2.3.3.4. Cantique des cantiques - DIAL@UCLouvain

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Publié dans Die Wirkungs- und Rezeptionsgeschichte der Septuaginta, hg. von
Martin MEISER & Florian WILK (Handbuch zur Septuaginta – Handbook of the
Septuagint 6), Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 2022, pp. 293-296.

                  2.3.3.4. Cantique des cantiques
                            JEAN-MARIE AUWERS

1. Littérature

1.1. Principaux commentaires patristiques grecs du Cantique des
cantiques

Grégoire de Nysse: Homélies sur le Cantique des Cantiques (sur Ct 1,1-6,9) =
Gregorii Nysseni In Canticum Canticorum, ed. HARTMUT LANGERBECK, GNO
6, Leiden 1960 (Trad. ital. par Claudio Moreschini, Collana di testi patristici
12, Roma, 1988; trad. allemande par Franz Dünzl, FC 16, Freiburg, 1994; trad.
fr. par Adelin Rousseau, Bruxelles, 2008; trad. angl. par Richard A. Norris,
Atlanta, 2012) – Hippolyte: Commentaire sur le Cantique (sur Ct 1,1-3,8) =
Traités d'Hippolyte sur David et Goliath, sur le Cantique des cantiques et sur
l'Antéchrist. Version géorgienne éditée par GERARD GARITTE, CSCO 263,
Leuven 1965, 32-70 (Trad. latine par Gérard Garitte, CSCO 264, Leuven 1965,
23-53) – Nil d'Ancyre: Commentaire sur le Cantique des Cantiques = Nilus von
Ancyra: Schriften. Band 1. Kommentar zum Hohelied, Bearbeitet von HANS-
UDO ROSENBAUM, PTS 57, Berlin 2004; édition partielle [jusque Ct 4,1] avec
trad. fr. par MARIE-GABRIELLE GUÉRARD, SC 403, Paris 1994, le volume
suivant est en préparation) – Origène: Homélies sur le Cantique des Cantiques
(sur Ct 1,1-2,14) = Origenes: Homilien zu Samuel I, zum Hohelied und zu den
Propheten, Kommentar zum Hohelied, in Rufins und Hieronymus'
Übersetzungen, ed. WILHELM ADOLF BAEHRENS, GCS 33, Leipzig 1925, 27-
60 (Trad. fr. par Olivier Rousseau, SC 37bis, Paris 1966; trad. ital. par Maria
Ignazia Danieli, Collana di testi patristici 83, Roma 1990; trad. ital. par Manlio
Simonetti, Milano, 1998; trad. allemande par Alfons Fürst et Holger Strutwolf,
Origenes Werke mit deutscher Übersetzung 9/2, Berlin 2016) – Origène:
Commentaire sur le Cantique des Cantiques (sur Ct 1,1-2,15) = Origenes:
Homilien zu Samuel I …, GCS 33, Leipzig 1925, 61-241 (Trad. angl. par Ruth
Penelope Lawson, ACW 26, 1957; trad. ital. par Manlio Simonetti, Collana di
testi patristici 1, Roma 1976; trad. fr. par Luc Brésard et Henri Crouzel, SC
375-376, Paris 1991-1992) – Origene: Commentario al Cantico dei cantici.
Testi in lingua greca, éd. MARIA ANTONIETTA BARBARA, Biblioteca Patristica
42, Bologna, 2005 (édition des scholies des chaînes, avec trad. italienne) –
Philon de Carpasia: Commentaire sur le Cantique des Cantiques (éd. MICHAEL
ANGELUS Giacomelli), PG 40, 28-153. Adaptation latine par Épiphane le
scholastique, ed. ALDO CERESA-GASTALDO, Corona Patrum 6, Turin 1979
(avec trad. ital.) – Procope: Épitomé sur le Cantique des Cantiques = Procopii
Gazaei Epitome in Canticum canticorum, éd. par JEAN-MARIE AUWERS, CC.SG
67, Turnhout, 2011 (Trad. fr. en préparation) – Théodoret de Cyr: Commentaire
sur le Cantique des Cantiques (éd. JOHANN LUDWIG SCHULZE), PG 81, 28-213
(Trad. angl. par Robert C. Hill, Brisbane, 2001).

1.2. Littérature secondaire

AUWERS, JEAN-MARIE: « Le Cantique des cantiques, matrice de la spiritualité
chrétienne », «Canterò in eterno le misericordie del Signore» (Sal 89, 2).
Festschrift Gianni Barbiero, AnBib, Rome 2015, 347-358 – AUWERS, JEAN-
MARIE: Le Cantique des cantiques, La Bible d’Alexandrie 19, Paris 2019, 127-
158 et passim – CABASSUT, ANDRE: « Blessure d’amour », Dictionnaire de
spiritualité, t. 1 (1937), 1724-1729 – CABASSUT, ANDRE: « Une dévotion
médiévale peu connue : la dévotion à “Jésus notre mère” », Revue d’ascétique
et de mystique 25 (1949), 234-245 – CHRETIEN, JEAN-LOUIS: Symbolique du
corps. La tradition chrétienne du Cantique des cantiques, Paris 2005 –
COURCELLE, PIERRE: Connais-toi toi-même, de Socrate à saint Bernard, 3 vol.,
Collection des Études Augustiniennes, Série Antiquité, 58-60, Paris 1974-1975
– CROUZEL, HENRI: « Origines patristiques d’un thème mystique : le trait et la
blessure d’amour chez Origène », dans: PATRICK GRANFIELD / JOSEF ANDREAS
JUNGMANN (éds), Kyriakon. Festschrift Johannes Quasten, vol. 1, Münster
1970, 309-319 – DOIGNON, JEAN: « “Blessure d’affliction” et “blessure
d’amour” (Moralia 6, 25, 42): une jonction de thèmes de la spiritualité
patristique de Cyprien à Augustin », dans: JACQUES FONTAINE / ROBERT GILLET
/ STAN M. PELLISTRANDI (éds), Grégoire le Grand, Colloques internationaux
du CNRS, Paris 1986, 297-303 – FRANK, KARL SUSO: « Geordnete Liebe. Cant
2,4b in der patristischen Auslegung », Wissenschaft und Weisheit 49 (1986),
15-30 – PÉTRÉ, HÉLÈNE: « Ordinata caritas. Un enseignement d'Origène sur la
charité », RSR 42 (1954), 40-57 – SIMKE, HEINZ: « Cant. I, 7f. in altchristlicher
Auslegung », ThZ 18 (1962), 256-267.

2. Remarques préliminaires

Le Cantique des cantiques est la matrice biblique de la spiritualité chrétienne.
Il a fourni aux chrétiens les mots dont ils avaient besoin pour dire la plus haute
expérience mystique, celle de l’union de l’être humain avec son Dieu, mais la
plupart de thèmes qui ont marqué la spiritualité chrétienne proviennent
d’options prises par le traducteur grec.1

3. L’histoire de la réception des particularités de la Septante

1.   AUWERS: « Le Cantique des cantiques, matrice de la spiritualité chrétienne », passim.
En Ct 1,2b, la bien-aimée réclame les baisers de son amoureux, en lui disant :
« tes caresses sont meilleures que le vin » (TM). La LXX lui fait dire : « tes
seins (µαστοί σου) sont meilleurs que le vin ». De même, en 1,4d, au lieu de
« nous célébrerons tes caresses plus que le vin » (TM), le grec traduit: « nous
aimerons tes seins (µαστούς σου) plus que le vin ». La traduction grecque
suppose la lecture ‫ ַדּ ֶדּיָך‬au lieu de ‫דּ ֶֹדיָך‬. Même option dans la Vulgate (ubera).
Dans la lecture allégorique qu’ils ont faite du Cantique, les lecteurs chrétiens
ont interprété les seins du bien-aimé comme la source de l’enseignement du
Verbe divin. Déjà Hippolyte identifie les deux seins avec l’Ancien et le
Nouveau Testament (ComCt, CSCO 263, p. 26), tandis que pour Origène la
doctrine évangélique, issue de la poitrine du Sauveur, surpasse de beaucoup le
vin des enseignements prophétiques (ComCt, I, 2, 8-9, GCS 33, p. 94). On est
ici au point de départ du thème des seins nourriciers du Verbe, source de sa
doctrine, thème que les commentateurs vont traiter dans toute sa diversité2 : ils
surpassent tantôt le vin de la Loi et la doctrine prophétique (comme chez
Origène), tantôt « le lait de la sagesse des Grecs, qui paraît avoir le goût du
vin » (Nil d’Ancyre, ComCt, PTS 57, p. 10). Quant aux seins, s’ils sont souvent
identifiés à la doctrine du Verbe, ils peuvent être aussi « les généreuses
interventions de la puissance divine en notre faveur, par lesquelles Dieu allaite
la vie de chacun, accordant à chacun de ceux qui la reçoivent la nourriture qui
leur convient » (Grégoire de Nysse, HomCt, 1, GNO 6, p. 33). Ce thème
aboutira, dans l’Occident médiéval, à la dévotion à Jésus-notre-mère (sous
l’influence de saint Anselme, 11e s.)3.
     En Ct 1,7, la bien-aimée demande au bien-aimé de lui indiquer où il fait
paître son troupeau. Il lui est répondu : « Si tu ne (le) sais pas toi-même (litt. :
« pour toi », ‫)לָ ְך‬, belle entre les femmes, sors sur les traces des brebis … » (TM).

2.   Cf. CHRETIEN: Symbolique du corps, 201-223.
3.   Cf. CABASSUT: « Une dévotion médiévale peu connue, passim.
La LXX propose : « Si tu ne te connais pas toi-même … » (ἐὰν µὴ γνῷς
σεαυτὴν), c.-à-d. que le traducteur grec a interprété le dativus commodi ‫לָ ְך‬
(« pour toi ») comme le complément d’objet direct. Jérôme, dans sa traduction
d’après l’hébreu, a pris la même option : Si ignoras te. C'est donc un contresens
qui est à l'origine d'une riche tradition interprétative, chez Philon d’Alexandrie
et dans la patristique tant grecque que latine, sur la nécessité de se connaître
soi-même4. Origène, qui a repéré ici la présence du précepte delphique
« Connais-toi toi-même », a réinterprété celui-ci à la lumière de la révélation
biblique : se connaître, c’est découvrir l'empreinte divine que chacun porte en
soi, et plus précisément se reconnaître créé à l'image de Dieu (Gn 1,26-27), et
donc reconnaître que la beauté originelle de l’âme tient à l'image de Dieu qui
est en elle (ComCt, II, 5, GCS 33, p. 141-142). Origène a investi ce précepte
d'un sens fondé sur la tradition judéo-chrétienne.
     En 2,4, la bien-aimée constate: « Il m'a fait entrer dans la maison du vin;
son étendard au-dessus de moi, c'est Amour » (TM). La LXX traduit le v. 4b
par : τάξατε ἐπ᾿ ἐµὲ ἀγάπην, c.-à-d. que le traducteur a lu une forme verbale
(‫ ִדּגְ לוּ‬ou ‫)דּגְּ לוּ‬
                  ַ au lieu du substantif ֺ ‫ «( ִדּגְ לו‬son étendard »). Le sens voulu par le
traducteur grec est probablement : « déployez contre moi l’amour » (sens
militaire de τάσσειν) 5. Mais le verbe τάσσειν (« placer, mettre ») est trop général
en grec pour sauver l'image militaire auprès des lecteurs qui n’avaient pas accès
au modèle hébreu. L’image est déjà perdue dans la traduction vieille-latine :
constituite in me caritatem, « établissez en moi l’amour ». Les chrétiens ont vu
ici une invitation à « ordonner » la charité, à y mettre bon ordre. De « ranger en
ordre de bataille », on est passé à l’idée d’« arranger, mettre en ordre ». D'où le
thème patristique de la charité bien ordonnée, qui apparaît dès Origène (HomCt,

4.   Cf. SIMKE: « Cant. I, 7f. in altchristlicher Auslegung », passim; COURCELLE: Connais-toi
     toi-même, vol. 1, Paris 1974.
5.   Cf. AUWERS: Le Cantique des cantiques, 216-217.
II, 8, GCS 33, p. 52-53 ; ComCt, III, 7, GCS 33, p. 186-191) et qui sera traité
tout au long de l’époque patristique6.
     En Ct 2,5, la bien-aimée demande à être ranimée avec des pommes, car,
dit-elle selon le TM, « je suis malade d’amour ». Le grec ne parle pas de
maladie, mais de blessure : τετρωµένη ἀγάπης ἐγώ « je suis blessée d’amour ».
D’où le thème mystique du trait et de la blessure d’amour, qui apparaît chez
Origène (HomCt, II, 8, GCS 33, p. 53-54 ; ComCt, Prol., 2,36 et III, 8, 13-15,
GCS 33, p. 71 et 194-195). Pour Origène, l’archer est soit le Père (selon Is 49,2),
soit le Christ lui-même dans sa beauté d’image du Père ; la flèche est le Verbe,
ou bien la plaie qui se forme dans l’âme (Contre Celse, VI, 9, GCS 3, p. 79) ;
l’épouse que blesse le trait n’est jamais l’Église, mais toujours l’âme fidèle7. Ce
thème sera abondamment traité dans la littérature mystique, à l’époque
patristique (Grégoire de Nysse, HomCt, 4, GNO 6, p. 127-129 ; Augustin,
Enarrationes in psalmos, 37, 5, CCSL 38, p. 385-386; Grégoire le Grand,
Moralia in Job VI, 25, 42, CCSL 143, p. 3158) et bien au-delà9.
     En Ct 2,7, les filles de Jérusalem sont adjurées de ne pas réveiller l'amour
avant son bon vouloir : « si vous éveillez, si réveillez l'amour avant qu'il ne le
veuille, … » (sous-entendu : « maheur à vous »). Le traducteur grec a rendu la
phrase mot pour mot, en décalquant la tournure hébraïque d'adjuration, mais,
comme la proposition conditionnelle n'est pas attestée en grec avec cette valeur,
les lecteurs anciens ont compris que le texte invitait à réveiller l'amour endormi,
« au point où il le veut » ou « jusqu’à cela qu’il veut ». Le verset a donc été lu
à contresens de l'hébreu, comme une invitation à réveiller l'amour de charité
qui dort au fond de nous, et cela dès Origène (HomCt, II, 9, GCS 33, p. 55 ;
ComCt, III, 10, GCS 33, p. 197-199).

6.   Cf. PETRE, « Ordinata caritas. Un enseignement d'Origène sur la charité », passim ;
     FRANK, « Geordnete Liebe. Cant 2,4b in der patristischen Auslegung », passim.
7.   Cf. CROUZEL : « Origines patristiques d’un thème mystique, passim.
8.   Cf. DOIGNON : « “Blessure d’affliction” et “blessure d’amour”, passim.
9.   CABASSUT, « Blessure d’amour », passim.
En 4,8, au lieu de « tu quitteras le sommet de l’Amanah » (TM), la LXX
propose : « Tu parviendras depuis la début de la foi », ce que Grégoire de Nysse
identifie au « sacrement de la naissance d’en-haut » (HomCt, 8, GNO 6, p. 250).

Tous ces développements auraient été impossibles à partir de la Bible des
Massorètes.
2.3.3.5. Ijob   8
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