelles ou à caractère commercial) pour centrer dans les pays de l’OCDE et de l’Union euro- son propos sur l’accès aux informations pré- péenne. Nous allons également épingler les sentant un intérêt pour le public. En effet, le limites auxquelles se heurte l’accès public à libre accès à ce type de données va logique- l’information, et verrons dans quelle mesure ment favoriser une gouvernance publique de l’on parvient – ou au contraire, l’on échoue – qualité tandis qu’à l’inverse, leur dissimulation aujourd’hui à abattre les obstacles à la transpa- pourra remettre en question la qualité des ré- rence dans les pratiques administratives. gimes et de la gouvernance démocratiques. 3
Un « droit de savoir » en devenir De plus en plus de voix s’élèvent aujourd’hui possible du principe d’ouverture » et rappelle pour demander une transparence et une liber- que « tout citoyen de l’Union et toute per- té d’information plus poussées. Quelque 105 sonne physique ou morale résidant ou ayant pays se sont dotés, à ce jour, de lois plus ou son siège statutaire dans un État membre a un moins abouties et vastes sur l’accès public à droit d’accès aux documents des institutions, l’information.1 De même, les gouvernements organes et organismes de l’Union, quel que sont nombreux à rejoindre le Partenariat pour soit leur support ». De même, la Charte des un gouvernement ouvert, alliance mondiale droits fondamentaux de l’Union européenne, œuvrant pour la transparence créée en 2011. dorénavant contraignante pour tous les États En 2015, cette organisation réunissait 66 membres, garantit explicitement « le droit pays.2 d’accès de toute personne au dossier qui la concerne » (article 41) et le droit d’accès aux Les organes internationaux de défense des documents des institutions européennes (ar- droits de l’homme comme le Comité des ticle 42). droits de l’homme de l’ONU (2011), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (2006) Le programme SIGMA de l’OCDE nous ap- et la Cour européenne des droits de l’homme prend que le droit d’accès aux documents (2009 et 2013) ont décrété que l’accès aux in- administratifs n’a été reconnu que récem- formations détenues par des organes publics ment en tant que droit fondamental. Certes, constitue un droit de l’homme, et cette inter- la transparence administrative était considérée prétation est partagée par l’Union européenne depuis longtemps comme une idée attrayante dans le Traité de Lisbonne de 2010 (article 15 dans de nombreux pays occidentaux, mais n’y du TUE). suscitait que peu d’intérêt. La Suède, où une réglementation sur la liberté de la presse a, L’article 15 du TUE dispose en effet que « dès 1766, introduit un principe d’accès public afin de promouvoir une bonne gouvernance aux documents officiels, offre à cet égard un et d’assurer la participation de la société ci- exemple à la fois précoce et remarquable. La vile, les institutions, organes et organismes de Finlande a introduit une réglementation sem- l’Union œuvrent dans le plus grand respect blable en 1951 et la Norvège ainsi que le Da- nemark lui ont emboîté le pas en 1970. Les 1 Classement mondial du droit à l’information (en anglais, RIT). Voir http://www.rti-rating.org/country-data États-Unis ont promulgué leur première Loi sur 2 Partenariat pour un gouvernement ouvert. Voir http://www. la liberté d’information (LLI) en 1966. opengovpartnership.org/ 4
L’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zé- Dans de nombreux pays, l’accès à l’information lande ont suivi le mouvement en 1982-83. est un droit de l’homme garanti par la Consti- Au Royaume-Uni et en Europe continentale, tution. On pourrait croire que les législations le principe de la transparence s’est heurté à nationales sur la liberté de l’information et une résistance plus forte. Dans un premier l’action menée au niveau international pour temps, il a été uniquement mis en œuvre au établir des normes en la matière combinent travers de Lois relatives aux procédures admi- leurs effets pour alimenter un élan inéluctable nistratives (LPA). Toutefois, au cours les deux en faveur de la transparence. Or, ce n’est pas dernières décennies, les lois sur la liberté de forcément le cas. La transparence en tant que l’information se sont multipliées, venant com- caractéristique de la gouvernance publique pléter cette « transparence procédurale ».3 continue aujourd’hui à se construire et, dans de nombreuses parties du monde, reste un En 1999, Yehezkel Dror a consacré une étude but à atteindre. à la nécessité de promouvoir la transparence et l’ouverture dans l’exercice du pouvoir. 4 Une démocratie de qualité passe certes par Après avoir conceptualisé ces notions en des élections libres et équitables, mais ces der- tant que normes et instruments, il concluait nières ne suffisent pas. Au cours des dernières que « le renforcement de la transparence et années, de processus électoraux réguliers ont de l’ouverture [devait] s’envisager de manière abouti, dans de nombreux cas, à la formation itérative dans le cadre de la mise à niveau per- de gouvernements autocratiques. Le rapport Freedom of the World 2015 de l’ONG Free- manente des capacités d’exercice du pouvoir dom House fait état, pour la neuvième année et du cheminement vers une ‘ démocratie de consécutive, d’une chute globale des libertés.6 qualité’ au sens large ». Dans la même veine, Et il épingle des phénomènes inquiétants en Amartya Sen (1999) avance que la garantie de train de se développer dans différents pays – transparence est une liberté fondamentale clé surveillance d’État, restrictions imposées aux qui contribue à la liberté des individus et aide communications par l’internet ou atteintes à à réduire la corruption.5 l’autonomie individuelle. Le rapport signale par 3 OCDE. 2010. « Le droit à des administrations publiques ouvertes en ailleurs que la liberté n’a pas cours dans 26 % Europe – Normes juridiques émergentes ». Documents SIGMA, No. 46. des pays du monde. Enfin, on observe, dans Éditions OCDE, Paris.: http://dx.doi.org/10.1787/5km4g0zfqt27-fr 4 Dror, Yehezkel. 1999. « Transparency and Openness of Quality certains pays, des tentatives de revenir sur les Democracy ». Openness and Transparency in Governance: Challenges and Opportunities. M. Kelly, Ed. Maastricht: NISPAcee Forum, 1999, 25–43. 6 Freedom House. 2015. « Freedom in the World 2015 ». Voir: 5 Sen, Amartya. 1999. Development as Freedom. Anchor Books, Alfred https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world- A. Knopf Inc. Publisher New York, pp. 38-40. 2015?gclid=CLHLztT0o8gCFafnwgodQEMKkw#.Vg6JEfntmkp 5
avancées qui devaient permettre aux citoyens pression, on assiste de plus en plus, dans de d’exercer leur « droit de savoir » vis-à-vis de nombreuses sociétés et parfois même jusqu’en leurs gouvernements. Europe, à une dérive inquiétante vers le totali- tarisme et l’autoritarisme. Comment interpré- C’est ainsi qu’au cours de l’été 2015, on pou- ter ce paradoxe ? Comment gérer les consé- vait lire à la une d’un quotidien britannique : quences de ces tendances contradictoires ? « Right to know in peril as Government targets Freedom of Information » (le droit à l’informa- Comment se fait-il, alors que la transparence tion compromis par les tentatives du gouver- des pratiques gouvernementales a le vent en nement de restreindre la liberté d’informa- poupe au niveau international, que certaines tion).7 Le 26 juillet 2014, le premier ministre des divulgations d’informations les plus mar- hongrois Viktor Orban annonçait sa volonté quantes de ces dernières années, qu’il s’agisse d’abandonner la démocratie libérale en faveur de comportements de certains fonctionnaires d’un « État illibéral », à l’exemple de la Russie ou de politiques publiques douteuses, soient et de la Turquie.8 Étudiée et définie dans le dé- le résultat de fuites massives (Snowden, Wiki- tail par Fared Zakaria en 1997, la notion de leaks, Manning, Lux-Leaks, Panama Papers, démocratie illibérale décrit des États officielle- etc.) ? Celles-ci auraient-elles pu être évitées ment démocratiques mais dépourvus de droits individuels constitutionnels et d’institutions « si les gouvernements avaient instauré des po- destinées à protéger l’autonomie et la dignité litiques de transparence mieux pensées ? de l’individu face à la coercition d’où qu’elle vienne – de l’État, de l’église ou de la société Ce document reviendra notamment sur la ma- ».9 Par contraste, la démocratie libérale sup- nière dont il convient de mener l’institution- pose que le pouvoir soit tenu, à tous égards, nalisation concrète de ces grandes valeurs de rendre des comptes. Comme le rappelait démocratiques abstraites que sont la transpa- Fukuyama, « un gouvernement est respon- rence et le droit à l’information. Comme Han- sable quand les dirigeants considèrent qu’ils na Arendt, nous partirons du principe selon ont des responsabilités envers la population qu’ils gouvernent et placent l’intérêt des admi- lequel la liberté et la démocratie ne sont pas nistrés au-dessus du leur ».10 concevables en l’absence d’institutions appe- lées à les préserver. Au cœur de la réflexion de Alors que nombre d’institutions internatio- Hanna Arendt, il y a la certitude que la liberté nales et de gouvernements nationaux font ne peut exister en dehors d’un cadre institu- l’apologie de valeurs démocratiques reposant tionnel. Tout comme Montesquieu avant elle, sur l’accès à l’information et la liberté d’ex- Arendt considérait en effet que pouvoir et li- berté sont indissociables.11 7 The Independent. 17 juillet 2015. Voir http://www.independent. co.uk/news/uk/home-news/the-end-of-foi-right-to-know-in-peril-as- government-targets-freedom-of-information-10397935.html 8 Simon, Zoltan. « Orban says he seeks to end liberal democracy in Hungary ». Bloomberg. 28 juillet 2014. http://www.bloomberg. com/news/articles/2014-07-28/orban-says-he-seeks-to-end-liberal- democracy-in-hungary 9 Zakaria, Fareed. 1997. « The Rise of Illiberal Democracy ». Foreign Affairs, Vol. 76, Nº 6, nov-déc 1997, pages 22-43. Voir également : https://www.foreignaffairs.com/articles/1997-11-01/rise-illiberal- democrac 11 Berkowitz, Roger. 2012. Jacques Rancière and Hanna Arendt on 10 Fukuyama, Francis. 2012. The Origins of Political Order. London: Democratic Politics, dans Hanna Arendt Center-Bard College. Voir http:// Profile Books. 321. www.hannaharendtcenter.org/?p=14131 6
La transparence, ou comment passer d’une valeur abstraite à des pratiques institutionnalisées relayées par les insti- tutions de pouvoir Le droit à l’information (« droit de savoir ») nada. C’est dans ces pays également que les reste lettre morte s’il ne peut s’appuyer sur comités de rédaction seraient les moins assu- des institutions publiques garantes du libre jettis aux annonceurs.12 L’État a certes un rôle accès à l’information. L’élan international en décisif à jouer dans la protection du droit à l’in- faveur d’un accès plus facile à l’information formation des citoyens mais dans les pays cités et les déclarations des milieux internationaux plus haut, les médias du secteur privé peuvent érigeant l’accès à l’information en droit de agir en complément de l’État en diffusant des l’homme ne mèneront nulle part s’il n’existe informations fiables présentant un intérêt pour pas d’institutions nationales chargées de les le public. mettre en œuvre, ou si ces dernières ne dis- posent pas des moyens nécessaires. Il devient clair, de nos jours, que le droit à l’in- formation est indissociable du droit à la libre La forme que prendront ces institutions cen- expression. Cette approche a été confirmée sées préserver l’accès aux informations sera par la Cour interaméricaine des droits de fonction des circonstances propres à chaque l’homme en 2006 ainsi que par la Cour euro- environnement national. Il y a gros à parier péenne des droits de l’homme en 2009 et en que les pays dépourvus d’institutions démo- 2013.13 Dans le même ordre d’idées, le Co- cratiques opérationnelles éprouveront les mité des droits de l’homme de l’ONU, dans pires difficultés à garantir non seulement l’ac- son Observation générale N° 34 du 29 juillet cès aux informations présentant un intérêt 2011, a fait sienne l’idée selon laquelle le libre pour le public, mais également d’autres droits accès aux informations détenues par les orga- fondamentaux des citoyens. nismes publics et les entités privées constitue un droit fondamental, lequel ressortit au droit Les pays plus avancés, en particulier ceux où incontournable à la liberté d’expression inscrit opèrent des médias suffisamment indépen- 12 Indice mondial de la transparence des médias. 2014. Voir http:// dants et professionnels, seront normalement www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2014/12/WFA_MEDIA_ mieux équipés pour garantir le droit à l’infor- TransparencyIndex_Feb2014.pdf 13 Cour interaméricaine des droits de l’homme, affaire Claude Reyes mation, que ce soit dans le secteur public ou et al. c. Chili, arrêt du 19 septembre 2006 (http://www.corteidh.or.cr/ docs/casos/articulos/seriec_151_ing.pdf) et Cour européenne des privé. D’après l’enquête réalisée en 2014 au- droits de l’homme, affaire Case Társaság a Szabadságjogokért (Union près de la Fédération mondiale des annonceurs, hongroise des libertés civiles) c. Hongrie, arrêt du 14 avril 2009 ; (http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-92171 ); Cour européenne la propriété des médias serait plus transparente des droits de l’homme, affaire Initiative des jeunes pour les droits de l’homme c. Serbie, arrêt du 25 juin 2013 (http://hudoc.echr.coe.int/ en France, dans les pays scandinaves et au Ca- eng?i=001-120955). 7
à l’article 19 du Pacte international relatif aux Le cadre juridique en question sera générale- droits civils et politiques de 1948.14 ment constitué, d’une part, d’une loi relative à la liberté de l’information (LLI) énonçant des De plus, la Cour européenne des droits de dispositions juridiques de base et détaillant l’homme, dans les affaires Guja c. Moldova les mécanismes de gestion mis en place et (arrêt du 12 février 2008) et Heinisch c. Al- d’autre part, d’institutions chargées préser- lemagne (arrêt du 21 octobre 2011), invoque ver l’accès à l’information – commissariats à l’article 10 de la Convention européenne des l’information, organismes dédiés, etc. Il devra droits de l’homme relative à la protection de la également prévoir des dispositions relatives liberté d’expression15 pour justifier la protec- à la protection des lanceurs d’alerte, matière tion des lanceurs d’alerte. particulièrement complexe justifiant, comme le recommande l’OCDE, une législation séparée Il est donc fondé, sur le plan des concepts, et distincte.17 de faire le lien entre le droit à l’information et la protection des lanceurs d’alerte car l’un Par ailleurs, aucun système institutionnalisé comme l’autre sont des manifestations du visant à défendre le droit à l’information ne droit à la liberté de parole et du droit du public peut fonctionner correctement en l’absence à savoir ce qui se passe au sein des instances de procédures claires et formalisées destinées publiques. Le libre accès aux informations à éliminer les possibilités d’abus de pouvoirs d’intérêt public n’est pas complet si le lance- discrétionnaires et à motiver, à tous les ni- ment d’alerte ne bénéficie pas de la protection veaux, les fonctionnaires chargés de sa mise solide accordée aux droits et aux devoirs ci- en œuvre (c’est ainsi qu’il faudra, entre autres, viques. La jurisprudence des tribunaux inter- trouver le bon équilibre entre l’obligation de nationaux a d’ailleurs tendance à faire le lien confidentialité incombant à ces derniers et le entre protection de l’accès à l’information, li- droit du public à accéder à l’information). Ces berté d’expression et participation active des procédures doivent par ailleurs encourager individus à la vie publique. tous les niveaux de l’administration à donner l’exemple en s’engageant à communiquer l’in- L’institutionnalisation du droit à l’information formation dans leur pratique quotidienne, tout passe par la mise en place d’un cadre juri- particulièrement dans le cadre de la gestion dique approprié et de procédures de gestion des dossiers, du traitement des demandes et efficaces qui, en conjuguant leurs effets, per- de la divulgation proactive. Ces trois tâches se mettent de rompre avec la culture du secret et trouvent en effet au cœur de l’institutionnali- de la dissimulation jusqu’ici omniprésente et sation du droit à l’information.18 de promouvoir une culture de la transparence. Le passage du culte du secret à la transpa- rence et à l’accès à l’information sera parfois long et semé d’embûches, et ce même dans transparency-little-less-free?cid1=cust/noenew/n/n/n/20151123n/ des démocraties accomplies, comme on peut owned/n/n/nwl/n/n/EU/email le constater au Royaume-Uni.16 17 OECD. 2011. « G20 Anti-Corruption Action Plan: Protection of Whistleblowers: Study on Whistleblower Protection Frameworks, Compendium of Best Practices and Guiding Principles for Legislation ». 14 Observation générale N° 34 du Comité des droits de l’homme de Voir: http://www.oecd.org/daf/anti-bribery/48972967.pdf l’ONU : http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/docs/gc34.pdf 18 Trapnell, Stephanie E. et Lemieux, Victoria L. 2015. « Transparency 15 Cour européenne des droits de l’homme, affaires Guja c. Moldova in the Public Sector: Drivers of Effectiveness in Right to Information (http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-85016) et Heinisch c. Allemagne Implementation ». Exposé présenté lors de la 4e conférence mondiale (http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-105777) sur la recherche en matière de transparence. Università della Svizzera 16 The Economist. 21 novembre 2015. « Freedom of Information: italiana, Lugano, Suisse, 4-6 juin, 2015, page 13. Voir : http://www. A little less free. The government seems keen to cloud public- transparency.usi.ch/sites/www.transparency.usi.ch/files/media/trapnell_ sector transparency ». Voir http://www.economist.com/news/ lemieux_transparency_in_the_public_sector_drivers_of_effectiveness_in_ britain/21678823-government-seems-keen-cloud-public-sector- right_to_infromation_implementation.pdf 8
Les législations nationales et les normes inter- Toujours d’après cette étude, 76 % des com- nationales touchant à l’accès à l’information missariats à l’information sont des instances contiennent certains éléments clés dont on quasi judiciaires indépendantes habilitées à pourra s’inspirer pour institutionnaliser ce der- prendre des décisions contraignantes auxquels nier. Ainsi, l’accès à l’information est un droit le défendeur sera tenu de se plier, les 24 % universel devant s’appliquer à l’ensemble des restants ne pouvant qu’émettre des recom- informations détenues par tous les organismes publics (sauf si leur non-divulgation est justi- mandations. Dans ce second cas de figure, fiée comme il se doit) ; ce droit peut s’exercer l’approche pratiquée est celle de l’ombudsman, en dehors de tout paiement, et sans avoir à qui cherche avant tout à régler les différends fournir de motifs ; les demandes doivent re- par la médiation ou la conciliation. Certains cevoir une réponse aussi rapide que possible, commissariats à l’information jouissant d’un dans les 20 jours ouvrables au maximum (la statut quasi judiciaire sont également habilités majorité des lois nationales en vigueur pré- à mobiliser des mécanismes coercitifs. C’est voient un délai compris entre 15 et 30 jours) ainsi qu’ils peuvent faire appel à la police pour ; il ne souffre que de rares exceptions et doit la recherche d’informations, comme c’est le faire l’objet de tests de nuisibilité et d’évalua- tion de l’intérêt public ; enfin, une fonction de cas en Slovénie. supervision doit être assurée par un organe in- dépendant, le plus souvent un bureau de mé- Quatre-vingt-cinq pourcent des commis- diation ou un commissariat à l’information. Il saires à l’information habilités à ordonner la faut également que les individus exerçant leur divulgation d’informations ou à imposer d’au- droit d’accéder à l’information aient la possi- tres décisions indiquent que les autorités se bilité de saisir les autorités judiciaires (Darbi- plient à ces dernières dans la totalité ou dans shire, page 13).19 la grande majorité des cas. Par contraste, au- cun des commissaires uniquement habilités à Les autorités chargées de la protection du émettre des recommandations n’a signalé que droit à l’information varient selon les pays, de ses décisions étaient systématiquement suiv- même que les pouvoirs juridiques dont elles ies d’effets, et 45 % seulement d’entre eux ont sont investies. Selon une enquête relativement récente du Centre pour la liberté de l’infor- déclaré que leurs décisions étaient appliquées mation de l’Université de Dundee, en Écosse dans la plupart des cas. (publiée en septembre 2013, puis actualisée en novembre 2014), les spécialistes employés par les commissariats nationaux à l’information doivent, dans de nombreux pays, être issus du monde juridique (avocats, juges, etc.). Il leur faut également obéir à certaines conditions (li- mite d’âge, non-affiliation à un parti politique, solide expérience en matière de gestion, etc.), différentes selon les pays.20 19 Darbishire, Helen. 2015. « Critical Perspectives on Freedom of Expression: Ten Challenges for the Right to Information in the Era of Mega-Leaks », in McGonagle, Tarlach and Donders, Yvonne, ed.: The United Nations and Freedom of Expression and Information Critical Perspectives. Cambridge University Press. 20 Centre for Freedom of Information. 2014. « International Survey of Information Commissioners and Ombudsmen ». Voir : http://www. centrefoi.org.uk/research.php 9
Un équilibre délicat par rapport à d’autres valeurs du service public Autrefois, à l’époque des régimes absolu- secret qui avait entouré jusque là l’exercice tistes ou autoritaires, l’exercice du pouvoir du pouvoir a commencé à faiblir au profit de politique reposait sur le secret, principe cher la légitimité rationnelle de la transparence.22 aux dirigeants et solidement ancré dans les institutions sous le nom d’arcanes du pou- Il n’empêche que dans de nombreux pays, y voir (arcana imperii)21. Les décisions politiques compris dans les démocraties plus dévelop- étaient la prérogative exclusive du souverain, pées, il reste difficile de trouver le juste équi- qui n’avait nulle obligation de s’en justifier libre entre d’une part, des notions comme la auprès de ses sujets. La décision participa- liberté d’accès à l’information, la protection tive était battue en brèche par la notion de des lanceurs d’alerte, la protection des don- pouvoir absolu. Alors que le souverain culti- nées personnelles et d’autre part, la confi- vait le privilège du secret, ses sujets devaient dentialité et le secret d’État tels qu’ils sont se plier aux exigences des cadres sociaux et définis. économiques, qui conféraient au dirigeant le pouvoir quasi illimité de pénétrer dans leurs vies et d’y exercer un droit de regard. LIBRE ACCÈS À L’INFORMATION ET CON- FIDENTIALITÉ DES SECRETS D’ÉTAT La pratique classique des arcana imperii est L’avènement des Lumières a marqué un vi- revenue à l’avant-plan avec l’institutionnali- rage radical dans la perception du secret et sation des secrets d’État dans tous les pays de la transparence en politique. Le secret a nés du Congrès de Vienne (1815). Elle a pris été remis en question, et le pouvoir du mo- la forme, en Angleterre, du Privilège de se- narque sur la vie et les biens des individus cret d’État (SSP) qui conférait au monarque le a commencé à se réduire progressivement. droit absolu de refuser de partager les infor- Avec l’ancrage progressif du concept de « mations avec le Parlement ou les tribunaux droits de l’homme et du citoyen » proclamé (« secret de la Couronne »). Durant la Guerre par la Révolution française, la légitimité du froide, la Cour suprême des États-Unis a ac- 21 L’expression latine arcana imperii renvoie à la nécessité, pour le cepté pratiquement sans réserve l’invocation, pouvoir politique, de préserver le caractère secret de l’ensemble de ses actes et processus décisionnels. Il importait en effet, pour un exercice par le gouvernement, du privilège de secret efficace du pouvoir, que les rouages du système restent invisibles aux yeux des sujets. Les actes du monarque devaient, autant que possible, rester mystérieux et cachés au public, ce qui avait pour résultat 22 Pour en savoir plus sur l’évolution historique du secret et de la d’assimiler l’exercice du pouvoir à une fonction religieuse ou sacerdotale. transparence, voir Dorothée Riese, 2014. « Secrecy and Transparency Logiquement, les monarques gouvernaient au nom de Dieu. Aujourd’hui, », exposé présenté lors de la conférence générale de l’ECPR tenue à on utilise l’expression arcanes du pouvoir pour évoquer les « secrets Glasgow du 3 au 6 septembre 2014. Voir: http://ecpr.eu/Filestore/ d’État », la « raison d’État » ou, plus généralement, l’« art de gouverner ». PaperProposal/2cedead9-5191-42de-ae36-7d320a28a304.pdf 10
d’État (SSP) ou « privilège de l’exécutif » dans moment où l’on s’appuie sur un concept si le cadre de l’affaire Reynolds c. États-Unis imprécis, le risque est grand de voir l’exécutif (1953). Pour invoquer le SSP, le gouverne- ou les services secrets dissimuler l’informa- ment de ce pays doit émettre une déclara- tion sur la base de critères arbitraires.23 tion sous serment (affidavit) attestant qu’une action en justice risquerait de déboucher En dépit des déclarations solennelles des sur la divulgation de secrets susceptibles de juristes selon lesquelles la transparence menacer la sécurité nationale, et demander constituerait la règle et le secret, l’exception, ensuite au tribunal de rejeter l’action pour ce on constate, dans la grande majorité des seul motif. Aujourd’hui, la culture politique vingt pays couverts par l’étude de Jacobsen démocratique dominante érige l’ouverture et (note 24) que la loi ne favorise pas la divul- la transparence en vertus, et relègue le secret gation d’informations à partir du moment où et la dissimulation au rang des vices. Dans ce il existe un doute quant aux atteintes pou- contexte, la prérogative qu’a l’État de classi- vant en résulter pour la sécurité nationale. fier certaines informations comme secrètes Quelques pays seulement ont opté pour la est largement remise en question, en raison divulgation en cas de doute, à savoir la Bel- peut-être des nombreux abus qu’elle a sus- gique (aussi longtemps que l’information li- cités. Nombreux sont ceux qui considèrent tigieuse n’est pas classifiée), la Suède et la que l’intérêt public, et donc l’intérêt national, Norvège sachant toutefois que dans ce der- est mieux protégé par la transparence que nier cas, l’information générée par certaines par le secret, ce dernier étant perçu comme entités officielles (comme les services de ren- un instrument mis au service des intérêts ou seignement militaire, par exemple) sera auto- des projets personnels d’individus aspirant matiquement classifiée et que sa divulgation plus au pouvoir politique ou bureaucratique sera soumise au bon vouloir des autorités en qu’à l’intérêt général de la population. question (Jacobsen). Un des principaux problèmes liés aux secrets En général, les législations relatives à la divul- d’État tient au fait que ces derniers sont cen- gation d’informations classifiées en vigueur sés préserver la sécurité ou la défense na- dans les pays de l’OCDE et de l’UE (à l’ex- tionale, … notions imprécises pour lesquelles ception de la Suède) n’abordent pas la notion il n’existe pas de définition claire. C’est ainsi d’intérêt général. En Allemagne, par exemple, que nombre de législations nationales uti- les textes ne font référence à l’intérêt général lisent les termes sécurité nationale, sécurité qu’à partir du moment où le public a intérêt à d’État, sécurité publique, défense nationale, ce que le secret de l’information soit mainte- intérêt national, secrets d’État, sécurité du nu, et non pas à ce qu’il soit levé. royaume/de la république, etc. de manière interchangeable. Les gouvernements, par On notera cependant que certains pays ont les législations sur l’accès à l’information ou voulu limiter les restrictions pesant sur l’ac- sur les secrets d’État officiels, instaurent une cès aux informations. Des matières comme dichotomie renvoyant dos-à-dos ce concept flou, non défini dans les législations natio- 23 Jacobsen, Amanda L. 2013. « National Security and the Right nales, et les demandes d’information du to Information in Europe ». http://www.right2info.org/resources/ publications/national-security-page/national-security-expert-papers/ citoyen. Autrement dit, le libre accès à l’in- jacobsen_nat-sec-and-rti-in-europe formation est entravé par le secret d’État, Voir également : Bigo, Didier et al. 2014. « National Security and Secret Evidence in Legislation and Before the Courts: Exploring the alors que celui-ci ne répond à aucune norme Challenges ». Parlement européen. Étude demandée par la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Voir : http:// reconnue de sécurité juridique. À partir du www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2014/509991/ IPOL_STU(2014)509991_EN.pdf 11
les violations des droits de l’homme, l’exis- législation britannique institue toutefois, tence ou non d’une entité gouvernementale pour certaines matières, une « exemption (agence d’espionnage, équipes opération- conditionnelle de catégorie » (qualified class nelles de police spéciale, etc.) ou les problé- exemption) prévoyant la réalisation d’un test matiques liées à la protection de l’environ- de nuisibilité et obligeant l’autorité détenant nement ne peuvent échapper au libre accès l’information à prouver le caractère préjudi- à l’information. Dans certains pays, comme ciable de cette dernière. la Suède, la classification d’informations en vue de dissimuler une infraction pénale, un Tous les pays de l’Union européenne pré- abus de pouvoir ou d’autres comportements voient la possibilité de se pourvoir en justice illégaux dans le chef d’agents publics est contre une décision refusant l’accès à des in- considérée sans effet. Malheureusement, il formations classifiées au nom de la sécurité n’en va pas de même dans nombre d’autres nationale. Seule la France fait exception. Les pays, où de telles informations peuvent être juges français ne sont pas autorisés, en effet, classifiées. à prendre connaissance de documents classi- fiés. Il existe bien une autorité administrative En matière de divulgation d’informations indépendante appelée CCSDN (Commission classifiées touchant à la sécurité ou la dé- consultative du secret de la défense nationale) fense nationale, les législations sur les se- ayant le droit d’accéder aux informations crets officiels en vigueur dans les pays euro- classifiées, mais elle sera uniquement habi- péens peuvent reposer sur deux approches litée à émettre un avis sur la question consi- (Cousido Gonzáles, 2015).24 Dans le premier dérée, et non pas à ordonner la déclassifica- cas (en Allemagne, Finlande, France, Portugal, tion d’un document. Italie, Lituanie, Pologne, ainsi qu’aux Pays-Bas et en Slovénie), la divulgation de ces infor- Il n’en va pas de même dans la grande ma- mations sera soumise à certaines exigences jorité des pays de l’OCDE et de l’UE, où un préalables, comme la réalisation de tests de juge peut ordonner la divulgation d’informa- nuisibilité tendant à démontrer que les élé- tions à partir du moment où il est convain- ments en question ne portent pas atteinte à cu que ces dernières n’ont pas besoin d’être la sécurité nationale. La Suède a adopté une couvertes par le secret, et ce même si une variante de cette approche, qui consiste à autorité administrative publique maintient évaluer le préjudice éventuel pour la sécurité que la rétention se justifie par des considé- nationale et à mettre ce dernier en balance rations de sécurité nationale. En Espagne, avec les avantages que pourrait retirer le pu- l’annulation d’un arrêt visant à classifier des blic d’une divulgation de ces informations. informations ne pourra être le fait d’un juge agissant à titre individuel, mais uniquement D’autres pays (Bulgarie, République tchèque, de la Cour suprême. Irlande, Croatie, Roumanie, Turquie et Royaume-Uni) ont décidé qu’aucun test de Dans l’OCDE ainsi que dans l’UE, les délais nuisibilité ou évaluation de l’intérêt d’une de maintien de la classification d’un docu- divulgation pour le public n’est d’application ment varient suivant les pays. Le plus sou- à partir du moment où la sécurité nationale vent, le délai prescrit sera de trente ans, est en jeu. Les informations en question ne généralement renouvelables, mais pourra seront tout simplement pas divulguées. La varier en fonction du niveau de classification 24 JGonzález, M.P.C. 2015. « Official Secrets and the Right of Access du document (très secret, secret, confidentiel in Spain after the Enactment of the Law on Transparency ». EJoCLI (2015) 21(2). Voir : http://webjcli.org/article/view/357/561 ou diffusion restreinte). Parfois (par exemple, 12
en Pologne, en Espagne et en Turquie), il n’y Pour résumer, la protection des secrets d’État aura pas de délai maximal. est légitime dans la mesure où est justifiée, tandis que la transparence n’a pas besoin Dans la majorité des pays, les membres du d’être justifiée. Ce principe est toutefois loin public ont la possibilité de solliciter la déclas- d’être appliqué dans de nombreux pays dé- sification d’informations, sachant toutefois mocratiques. En outre, le droit à l’information qu’ils pourront se voir opposer un refus pur et la protection des secrets d’État sont des et simple de la part des autorités, sur la base notions aux finalités opposées. L’idée selon de considérations purement discrétionnaires. laquelle la sécurité et la défense nationales devraient échapper au contrôle de la loi et au Dans tous les pays, la divulgation non auto- contrôle démocratique reste très répandue. risée d’informations classifiées est considé- rée une infraction pénale lorsque l’auteur On constate néanmoins qu’au fil du temps, des faits est un fonctionnaire s’étant vu ac- l’argument inverse – à savoir que la sécuri- corder l’accès à des informations classifiées. té et la défense nationales sont mieux pro- Cela étant, les régimes juridiques spéci- tégées à partir du moment où elles sont fiques applicables varient. Certains pays ne soumises au contrôle du public et peuvent poursuivent que les auteurs de divulgations faire l’objet de recours judiciaires – réunit de intentionnelles, alors que d’autres crimina- plus en plus de partisans. Cela dit, il ne faut lisent également les divulgations par négli- pas trop s’attendre à voir s’instaurer rapide- gence. Parfois également, il faudra produire ment un contrôle démocratique et juridique des preuves manifestes attestant qu’un in- plus poussé des agents de l’État traitant de térêt public important a été mis en péril du questions de sécurité et de défense. On se fait de la divulgation. Il est des pays où la trouve en effet dans un de ces domaines de sanction ne s’applique qu’à la personne qui la gouvernance étatique où, de nombreuses avait l’obligation de protéger les informations décisions demeurant soumises à l’apprécia- classifiées. Ailleurs, la responsabilité pénale tion des fonctionnaires, la primauté du droit sera universelle, en ce sens que toute per- (par opposition à l’arbitraire) reste largement sonne utilisant l’information obtenue de la absente. sorte pourra encourir une peine, journalistes compris. Enfin, la sévérité des peines varie Adoptés le 12 juin 2013 à Tshwane, près de également de pays à pays (de deux années Prétoria (Afrique du Sud), les Principes glo- d’emprisonnement au Danemark à la réclu- baux de Tshwane sur la sécurité nationale et sion à vie en Turquie). le droit à l’information ont marqué une étape importante sur la voie d’un juste équilibre La divulgation non autorisée d’informations entre le droit à l’information et la protection classifiées pose la question de la protection des secrets d’État liés à la sécurité et à la dé- légale des lanceurs d’alerte. Cette question fense nationales. Ce texte est le résultat de controversée sera examinée de manière plus travaux menés conjointement par des orga- approfondie dans la section suivante. La li- nisations de la société civile et des centres mitation du droit à l’information au motif de d’études en consultation avec des experts in- la confidentialité des secrets d’État oppose ternationaux et des rapporteurs spéciaux sur la légitimité démocratique du secret à la lé- la liberté d’expression, les droits de l’homme gitimité démocratique de la transparence, et la lutte contre le terrorisme mandatés par concept intrinsèquement associé à la notion différentes organisations intergouverne- de démocratie représentative. mentales comme l’Organisation des Nations 13
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