La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie - Otmar Oehring
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La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie Otmar Oehring www.kas.de
Empreinte Éditrice : Konrad-Adenauer-Stiftung e. V. 2019, Berlin Rédaction du texte achevé le 15 juillet 2019 Dernière consultation des sources Internet, le 15 juillet 2019 pour l’allemand et l’anglais, le 25 août 2019 pour le français. L’auteur Otmar Oehring est coordinateur du dialogue religieux international au sein de l’équipe Agenda 2030 du Département Coopération européenne et internationale. De décembre 2012 à fin juillet 2016, il a dirigé le bureau de la fondation Konrad Adenauer à Amman, Jordanie. Jusqu’à l’automne 2015, la Syrie et l’Irak ressortaient également des compétences du bureau de Jordanie. Traduction en français : Valentine Meunier Photo de couverture : portail d’entrée de l’église Saint-Georges avec des impacts de balles clairement visibles. © Mais Istanbuli – transterramedia.com Photos : p. 31 © Bertramz [CC BY 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0)] – https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rasal-Ain,church.jpg; p. 35 © REUTERS/ Rodi Said – Adobe Stock; p. 47 © Tasnim News Agency [CC BY 4.0 (https://creative- commons.org/licenses/by/4.0)] – https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dayr_ az-Zawr_13970904_19.jpg Carte: © 123map Maquette et composition : yellow too Pasiek Horntrich GbR L’édition papier a été imprimée par Druckerei Kern GmbH, Bexbach, et produite sans impact climatique sur papier certifié FSC. Printed in Germany. Imprimé avec le soutien financier de la République fédérale d’Allemagne. Le texte de cette publication est publié sous la licence : « Creative Commons Attribution-Partage dans les même conditions 4.0 International » (CC BY-SA 4.0), https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/legalcode.fr ISBN 978-3-95721-593-2
Sommaire 1. Introduction 3 2. Les chrétiens dans le nord de la Syrie 7 2.1 Les adeptes de l’idéologie Dawronoye 8 3. La Fédération démocratique de Syrie du Nord 11 3.1 Les contraintes pour la population 12 3.1.1 Loi sur la confiscation des biens fonciers des « émigrants » 12 3.1.2 Double service militaire obligatoire 12 3.1.3 Taxes et impôts 12 3.1.4 Cotisations obligatoires à la reconstruction de localités en Turquie 13 3.1.5 Introduction de nouveaux programmes scolaires par le gouvernement autonome dominé par le PYD 13 3.1.6 La violence à l’encontre des personnes 13 4. L’armée américaine dans le nord de la Syrie et les Forces démocratiques syriennes (FDS) 17 5. Évolutions dans les différentes régions de la Syrie du Nord 18 5.1 Le gouvernorat d’Alep 18 5.1.1 Afrin 18 L’offensive militaire sur Afrin 19 Présence chrétienne à Afrin 20 5.1.2 Kobané (Aïn Al-Arab) 21 L’ouverture d’une église à Kobané 21 5.2 Gouvernorat de Raqqa 23 5.2.1 Tall Abyad (Girê Spî) 23 Présence chrétienne à Tall Abyad (Girê Spî) 24 5.2.2 Ath-Thaura (Tabqa) 24 Présence chrétienne à Ath-Thaura (Tabqa) 24 5.2.3 Raqqa 25 Présence chrétienne à Raqqa 25 1
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie 5.3 Gouvernorat d’Hassaké 26 5.3.1 Ras al-Aïn/Serê Kaniyê 26 Présence chrétienne à Ras al-Aïn 27 5.3.2 Villages chrétiens sur les rives du Khabour 29 5.3.3 Les combats pour conquérir Hassaké 31 5.3.4 La situation à Qamichli 31 5.3.5 Contraintes pour la population 33 Occupation arbitraire de bâtiments, d’organismes publics, de lieux 33 Introduction de nouveaux programmes scolaires par le gouvernement autonome dominé par le PYD 33 5.4 Gouvernorat de Deir ez-Zor 42 5.4.1 Présence chrétienne à Deir ez-Zor 42 Al-Boukamal/Abu Kamal 44 Al-Mayadin 45 6. Conséquences d’un éventuel retrait des troupes américaines du nord de la Syrie 57 6.1 La décision de retrait des troupes américaines du nord de la Syrie du 19 décembre 2018 57 6.2 Décision sur le maintien des troupes américaines dans le nord de la Syrie du 21 février 2019 58 6.3 Une zone de sécurité au nord de la Syrie ? 59 7. Mouvement d’exil des chrétiens hors du nord de la Syrie 70 8. Annexe 72 8.1 Les milices chrétiennes dans le nord de la Syrie 72 8.2 Les écoles chrétiennes au nord-est de la Syrie 74 8.3 Démographie 78 8.3.1 Évolution démographique en Syrie d’après les données de la Banque mondiale 78 8.3.2 Fidèles des Églises chrétiennes au nord et nord-est de la Syrie (par confession) 79 8.4 Abréviations 83 2
1. Introduction Deux ans se sont écoulés depuis la parution de la publication de Les chrétiens en Syrie : situation actuelle et perspectives1. Alors qu’on pouvait encore espérer en ce début d’an- née 2017 une résolution rapide du conflit en Syrie, l’espoir n’est guère plus d’actualité aujourd’hui. Et pourtant, beaucoup de choses ont évolué dans ce pays. Début 2015, le régime Assad contrôlait moins de 1/5e du territoire de la Syrie ; après l’entrée en guerre de la Russie à l’automne de cette même année, il avait reconquis une grande partie du pays. Aujourd’hui, le régime contrôle de nouveau plus de la moi- tié de la superficie du pays, surtout les régions les plus peuplées, dont le littoral et les grandes villes à l’ouest et au sud, les zones longeant la frontière du Liban et de la Jor- danie et une grande partie du désert au centre de la Syrie, où se trouvent les princi- paux gisements de gaz2. Les conflits armés ont poussé les gens à quitter ces territoires. En avril 2018, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estimait que le nombre de réfugiés se mon- tait à 5,6 millions et celui des déplacés internes à 6,6 millions3. Rien qu’en 2017, plus de 1,8 million de personnes ont été déplacées, beaucoup d’entre elles pour la d euxième ou la troisième fois4. Par ailleurs, toujours pour la même année 2017, 840 000 per- sonnes ont été « rapatriées » en Syrie, dont plus de 764 000 déplacés internes et 77 000 réfugiés, qui ont organisé eux-mêmes leur retour dans le pays. Dans la phase actuelle, souligne le HCR, « les conditions nécessaires à un retour sûr et digne ne sont pas réunies » ; par conséquent, il ne faudrait pas « encourager le retour »5. Malgré cela, le régime Assad a appelé à plusieurs reprises les réfugiés à revenir en Syrie. Il a cependant rencontré un faible écho, notamment parce que les Syriens qui sont rentrés au pays ces dernières années ont été arrêtés, torturés ou enrôlés de force. De même, l’interprétation d’une loi actuelle exigeant des réfugiés qu’ils fassent la preuve de leur droit de propriété sur leurs biens fonciers laissés dans les zones de reconstruction reste floue. Certains pensent qu’elle vise à faire pression sur les réfu- giés pour rentrer en Syrie, d’autres que le but de cette loi est tout simplement d’ex- proprier les opposants au régime qui ont fui6. Jusqu’à ce jour, toutes les catégories de population – indépendamment de leur origine ethnique et confessionnelle – sont victimes de la guerre en Syrie. Mais il est d’ores et déjà patent que la proportion de membres de la minorité chrétienne est surreprésen- tée parmi les Syriens ayant fui le pays depuis 2011. En 2018, la Banque mondiale évalue la population de la Syrie à 16 906 283 habitants7, soit un déclin de 20,86 % par rapport à 2010. Si l’on rapporte cette perte à la minorité chrétienne, elle devrait être passée d’un million (4,681 %) à 1,5 million (7,021 %) de personnes en 2010 à une communauté oscillant entre 793 200 et 1 189 800 membres aujourd’hui selon les estimations8. 3
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie Cependant, même dans le meilleur des cas, il faut compter que la minorité chrétienne s’élevait au maximum entre 500 000 et 750 000 personnes en 2017. Il est également possible que la proportion de chrétiens de la population ait été déjà inférieure à Forte régression de la 500 000 personnes à cette époque et que, dans le pire des cas, elle n’ait pas dépassé population chrétienne ! les 300 000 habitants9. Lors d’un colloque organisé à l’université catholique Péter Pázmány (PPKE) à Budapest, le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique en Syrie, a déclaré le 22 janvier 2019 que le pourcentage de chrétiens dans la population syrienne serait tombé à 2 %10. Si l’on rap- porte ce chiffre aux estimations démographiques de la Banque mondiale pour 2018, ce pourcentage signifierait qu’il n’existe plus que 338 125 chrétiens en Syrie11. Le déclin démographique global entre 2010 et 2018 s’élève à 20,86 % – toujours en s’appuyant sur les données statistiques fournies par la Banque mondiale12. Si l’on part du principe que la Syrie ne comptait plus que 338 125 chrétiens en 2018 et qu’ils étaient 1 million à 1,5 million en 2010, alors la régression démographique de ce groupe entre 2010 et 2018 oscille entre 66,18 % (1 million) et 77,45 % (1,5 million). Parmi les rapatriés mentionnés plus haut – réfugiés et déplacés internes – se trou- vaient également des chrétiens déplacés internes, qui sont revenus dans leur région La majorité des réfugiés d’origine après ‹ l’apaisement › de la situation. Il faut toutefois partir du principe que chrétiens a quitté le pays la majorité des chrétiens a quitté ses lieux de résidence d’origine en Syrie, et ce, et n’y reviendra pas ! définitivement. Rares seront ceux qui reviendront en Syrie après l’avoir fuie. Les déclarations bien intentionnées d’António Guterres, secrétaire général des Nations Unies, ou d’autres personnalités n’y changeront rien. Guterres a déclaré lors d’un entretien avec le patriarche de l’Église orthodoxe russe, Cyrille de Moscou, qu’il était fermement convaincu de l’importance de garantir le retour des chrétiens en Syrie une fois la situation stabilisée13. Il se range ainsi parmi les nombreuses personnes qui considèrent le retour en Syrie comme un vœu pressant, parce que l’absence de chrétiens dans les pays du Proche-Orient détériore, désagrège totalement même, le tissu social de la région. Mais les expériences vécues par les réfugiés chrétiens des groupes islamistes radicaux et la peur que leur idéologie continue à déterminer la pensée de la majorité sunnite, même s’ils sont battus, se mettent en travers de ces espoirs. Les chrétiens de Syrie (et d’autres pays de la région) rapportent souvent des slogans des groupes islamistes radicaux tels que : « Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites dans la tombe » ou « Les femmes chrétiennes pour notre plaisir, les hommes alaouites pour notre épée14 ! » Dans ce contexte, il est difficile d’évaluer à quel point on peut compter sur un retour des chrétiens après la pacification du conflit, en particulier dans les zones rurales. Le retour des chrétiens Cela dépendra notamment de l’ampleur avec laquelle la population originellement dépend aussi du compor- sunnite a offert ses services aux groupes rebelles islamistes radicaux, dans le dessein tement des musulmans à de s’en prendre ensemble aux chrétiens. Une des questions sera à cet égard de savoir leur égard ces dernières si la population sunnite a participé de son propre gré à des attaques, si elle y a été années. obligée ou forcée, ou encore si elle s’est tenue à l’écart de toute agression. 4
1. Introduction Il faut souligner ici que les agressions de chrétiens par la population originellement sunnite n’ont pas été systématiques, même à l’époque où des groupes islamistes dans la mouvance d’Al Qaïda ou le soi-disant État islamique avaient pris le contrôle de cer- taines régions, et que, le cas échéant, tous les dignitaires de cette population n’y ont pas systématiquement participé. Il est tout aussi impossible d’affirmer que dans les régions ‹ libérées ›, dans lesquelles régnaient auparavant des groupes islamistes dans la mouvance d’Al Qaïda ou le soi-disant État islamique, tous les dignitaires de la popu- lation originellement sunnite continuaient à adhérer à cette pensée radicale. On ne saurait pas plus passer sous silence ici qu’il est à redouter depuis longtemps que la position très clairement en faveur du régime Assad15 de certains leaders ecclé- siastiques pourrait lourdement hypothéquer une future coexistence des chrétiens et de la majorité musulmane (sunnite). La concrétisation de ce scénario dépendra notamment du futur dirigeant de la Syrie. La « mémoire collective » des chrétiens en Syrie, enfin, joue un rôle considérable dans La « mémoire collective » la question d’un éventuel retour dans leurs régions d’origine. Ce concept renvoie au est déterminante savoir profondément enraciné des chrétiens au sujet des expériences de coexistence dans l’éventuel retour avec la majorité sunnite, et ce, sur plusieurs générations. La mémoire des génocides des chrétiens. arménien16 et assyrien17 en 1915 et 1917 est ici centrale. Les aïeuls de nombreux chrétiens qui vivent aujourd’hui en Syrie ou y ont vécu sont originaires du sud-est de la Turquie actuelle et l’ont fuie pour l’Irak et la Syrie. Souvent, ce n’est pas la seule expérience d’exil faite par ces familles. Les chrétiens assyriens (nestoriens), qui ont quitté en 1915 leur région montagneuse du Hakkari, au sud-est de l’actuelle Turquie, pour se réfugier à Sêmêl (ou Simelé)18 dans la province irakienne Dohuk (Dahuk)19 y ont été victimes d’un pogrome en 193320. Forcés à nouveau de fuir, ils se sont installés dans la vallée du Khabour au nord-est de la Syrie où ils ont fondé 35 villages. Ces derniers ont été attaqués et conquis par des milices de l’EI entre le 24 et le 26 février 2015 et de nombreux chrétiens ont été déportés21. On n’imaginait pas, dans ce contexte, que les réfugiés puissent revenir dans leur village, la plupart ayant déjà quitté la Syrie. Cependant, certains chrétiens assyriens sont revenus dans leurs villages du Khabour – l’avenir dira si c’est de manière provisoire ou définitive. Depuis 2017, la situation en Syrie a changé, bien qu’aucune solution du conflit ne soit La situation du nord aujourd’hui en vue. Peut-on nourrir un plus grand espoir qu’il y a deux ans de voir les de la Syrie est importante chrétiens rentrer ? Outre les questions soulevées ci-dessus, un critère important pour pour l’avenir des chrétiens l’avenir des chrétiens en Syrie concerne les évolutions qui frappent actuellement le dans le pays. nord du pays. 5
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie 1 Otmar Oehring, Christen in Syrien: Aktuelle Lage und Perspektiven, Analysen & Argumente 237, Februar 2017 – https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=75417765-7f84-b048-b987-0704c16dd6de&- groupId=252038; Otmar Oehring, Christians in Syria: Current Situation and Future Outlook, Facts & Findings, NO. 237 – https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=2d06e96e-3a30-9ba2-95d7- b0cabb070188&groupId=252038; Otmar Oehring, Les chrétiens en Syrie : Situation actuelle et perspec- tives. Analyses & Arguments NUMÉRO 23, FÉVRIER 2017 – https://www.kas.de/c/document_library/get_ file?uuid=d931918b-ec53-42b4-aee4-3c6f62f40060&groupId=252038 2 Factbox: Who controls what in Syria? REUTERS, 09.05.2018 – https://www.reuters.com/article/us-mi- deast-crisis-syria-areas-factbox/factbox-who-controls-what-in-syria-idUSKCN1LL0TP; Alia Chughtai, Syria’s war: Who controls what? A map of the Syrian war showing who controls what after seven years of figh- ting. ALJAZEERA, 19.12.2018 – https://www.aljazeera.com/indepth/interactive/2015/05/syria-country-divi- ded-150529144229467.html 3 https://www.unhcr.org/syria-emergency.html 4 https://www.unhcr.org/sy/internally-displaced-people 5 [UNHCR] COMPREHENSIVE PROTECTION AND SOLUTIONS STRATEGY: PROTECTION THRESHOLDS AND PARAMETERS FOR REFUGEE RETURN TO SYRIA. FEBRUARY 2018 – https://data2.unhcr.org/ar/documents/ download/63223; voir également : Samantha Urban Tarrant, When can Syrian refugees return home? WORLD VISION ADVOCACY, 06.11.2018 – https://www.worldvisionadvocacy.org/2018/11/06/when-can-sy- rian-refugees-return-home/ 6 Alla Barri, Coming home to Syria, The World Today [CHATHAM HOUSE], October & November 2018 – https://www.chathamhouse.org/publications/twt/coming-home-syria 7 Weltbank – http://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.TOTL?locations=SY 8 Otmar Oehring, Les chrétiens en Syrie : Situation actuelle et perspectives. Analyses & Arguments NUMÉRO 23, FÉVRIER 2017, page 18 – https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=d931918b- ec53-42b4-aee4-3c6f62f40060&groupId=252038 9 Voir : « Démographie : les chrétiens en Syrie », in Otmar Oehring, Les chrétiens en Syrie : Situation actuelle et perspectives. Analyses & Arguments NUMÉRO 23, FÉVRIER 2017, p. 18-20 (en particulier p. 19) – https:// www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=d931918b-ec53-42b4-aee4-3c6f62f40060&groupId=252038 10 SYRIEN – Kardinal Zenari: Christen machen nur noch 2% der syrischen Bevölkerung aus, Agenzia Fides, 28.01.2019 – http://www.fides.org/fr/news/65459. 11 https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.TOTL?locations=SY 12 Ibid. 13 UN chief ‹ personally concerned › about return of Christians to Iraq and Syria, World Watch Monitor, 21.06.2018 – https://www.worldwatchmonitor.org/2018/06/un-chief-personally-concerned-about-return- of-christians-to-iraq-and-syria/ 14 Christian refugees wary of returning to Syria, Al Jazeera, 06.11.2013 – https://www.aljazeera.com/video/ middleeast/2013/11/christian-refugees-wary-returning-syria-20131165949596655.html 15 Otmar Oehring, Les chrétiens en Syrie : Situation actuelle et perspectives. Analyses & Arguments NUMÉRO 23, FÉVRIER 2017, p. 4-9 – https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=d931918b- ec53-42b4-aee4-3c6f62f40060&groupId=252038 16 Dénommé « Aghet » (« catastrophe ») par les Arméniens. Cf. pour un rapide aperçu : https://fr.wikipedia. org/wiki/G%C3%A9nocide_arm%C3%A9nien ; Pour plus de détails : Benny Morris, Dror Ze’evi, The Thirty- Year Genocide: Turkey’s Destruction of Its Christian Minorities, 1894-1924, Harvard University Press, 2019. 17 Appelé « Seyfo » (« L’année de l’épée ») par eux. Cf. pour un rapide aperçu : https://fr.wikipedia.org/ wiki/G%C3%A9nocide_assyrien ; Pour plus de détails : Joseph Yacoub, Year of the Sword: The Assyrian Christian Genocide – A History, Oxford University Press, 2016 et : Benny Morris, Dror Ze’evi, The Thirty- Year Genocide: Turkey’s Destruction of Its Christian Minorities, 1894-1924, Harvard University Press, 2019. 18 https://fr.wikipedia.org/wiki/Simel%C3%A9 – Simele = https://en.wikipedia.org/wiki/Simele 19 Situé dans la région autonome du Kurdistan. 20 Françoise Brié, Migrations et déplacements des Assyro-Chaldéens d’Irak, Outre-Terre, 2006/4 (no 17), pages 455 à 467 – https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-4-page-455.htm 21 Otmar Oehring, ZUR LAGE DER CHRISTEN IN SYRIEN UND IM IRAK, – KAS AUSLANDSINFORMATIONEN, 6/2015, p. 67-82 (p. 77-80 ; on trouvera p. 68 une carte des villages assyriens dans la région du Khabour) – https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=bb42c385-8115-80b5-de7e-84ba69916fc8&grou- pId=252038 6
2. Les chrétiens dans le nord de la Syrie Quand on parle des chrétiens du nord de la Syrie, on pense immédiatement aux com- munautés chrétiennes traditionnelles dans cette région, implantées dans les gouver- norats22 de Raqqa23, Deir ez-Zor24, et avant tout d’Hassaké25. À cause de la guerre civile, certaines de ces communautés se sont considérablement réduites depuis le début de crise en 2011. Certaines localités ne comptent plus un seul chrétien. Simultanément, de nouvelles communautés chrétiennes ont vu le jour à Afrin et Kobané dans le gou- vernorat d’Alep26. Les chrétiens installés de longue date à Afrin l’ont quittée dans le sil- lage de l’offensive militaire turque sur cette ville. Nous détaillerons dans ce qui suit les évolutions dans les différentes régions. Turquie Hassaké Alep Raqqa Idlib Lattaquié Deir ez-Zor ée Hama ran Tartou r ite éd rM Homs Liban Me Irak Damas Rif Dimashq Dar`a Israël As Suwaida Jordanie Gouvernorats de Syrie Il faut commencer par rappeler que les chrétiens sont confrontés à de nouveaux défis depuis le retrait du régime syrien de grandes parties du nord du pays en 2012 et de la prise de contrôle successive par le gouvernement autonome de la Fédération démo- cratique de Syrie du Nord27, aujourd’hui dominé par le Parti de l’union démocratique (PYD)28 – un parti marxiste-léniniste d’obédience stalinienne – et par ses milices coali- sées au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS)29. 7
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie L’avenir des chrétiens en L’avenir des chrétiens en Syrie dépend de l’issue du conflit, mais aussi des forces Syrie dépend de l’issue du politiques qui présideront au destin du pays à l’avenir. On a longtemps pensé qu’il se conflit ! ferait uniquement sans Bachar al-Assad. Mais entre-temps les choses ont évolué en sa faveur. Il est impossible de prédire, pour l’heure, ce qu’un ordre post-guerre civile réserve à l’autonomie de la Syrie du Nord. Mais on peut s’attendre à ce qu’un régime syrien revigoré ne laisse pas à long terme la situation de la région autonome entre les mains de la Fédération démocratique de Syrie du Nord et tout particulièrement pas entre celles des forces kurdes, très présentes au sein du gouvernement autonome. De nombreux chrétiens Comme dans le reste du pays, beaucoup de chrétiens du nord de la Syrie continuent rêvent d’un retour au à espérer que le pays reviendra à la situation ante au terme – espéré depuis long- statu quo ante bellum ! temps – de la guerre civile, c’est-à-dire non seulement que le régime Assad survivra, mais qu’il continuera de présider à la destinée du pays. Une minorité de chrétiens de la Syrie du Nord – avant tout les militants de l’idéologie laïque, de gauche et nationaliste du mouvement Dawronoye –a lâché le régime Assad après 2012 et soutenu la région autonome dominée par le PYD. Si le régime Assad survivait, mais plus encore s’il continuait à diriger le pays, les chrétiens devraient certainement payer pour leur « déloyauté » à son égard. Au demeurant, « Peu importe le moment où la guerre civile s’achèvera et si la Syrie trouvera une issue pacifique. On peut d’ores et déjà affirmer que – à rebours des espoirs des leaders et militants chrétiens – rien ne sera plus comme avant 2011. Les alaouites (11 %), qui portent actuellement le régime, ne seront plus aux commandes. Les sunnites (75 %) revendiqueront leur droit au pouvoir. L’élément décisif pour les chrétiens sera alors qui, des sunnites modérés, orthodoxes ou islamistes, dictera la loi30. » 2.1 Les adeptes de l’idéologie Dawronoye Dawronoye Dawronoye renvoie à une initiative de jeunes chrétiens du Tur Abdin, dans le sud- est de la Turquie, que leurs expériences ont conduit à rallier le réseau de soutien local du PKK dès la fin des années 1980. Ils ont été arrêtés, puis libérés, et ont décidé de poursuivre leurs objectifs dans les pays de destination des migrants chrétiens en Europe – l’Allemagne et la Suède –, où ils ont constitué leur propre réseau clandestin. Ils se baptisent Tukoso Dawronoyo Mothonoyo d’Bethnahrain (Organisation patriotique révolutionnaire de Bethnahrain). Le but de Dawronoye est non seulement d’obtenir des droits à l’échelle nationale, mais aussi de provoquer un vaste changement social, politique et culturel parmi les « chrétiens syriaques ». Ses militants veulent s’affranchir de leur soumission vis-à-vis de leurs autorités étatiques et sociales, mais aussi religieuses respec- tives. Bien que chrétiens, les adeptes de Dawronoye ne combattent pas pour leur foi, mais pour leur identité nationale, leur nation. Ils adoptent une position de neutralité dans la querelle nominative qui divise les diverses Églises syriaques, qui se désignent comme assyrienne, araméenne ou syriaque. Leur argument est qu’ils appartiennent tous à un seul et même peuple, possédant les mêmes racines et la même patrie : Bethnahrain (Mésopotamie). 8
2. Les chrétiens dans le nord de la Syrie Au départ, le mouvement est idéologiquement soutenu par le PKK, raison pour laquelle on les appelait aussi le groupe des « chrétiens syriaques » au sein du PKK. Mais Dawronoye s’est toujours voulu un mouvement indépendant. Les activités sont financées par des dons d’hommes d’affaires de la communauté ‹ chrétienne syriaque › – les Églises parlent de racket des hommes d’affaires. Il est quasiment impossible de découvrir la vérité : ce qui est certain c’est que ce modèle rappelle le modèle économique du PKK dans les pays d’Europe centrale et du Nord. L’Europe devient le théâtre d’activités politiques, notamment d’efforts pour faire reconnaître le génocide assyrien perpétré contre les chrétiens syriaques (Seyfo) en 1915. Mais Dawronoye poursuit aussi depuis le début l’objectif de rentrer au Bethnahrain. Pour des raisons pratiques, le mouvement considère que la lutte contre l’État turc en Turquie a peu de chance de réussir. C’est pourquoi il se tourne à partir de 1995 vers l’Irak, où il participe d’abord dans la région de Bahdinan, puis depuis les montagnes de Qandil, au combat du PKK contre la Turquie. Mais les militants comprennent rapidement que leur engagement en Irak renferme le dan- ger corollaire d’être entraîné avec le PKK dans le conflit entre le PDK et l’UPK et de sombrer dans cette querelle. En 2000, Dawronoye organise un premier congrès. Le mouvement est réorganisé et se donne un nouveau nom : le parti de la liberté de Bethnahrain (Gabo d’Hiru- tho d’Bethnahrain (GHB). Les relations avec le PKK, qui n’est pas invité au congrès, se refroidissent grandement. La coopération est pourtant poursuivie, mais le PKK regarde désormais Dawronoye avec méfiance. L’engagement de Dawronoye en Irak est contrecarré, d’une part, par la poursuite de sa quête de Bethnahrain idéal [la maison aux deux rivières en araméen], alors que ses publics cibles en Irak vivent dans un vrai ‹ Bethnahrain ›, marqué par la répression, la faim et la peur. C’est notamment dans ce contexte que l’organisation Dawronoye European Syriac Union (Huyodo Suroyo d’Urifi – ESU) entame en 2004 un travail de lobbying à Bruxelles où les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE sont entamées. L’année suivante – la Turquie s’est déjà engagée sur le long chemin de ‹ l’ouverture kurde ›31 – Dawronoye peut célébrer Akitu, la fête de printemps des chrétiens syriaques à Mardin (Midyat), avec la bénédiction des autorités turques. Le président Erdoğan a tenu à envoyer un message de salutation. Tout cela relève aujourd’hui du passé. Actuellement, c’est en Syrie que Dawronoye est le plus puissant. Avec le Parti de l’union syriaque, qui lui est allié, il fait partie du mouvement de coalition partisane défendant une société démocratique (Mouvement pour une société démocra- tique)32, qui porte le gouvernement autonome de la Fédération démocratique de Syrie du Nord, dominé par le PYD. Le bras militaire du Parti de l’union syriaque (Syriac Union Party) est composé des milices Conseil militaire syriaque et Forces de protection des femmes du Bethnarain (HSNB)33, tous les deux membres de la coalition militaire des Forces démocratiques syriennes (FDS). Le Parti de l’union syriaque34 entretient en outre des forces de police, dénommées Sutoro35, déployées pour protéger les communautés « chré- tiennes syriaques » au nord-est de la Syrie (Gozarto). 9
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie Les militants de Dawronoye ne se sont pas contentés de tolérer les agissements du PYD et de son bras armé (YPG36 notamment), mais les ont aussi soutenus. Le Parti de l’union syriaque s’est massivement rallié dès 2011 au mouvement créé par le PYD en faveur d’une société démocratique (Mouvement pour une société démocratique) et, le 12 novembre 2013, a décidé avec le PYD de mettre en place une administration de transition en Syrie du Nord. Les milices Conseil militaire syriaque et Forces de protec- tion des femmes du Bethnarain (HSNB), qui composent le bras armé du Parti de l’union syriaque, ont rejoint la coalition militaire des Forces démocratiques syriennes (FDS). En étant optimiste, on peut espérer que le régime syrien pourrait porter au crédit des chrétiens adeptes de l’idéologie Dawronoye qu’ils ont combattu (avec d’autres) les ennemis du régime Assad, c’est-à-dire les milices islamistes, tout particulièrement l’EI. 22 Liste des gouvernorats de Syrie – https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernorat_de_Syrie ; Governorates of Syria – https://en.wikipedia.org/wiki/Governorates_of_Syria 23 Gouvernorat de Raqqa – https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernorat_de_Raqqa ; Raqqa Governorate – https://en.wikipedia.org/wiki/Raqqa_Governorate 24 Gouvernorat de Deir ez-Zor – https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernorat_de_Deir_ez-Zor ; Deir ez-Zor Governorate – https://en.wikipedia.org/wiki/Deir_ez-Zor_Governorate 25 Gouvernorat d’Hassaké – https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernorat_d%27Hassak%C3%A9 ; Al-Hasakah Governorate – https://en.wikipedia.org/wiki/Al-Hasakah_Governorate 26 Gouvernorat d’Alep – https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernorat_d%27Alep ; Aleppo Governorate – https://en.wikipedia.org/wiki/Aleppo_Governorate 27 Rojava – https://fr.wikipedia.org/wiki/Rojava ; Democratic Federation of Northern Syria – https://en.wikipedia.org/wiki/Democratic_Federation_of_Northern_Syria 28 Partiya Yekîtiya Demokrat – https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_de_l%27union_d%C3%A9mocratique ; Democratic Union Party (Syria) – https://en.wikipedia.org/wiki/Democratic_Union_Party_(Syria) ; pour une analyse détaillée du PYD et de son entourage cf. : International Crisis Group, The PKK’s Fateful Choice in Northern Syria, Middle East Report No176, 04.05.2017 – https://www.crisisgroup.org/middle-east-north- africa/eastern-mediterranean/syria/176-pkk-s-fateful-choice-northern-syria 29 Forces démocratiques syriennes – https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_d%C3%A9mocratiques_syriennes ; Syrian Democratic Forces – https://en.wikipedia.org/wiki/Syrian_Democratic_Forces 30 Otmar Oehring, Sehnsucht nach der Vorkriegszeit, Zur Situation der Christen in Syrien, Die Politische Meinung, 63.November/Dezember 2018.553, p. 101-104 (ici : p. 104) 31 Kürt açılımı [ouverture kurde] Cf. Çözüm süreci [Solution process] – https://en.wikipedia.org/wiki/Solution_process 32 Movement for a Democratic Society – https://en.wikipedia.org/wiki/Movement_for_a_Democratic_Society; Cf. également : Carl Drott, The Syrian Experiment with « Apoism ». CARNEGIE MIDDLE EAST CENTER, May 20, 2014 – http://carnegie-mec.org/diwan/55650 33 Forces de protection des femmes du Bethnahrain – https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_de_protection_ des_femmes_du_Bethnahrain ; Bethnahrain Women’s Protection Forces – https://en.wikipedia.org/wiki/ Bethnahrain_Women%27s_Protection_Forces 34 Parti de l’union syriaque ; (syriaque araméen : Gabo d’Huyodo Suryoyo) – https://de.wikipedia.org/wiki/ Assyrische_Partei_der_Einheit ; Syriac Union Party in Syria – https://en.wikipedia.org/wiki/Syriac_Union_ Party_(Syria) 35 Sutoro – https://de.wikipedia.org/wiki/Sutoro ; https://en.wikipedia.org/wiki/Sutoro 36 Yekîneyên Parastina Gel = Unités de protection du peuple – https://fr.wikipedia.org/wiki/Unit%C3%A9s_ de_protection_du_peuple ; People’s Protection Units – https://en.wikipedia.org/wiki/People%27s_Protec- tion_Units 10
3. La Fédération démocratique de Syrie du Nord Après le retrait, dès 2012, des troupes gouvernementales syriennes des territoires majoritairement kurdes au nord de la Syrie et le transfert du contrôle de la région à des milices locales, le régime Assad se retire aussi fin 2013 de la totalité des territoires limitrophes de la Turquie et abandonne, en pratique, leur contrôle. Dès le 26 octobre 2011, le Parti de l’union démocratique (PYD) et le Conseil national kurde37, une coalition de partis kurdes et d’organisations de la société civile, avaient fondé le Conseil suprême kurde38 à Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan d’Irak. Même si les instances dirigeantes se composaient d’un nombre paritaire de membres du PYD et du Conseil national kurde, Massoud Barzani, président du Parti Rôle important de démocratique du Kurdistan au nord de l’Irak et président du gouvernement régional Massoud Barzani, lea- autonome du Kurdistan, a joué dans un premier temps un rôle décisif dans les efforts der kurde irakien, et du menés pour offrir un avenir au nord de la Syrie. Mais des dissensions ont toutefois Conseil national kurde rapidement éclaté entre le Parti de l’union démocratique (PYD) et le Conseil national dans la première phase kurde39. Par la suite, le PYD a consolidé son influence et son contrôle des régions d’aspiration à l’autonomie kurdes dans le nord de la Syrie. Le Conseil national kurde s’est senti progressivement dans le nord de la Syrie. marginalisé et s’est finalement retiré du Conseil suprême en novembre 2013. Le PYD aalors exploité les possibilités offertes par le mouvement en faveur d’une société démocratique (Mouvement pour une société démocratique), fondé à son initiative en 2011. Le 12 novembre 2013, plusieurs partis régionaux, dont le plus important est le PYD, décidèrent d’instaurer une administration de transition au nord de la Syrie. Tandis Instauration d’une admi- que le Parti de l’union syriaque soutenait ce projet, d’autres partis régionaux refusèrent nistration de transition de coopérer avec le PYD40 après le départ du Conseil national kurde, susmentionné. dominée par le PYD après Pour la constitution de la société et de l’État, la nouvelle administration s’est basée sur le retrait du Conseil l’idéologie du confédéralisme démocratique, forgée par le président du PKK, Abdullah national kurde. Öcalan41. Elle souhaitait donc mettre en place une administration décentralisée qui reflète également la pluralité ethnique et religieuse du nord de la Syrie42. Les milices du PYD, des YPG et des forces de police dénommées asayich existent depuis 201243. En juillet 2012, elles reprenaient le contrôle des villes à majorité kurde, Kobané, Amouda44 et Afrin, puis d’Al-Malikiya/Dêrik45, de Ras al-Aïn46, d’Al-Darbasiya47, d’Al-Muabbada48 ainsi que des parties d’Hassaké49 et de Qamichli50.51 Lors de la confé- rence de Rmelan52, organisée les 16 et 17 mars 2016 et à laquelle ont participé des par- tis de la Syrie du Nord, est adoptée une déclaration53 qui étend « l’autonomie démocra- tique » existante. Cette déclaration forme la base de la formation du « gouvernement transitoire », sous l’égide du parti prédominant, le PYD, qui tenait compte de toutes les minorités religieuses et ethniques de la région54. Mais les projets d’autonomie, qui pré- voient une entité étatique sur le modèle du « gouvernement régional du Kurdistan » au nord de l’Irak, ont soulevé un vaste front de résistance, que ce soit de la part du régime Assad ou de l’opposition syrienne (Conseil national syrien55), ou encore en Turquie et aux États-Unis. « Et pourtant, dans les faits, c’est exactement ce qu’est Rojava56, ainsi que le territoire longeant la Turquie est appelé, depuis des années57. » 11
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie 3.1 Les contraintes pour la population 3.1.1 Loi sur la confiscation des biens fonciers des « émigrants » En septembre 2015, le Conseil législatif de Jéziré58 a proposé une « loi sur l’administra- tion et la protection des biens et capitaux des réfugiés et des personnes absentes », qui aurait permis aux pouvoirs publics de confisquer la totalité des biens des per- sonnes qui avaient quitté la région. Les délégués chrétiens au Conseil législatif ont toutefois refusé de voter le texte, car ils considéraient que les chrétiens étaient le groupe ciblé par la loi59. Si elle ne nomme explicitement aucun groupe ethnique ou ethno-religieux, le nombre des chrétiens qui avaient fui la région était en effet bien plus élevé que celui d’autres groupes. C’est pourquoi les chrétiens seraient particuliè- rement touchés par la confiscation de biens et capitaux. Le gouvernement autonome dominé par le PYD a finalement accepté de faire des concessions – certainement pour apaiser la communauté chrétienne, mais sans doute aussi pour éviter des problèmes avec les bailleurs de fonds étrangers – et s’est rallié à la proposition de transférer les biens et capitaux confisqués aux Églises60. Il est intéressant de noter que le régime syrien a promulgué fin 2018 une loi simi- laire. Elle exige des réfugiés de prouver la propriété des biens fonciers laissés dans les zones de reconstruction. On ignore si cette loi vise à faire pression sur les réfugiés pour qu’ils rentrent en Syrie ou si elle doit simplement servir à exproprier les oppo- sants au régime qui ont choisi l’exil61. La Fédération démocratique de Syrie du Nord a également été à maintes reprises accusée de violer les droits humains. On a ainsi reproché aux forces kurdes d’avoir forcé le déplacement d’Arabes62 et aux Forces démocratiques syriennes – dont les YPG – de pratiquer l’enrôlement forcé, dont celui d’enfants. En outre, on a fait état de certains cas de torture et d’un cas d’homicide extralégal (en 2017)63. Un rapport de l’Assyrian Confederation of Europe, paru début 2017 et intitulé Assyrians Under Kurdish Rule, The Situation in Northeastern Syria64, impute de nombreuses évolu- tions négatives au gouvernement autonome de la Fédération démocratique de Syrie du Nord, dominé par le PYD, dont les chrétiens seraient, c’est en tout cas ce qu’induit le titre, la cible exclusive ou principale. 3.1.2 Double service militaire obligatoire Au moins pendant la période de coexistence de facto, de l’administration nationale de l’État syrien et du gouvernement autonome de la Fédération démocratique de Syrie du Nord, les citoyens de la région septentrionale de Syrie – dont des chrétiens – ont été assujettis à une double obligation militaire. D’un côté, l’armée syrienne enrô- lait des recrues, de l’autre, les YPG exigeaient aussi qu’on accomplisse le service mili- taire65. Les autorités étatiques syriennes, de même que les YPG, ne reconnaissaient pas le service militaire effectué dans l’autre institution66. 3.1.3 Taxes et impôts La présence parallèle, au moins jusqu’en 2012, de l’administration publique de l’État syrien et du gouvernement autonome de la Fédération démocratique de Syrie du Nord s’est également répercutée sur les taxes et impôts des habitants de la région – pas uniquement les chrétiens. Tandis que les impôts n’étaient prélevés que par l’admi- 12
3. La Fédération démocratique de Syrie du Nord nistration étatique, les habitants ont dû verser des taxes pour les services aussi bien à l’administration publique de l’État syrien qu’au gouvernement autonome de la Fédéra- tion démocratique de Syrie du Nord67. On ignore toutefois si les taxes pour les services devaient être acquittées à l’une ou l’autre administration publique – de l’État syrien ou de la Fédération démocratique de Syrie du Nord – en fonction du contrôle des divers territoires ou bien aux deux simultanément. 3.1.4 Cotisations obligatoires à la reconstruction de localités en Turquie Certaines localités dans lesquelles le PKK se serait installé, aux dires des forces armées turques, ont fait l’objet d’offensive de l’armée turque à partir d’août 2016, et ont entraîné des destructions, et ce des deux côtés de la frontière turco-syrienne – notamment à Nusaybin en Turquie68. Le PYD a par la suite exigé d’hommes d’affaires de la région d’Hassaké des contributions financières à hauteur de 100 000 à 3 mil- lions de livres syriennes69 pour soutenir les « countrymen (compatriotes) du PYD » à Nusaybin, « autrement dit du PKK ». Cette campagne a soulevé des protestations, parce que les citoyens syriens, pas seulement les chrétiens, ont été priés de payer la reconstruction d’une ville du pays voisin avec laquelle ils n’avaient rien à voir70. 3.1.5 Introduction de nouveaux programmes scolaires par le gouvernement autonome dominé par le PYD L’introduction de nouveaux programmes scolaires par le gouvernement autonome dominé par le PYD en 2016 a touché également les établissements confessionnels dans le gouvernorat d’Hassaké. Les conflits qui en ont résulté entre le gouvernement autonome dominé par le PYD et les chrétiens seront abordés en détail plus loin (voir p. 37, Les écoles privées chrétiennes). 3.1.6 La violence à l’encontre des personnes Les pouvoirs publics sous le régime Assad ont toujours recouru à la violence dès que des individus se sont prétendument ou réellement opposés à l’État – sous quelque forme que ce soit. L’usage de la violence à l’encontre des individus par des groupuscules islamistes (Al-Qaïda ou l’EI ou de leur entourage) est régulier depuis 2011 en Syrie. Toute per- sonne en désaccord avec leur exégèse grossière de l’islam devait compter sur des agressions violentes, avec des menaces pour sa vie. Les membres des minorités religieuses – nommément les chrétiens – y étaient particulièrement exposés. L’usage de la violence à l’encontre de personnes, qu’il relève du régime syrien ou des groupuscules islamistes, est bien documenté. Je me contenterai donc de présenter ici quelques cas exemplaires de violences dont se sont rendus coupables le PYD et les groupes dans sa mouvance, qui règnent sur le gouvernement autonome de la Syrie du Nord. Ils illustrent de façon exemplaire que le PYD et son entourage répondent par une violence brutale à la non-soumission et aux critiques, en dépit de leur ambition ‹ démo- cratique › régulièrement réitérée. La liste des incidents pourrait se prolonger à l’envi. Le 22 avril 2015, deux leaders assyriens de la région du Khabour ont été attaqués par cinq combattants des YPG. Les deux victimes étaient des commandants des forces assyriennes Zéravani dans la région du Khabour. David Antar Cindo y a laissé la vie, 13
La situation et les perspectives des chrétiens dans le nord et le nord-est de la Syrie Elias Nasser a été grièvement blessé. Dans un premier temps, il a été difficile de déter- miner si cette agression relevait de l’ordre du crime ou de l’acte politique. Quoi qu’il en soit, les miliciens des YPG auraient subtilisé 750 000 livres, 35 mitrailleuses AK47 et quelques fusils-mitrailleurs RPK dans la maison d’Elias Nasser. Ce dernier doit la vie au fait que les coupables ont pu être identifiés. Vers 23 heures, David Antar Cindo et Elias Nasser ont reçu la visite de combattants des YPG, qui leur ont indiqué que leurs chefs souhaitaient discuter avec eux des pil- lages et qu’ils devaient les conduire à cet effet dans un autre lieu. N’ayant aucune rai- son de se méfier de cette information, les deux Assyriens ont accompagné les mili- ciens des YPG. Au prétexte de devoir garder secret le lieu de rendez-vous, leurs yeux ont été bandés. En chemin, ils ont été attachés. Les deux hommes ont alors été accu- sés de collaborer avec l’EI et le régime Assad. David Antar Gindo a été torturé. Selon la Fédération assyrienne en Allemagne et en Suède, ces accusations ne constituaient qu’un prétexte. Les YPG cherchaient en réalité à s’assurer le contrôle du Conseil des gardes de Khabour (Khabour Assyrian Council of Guardians). Arrivés à destination, David Antar Gindo a été fusillé à l’écart de la route. Les tirs n’ont pas tué Elias Nasser, mais l’ont grièvement blessé. Les miliciens, le croyant mort, l’abandonnèrent à son sort. Il est parvenu à gagner la route la plus proche, d’où il a été transporté dans un hôpital de Qamichli71. Les YPG ont mené une enquête sur cette affaire, qui a conduit quelques jours plus tard à l’arrestation de quatre suspects. Tandis qu’Elias Nasser persista à affirmer que les cinq coupables étaient membres des YPG, ces dernières expliquèrent sur leur site Internet72 que les quatre personnes appréhendées n’étaient pas membres de l’orga- nisation73. La véracité de cette version peut légitimement être mise en doute. Dans le cas contraire, les Gardes de Khabour n’auraient pas publié une déclaration officielle indiquant qu’en raison de cet incident ils se retiraient des combats à partir du 8 juin 2015 et qu’ils ne souhaitaient plus faire partie des Forces démocratiques syriennes dominées par les YPG74. Le 22 septembre 2018, Isa Rashid, professeur ‹ araméen › [syriaque orthodoxe] et direc- teur de l’Institut Nsibin, en charge des écoles ‹ araméennes › [syriaques orthodoxes], a été grièvement blessé devant sa maison par deux agresseurs munis de battes de base-ball. Il s’agissait manifestement d’un acte de vengeance parce que Rashid refu- sait d’introduire les programmes développés par le gouvernement autonome dominé par le PYD dans les établissements scolaires syriaques orthodoxes. Ce refus avait provoqué une altercation violente quelques jours plus tôt entre Rashid et Elisabeth Gouriye, présidente de l’Institut Olaf Taw75, également vice-présidente du gouverne- ment autonome76. Cette affaire est significative, car elle montre que le gouvernement autonome dominé par le PYD ne recule pas devant l’usage de la violence, lorsque ses directives ne sont pas appliquées. Il met également en lumière que les membres chrétiens du gouverne- ment autonome dominé par le PYD et proches du Parti de l’union syriaque sont impli- qués comme auxiliaires dans ces exactions du PYD, même lorsqu’il s’agit de conflits violents à l’encontre de leur propre population. 14
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