Les tribulations d'une momie - Neuchâtel
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22 | | ÉGYPTOLOGIE Les tribulations d’une momie C’est l’histoire de la dépouille oubliée de l’Égyptienne Ta-sherit-en-Imen, vieille d’approximativement 3000 ans. Trimballée entre différents propriétaires, elle a fini par atterrir chez Valentin Boissonnas, professeur à la Haute École Arc de Neuchâtel, et ses élèves en conservation-restauration. Texte: Alain Portner Photos: Patrice Schreyer, Guillaume Perret L’ ascenseur plonge dans les en- 1 La fille du dieu Amon Il ramène cet encombrant «souvenir» trailles de la Haute École Arc de à Brissago (TI) où il rejoint sa collec- Neuchâtel. Au niveau -2, la cabine Grâce aux inscriptions figurant sur le tion personnelle. Quelques années s’ouvre sur un long couloir gris sarcophage et à une datation au car- plus tard, taraudé par la curiosité, cet et froid qu’éclaire d’une lumière blafarde bone 14 effectuée sur un fragment de Italien découpe le sarcophage pour une rangée de tubes néon. Le professeur tissu il y a une quinzaine d’années de voir ce qu’il y a à l’intérieur. «Cela se Valentin Boissonnas s’arrête devant une cela, on sait déjà que la momie date de serait passé au début du XXe siècle porte métallique. La clé tourne sans bruit 800 à 520 avant Jésus-Christ, qu’elle dans le jardin de sa villa, en présence dans la serrure. Il presse sur un interrup- est de sexe féminin et qu’elle s’appelle d’un public et d’un reporter», précise teur. La pièce climatisée s’illumine. Ta-sherit-en-Imen, soit la fille du notre guide. «Voilà la momie, voilà Ta-sherit-en- dieu Amon. «C’est un nom peu fré- Imen!» Notre guide s’écarte pour nous lais- quent, il est possible qu’elle ait été ser voir le sarcophage endormi, qui gît à l’in- employée dans un temple mais ce 3 Les pieds égarés térieur d’une grande boîte en bois au cou- n’est qu’une hypothèse», avance pru- vercle de verre. Juste à côté d’une vieille demment le professeur Boissonnas. En 1912, Zaccharia Zanoli fait don moto et d’un vase rococo. Ses yeux, ourlés En tous les cas, ça devait être une per- à la commune de Brissago de toutes d’un trait de khôl, attirent tout de suite le sonne d’un rang social élevé comme les curiosités acquises durant ses regard, éclipsant un court instant le piteux l’indique son visage rehaussé à la voyages avec l’intention de créer un état de ce cercueil en cartonnage vieux de feuille d’or. Et le style des décorations musée. La momie y sera exposée près de 3000 ans, qui a perdu de sa superbe de son cercueil – typique du site de jusqu’à sa fermeture. Remisée ensuite et de ses couleurs au fil du temps et des Akhmîm – laisse supposer qu’elle dans un dépôt de fortune (c’est peut- déménagements. vivait dans les environs de Thèbes, être durant ce déménagement que ses capitale de l’ancienne Égypte. pieds se sont cassés et ont disparu...), Remonter le temps elle finira par être oubliée par le pu- Sensible à la valeur culturelle de cet objet, blic… Jusqu’à ce que la municipalité Valentin Boissonnas a mis en branle un 2 Le collectionneur tessinoise la redécouvre et demande ambitieux projet de recherches interdisci- Zanoli à notre interlocuteur, qui a un atelier plinaire qui démarre en 2021. «Notre but de restauration à Zurich, un devis est de sauvegarder et préserver cet écrin et Victime probable de pilleurs de pour lui redonner son lustre d’antan. la dépouille qu’il contient. En étudiant cette tombes – une activité courante et Trop cher pour les finances de cette momie, nous allons remonter le temps, lucrative en Égypte au XIXe siècle –, localité des bords du lac Majeur. strate après strate, pour tenter de mieux Ta-sherit-en-Imen s’est retrouvée sur Comme les musées suisses contactés connaître son histoire, avant et après son un marché au Caire. C’est là sans refusent d’héberger cet objet archéo- embaumement… doute que Zaccharia Zanoli, proprié- logique en l’état, le professeur taire d’hôtels en Italie et ami de Boissonnas imagine le montage d’un Garibaldi, l’a acquise en 1887 contre projet de recherches avec la Haute quelques livres égyptiennes. École Arc de Neuchâtel…
ÉGYPTOLOGIE | | 23 Les travaux d’ana- lyses et de restau- ration de la momie débuteront l’an prochain et s’étale- ront sur trois ans.
ÉGYPTOLOGIE | | 25 4 Les experts entrent en scène Ta-sherit-en-Imen repose provi- soirement dans une réserve, à six pieds sous terre et à deux pas de la gare de Neuchâtel. En attente d’être étudiée sous toutes les cou- tures dans le cadre d’un projet in- terdisciplinaire qui démarre offi- ciellement en 2021 et auquel se- ront associés des étudiants des cycles bachelor et master. L’idée est de faire parler la momie ainsi que son sarcophage avant de les restaurer et d’assurer leur conser- vation à long terme. Plusieurs partenaires se parta- geront ce travail, principalement la HE-Arc de Neuchâtel, la Haute École des arts de Berne, le Musée Une datation au carbone 14 sur un fragment de tissu a déjà permis de déterminer l’âge approximatif de la momie. d’histoire et d’ethnographie de Saint-Gall et l’Institut de méde- cine évolutive de l’Université de Zurich. Ensemble, ils tenteront de faire toute la lumière sur l’his- toire de cette femme, qui a vécu à l’époque des pharaons. Com- ment? En analysant son cercueil 6 L’ultime demeure en cartonnage, ses bandages, sa dépouille, les techniques d’embau- Une fois restaurée, Ta-sherit-en mement utilisées… «Ces diverses Imen ne retournera pas en Égypte. approches donneront de pré- «Ce pays ne demandera pas sa res- cieuses indications sur son âge, son titution, car il a déjà une quantité statut social ou encore son régime pharaonique de momies fabu- alimentaire, note notre guide. On leuses à conserver», sourit notre saura également si elle a eu des interlocuteur. En revanche, avant enfants et de quelles maladies elle de rejoindre sa future et peut-être a souffert.» Ces experts envisagent dernière demeure – le Musée d’his- aussi de reconstituer son visage toire et d’ethnographie de Saint- en 3D. Gall –, elle fera un détour par Brissago où elle sera exposée temporairement dans la maison 5 Le soutien des de commune qu’elle avait hantée Égyptiens précédemment. Les travaux d’analyses et de restau- ration de la fille d’Amon s’étaleront 7 La malédiction de sur trois ans environ. Les coûts, eux, la momie avoisineront les 280 000 francs. «Nous avons reçu une participation Le professeur Boissonnas craint-il importante de l’Office fédéral de la la fameuse malédiction des mo- culture (OFC) qui a été sensible au mies? Il rit. «Non, pas vraiment. fait que notre projet soit approuvé Zaccharia Zanoli, son précédent par l’Égypte via son Département propriétaire, a vécu une longue des antiquités, relève avec satisfac- existence et il n’y a pas eu de cas de tion Valentin Boissonnas. Des morts suspectes dans son entou- échanges et formations continues rage. Je pense que si elle pouvait en conservation-restauration sont s’exprimer, Ta-sherit-en-Imen di- d’ailleurs prévus dans les deux pays «Si elle pouvait s’exprimer, Ta- rait sa satisfaction de se voir si bien partenaires.» Avis aux fondations sherit-en-Imen dirait sa satisfaction traitée. Nous allons lui redonner et donateurs potentiels, il reste une seconde jeunesse et lui per- à peu près 150 000 francs à trouver de se voir si bien traitée» mettre ainsi de poursuivre son pour boucler le budget de ce projet voyage éternel dans une dépouille de recherches! Valentin Boissonnas , professeur à la Haute École Arc restaurée.» MM
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