2023 Fondation Abbé Pierre
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2023 R A P P O RT A N N U E L #28 SOMMAIRE PREMIER CAHIER D’une crise à l’autre. Une politique du logement sans ambition face à une situation sociale dégradée DEUXIÈME CAHIER Le genre du mal-logement. TROISIÈME CAHIER 2022 : année de transition ou année perdue ? QUATRIÈME CAHIER Les chiffres du mal-logement BON DE COMMANDE
PREMIER CAHIER D’une crise à l’autre Une politique du logement sans ambition face à une situation sociale dégradée 2023 #28
PREMIER CAHIER D’une crise à l’autre Après deux années, 2020 et 2021, marquées par une crise sanitaire mondiale qui a durement touché les plus modestes, 2022 a été affectée par l’inflation qui s’établit à des niveaux inconnus depuis plus de 30 ans et par une crise énergétique survenue dans le sillage de la guerre en Ukraine. L es ménages consacrent inéluctablement L’écart a rarement semblé aussi grand entre d’un une partie croissante de leur budget aux côté l’état du mal-logement, sa permanence, dépenses indispensables : se nourrir, se comme ses manifestations aggravées (augmenta- chauffer, se loger, se soigner et se déplacer. Ce tion du nombre de personnes sans domicile, hausse 2 qui laisse peu de marge pour des dépenses moins des coûts, nombre de logements énergivores…), contraintes (équipement de la maison, habille- et d’un autre côté, l’insuffisance des réponses pu- ment, loisirs…). Et parmi les dépenses contraintes bliques pour rendre le logement abordable tant et essentielles, le logement tient, on le sait, une dans le parc existant dont l’ouverture aux plus mo- place prépondérante. destes se restreint, que dans la construction neuve, Dès lors, on est étonné de la faible place que les qui reste insuffisante au regard de l’ampleur et des responsables politiques accordent à la question caractéristiques de la demande. du logement au début de ce second quinquennat La situation actuelle devrait conduire à renforcer d’Emmanuel Macron : deux mesures seulement le rôle protecteur du logement, pas seulement pour dans son programme électoral, pas de ministre en les précaires mais aussi pour tous les ménages mo- charge de cette question essentielle dans son pre- destes. Et aussi, à veiller à ce que la dimension pro- mier gouvernement, une thématique absente ini- tectrice des politiques publiques ne soit pas affai- tialement du Conseil national de la refondation, blie comme c’est le cas dans le domaine du travail avant que les acteurs sociaux parviennent à l’y et des politiques sociales. réintégrer, cela alors même que les tensions liées au logement se manifestent sous des formes di- verses, mois après mois, sans trouver de réponse à la hauteur. D’une crise à l’autre.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 LA QUESTION DU LOGEMENT MINORÉE PAR LES POLITIQUES MAIS TOUJOURS OMNIPRÉSENTE Des enfants à la rue en hiver La première alerte, la plus immédiatement Depuis, la situation ne s’est guère améliorée mal- choquante, concerne les enfants à la rue. Des gré la promesse du ministre du Logement qu’il femmes enceintes ou de jeunes mères avec leurs n’y ait plus aucun enfant à la rue cet hiver. Au 19 nourrissons sont régulièrement refusées par les décembre 2022, malgré l’ouverture de gymnases services d’hébergement faute de places. Dans plu- dans le cadre du plan Grand froid, on comptait en- sieurs villes de France (notamment Rennes, Lyon, core 4 029 personnes en familles refusées le soir- Grenoble, Le Havre, Strasbourg, Toulouse, Ivry- même par le 115, dont 1 172 enfants et même 335 de sur-Seine, Rosny-sous-Bois, Pantin, Paris, Rodez), moins de trois ans. 3 ce sont les parents d’élèves et les enseignants qui se sont émus de telles situations et ont été conduits, Expulsions sans relogement : en l’absence de solutions d’hébergement, à se mo- retour à l’anormal biliser, jusqu’à accueillir dans les écoles les enfants Alors que les dispositifs publics ne parviennent et familles sans domicile, ou à leur payer des nuits pas à répondre aux besoins d’hébergement, des d’hôtel, compensant ainsi les carences de l’État. personnes sont obligées de se replier vers des lieux L’État face à l’insuffisance de l’offre laisse aux SIAO de vie informels, mais en sont fréquemment expul- la gestion de l’impuissance publique et du tri inhu- sées. Ce qui, faute de solution pérenne, ne fait que main entre des personnes toutes prioritaires. Et déplacer et entretenir les difficultés des personnes quand, en décembre 2022, par des températures concernées. La Fondation Abbé Pierre a recensé de négatives, le tribunal administratif impose à l’État telles pratiques dans de nombreuses villes. Il en a d’héberger sept familles à la rue, dont trois femmes été ainsi par exemple à Strasbourg, à Montpellier, enceintes et une dizaine d’enfants mineurs scolari- dans la région lilloise et dans l’Hérault, en Nou- sés, l’État fait appel de la décision… et obtient gain velle-Aquitaine comme en Île-de-France… Partout de cause au Conseil d’État. L’ordonnance du 26 dé- des squats et campements sont régulièrement éva- cembre de ce dernier témoigne de la dégradation cués par les forces de l’ordre. D’après le rapport de la situation, et du degré d’inhumanité à laquelle annuel de l’Observatoire des expulsions de lieux elle conduit, quand la plus haute juridiction admi- de vie informels, l’année écoulée a encore été une nistrative estime qu’une femme enceinte, son com- année record à ce titre ; 2 078 expulsions collec- pagnon et leurs trois enfants de 4, 6 et 7 ans n’ont tives ont été constatées entre le 1er novembre 2021 pas à être mis à l’abri en urgence « compte tenu et le 31 octobre 2022, touchant chaque fois 130 de la présence de familles encore plus vulnérables personnes en moyenne, contre 1 330 expulsions dans un contexte de saturation des hébergements l’année précédente. d’urgence ». 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
Bien que nous ne disposions pas des données situait régulièrement au-dessus de 15 000 par an concernant les procédures d’expulsions locatives entre 2015 et 2019, il a chuté à un peu plus de 8 000 de 2022, les remontées de terrain font quant à elles en 2020, pour reprendre sa marche en avant dès craindre que l’accalmie constatée en 2020 liée au 2021 (12 000 expulsions) puis son niveau pré-Co- Covid ne soit que passagère. Alors que le nombre vid en 2022, d’après les déclarations du ministre d’expulsions avec concours de la force publique se du Logement. DES PRIX DU LOGEMENT DEVENUS INSOUTENABLES POUR LES MÉNAGES MODESTES Les logements de moins en moins abordables dans de nombreux territoires Alors que le logement représente depuis plusieurs Cet élargissement des territoires d’exclusion a années le premier poste de dépense des Françaises conduit la Fondation Abbé Pierre à examiner les et Français, à hauteur de 27,8 % en 2021 (contre conditions d’accès au logement de ménages de 20 % en 1990 selon l’Insee), la hausse des prix tailles diverses ayant des revenus inférieurs à la de l’immobilier tend à se répandre dans la moyenne dans 24 villes de différentes tailles. Ce plupart des régions. Aujourd’hui, toutes les panel a été mis en regard du pouvoir d’achat et de 4 zones littorales ouest et sud du pays présentent la capacité à se loger d’un ensemble de 12 ménages- des prix élevés comme la quasi-totalité des métro- types, représentatifs des catégories pauvres, mo- poles et des secteurs à proximité de l’Allemagne, destes et de condition moyenne. de la Suisse et du Luxembourg. D’autres villes Dans les 13 communes appartenant aux 8 mé- moyennes sont touchées par la hausse des prix, tropoles sélectionnées, le parc locatif privé notamment en raison de leur relative proximité apparaît inaccessible à la majorité des avec la région parisienne, comme Le Mans, Tours, ménages-types étudiés. Les prix pratiqués Chartres, Reims, Orléans ou Angers. dans les communes de banlieue proche, pourtant Une alerte concerne particulièrement le loge- historiquement plus abordables, rendent les loge- ment des salariés modestes dans toute la ments souvent inaccessibles, notamment pour les zone littorale qui va de Saint-Malo à Biar- familles ayant des revenus inférieurs à 2 500 €/ ritz. Une zone où la pression démographique et mois et aux personnes seules en-dessous du SMIC. touristique élargit la concurrence pour l’accès au Dans les villes moyennes et petites, la situation logement alors que le développement des rési- est plus contrastée. Parmi les 11 villes étudiées, dences secondaires et le recours à Airbnb réduisent Annecy, Metz, Melun, Besançon et Pornic ne per- l’offre de logement permanent en résidence prin- mettent pas à une partie des ménages modestes de cipale. En Bretagne comme dans le Pays basque, notre panel de trouver un logement correspondant les élus locaux ont été contraints de se saisir d’une à leurs besoins : sont ainsi exclues les personnes situation où la pénurie de main-d’œuvre répond à seules ayant un revenu inférieur au SMIC et les la pénurie de logements abordables. familles monoparentales au RSA avec un enfant. D’une crise à l’autre.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 Dans l’ensemble des villes françaises sélection- marges de manœuvre financières sont considéra- nées, aucun parc locatif privé ne peut offrir blement réduites, notamment après le paiement des un logement adapté aux personne seules dépenses « pré-engagées » liées au logement, aussi et aux familles monoparentales ayant des appelées « coûts d’usage » (les charges locatives ou revenus inférieurs à 900 €/mois (même avec de copropriété mais aussi les fluides, notamment l’APL). Celles-ci voient donc leurs possibilités de les frais de chauffage), ainsi que les assurances, les se loger réduites au seul parc social, quand il est abonnements divers, souvent régis par des contrats disponible, ou se trouvent condamnées à devoir et difficilement négociables, et les taxes. chercher un logement éloigné des villes-centres ou Pour mesurer l’impact de ces dépenses contraintes, de devoir accepter de vivre dans des conditions dé- en particulier celles liées au logement au sens large, 5 gradées (habitat indigne, inconfortable ou suroc- la Fondation Abbé Pierre a analysé les différentes cupé…) ou avec des taux d’effort peu soutenables, catégories de dépenses pour six ménages-types à au-delà des 33 % retenus dans notre simulation. bas revenus : ménages isolés pauvres (SMIC, RSA En ce qui concerne l’accession à la proprié- et ASPA – ex-minimum vieillesse), couple sans en- té pour les ménages modestes étudiés ici, fant mono-actif aux revenus modestes, couple avec les perspectives sont nulles ou presque aux deux enfants aux revenus moyens, à Aubervilliers prix du marché. Outre le niveau des prix de l’im- et Tarbes, où les prix du logement et des transports mobilier, la conjoncture est en effet difficile, en rai- diffèrent largement. son de la hausse des apports exigés par les banques À Aubervilliers et à Tarbes, les taux d’effort associés à hauteur de 21 % du montant de l’achat et celle aux dépenses contraintes liées au logement et à son du taux des prêts. À cela s’ajoutent des craintes usage (loyer ou remboursement de prêt immobi- concernant l’augmentation du coût de l’énergie lier, charges, fluides, abonnements divers, taxes, que les ménages anticipent en intégrant à leur taux assurance…), pour les ménages étudiés dépassent d’effort ce (sur-)coût d’usage du logement. fréquemment les 30 %. Sans surprise, ils sont plus importants à Aubervilliers qu’à Tarbes. Ils s’éta- Les dépenses contraintes liées blissent entre 17 et 35 % à Tarbes, et s’élèvent à près au logement minent les budgets de 50 % à Aubervilliers dans cinq situations-types. des ménages modestes Au-delà des dépenses « pré-engagées » liées au Avec une inflation observée sur 12 mois estimée à logement, s’ajoutent d’autres dépenses auxquelles +6 % en octobre 2022, le pouvoir d’achat des les ménages peuvent difficilement se soustraire : ménages s’amenuise, impactant plus parti- l’énergie, les frais de transport, de cantine scolaire culièrement les budgets des ménages mo- et de garderie… Parmi elles, les dépenses liées destes. Du fait de l’augmentation des prix, leurs à la mobilité peuvent grever très fortement 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
le budget des ménages. Elles sont plus impor- mentation et ceux liés à un véhicule, sous peine de tantes dans les territoires où l’usage d’un véhicule finir le mois dans le rouge. C’est le cas également, à est indispensable pour accéder à l’emploi ou aux Aubervilliers, pour des ménages locataires du parc zones commerciales, comme à Tarbes, que dans privé, qu’il s’agisse d’une personne seule ou d’une ceux qui sont mieux desservis en transports en mère célibataire au RSA même sans voiture, mais commun, comme Aubervilliers. également d’une famille de biactifs au SMIC loca- Au total, compte tenu du poids des dépenses taire dans le parc privé si elle a besoin d’avoir une contraintes, le « reste à vivre » de certains voiture pour travailler. ménages est très faible. D’après notre étude, un couple sans enfant mono-actif au SMIC accé- Production de logements dant à la propriété à Aubervilliers, une fois ses abordables : vers une crise majeure ? dépenses contraintes assumées, n’aurait plus Face à la pénurie de logements sociaux et aux dif- que 92 € par personne et par mois pour vivre. À ficultés d’accès du parc privé pour les ménages Tarbes, une personne seule au SMIC locataire d’un modestes, la construction neuve, sa localisation, 6 T1 dans le parc privé, une fois payés loyer, impôts, sa qualité et son prix représentent des enjeux ca- assurances, voiture et alimentation, n’a plus que pitaux pour répondre durablement à la crise du 353 € pour le mois, soit à peine plus de 10 € par logement. Hélas les perspectives à cet égard jour. Pour certains profils étudiés, l’équation ne sont guère réjouissantes, particulière- est même impossible et ne peut que géné- ment au sujet de la production Hlm. On est rer un endettement chronique ou des pri- ainsi passé de 124 000 logements sociaux financés vations douloureuses. C’est le cas par exemple en 2016 à 95 000 en 2021 et sans doute autant en d’une mère célibataire au RSA locataire à Tarbes, 2022 d’après de premières estimations. Très loin dans le parc privé ou social, dont les ressources ne donc de l’objectif gouvernemental de construire lui permettent pas d’assumer à la fois les frais d’ali- 250 000 logements sociaux au cours des deux der- nières années, et encore plus loin des 150 000 Hlm par an qui faisaient il y a encore quelques années fi- gure d’objectif officiel. Faute d’ambition affichée en la matière et en l’absence de mesures spécifiques, l’avenir s’annonce sombre alors que les besoins sont orientés à la hausse avec désormais 2,3 mil- lions de ménages en attente de logement social. À cela plusieurs raisons. D’une crise à l’autre.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 La première tient au ralentissement général En tout état de cause, force est de constater que de la construction de logements en France le « choc de l’offre » annoncé par le candi- qui stagne en-dessous de 400 000 loge- dat Macron en 2017, censé peser sur les prix de ments par an. La France est en effet passée de l’immobilier, n’est jamais advenu et ne semble 437 000 mises en chantier en 2017, à 378 000 en pas à l’ordre du jour. Non seulement la produc- 2022. En ce qui concerne la construction de loge- tion de logements s’est affaissée, mais les prix de ments sociaux, la raison principale du ralen- l’immobilier se sont accrus drastiquement. Le tissement tient à la réduction des capacités prix des logements anciens a en effet augmenté financières des organismes Hlm provoquée de 29 % en moyenne en France entre le début du par les mesures d’économie adoptées au cours précédent quinquennat et la fin de l’année 2022, du précédent quinquennat, qui amputent les res- d’après l’Insee. sources des organismes Hlm de 1,3 milliard d’eu- ros par an. À cela s’ajoute depuis 2018, la hausse de DES LOCATAIRES FRAGILISÉS, la TVA, alourdissant la ponction annuelle de 500 DES POLITIQUES millions d’euros. Pire, la hausse des taux d’intérêt INSUFFISAMMENT PROTECTRICES 7 et du livret A alourdit la charge de la dette des bail- leurs sociaux de près de 2 milliards par an, et risque Ces difficultés d’accès au logement pour les mé- ainsi d’hypothéquer les efforts pour augmenter le nages modestes s’inscrivent dans le contexte d’une nombre de productions et de rénovations de loge- société française à deux vitesses, marquée par des ments sociaux. inégalités et une précarité persistantes. La France Ces mauvais chiffres sont d’autant plus inquiétants compte 8,9 millions de personnes pauvres en 2020, qu’ils s’inscrivent dans un contexte tendu touchant 13,9 % de la population. Et il ne faut pas qui est appelé à perdurer, en raison de la pénurie oublier que selon l’Insee, 1,6 million de personnes de matériaux, de la hausse des prix de l’énergie, concernées échappent aux statistiques. On comp- du manque de personnel correctement formé, et terait donc, non pas 8,9 mais 10,5 millions de la raréfaction des terrains à bâtir dans le cadre de personnes pauvres en France. Au lieu de de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN). s’y attaquer réellement, la politique fiscale et bud- Alors que la croissance démographique française gétaire conduite depuis cinq ans peine à y faire s’annonce encore soutenue pendant au moins une face, voire creuse les inégalités de revenus et de décennie, le défi consistant à construire plus, patrimoine, et s’en prend aux personnes les plus de meilleure qualité notamment énergétique, et pauvres, au chômage ou mal-logées. en consommant moins de terres agricoles et natu- relles, sera difficile à affronter sans soutien financier plus important de la part de l’État. 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
Une politique fiscale et budgétaire Face à l’envolée des prix de l’énergie, de même, anti-redistributive le gouvernement a engagé des masses financières Le gouvernement a déployé des politiques pu- considérables, à travers le bouclier tarifaire, mais bliques de grande ampleur au moment de la crise sans ciblage social, privilégiant de fait les Covid puis face à la hausse des prix de l’énergie, ménages les plus aisés, qui sont de plus gros mais sans jamais contrebalancer les choix bud- consommateurs d’énergie. Les mesures ciblées en gétaires et fiscaux du premier quinquennat, qui direction des plus modestes (indemnité inflation, avaient largement favorisé les ménages les plus chèque énergie exceptionnel…), ne sont pas assez riches (transformation de l’impôt sur la fortune en importantes pour compenser le déséquilibre en impôt sur la fortune immobilière, baisse de la fisca- faveur des ménages aisés. lité sur les revenus du capital…). Dans le même temps, les politiques les plus ré- Une récente publication de l’Insee établit que la gressives socialement ont perduré. En particulier, politique du « quoi qu’il en coûte » n’a pas toutes les coupes sur les APL initiées pen- traité de façon égalitaire riches et pauvres, dant le quinquennat précédent, d’un mon- 8 ni corrigé les mesures financières et fiscales iné- tant de plus de quatre milliards par an, ont galitaires des budgets 2020 et 2021. Si le soutien été confirmées dans le budget pour 2023, qu’il public a alors permis d’augmenter le niveau de s’agisse des gels et quasi-gels des années passées, vie des Français, en moyenne de 280 euros par sans rattrapage, de la coupe mensuelle de cinq eu- personne et par an sur la période 2020-2021, ce ros, de la suppression des APL pour les accédants montant s’élève à 420 euros en moyenne pour la à la propriété, de la RLS pour les locataires Hlm ou moitié la plus aisée de la population, tandis qu’il ne de leur calcul en temps réel (« contemporanéité »). dépasse pas 130 euros pour les catégories les moins favorisées. À cela une explication : les premiers Des politiques publiques parfois ont largement profité de la baisse de l’impôt sur le contre les pauvres revenu, instaurée par la loi de finances de 2020 et Outre ces politiques anti-redistributives, il arrive de l’allègement de la taxe d’habitation, alors que parfois que les politiques soient menées directe- les plus modestes ont bénéficié de l’augmentation ment contre les intérêts et les droits des personnes modérée des prestations sociales, pour 1,6 milliard en difficultés. La première loi de ce quinquen- d’euros au total, soit 10 % seulement des mesures nat au sujet du logement, visant « à protéger prises. les logements contre l’occupation illicite », adop- tée en première lecture à l’Assemblée nationale le 2 décembre 2022, vient ainsi remettre en cause l’équilibre entre le droit à l’habitat et le droit de propriété. Elle durcit la réglemen- tation sur les squats en proposant de les évacuer sans décision de justice lorsqu’il s’agit d’un loge- ment totalement vide, parfois depuis des années. Elle prévoit même de condamner les occu- pants de divers locaux, non seulement des D’une crise à l’autre.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 logements vides mais aussi des locaux « à suffisent plus. Il faut repenser et élargir les me- usage économique » (bureaux, hangars…), sures de protection sociale pour leur permettre de à des peines allant jusqu’à trois ans de pri- faire face aux nouvelles formes de fragilité. Dans ce son et 45 000 euros d’amende. Cette nouvelle loi cadre, un logement stable, accessible, digne, est particulièrement incompréhensible puisque le peut constituer une sécurité personnelle et phénomène de squats de domicile, surmédiatisé collective, un point d’ancrage dans une société ces derniers mois, touche 170 propriétaires par fracturée aux lendemains incertains. an d’après l’Observatoire des squats du gouver- C’était l’objet de la philosophie du Logement nement et qu’il pouvait être traité dans le cadre de d’abord, promue depuis 2017 par le gouverne- la loi existante en trois jours. Le texte s’attaque ment, avec un changement d’approche et des réa- aussi aux locataires en impayés de loyers, lisations intéressantes, mais cette dynamique a été même avec une dette mineure. Il supprime la pos- fortement freinée par l’austérité budgétaire impo- sibilité laissée au juge de vérifier la réalité de la sée au secteur du logement. dette locative et d’accorder des délais de paiement Pour conduire une politique sociale du logement et de maintien dans les lieux. Parallèlement, il rac- en direction des ménages modestes et des plus ex- 9 courcit les délais dans les procédures d’expulsion, clus, relancer une politique du Logement d’abord réduisant le temps nécessaire pour dégager une ambitieuse pour les plus de 330 000 personnes solution amiable, et va même jusqu’à prévoir la sans domicile et relever les défis sociaux et écolo- condamnation des locataires à six mois de prison giques face à nous, il est donc plus que temps de se et à 7 500 euros d’amende s’ils refusent de quitter doter à nouveau d’un budget ambitieux et leur logement à l’expiration des délais. d’une politique de redistribution plus juste Ces mesures inquiétantes interviennent dans un des richesses. n contexte global d’affaiblissement des pro- tections collectives dans le domaine du travail comme dans celui du traitement de la pauvreté. Après la réforme de l’assurance chômage du précédent quinquennat, qui a réduit le montant des indemnités chômage entre deux contrats courts et durci les conditions d’ouverture des droits, le nouveau gouvernement a engagé dès l’été une nouvelle réforme à compter du 1er février 2023, qui s’attaque à la durée d’indemnisation, en la réduisant d’un quart (de 24 à 18 mois maximum). Conclusion : retrouver une politique du logement Quand la machine à produire de la précarité conti- nue à fonctionner à un régime élevé, les mesures conjoncturelles et les chèques sans lendemain ne 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
10 D’une crise à l’autre.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 11 © Seb! Godefroy pour FAP. 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
12 DÉLÉGATION GÉNÉRALE 3, rue de Romainville. 75019 PARIS © Pierre Faure pour FAP. Téléphone 01 55 56 37 00 Télécopie 01 55 56 37 01 fondation-abbe-pierre.fr D’une crise à l’autre.
DEUXIÈME CAHIER Le genre du mal-logement 2023 #28
DEUXIÈME CAHIER Le genre du mal-logement Jusqu’à présent le sexe a rarement été considéré comme un facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement. Pourtant, face au logement, être un homme ou une femme, ou appartenir à une minorité sexuelle, affecte considérablement les risques de subir diverses dimensions du mal-logement et bouleverse la manière même de vivre ce mal-logement. C es inégalités se manifestent de façons très L’orientation sexuelle et l’identité de genre diverses : les femmes célibataires, qui peuvent également être un facteur de vul- bénéficient de moins bonnes condi- nérabilité face au logement. L’invisibilisation tions d’emplois et de revenus, sont moins des personnes LGBTQ+ en difficulté est problé- bien logées, qu’il s’agisse de jeunes femmes qui matique en ce qu’elle ne permet pas de question- décohabitent de chez leurs parents, de mères céli- ner les mécanismes contribuant à leur précarisa- bataires, de femmes ayant à affronter une rupture tion. L’exclusion du domicile familial mais aussi conjugale ou la perte d’un conjoint. Le revenu sala- les discriminations dans l’emploi en raison de 2 rial des femmes reste inférieur en moyenne de 22 % l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre à celui des hommes1. Plus fortement exposées aux augmentent les risques pour ces personnes de se emplois précaires les moins bien rémunérés et aux retrouver à la rue. temps partiels2, mais aussi aux situations de mo- noparentalité, les femmes sont plus souvent DES TRAJECTOIRES en situation de précarité que les hommes, RÉSIDENTIELLES IMPACTÉES et ce quelle que soit la tranche d’âge3. Ainsi, à PAR LES INÉGALITÉS ET LES classes sociales égales, les risques d’habiter dans DISCRIMINATIONS LIÉES AU GENRE un logement indigne ou suroccupé sont plus élevés pour les mères célibataires. Enfin, les violences L’accès au logement : peut-on parler conjugales constituent un facteur particu- d’inégalités liées au genre ? lièrement aigu du mal-logement, notamment Les femmes et les hommes ne sont pas égaux dans du fait qu’elles entraînent bien souvent la perte du l’accès au logement. Un premier facteur explicatif logement pour la victime. réside dans l’inégalité des ressources finan- cières, a fortiori pour les mères célibataires. En 2021, 28 % des femmes en emploi occupent un poste à temps partiel contre seulement 8,3 % des hommes actifs4. Ces temps partiels offrent de plus faibles salaires et cotisations pour la retraite, exposant ainsi les femmes à des risques de pau- vreté plus élevés tout au long de leur vie. À qua- lifications égales et en tenant compte des diffé- rences de temps de travail, les femmes demeurent moins bien rémunérées que leurs homologues 1. Insee, Femmes et hommes, l’égalité en question, mars 2022. masculins. Les femmes sont également bien plus 2. En 2020 selon l’Insee, elles travaillent trois fois plus souvent à temps partiel que les hommes. pénalisées par l’arrivée d’un ou plusieurs 3. Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, Enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS), 2018. 4. Ibid. Le genre du mal-logement.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 Source : ENL 2013, calculs FAP. Lecture : 6 % des femmes seules avec un enfant sont mal-logées, et 40 % sont fragilisés par rapport au logement, contre respectivement 5 % et 20 % pour l’ensemble 3 des ménages en France en 2013. enfants au sein du foyer que leurs conjoints. Le L’ACCÈS AU LOGEMENT SOCIAL : travail domestique accompli majoritairement par UNE PRIORISATION INSUFFISANTE POUR les femmes demeure un travail gratuit et non re- LES FAMILLES MONOPARENTALES connu en tant que tel. Par ailleurs, les familles Les familles monoparentales sont légèrement sur- monoparentales, constituées à 83 % de femmes représentées dans les attributions de logements seules avec enfants5, sont surreprésentées sociaux (29 %) par rapport à leur part dans la parmi les familles en difficulté économique : demande (25 %)7. Néanmoins, cette priorisation plus du tiers d’entre elles (36 %) vit sous le seuil semble moins évidente dans les zones tendues et de pauvreté6. pour les familles monoparentales les plus pauvres8. La probabilité d’accès au logement social diminue à mesure que croît le nombre d’en- fants dans le foyer. 7. Exploitation de la base de données 2021 du Système national 5. Recensement de la population 2018. d’enregistrement de la demande de logement social (SNE). 6. Insee, Femmes et hommes, l’égalité en question, Collection Ré- 8. Pauline Portefaix, Rapport inter-associatif sur les difficultés férences, Édition 2022. d’accès au parc social des ménages à faibles ressources, juin 2020. 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
Ainsi, faute d’une offre adaptée aux revenus et à Au sein des familles, il existerait une pratique la composition familiale, les familles mono- discriminatoire fréquente de l’héritage à parentales sont souvent contraintes d’ac- l’encontre des femmes, réduisant leurs chances cepter un logement social avec une seule d’accéder à la propriété. Alors que les hommes, chambre, au détriment de l’intimité et du confort perçus comme des héritiers plus fiables, héritent au sein du foyer. C’est le cas pour 18 % des familles des « biens structurants » – biens immobiliers monoparentales à qui il manque une pièce dans le mais aussi entreprises et actions – les femmes logement9. reçoivent le plus souvent une compensation finan- Au-delà des difficultés économiques, la monopa- cière de valeur inférieure. rentalité peut agir comme un frein dans l’accès au logement en raison des représentations so- LES DISCRIMINATIONS DANS L’ACCÈS ciales associées à la figure de la mère célibataire10, AU LOGEMENT ENVERS LES PERSONNES jugée tantôt « irresponsable » tantôt « vulnérable », LGBTQ+ conduisant à allonger le délai d’attente de certaines Les discriminations dont sont victimes les femmes pour accéder à un logement social11. personnes LGBTQ+ en raison de leur orienta- tion sexuelle ou identité de genre sur le marché du 4 UNE INÉGALITÉ D’ACCÈS logement, si elles sont bien réelles, ne sont pas À LA PROPRIÉTÉ ET AU PATRIMOINE facilement mesurables au-delà du ressenti des EN FONCTION DU GENRE personnes concernées. En croisant les résultats de C’est un fait : les femmes sont moins proprié- différentes études réalisées dans huit pays euro- taires que les hommes de leur logement. péens et regroupant au total 36 000 demandes de Si les logements détenus par des ménages com- logement, il a pu être démontré toutefois l’existence prenant un couple sont le plus souvent possé- de discriminations à l’encontre des couples homo- dés à parts égales par les deux conjoints (54 %), sexuels dans l’accès au logement14. Concernant les lorsqu’un seul membre du couple est propriétaire, personnes transgenres, une autre étude15 a révélé il s’agit le plus souvent de l’homme (dans 27 % des que 24 % des personnes transgenres françaises dé- cas tandis que cette proportion n’atteint que 15 % clarent s’être senties discriminées dans les douze pour les femmes). Il est, également, deux fois plus derniers mois en raison de leur identité de genre, fréquent qu’un homme possède seul du patrimoine alors qu’elles essayaient de louer ou d’acheter un immobilier qu’une femme12. Cet écart s’accroît : logement. Ce chiffre est légèrement supérieur à la entre 1998 et 2015, l’inégalité de patrimoine entre moyenne européenne (21 %). les hommes et les femmes serait passée de 9 % à 16 %, un des taux les plus élevés en Europe13. 9. Fanny Bugeja-Bloch et Laure Crepin, « Une double peine : les conditions de logement et de confinement des familles monopa- rentales », Métropolitiques, 4 juin 2020. 10. Marine Bourgeois « Tris et sélections des populations dans le logement social : une ethnographie comparée de trois villes fran- çaises », thèse de doctorat en science politique (2019). 11. Liliane Bonnal, Rachid Boumahdi, et Pascal Favard. « Les dé- terminants de la durée d’accès à un logement social », Revue éco- 14. Alexandre Flage, « Discrimination against same-sex couples in nomique, vol. 63, no. 4, 2012, pp. 721-741. the rental housing market, a meta-analysis », Economics Bulletin, 12. Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le genre du capital. Comment 2021 ; Damaris Rose, « Gender, sexuality, and the city. » In Cana- la famille reproduit les inégalités, La Découverte, coll. SH / L’en- dian Cities in Transition: Understanding Contemporary Urba- vers de faits, 2020. nism, sous la dir. de Markus Moos, Tara Vinodrai et Ryan Walker, 13. European Commission, Directorate-General for Justice and 155-174. Toronto: Oxford University Press Canada, 2020. Consumers, Sierminska, E., Wealth and gender in Europe, Publi- 15. European Union Agency for Fondamental rights, « A long way cations Office, 2017. to go for LGBTI equality », 2020. Le genre du mal-logement.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 Des moments de ruptures dans les parcours résidentiels aggravés par les inégalités liées au genre LA DÉCOHABITATION DU FOYER LA SÉPARATION CONJUGALE, PARENTAL UNE PRÉCARISATION PLUS FRÉQUENTE Les femmes décohabitent plus tôt que les hommes, DES CONDITIONS DE LOGEMENT notamment en raison d’une installation en couple POUR LES FEMMES à un plus jeune âge16. La mise en couple se faisant La séparation conjugale représente un généralement avec un homme un peu plus âgé choc financier et résidentiel plus important et plus autonome financièrement, les jeunes pour les femmes que pour les hommes. En femmes se trouvent plus fréquemment effet, leurs revenus disponibles chutent d’environ dans une position sociale plus précaire que 20 % après une séparation, tandis que les hommes leur conjoint, les conduisant à une insécurité ré- ne perdent que 2,5 % en moyenne18. Le versement sidentielle en cas de séparation ou à des situations d’une prestation compensatoire, visant à rééquili- de dépendance. brer la situation matérielle des ex-époux après le La révélation de son identité de genre ou de son divorce, est relativement rare (seulement 20% des 5 orientation sexuelle dans le cadre familial peut divorces), au regard des inégalités de revenu provoquer la rupture et le départ anticipé du jeune au sein des couples et de leur lien manifeste de son domicile parental. Cette décohabitation avec la prise en charge par les femmes de plus des contrainte et la rupture du lien familial et deux tiers du travail domestique19. plus globalement avec leur cercle social fragilisent La séparation se traduit en matière de loge- les jeunes et peuvent les conduire à vivre de ment par une précarisation plus fréquente façon précaire, en étant davantage exposés au des femmes. Après la séparation, l’homme reste mal-logement, aux violences et à la rue. Plusieurs plus souvent dans le logement conjugal et les études montrent ainsi que les jeunes LGBTQ+ femmes perdent plus souvent le statut de proprié- ont plus de risques de se retrouver à la rue que les taire que les hommes20. L’écart de revenus entre autres17. homme et femme est alors déterminant : c’est gé- néralement l’homme qui aura la capacité de pour- suivre le paiement du loyer, le remboursement du crédit ou de racheter les parts de son ex-conjointe. La séparation conjugale peut également conduire à des situations de mal-logement. En effet, 18 % 18. Insee « Couples et familles », Insee Références, 2015. 19. Delphine ROY, « Le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 », Insee Première, n°1423, 2012 ; Bonnet, Carole, Ber- trand Garbinti, and Anne Solaz, “The flip side of marital speciali- 16. Insee, « France, portrait social », Insee références, 2020. zation: the gendered effect of divorce on living standards and labor 17. Corliss et al (2011) ; Coolhart & Brown (2017), True Colours supply”, Journal of Population Economics, 2021, 34 (2), 515-573. United (2020) ; cités par la Fédération des acteurs de la solidarité, 20. Laure Crepin, « L’accession à la propriété après les sépara- Accueil et accompagnement des personnes LGBTIQ dans l’héber- tions : pourquoi un tel écart entre hommes et femmes ? », Popula- gement en Île-de-France. État des lieux et préconisations, 2020. tions vulnérables, 2021. 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
des familles monoparentales et 10 % des familles LES FEMMES VICTIMES recomposées vivent dans un logement surpeuplé, DE VIOLENCES CONJUGALES : FUITE OU PERTE DU DOMICILE contre 7 % des familles traditionnelles21 ; 12,2 % des familles monoparentales et 20,4 % lorsqu’elles En France, environ 210 000 femmes sont victimes sont pauvres ne pouvaient maintenir une tempé- de violences chaque année et 17 % d’entre elles ont rature adéquate dans le logement en 2020 contre besoin d’un hébergement23 pour permettre la dé- 6,5 % pour l’ensemble des ménages22. Conserver le cohabitation d’avec le conjoint violent. En logement conjugal peut par ailleurs les conduire à cas de violences conjugales, les femmes sont le des situations d’endettement. plus souvent contraintes à quitter le domi- cile conjugal tandis que l’homme y demeure. Les L’ACCÈS AU LOGEMENT SOCIAL, conséquences sur le parcours résidentiel peuvent UN PARCOURS DU COMBATTANT EN CAS être dramatiques en l’absence de ressources suffi- DE SÉPARATION OU DE DIVORCE santes pour retrouver un logement stable. Les femmes contraintes de quitter le loge- Malgré les progrès des dernières années, le nombre 6 ment conjugal et cherchant une solution dans de places dédiées (9 876) reste insuffisant par rap- le parc social doivent d’abord faire la preuve que port aux besoins. D’après la Fédération Nationale le processus de séparation est engagé. Des justi- Solidarité Femmes (FNSF), 80 % des femmes vic- ficatifs sont en effet nécessaires pour pouvoir se times de violence sont hébergées dans des disposi- désolidariser du revenu fiscal commun, lorsque les tifs qui ne sont pas adaptés à leur situation et près ressources du couple dépassent le plafond requis de 40 % des femmes victimes de violences pour accéder à un logement social, quand bien en demande d’hébergement seraient sans même l’ex-conjointe n’aurait pas de ressources solution (30 % des femmes avec enfants et la moi- propres. Lorsque les conjoints sont déjà locataires tié des femmes sans enfants)24. du parc social, des justificatifs sont nécessaires Outre la perte du logement, les violences conjugales également pour se désolidariser du bail précédent, peuvent conduire à des situations d’endet- nul ne pouvant occuper deux logements sociaux tement des victimes lorsqu’elles quittent en même temps. Quel qu’il soit, le document qui précipitamment le logement alors que le bail atteste de l’engagement de la procédure est parfois était à leur nom. À l’inverse, quand la femme n’est difficile à obtenir et la demande de logement ne pas titulaire du bail mais que le conjoint est forcé peut intervenir avant que la procédure de divorce de quitter le logement en raison de son compor- ait débuté et que la demandeuse se soit mise en tement violent, celle-ci peut se retrouver menacée lien avec un avocat. d’expulsion pour occupation sans droit ni titre. 21. Fondation Abbé Pierre, rapport sur l’État du mal-logement en France, 2018. 23. Cadre de vie et sécurité, 2012-2019, Insee – OndRP – SSMSI. 22. Eurostat 2020. 24. D’après le SI-SIAO sur un jour donné (28 juin 2021). Le genre du mal-logement.
2023 R A P P O RT A N N U E L # 2 8 LE VIEILLISSEMENT ET L’IMPACT DU PASSAGE À LA RETRAITE OU DU DÉCÈS DU CONJOINT LE VÉCU GENRÉ DU MAL-LOGEMENT Du fait d’une espérance de vie plus longue, d’un écart d’âge au sein des couples et de revenus plus L’absence de domicile personnel : précaires tout au long de la vie, les femmes vieil- des situations de vulnérabilités lissent plus pauvres et plus seules que les accrues par les violences de genre hommes d’une même génération. Le vieillisse- et la maternité ment s’accompagne d’étapes de la vie qui fragi- Rendre compte des effets de l’absence de logement lisent financièrement les femmes (passage à la personnel en fonction du genre permet de prendre retraite ou décès du conjoint). la mesure des vulnérabilités accrues des femmes et Les femmes sont plus nombreuses que des personnes LGBTQ+ privées de domicile per- les hommes à ne percevoir ni pension de sonnel en raison des violences sexistes. retraite, ni revenu d’activité. La pension moyenne des femmes est inférieure de 40 % à celle ÊTRE FEMME À LA RUE : 7 des hommes25. Elles sont alors plus nombreuses DES SITUATIONS DE GRANDE PRÉCARITÉ à percevoir une allocation de minimum vieillesse PEU VISIBLES et à être concernées par de mauvaises conditions Si les femmes sont moins nombreuses que d’habitat (7 % en absence de confort sanitaire de les hommes parmi les personnes sans abri, base contre 1 % pour l’ensemble de la population)26. il est toutefois probable que leur décompte soit Le veuvage induit des conséquences économiques sous-estimé en raison d’une moindre visibilité. plus fortes pour les femmes que pour les hommes. Pour se soustraire à la violence de la rue, les femmes En 2021, les veuves ont un taux de pauvreté de sans abri élaborent des stratégies pour se dissimu- 11,7 % tandis que celui des veufs est de 3,7 %27. Ain- ler dans l’espace public ou recourent plus souvent si, les pensions de réversion ne compensent que leurs homologues masculins aux structures que de manière imparfaite la baisse des res- d’hébergement et à l’hébergement chez des tiers29. sources pour les veuves. Les difficultés pour Cette quête de sécurité, qui constitue une prio- obtenir la mise en place de ce droit sont par ailleurs rité pour les femmes à la rue, peut les amener nombreuses et pénalisent fortement les femmes à déserter les lieux d’accueil de jour ou cer- concernées, a fortiori les femmes étrangères28. taines douches municipales quand ils sont majori- Avec des conséquences parfois graves sur la capa- tairement fréquentés par un public masculin ou ne cité à assumer le paiement du loyer, du crédit, des disposent pas d’espace dédié. Outre les violences charges ou des travaux du logement. de genre, le vécu des femmes à la rue se distingue également par la présence d’enfants, dont elles ont 25. DREES, « Les retraités et les retraites », Panoramas de la DREES social, édition 2021. plus souvent la charge, avec les contraintes et la 26. DREES, « Les conditions de logement des bénéficiaires de mi- responsabilité que cela entraine. nima sociaux et de la prime d’activité », Les dossiers de la DREES, n°73, 2021. 27. Conseil d’orientation des retraites (COR), « Évolutions et pers- pectives des retraites en France », rapport annuel du COR, 2021. 29. Marie Lanzaro, « Femmes et hommes sans-domicile : un trai- 28. Paul Hobeika, « Le patriarcat d’outre-tombe. Veuvage, réver- tement préférentiel ? », in Le monde privé des femmes, Anne Lam- sion et recomposition des rapports sociaux à l’âge de la retraite », bert, Pascale Dietrich-Ragon, Catherine Bonvalet, Ined Éditions, Nouvelles Questions Féministes, vol. 41, no. 1, 2022, pp. 48-65. 2021, pp. 173-192. 1er FÉVRIER 2023 / RAPPORT SUR L’ÉTAT DU MAL-LOGEMENT EN FRANCE
L’HÉBERGEMENT CHEZ UN TIERS : accéder au logement social et se retrouvent UNE SOLUTION DE REPLI POUVANT fréquemment sous l’emprise de bailleurs abu- INDUIRE DES CONTREPARTIES GENRÉES sifs, parfois marchands de sommeil, exigeant des Les contreparties de l’hébergement chez un tiers loyers démesurés pour des logements dégradés ou prennent des formes différentes en fonction du recherchant un paiement « en nature ». Dans ce genre de la personne. Ainsi, les femmes hébergées contexte, le logement reste très largement un im- chez des tiers sont davantage contraintes que pensé, alors qu’il figure parmi les facteurs d’entrée les hommes à réaliser du travail domes- et de sortie de la prostitution. tique peu ou non rémunéré (garde d’enfants, ménage, cuisine, soin aux personnes âgées…) ou RAPPORTS ET INÉGALITÉS DE GENRE dans des situations extrêmes à se soumettre à des EN BIDONVILLES relations sexuelles. Le bidonville, caractérisé par la grande précarité de Sans qu’il y ait nécessairement une situation de ses occupants et occupantes, est un espace genré violence ou d’exploitation, l’hébergement chez un qui ne produit pas les mêmes effets sur les hommes 8 tiers induit une relation sociale asymétrique, qui et les femmes. Subordonnées aux conditions mé- génère des difficultés spécifiques pour les femmes, téorologiques et au manque d’équipement, les a fortiori lorsque l’hébergeur est un homme. C’est tâches attribuées aux femmes sont plus ainsi qu’elles sont soumises à des injonctions de chronophages, plus énergivores et plus genre, en particulier l’injonction à la pudeur qui pénibles. À cela s’ajoutent les difficultés d’appro- conduit certaines d’entre elles à limiter leur pré- visionnement en eau, en électricité et de ramas- sence dans le logement et leurs usages des espaces sage d’ordures. La saturation de leur temps par communs. les tâches quotidiennes rend plus difficile l’accès des femmes au marché du travail. Pour leurs filles, L’ABSENCE DE LOGEMENT : l’organisation de la vie quotidienne a également un UN RISQUE D’ENTRÉE EN PROSTITUTION, impact significatif, les conduisant fréquemment à UN OBSTACLE POUR EN SORTIR une déscolarisation rapide, même lorsqu’elles ont Outre la prostitution forcée dans le cadre de réseaux un bon niveau scolaire, afin d’aider à la réalisation de proxénétisme, l’absence de domicile peut des tâches domestiques tout en se préparant à leurs conduire à la prostitution comme moyen futurs rôles de mères et d’épouses. de retrouver une autonomie financière et un Les femmes sont également surexposées logement. C’est parfois le cas par exemple pour les aux violences sexistes et sexuelles en bidon- femmes exilées, sans droit au séjour, confrontées à villes, principalement du fait de la cohabitation une très grande précarité à leur arrivée en France imposée et subie, qui caractérise ces lieux de vie. et contraintes à rembourser des sommes considé- Même lorsque les femmes les alertent (ou qu’elles rables aux passeurs. remarquent ces violences), les professionnelles La législation sur le travail du sexe rend com- de l’accompagnement se retrouvent rapidement plexe l’accès au logement pour les personnes qui impuissantes, leur pouvoir d’action étant limité l’exercent. Souvent sans fiche de paie ni droit au face à l’emprise de l’entourage, notamment de la séjour, les travailleuses du sexe peinent à belle-famille. Le genre du mal-logement.
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