La Covid 19 et la politique de santé de l'Union européenne : de la crise à l'action collective

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Chapitre 2
La Covid‑19 et la politique de santé de l’Union
européenne : de la crise à l’action collective
Eleanor Brooks, Anniek de Ruijter et Scott L. Greer

Introduction : crise et action collective
Du mois de février 2020 au début du mois de mars, l’Union européenne (UE) ne s’est
pas montrée particulièrement utile ni efficace alors que débutait la crise de la Covid‑19
en Europe. Pour beaucoup, l’UE méritait à peine d’être mentionnée. Elle semblait être
mise sur la touche — non seulement incapable, mais ignorée par les États membres
dans la mesure où des principes fondamentaux de l’intégration européenne, tels que
l’ouverture des frontières et l’interdiction de la restriction des exportations, ont été
bafoués. Alors que la panique gagnait du terrain, les intérêts nationaux ont dominé.

Rétrospectivement, ce n’est pourtant pas la confusion initiale que l’on retient. C’est
plutôt la rapidité avec laquelle les États membres européens ont commencé à travailler
ensemble au cœur de l’une des plus grandes crises de santé publique qu’ils aient
jamais eu à affronter. Deux caractéristiques ont marqué pratiquement toute l’histoire
de la politique de santé publique de l’UE : la faiblesse de sa base juridique et le peu
d’enthousiasme des États membres à créer une politique de santé significative au
niveau de l’UE. La Covid‑19 est néanmoins en train de changer la donne. La portée et
l’importance de l’action de l’UE dans le domaine de la santé sont, en effet, appelées à
s’accroître sensiblement à l’avenir.

Jusqu’en mars et au début du mois d’avril 2020, la réponse immédiate de l’UE consistait à
coordonner le rapatriement des citoyens bloqués à l’étranger, à partager et à développer
conjointement les connaissances épidémiologiques pertinentes, à constituer des stocks
de fournitures essentielles, à rouvrir les frontières aux biens médicaux et essentiels, à
lancer des procédures d’achat conjointes pour les biens médicaux et les équipements de
protection, à déployer du personnel de santé et à débloquer de nouveaux fonds pour les
dépenses urgentes en matière de santé. Une fois passée la première vague de Covid‑19,
des propositions de mesures à plus long terme ont commencé à émerger. Outre une
stratégie de vaccination et l’accélération de la prochaine stratégie pharmaceutique, la
Commission européenne a également mis en place une nouvelle stratégie ambitieuse
en matière de santé — « L’UE pour la santé » — qui devrait bénéficier d’un budget
de 1,7 milliard d’euros (la précédente stratégie disposant d’un budget d’environ 450
millions d’euros) pour la période 2021-2027 (Commission européenne 2020a)1.

1.   En mai 2020, la Commission a proposé un budget de 9,4 milliards d’euros pour la santé publique. Lors du
     sommet du Conseil européen de juillet, ce chiffre a été ramené à 1,7 milliard d’euros. Le budget final est
     actuellement négocié par le Conseil européen et le Parlement européen et devrait être officiellement adopté avant
     la fin de l’année.

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Certains commentateurs et États membres ont critiqué la réponse européenne et l’ont
jugée insuffisante, tandis que d’autres ont appelé l’UE à jouer un rôle plus important
dans la réponse aux urgences sanitaires et dans le soutien aux systèmes nationaux de
santé. Bien qu’il n’y ait pas de propositions formelles pour étendre les compétences
officielles de l’UE en matière de santé, l’espace politique pour une reconfiguration de la
gouvernance de l’UE en matière de santé est désormais plus vaste et plus important que
jamais. La question est donc de savoir si cet espace — en tant que fenêtre d’opportunité
créée par une crise sanitaire urgente — pourrait conduire à une plus grande intégration
en matière de santé.

Sur la base de l’examen de la faible base juridique que les États membres ont offerte à
l’action de l’UE dans le domaine de la santé, ce chapitre soutient que l’UE a répondu
à la Covid‑19 exactement de la manière dont les États membres l’avaient prévu — en
n’étant à peine plus qu’un simple outil à disposition des gouvernements nationaux.
Nous poursuivons, cependant, en démontrant que la délimitation formelle dans
laquelle est circonscrite l’UE en temps de crise sanitaire a été relativement inefficace
pour empêcher la croissance de son influence dans le domaine de la santé publique
par le passé (de Ruijter 2019). Les événements de crise et les moments critiques qu’ils
produisent ont, à l’inverse, souvent entraîné une expansion du rôle de l’UE sur le long
terme (Greer 2009). Ce chapitre, qui décrit la réponse de l’UE à la Covid‑19 en matière
de santé publique, évalue la fenêtre d’opportunité actuelle et réfléchit au rôle futur de
l’UE dans le domaine de la santé. L’élargissement de l’espace politique, l’accroissement
du budget et une ode à la solidarité suggèrent-ils le début d’une Union européenne des
soins de santé plus impressionnante et plus redistributive (Vollaard et al. 2016), ou
bien l’UE continuera-t-elle à pratiquer une forme instable de fédéralisme de la santé,
fonctionnant principalement comme un État régulateur (Greer 2020a) ? En adoptant
un cadre passé-présent-futur, le reste de ce chapitre est organisé comme suit : la section
1 passe en revue l’évolution historique de la politique de santé de l’UE et les outils à sa
disposition lors de l’arrivée de la Covid‑19 en Europe. La section 2 décrit comment ces
outils ont été utilisés en réponse à la crise et les propositions de changements en matière
de politique de santé actuellement sur la table. Enfin, la section 3 se tourne vers l’avenir
et examine les perspectives de changement à la lumière de la réponse de l’UE à la crise.

1.	Le passé : le développement d’une politique européenne
    de la santé
L’inclusion de la santé dans les structures de l’UE remonte au traité de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier (CECA) de 1951 qui, en l’absence de dispositions
de sécurité sociale appropriées, a créé une exception de santé publique à la libre
circulation des travailleurs du charbon et de l’acier. La santé continuera à figurer ainsi,
en tant qu’exception justifiable aux règles de libre circulation, pendant des décennies.
Paradoxalement, ce cadre d’exception va s’avérer essentiel pour la croissance de
l’influence européenne dans le domaine de la santé (de Ruijter 2019 : 63). Dans le
contexte d’une UE bâtie par la construction et la réglementation des marchés, ce statut a
donné à la politique de santé trois facettes distinctes (Greer 2014) : a) des actions ciblant
la santé publique ; b) une législation touchant à la santé mais inscrite dans le cadre du

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marché intérieur ; et c) des mesures concernant la santé dans le cadre de la gouvernance
budgétaire. Ce cadre à trois facettes met en évidence les limites imposées par les traités
à l’action de l’UE en matière de santé et les différents outils de gouvernance dont elle
dispose pour répondre à une urgence sanitaire.

1.1	Politiques de santé publique de l’UE : mise en place d’une capacité
     limitée de réaction aux crises
L’article 168 (4), du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) confère
à l’UE les compétences nécessaires pour harmoniser les législations sanitaires des États
membres dans les domaines des organes et substances d’origine humaine, du sang
et des dérivés du sang, des produits pharmaceutiques et certaines mesures dans les
domaines vétérinaire et phytosanitaire. Toutefois, en ce qui concerne l’adoption de
mesures d’incitation pour lutter contre les menaces transfrontalières pour la santé, une
législation ordinaire est nécessaire. En dehors de l’article 168 du TFUE, l’UE a pour
mandat de protéger la santé par des actions dans les domaines de la protection des
consommateurs, de l’environnement et de la santé et de la sécurité au travail (SST). Ce
dernier domaine, couvert par l’article 153 du TFUE, a été particulièrement pertinent
pendant la crise de la Covid‑19, car les lieux de travail sont rapidement devenus des
sites de transmission essentiels, ouvrant ainsi une autre voie d’action au niveau de
l’UE. Dans d’autres domaines de la santé, l’UE se limite à « compléter », « encourager »
et « coordonner » les initiatives des États membres, notamment, au moyen de lignes
directrices, d’indicateurs et de suivi. Dans ce domaine, elle fait usage de pouvoirs plus
souples, en créant des forums et des plateformes de mise en réseau — la plateforme sur
l’alimentation, la nutrition et l’activité physique et le forum sur l’alcool et la santé sont
deux exemples clés de rassemblement de parties prenantes recherchant un consensus
sur les actions à entreprendre. L’UE met en place des centres d’expertise — tel que
le groupe d’experts sur la prévention du cancer, le groupe d’experts sur l’évaluation
des performances des systèmes de santé et le groupe d’experts sur les moyens efficaces
d’investir dans la santé — pour contribuer à l’élaboration d’orientations, de meilleures
pratiques et de recommandations communes. L’UE finance également des recherches
et des projets mettant en œuvre ses objectifs en matière de santé, généralement par
l’intermédiaire du programme de santé de l’UE (un instrument de financement destiné
à soutenir des projets de santé communs et coopératifs, voir le point 2.3 ci-dessous).
Elle dispose de vastes pouvoirs réglementaires pouvant impacter la santé, notamment,
par le biais des articles du traité relatifs à la politique sociale, à la santé, à la protection
des consommateurs et à l’environnement, ainsi qu’au marché intérieur. Il n’a cependant
pas toujours été facile d’y recourir afin de réaliser des objectifs ayant trait à la santé
(Bartlett et Naumann 2020).

Les outils de l’UE les plus pertinents en vue de répondre et de gérer des crises sont : la
surveillance et la collecte de données pour le contrôle des maladies transmissibles ainsi
que son mécanisme de protection civile. La lutte contre les maladies transmissibles
constitue un domaine classique de coopération internationale dans lequel les pays
européens travaillent ensemble par-delà les frontières depuis plus d’un siècle (de Ruijter
2019). Par ailleurs, l’UE finance de manière spécifique la surveillance des maladies

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transmissibles depuis les années 1980. La crise de l’encéphalopathie spongiforme
bovine (ESB) a eu un profond impact constitutionnel sur l’UE, qui a conduit à une
modification dans le traité d’Amsterdam lui donnant le pouvoir d’harmoniser les
politiques des États membres dans les domaines spécifiques des organes, des substances
d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang, et des mesures spécifiques dans les
domaines vétérinaire et phytosanitaire. Cette modification a été suivie d’une réponse
non coordonnée et inefficace à l’épidémie de SRAS en 2003, qui a conduit à la création
(en 2005) du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) —
un centre de coordination du suivi et de la collecte de données — et à la création de
l’unité 3C au sein de la Direction générale (DG) SANTE (Santé et sécurité alimentaire)
de la Commission européenne, pour répondre aux menaces sanitaires transfrontalières.
Le CEPCM a pour tâche d’évaluer les risques, en s’appuyant sur la surveillance et le
suivi, et de développer certaines stratégies de communication publique, bien qu’il ait
également commencé à développer certaines capacités opérationnelles et à déployer
des spécialistes dans les régions touchées une crise (Greer 2012). Il s’agit d’un réseau de
scientifiques, d’experts de la santé publique et d’organismes nationaux de lutte contre
les maladies transmissibles, dont la coordination est assurée de manière informelle
par une équipe de 300 personnes établies dans le siège de l’organisation, en Suède.
L’unité 3C coordonne les achats communs pour les contre-mesures médicales et son
directeur préside le Comité de sécurité sanitaire (CSS). Ce dernier fait partie du régime
de sécurité sanitaire de l’UE qui s’est développé après l’épidémie de grippe porcine,
mais qui était déjà en place, de manière informelle et intergouvernementale, depuis
2001 en réponse aux attentats du 11 septembre et aux attaques à l’anthrax. Ce n’est
qu’après l’adoption par le Parlement européen et le Conseil de la décision de l’UE (2013)
sur les menaces transfrontalières sur la santé que cet organe a été formalisé. Selon la
gravité de la menace en question, les États membres sont représentés au sein du Comité
par des fonctionnaires ministériels disposant d’une habilitation relativement élevée et
d’un mandat politique pour décider d’une coordination mutuelle (de Ruijter 2019). Le
Comité s’appuie directement sur le travail du CEPCM, qui a également un siège à la
table, tout comme l’Agence européenne des médicaments (AEM). La décision sur les
menaces transfrontalières sur la santé de 2013 prévoit également la mise en place d’un
accord sur les marchés publics communs (JPA – Joint Procurement Agreement). Celui-
ci facilite l’achat collectif de médicaments, de dispositifs médicaux et d’autres biens ou
services, tels que les équipements de laboratoire ou de protection individuelle (EPI),
avec un financement suffisant pour réaliser des achats en grandes quantités.

Le CEPCM a remporté un certain nombre de succès depuis sa création, mais son rôle
se limite à deux champs d’intervention. Premièrement, la réglementation des risques
dans l’UE est divisée en plusieurs niveaux : le CEPCM et l’UE sont responsables de
l’évaluation des risques et les États membres de la gestion des risques (Pacces et Weimer
2020). Ainsi, alors que le CEPCM peut informer, guider et recommander, l’UE n’a
généralement pas le pouvoir d’intervenir ou de mettre en œuvre des mesures de santé
publique. La pandémie de grippe porcine de 2009 (H1N1) a illustré les implications
de cette répartition stricte des responsabilités : de nombreux États membres sont
revenus à des approches protectionnistes malgré les tentatives de coordination de la
Commission européenne. Une deuxième contrainte, qui découle de la première, tient au
fait que la réponse à la crise dépend des capacités, des infrastructures et des ressources

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de lutte contre les maladies transmissibles au niveau national. Celles-ci varient
considérablement et plusieurs études mettent en évidence le caractère dangereusement
inégal des infrastructures existant en Europe (Elliot et al. 2012 ; Reintjes 2012 ;
Speakman et al. 2017 ; Flear et de Ruijter 2019). En outre, et comme l’a démontré la
crise de la Covid‑19, la coordination entre les acteurs nationaux de la lutte contre les
maladies transmissibles est minimale et le soutien de l’UE se heurte à l’absence d’une
cartographie claire des lois nationales en matière de santé publique, des organismes
compétents et des plans de préparation nationaux aux situations d’urgence (Alemanno
2020 ; Greer et Matzke 2012).

Malgré les défis auxquels il doit faire face, le rôle du CEPCM dans les interventions
d’urgence fonctionne relativement bien, le mécanisme de protection civile (MPC)
— l’outil de gestion des risques de catastrophes de l’UE – est, en revanche, plus
complexe à faire exploiter. Le cadre de protection civile de l’UE est basé sur la clause
de solidarité du TFUE qui stipule, à l’article 222, qu’en cas de crise de grande ampleur
et de catastrophe naturelle ou d’origine humaine, les États membres (et les États de
l’EEE, qui sont également membres du MPC) doivent s’entraider et faire preuve de
solidarité. Au sein du MPC, la capacité de réaction est mutualisée par les États membres
afin d’assurer un déploiement rapide en cas de crise. Un centre de coordination des
réactions d’urgence (ERCC – Emergency Response Coordination Centre) surveille
les événements mondiaux et maintient des liens directs avec les autorités nationales
compétentes ; en cas de crise, tout État membre peut demander de l’aide et faire appel
à la réserve européenne de protection civile, une réserve de ressources engagées par les
gouvernements nationaux. Toutefois, malgré la création d’un corps médical européen,
l’alignement de ces outils sur le Comité de sécurité sanitaire est loin d’être évident. En
2019, le MPC a été mis à niveau et complété par RescEU, un instrument financier qui
fournit une base juridique permettant à l’UE d’acheter des fournitures d’urgence en cas
d’événement de grande envergure. Dans ce modèle, l’UE cofinance l’acquisition et le
maintien par les États membres des ressources appartenant à la réserve de protection
civile.

1.2         La santé via le marché intérieur
La seconde facette de la politique de santé de l’UE est celle dont la promulgation —
malgré le langage soigneusement circonscrit de l’article 168 (5 et 7) du TFUE qui limite
le pouvoir de l’UE d’harmoniser le droit des États membres en matière de santé publique
et de soins de santé — est poussée par les activités et le droit du marché intérieur2. Bien
que les États membres aient essayé d’utiliser le traité de Lisbonne pour préciser que
l’organisation, le financement et la prestation des services de santé sont une prérogative
nationale, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a constamment statué que les services de
santé ne bénéficient pas d’une exemption par défaut des lois du marché intérieur. Il
en résulte que l’UE a eu un impact durable et significatif sur la santé par l’application

2.   Affaire C-158/96 Raymond Kohll contre Union des caisses de maladie, Recueil [1998], p. I-1931 ; Affaire
     C-466/04 Yvonne Watts contre Bedford Primary Care Trust, Secretary of State for Health, Recueil 1998,
     p. I-4325.

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des « quatre libertés » — libre circulation des biens, des services, des personnes et des
capitaux — qui constituent les pierres angulaires du marché intérieur et sur lesquelles
l’UE jouit d’un pouvoir législatif considérable. Le processus fonctionne en ciblant les
dispositions des États membres qui favorisent les entreprises ou citoyens nationaux,
en forçant leur suppression et en imposant une nouvelle réglementation « par le haut ».
Les exemples de cette dimension de la politique de santé de l’UE abondent, notamment
en matière de réglementation des qualifications professionnelles des travailleurs de la
santé, de fourniture de services de santé dans d’autres États membres, d’autorisation
des produits pharmaceutiques et de mobilité des patients. Ce dernier point constitue
un exemple particulièrement éloquent de la façon dont le parachèvement du marché
intérieur peut conduire à l’adoption d’un texte législatif complexe, de grande portée et
politiquement sensible en matière de soins de santé, qui soit ignore complètement la
santé, soit n’en vise pas les éléments pertinents (Glinos 2012).

Le développement de la politique de santé comme sous-produit de la croissance du
marché intérieur offre donc des résultats contrastés. Dans certains cas — la lutte
antitabac est un exemple notable — les acteurs de la santé ont réussi à exploiter les
importantes compétences de l’UE en matière de marché commun au profit de la santé
(Jarman 2018). Toutefois, il est plus fréquent que des politiques affectent la santé sans
en avoir l’objectif. Par ailleurs, quelle que soit la voie suivie par l’UE pour exercer une
influence sur la santé, les tentatives des États membres pour « maintenir Bruxelles à
l’écart » ont régulièrement été déjouées. La directive sur le temps de travail et son rôle
dans la détermination des horaires des professionnels de la santé, ainsi que la directive
sur les droits des patients exigeant l’autorisation des soins à l’étranger constituent deux
exemples marquants.

1.3         Gouvernance budgétaire de la santé
Ancrée dans le cadre de la gouvernance budgétaire de l’UE, une dernière facette de la
politique de santé de l’UE a plus récemment été institutionnalisée. Bien que ses origines
remontent au milieu des années 1990 (Baeten et Thomson 2012), cette troisième facette
est née de la crise de 2010, d’abord sous la forme d’une série de plans de sauvetage des
pays qui tentaient de se relever de la crise de la dette souveraine en Europe, puis sous la
forme d’un cadre à long terme visant à prévenir une résurgence de la crise et assurer la
stabilité économique. Représentant une grande partie des dépenses nationales, la santé
est rapidement devenue un objectif du Semestre européen — le cadre de planification
budgétaire annuel de l’UE — et l’UE a commencé à formuler des recommandations
spécifiques par pays (RSP) à l’intention des États membres, les invitant, par exemple,
à accroître la « rentabilité » et à assurer la « viabilité du système de santé ». Bien qu’il
s’agisse, officiellement, de recommandations, le Semestre offre une forme « plus rigide
de gouvernance souple », ce qui signifie que ses recommandations sont formellement
non contraignantes mais qu’elles sont complétées par un certain nombre d’éléments
plus contraignants qui augmentent la pression en faveur du respect de ces dernières et
introduisent la possibilité de sanctions ou de pénalités (Bocquillon et al. 2020). Certaines
situations en découlent : par exemple le fait que, malgré les limites imposées par l’article
168 (7) du TFUE, l’UE ait demandé à la France de revoir sa politique d’admission dans

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La Covid-19 et la politique de santé de l’Union européenne : de la crise à l’action collective

les écoles de médecine, et à l’Autriche de fixer et d’atteindre des objectifs de transfert
des traitements en dehors des hôpitaux (Greer et al. 2016). Il s’agit d’un autre exemple
de la manière dont la stricte délimitation du mandat de l’UE en matière de santé ainsi
que le manque d’enthousiasme de la part des États membres n’ont pas réussi à exclure
l’action de l’UE du secteur de la santé (Baeten et Vanhercke 2017).

Cependant, là encore, l’effet secondaire de cette politique « non sanitaire » dans le
domaine de la santé a été de provoquer des perturbations et d’exacerber les divergences
entre les États membres. Le processus s’est, par conséquent, heurté à des oppositions,
notamment en ce qui concerne le Semestre et les mesures d’austérité que ses cycles
précédents ont imposées. Les acteurs de la santé — y compris dans la société civile et
les forums de fonctionnaires nationaux et européens — ont travaillé efficacement pour
saper ce dernier en prenant davantage en considération les objectifs et indicateurs
de progrès en matière de santé (Greer et Brooks 2020). Bien que les cycles les plus
récents du Semestre aient permis d’atteindre un meilleur équilibre entre le contrôle des
dépenses nationales et l’encouragement de l’investissement social, le système continue
d’exacerber les divergences internes entre les riches États « créanciers » du nord et les
États « bénéficiaires » plus pauvres du sud et du centre de l’Europe, ce qui oblige ces
derniers à occuper en permanence un rôle périphérique (Greer 2020a ; voir également
Clancy 2020).

L’héritage de l’austérité et de la primauté du marché a été mis à nu par l’avènement
de la Covid‑19. Le sous-investissement chronique a entraîné d’énormes variations
en termes de capacité de réaction des systèmes de santé nationaux et de couverture
de leurs populations, en termes de résilience des infrastructures et niveau de l’état
de santé sous-jacent des populations. En outre, la libre circulation des personnes
a facilité la « fuite des cerveaux » chez les professionnels de la santé, les médecins et
les infirmières (principalement d’Europe orientale et méridionale) migrant vers des
postes mieux rémunérés dans d’autres États membres (principalement occidentaux et
septentrionaux), ce qui a suscité des inquiétudes quant à la capacité des systèmes de
santé à faire face à une pénurie de personnel.

1.4	Les contraintes sur la politique de santé et la compétence de réponse
     aux crises
Les trois facettes de la politique de santé de l’UE, la manière dont elles se sont
développées historiquement et leurs trajectoires potentielles au lendemain de la crise
actuelle s’appuient sur le statut d’État régulateur de l’UE (Majone 1996). Plutôt que
d’utiliser toute la panoplie d’outils d’imposition, d’investissement et de distribution
dont disposent les gouvernements, l’UE recourt essentiellement à la réglementation.
En outre, elle est un État régulateur d’un type particulier, en ce sens que ses traités
favorisent une réglementation qui promeut le marché, par opposition à celle qui
compense les perdants ou adoucit l’impact des règles imposées (Scharpf 2002). Cette
caractéristique a ses avantages : elle permet à l’UE de fonctionner avec des ressources
minimales, puisque la mise en œuvre de ses réglementations — l’aspect coûteux —
est assurée par les gouvernements nationaux (Page 2001), tandis que l’application

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est assurée par les tribunaux nationaux (Obermaier 2009 ; Kelemen 2011 ; Martinsen
2015). Elle prive cependant l’UE de certains éléments cruciaux de la politique de santé,
comme le financement des programmes sociaux ou la redistribution des revenus via
les politiques sociales et l’organisation de la solidarité interétatique. Les trois facettes
de la politique de santé décrites ci-dessus découlent directement de cette asymétrie
constitutionnelle et sont donc animées par une logique néo-fonctionnelle (Greer
2006 ; Kumm 2006a, 2006b). L’expansion constante du marché intérieur exige
une réglementation continuelle par l’UE — que ce soit pour faciliter la fourniture de
services de santé par-delà les frontières, la circulation des professionnels de la santé ou
la vente de produits pharmaceutiques sur différents marchés. La demande inhérente
de mesures supplémentaires est satisfaite et encouragée par des « entrepreneurs »
engagés et stratèges au sein des institutions européennes (Haas 2004), qui emploient
une approche mêlant opportunisme créativité leur permettant de façonner l’agenda de
la santé (Cram 1994). Cela a d’ailleurs pu être observé lorsque la Cour a commencé à
s’occuper de la législation sur les soins de santé à la fin des années 1990 (Brooks 2012).

L’UE s’engage toutefois dans certaines formes de redistribution, notamment par le
biais de ses différents fonds structurels et de ses vastes programmes de recherche (de
Ruijter 2019). Cela vaut également pour la santé : les fonds structurels peuvent être
utilisés pour financer les infrastructures de santé, par exemple la modernisation des
hôpitaux ou l’acquisition de nouveaux équipements médicaux. Quant au programme
de santé, il permet de redistribuer des fonds pour des projets et des initiatives en
matière de santé telles que la mise en place de registres communs pour les maladies
rares ou la création de réseaux d’organisations travaillant sur des questions similaires.
Toutefois, un déséquilibre flagrant persiste et limite les résultats que l’UE peut espérer
dans le domaine de la santé. S’appuyer sur la réglementation lui permet de créer,
proactivement, un marché concurrentiel pour les biens et services de santé, mais pas
d’affecter l’octroi des droits d’un individu à ces biens et services dans son État membre.
Autrement dit, elle peut, par exemple, soutenir le développement d’un nouveau vaccin,
mais ne peut garantir que cette innovation soit accessible de manière uniforme dans
toute l’UE (Hervey et al. 2017 : 8-9).

2.	Le présent : la réponse de la politique de santé de l’UE
    à la Covid‑19
Comme indiqué ci-dessus, le déséquilibre des rôles de l’UE en matière de réglementation
et de protection sociale, tel qu’il a été établi par les traités à la demande des États
membres, limite sa capacité d’action dans les situations d’urgence immédiate. Mais
comme nous l’avons vu dans la section 1, de telles crises peuvent ouvrir des fenêtres
d’opportunité pour des changements institutionnels et juridiques à plus long terme.

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La Covid-19 et la politique de santé de l’Union européenne : de la crise à l’action collective

2.1         Réponse initiale à la crise
Dans le cadre législatif existant, le rôle de l’UE en cas de crise consiste à soutenir les États
membres dans leurs réponses, en agissant comme un centre d’expertise, d’information
et, théoriquement, de coordination (Hervey et McHale 2015 ; Flear et de Ruijter 2019).
Elle dispose de deux ressources : son régime de sécurité sanitaire, qui comprend le
CEPCM et l’AEM, et son régime de protection civile, qui relève de la DG Protection
civile et aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO).

Si l’on observe la réaction initiale de l’UE d’une perspective longitudinale, en la
comparant par exemple aux épidémies d’ESB et de grippe porcine (de Ruijter 2019),
les régimes en place ont apporté des améliorations notables. Alors qu’au niveau
des ministères nationaux de la santé la réponse à la grippe porcine a été totalement
informelle et intergouvernementale, depuis l’adoption de la décision sur les menaces
pour la santé (Parlement européen et Conseil de l’Union européenne 2013), les États
membres disposent de certaines méthodes de travail et d’outils de décision établis.
Il est clair qu’il reste du travail à accomplir dans les situations où l’urgence menace
tous les États membres — l’appel à l’aide de l’Italie a été ignoré malgré la présence
de mécanismes de coordination officiels, les gouvernements cherchant à protéger leurs
propres approvisionnements face à une menace imminente. L’examen des procès-
verbaux du Comité de sécurité sanitaire3 montre de manière frappante comment les
informations et les décisions prises au niveau national sont partagées et coordonnées
entre les États membres. En outre, le CEPCM et l’AEM ont participé à toutes les
discussions.

À cet égard, le CEPCM semble avoir obtenu de bons résultats, dans les limites de ses
compétences. Des données pertinentes ont été collectées et diffusées et, bien que les
États membres ne se soient généralement pas appuyés uniquement sur l’UE (ni l’OMS
d’ailleurs) pour obtenir des orientations et des informations, le CEPCM a utilisé son
réseau de points de contact nationaux et a alimenté les comités et structures au niveau
des États. La Commission a, quant à elle, créé un système de soutien à la gestion clinique
— une variante de ses réseaux européens de référence qui ont fait leurs preuves et qui
mettent en contact les experts de certaines maladies rares — et l’a utilisé pour faciliter
la communication entre les professionnels de la santé. En outre, le Comité de sécurité
sanitaire a joué son rôle et, une fois que les réactions protectionnistes spontanées du
début sont devenues intenables, il a pu coordonner les réponses et les initiatives des
États membres, par exemple en matière d’achats communs.

Plus lent à se mobiliser, il semble que le Mécanisme de protection civile (MPC) ait
travaillé en parallèle plutôt qu’en coordination profonde avec le processus du Comité de
sécurité sanitaire. Des équipes médicales ont néanmoins été envoyées en Italie depuis
la Norvège et la Roumanie, ainsi que du désinfectant en provenance d’Autriche au
début du mois d’avril. Les faiblesses préexistantes de la protection civile sont cependant
devenues apparentes. Le MPC fonctionne principalement comme un service de mise

3.   Le procès-verbal du Comité de sécurité sanitaire peut être consulté ici : https://ec.europa.eu/health/hsc_
     covid19_fr

                                                                           Bilan social de l’Union européenne 2020         43
Eleanor Brooks, Anniek de Ruijter et Scott L. Greer

en relation, coordonnant les dons pré-engagés des pays ayant des excédents aux pays
dans le besoin, avec l’ajout de certaines réserves européennes via RescEU. Dépendant
de la volonté et de la capacité des pays à contribuer, le MPC ne fonctionne pas de
manière optimale lorsque tous les pays connaissent des pénuries de même nature et se
préoccupent de leur propre sort (Greer et al. 2020). Un processus parallèle s’est déroulé
au sein de l’unité des menaces pour la santé de la DG Santé, où une certaine expérience
avait déjà été acquise lors de l’achat conjoint de vaccins antigrippaux. Dans ce contexte,
si les fonds et les stocks restent à la disposition des États membres participants, il
existe de nombreux avantages potentiels en termes de pouvoir d’achat, de positions
de négociation et même d’échanges solidaires. Le régime actuel a été mis en place
pour contrer les inefficacités résultant d’un manque de solidarité dans la réponse à la
grippe porcine. Bien qu’il y ait encore de nombreuses étapes à franchir à cet égard,
l’expérience acquise lors des achats précédents semble avoir contribué à l’achat conjoint
d’équipements médicaux pour la Covid‑19. En revanche, les achats effectués dans le cadre
du MPC par l’intermédiaire de RescEU sont entièrement centralisés par la DG ECHO et
ne nécessitent la participation que d’un seul État membre. Bien que cette particularité
augmente son potentiel de décision centralisée en matière d’échanges solidaires,
elle réduit le financement disponible pour la création de stocks de biens médicaux et
oppose l’UE aux États membres, puisque tous les États et l’UE tentent d’acheter sur les
mêmes marchés (Commission européenne 2020b). Néanmoins, diverses fournitures
ont été achetées à l’échelle de l’UE pour la Covid‑19, notamment des respirateurs, des
équipements de protection individuelle (EPI), des produits pharmaceutiques et du
matériel de laboratoire, qui ont été envoyés en Espagne, en Italie et en Croatie en mai
2020.

Au-delà du cadre de la politique de santé publique, l’UE a également fait usage de son
mandat en matière de SST. Le SRAS CoV2 a été ajouté à la liste des agents figurant dans
la directive sur les agents biologiques en juin, mais pas dans la catégorie de risque la
plus élevée et sans l’adaptation et la modification d’autres aspects clés de la directive
qui, selon les syndicats, sont essentiels pour protéger les travailleurs, y compris les
professionnels de la santé (CES 2020a). Il s’agit là d’une voie susceptible d’affecter les
professionnels de la santé, en particulier au moment où l’UE prépare son nouveau cadre
stratégique pour la santé et la sécurité au travail, comme l’avait demandé le Conseil en
décembre (Conseil de l’Union européenne 2019).

2.2         Défendre le marché et soutenir les économies nationales
Comme on l’a vu pour la crise migratoire et le Brexit par exemple, les quatre libertés,
généralement considérées comme fondamentales pour l’existence de l’UE, sont mises
sous pression en temps de crise. Lors de la crise de la Covid‑19, les États ont imposé les
uns après les autres des restrictions à la libre circulation des biens et des personnes,
en fermant les frontières et en interdisant certains types d’exportations. Outre le
fait qu’elles reposaient sur un faible socle de données probantes en matière de santé
publique — dans le cas de la fermeture des frontières aux personnes — ces actions ont,
directement enfreint les normes du marché intérieur et de la solidarité. La Commission
a réagi rapidement en menaçant de lancer des procédures d’infraction contre

44      Bilan social de l’Union européenne 2020
La Covid-19 et la politique de santé de l’Union européenne : de la crise à l’action collective

l’Allemagne et la France pour leurs interdictions d’exportation. Dans le même temps,
le marché intérieur a été protégé par l’instauration d’une interdiction d’exportation à
l’échelle de l’UE vers les pays tiers. À cet égard, il y avait une première indication que les
interdictions internes d’exportation et le manque de solidarité se révéleraient être une
faiblesse — les gouvernements allaient sûrement se montrer plus soucieux du maintien
du contrôle des stocks nationaux que d’une action en justice de la Commission — mais
un groupe de travail chargé d’examiner les mesures des États membres a été créé en
vue d’établir un mécanisme de pression par les pairs plus contraignant (de Ruijter
et al. 2020a). Dans la pratique, les interdictions d’exportation ont été rapidement levées.
La suppression des restrictions à la mobilité individuelle s’est avérée plus difficile, mais
un processus décisionnel européen coordonné a vu le jour sous la direction du Conseil
Justice et Affaires intérieures (JAI), qui dirige les actions du Conseil, notamment, en
matière de gestion des frontières et de migration. Il est intéressant de noter que les
travailleurs de la santé ont été parmi ceux qui ont été exemptés des interdictions de
déplacement et que les mesures de l’UE ont continué à se concentrer sur le maintien
de la libre circulation des travailleurs essentiels. Les orientations adoptées en avril
ont exhorté les États membres à faciliter le « passage sans heurt des frontières pour
les professionnels de la santé », sans mentionner les capacités des systèmes de santé
nationaux en termes de personnel (Commission européenne 2020e).

Dans d’autres domaines du marché intérieur, des flexibilités temporaires ont également
été aménagées — par exemple, les régimes stricts de l’UE en matière de concurrence
et d’aides d’État ont été assouplis pour permettre l’octroi de subventions publiques
aux PME et pour les salaires, ainsi que l’acheminement de fonds publics vers des
industries et des secteurs stratégiques, dont la santé. Par exemple, en mars 2020, le
cadre temporaire pour les aides d’État a été utilisé pour approuver un régime italien
de soutien à la production de dispositifs médicaux et d’équipements de protection
individuelle (Commission européenne 2020f). L’évolution la plus intéressante — et
potentiellement la plus significative — concernant le marché de la santé (qui a structuré
la législation et la politique sanitaires de l’UE au cours des dernières décennies) réside
peut-être dans la réinterprétation par l’UE d’un aspect essentiel du droit du marché
intérieur. Dans sa communication du 13 mars 2020, qui décrit l’action qu’elle prévoit
de mener et répond au nombre croissant de restrictions nationales à l’exportation de
produits essentiels, la Commission européenne a réinterprété le cadre juridique des
exceptions de santé publique aux barrières commerciales nationales. Elle reconnaît le
droit établi de longue date des États membres d’adopter des restrictions commerciales
lorsque nécessaire pour protéger la santé publique, comme le prévoient l’article 36
du TFUE et la jurisprudence relative à la « règle de la raison », qui exige que les effets
tant positifs que négatifs d’une mesure soient analysés pour déterminer si elle viole la
législation sur la libre circulation4. Dans sa description de cette dérogation essentielle,
la Commission a toutefois introduit une nouvelle interprétation notable. Alors que la
restriction à la libre circulation était historiquement justifiée au regard de la protection
de la santé publique nationale, la communication de mars 2020 indique que la légalité
des restrictions sera jugée en fonction de leur impact sur « l’objectif de protection
de la santé des personnes vivant en Europe » (Commission européenne 2020c :

4.   Affaire 120/78, Rewe-Zentrale AG contre Bundesmonopoverwaltung fur Branntwein, Rec. 1979, p. 649.

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Eleanor Brooks, Anniek de Ruijter et Scott L. Greer

annexe II, note 2). Par conséquent, la Commission lance l’idée d’une réinterprétation de
la dérogation de santé publique basée sur une notion de santé publique et de solidarité
européennes, plutôt que sur celle limitée à l’État-nation (de Ruijter et al. 2020a).

Une étape tout aussi remarquable vers la solidarité a été franchie dans le troisième
volet de la politique de santé en lien avec la gouvernance budgétaire. Tandis que la
Banque centrale européenne libérait des liquidités pour les entreprises et veillait
à la stabilité de la zone euro (voir Myant, ce volume), l’UE a rapidement adopté la
« clause de sauvegarde générale », qui assouplit les règles strictes en matière de déficits
budgétaires et de dépenses nationales. Mais elle est ensuite allée plus loin, en prenant
la décision, sans précédent, d’émettre une dette européenne commune afin de financer
les réponses à la crise de la Covid‑19. Loin des plans de sauvetage assortis de conditions
qui ont été mis en place au plus fort de la crise économique au début des années 2010
et qui incarnent, en partie, le refus de la solidarité à cette période, cette décision
prévoit également un rôle pour l’UE dans l’allocation des fonds. Bien que le Conseil ait
dilué, modifié et retiré plusieurs aspects de la proposition initiale de la Commission,
rééquilibrant le contrôle des fonds en faveur des États membres, l’accord mérite d’être
considéré comme une intensification significative de l’intégration européenne. En
outre, le 20 mai 2020, la Commission européenne a publié ses RSP, dans le cadre du
cycle du Semestre5. Là où, les années précédentes, environ la moitié des États membres
recevait des recommandations relatives à la santé, celles-ci ont été adressées à chacun
des États membres cette année. Les recommandations appellent à des mesures visant
à renforcer la résilience des systèmes de santé nationaux, marquant non seulement
le premier exemple de recommandations universelles en matière de santé mais aussi
une reconnaissance claire de l’importance des systèmes de santé dans le cadre de la
gouvernance fiscale.

2.3	Mesures de relance post-Covid : un nouveau programme de santé
     de l’UE
La fin de la première vague de Covid‑19 a permis de dégager un espace pour envisager
les prochaines étapes appropriées. La Commission européenne a rapidement tiré
parti de cette situation et a proposé un nouveau programme de santé européen. Les
programmes de santé de l’UE financent des projets de collaboration qui contribuent
à la stratégie globale de l’UE en matière de santé. Depuis 2003, ils ont été intégrés
dans une série d’instruments pluriannuels ; le premier a couvert la période 2003-
2007, le deuxième a pris place de 2008 à 2013, et le troisième de 2014 à 2020. Les
programmes définissent un ensemble d’objectifs et donnent lieu à des appels d’offres
ainsi qu’à l’octroi de bourses et cofinancent régulièrement des initiatives d’autorités
publiques, d’organisations de la société civile et d’instituts de recherche (Commission
européenne 2014). Leurs budgets sont modestes — le budget de 413 millions d’euros
initialement proposé pour le dernier programme, comparable aux budgets des

5.   Les RSP 2020 peuvent être consultés ici : https://ec.europa.eu/info/publications/2020-european-semester-
     country-specific-recommendations-commission-recommendations_en

46      Bilan social de l’Union européenne 2020
La Covid-19 et la politique de santé de l’Union européenne : de la crise à l’action collective

programmes précédents, a été qualifié d’« argent de poche » par le vice-président de la
Commission, Margaritis Schinas (Commission européenne 2020d). Le budget proposé
pour le programme révisé 2021-2027 « L’UE pour la santé », approuvé dans le cadre de
la réponse au Covid‑19, offre un contraste important avec budget de 1,7 milliard d’euros.
Bien que loin des 9,4 milliards d’euros proposés par la Commission en mai, cette
multiplication par quatre des montants donne à la santé une importance sans précédent
dans le budget de l’UE. En outre, la proposition annule le projet initial d’intégrer le
programme de santé dans le Fonds social européen Plus ambitieux et mieux financé ce
programme établit un instrument de politique de santé autonome.

   Encadré 1            La proposition de programme « L’UE pour la santé »
   Le quatrième programme de santé de l’UE (2021-2027) comporte dix objectifs spécifiques.

   1.	Renforcer la capacité de l’Union en matière de prévention, de préparation et de réaction aux menaces
       transfrontalières graves pour la santé, et de gestion des crises sanitaires, notamment par la coordination,
       la fourniture et le déploiement de capacités de soins de santé d’urgence, la collecte de données et la
       surveillance ;
   2.	Assurer la disponibilité dans l’Union de réserves ou de stocks de produits utiles en cas de crise, ainsi que
       d’une réserve de personnel médical, de soins de santé et de soutien à mobiliser en cas de crise ;
   3.	Soutenir les actions visant à garantir la disponibilité, l’accessibilité et le caractère abordable des produits
       nécessaires en cas de crise et des autres fournitures médicales nécessaires ;
   4.	Renforcer l’efficacité, l’accessibilité, la viabilité et la résilience des systèmes de santé, notamment en
       soutenant la transition numérique, l’adoption d’outils et de services numériques, les réformes systémiques,
       la mise en œuvre de nouveaux modèles de soins et la couverture médicale universelle et s’attaquer aux
       inégalités en matière de santé ;
   5.	Soutenir les actions visant à renforcer la capacité des systèmes de santé à favoriser la prévention des
       maladies et la promotion de la santé, les droits des patients et les soins de santé transfrontaliers et à
       promouvoir l’excellence des médecins et des professionnels de la santé ;
   6.	Soutenir les actions de surveillance, de prévention, de diagnostic, de traitement et de soins des maladies
       non transmissibles et notamment du cancer ;
   7.	Encourager et soutenir l’utilisation prudente et efficace des médicaments et, en particulier, des
       antimicrobiens ainsi qu’une production et une gestion des déchets plus respectueuses de l’environnement
       pour les médicaments et les dispositifs médicaux ;
   8.	Soutenir l’élaboration, la mise en œuvre et l’application de la législation de l’Union en matière de santé
       et fournir des données de haute qualité, comparables et fiables pour étayer l’élaboration et le suivi des
       politiques et promouvoir l’utilisation d’évaluations de l’impact des politiques sur la santé ;
   9.	Soutenir les travaux intégrés entre les États membres, en particulier en ce qui concerne leurs systèmes de
       santé, notamment, via la mise en œuvre de mesures de prévention et développer la mise en réseau par le
       biais des réseaux européens de référence et d’autres réseaux transnationaux ;
   10.	Soutenir la contribution de l’Union aux initiatives internationales et mondiales en matière de santé.

Source : Commission européenne (2020a).

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