Attentat à Strasbourg : la réaction du pasteur alsacien Christian Krieger - Reforme.net
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Attentat à Strasbourg : la réaction du pasteur alsacien Christian Krieger Mardi 11 décembre au soir, sur le célèbre marché de Noël de la ville de Strasbourg, une fusillade a fait trois morts et douze blessés. Dans un communiqué envoyé dès le lendemain matin à la presse, l’Union des Églises protestante d’Alsace et de Lorraine (UÉPAL) déplore la « barbarie aveugle d’une folie radicalisée ». Comme le laissait entendre le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, lors de sa conférence de presse, mercredi 12 décembre à midi, la motivation terroriste de l’acte semble établie. De nombreuses personnes sont touchées. « Nous disons notre profonde communion avec les victimes ainsi qu’avec tous ceux qui sont affectés par cet acte, notamment les personnes qui en ont été témoins, tient à souligner Christian Krieger, vice-président de l’UÉPAL. Nous exprimons aussi un profond sentiment de reconnaissance envers les forces de l’ordre qui veillent à la sécurité de nos concitoyens. » Des églises ouvertes Le maire de Strasbourg, Roland Ries, a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait voir le marché de Noël rouvrir dès jeudi 13 décembre. Un discours qui refuse le repli et que rejoint Christian Krieger : « La vie doit l’emporter sur la peur. » Même si un temps de deuil est légitime, il appelle « à la persévérance en ces moments difficiles et à ne pas perdre de vue le message de l’Évangile ». « Ce dernier invite à la confiance en Dieu, qui a tant aimé ce monde », insiste-t-il.
C’est pourquoi les églises protestantes seront ouvertes aujourd’hui, offrant des points d’accueil, d’écoute et de recueillement. Ce choix reflète la volonté de l’UÉPAL de maintenir le mot d’ordre déterminé par les églises protestantes du monde entier pour 2019 : « Recherche la paix et poursuis-la ! », un verset du Psaume 34. « Le monde est complexe, souvent des événements incitent à la fatalité. Mais nous ne pouvons pas céder à la peur et à la résignation, a fortiori à Noël », insiste Christian Krieger. Une première célébration œcuménique pour la paix aura lieu ce soir mercredi 12 décembre au temple Neuf, à 18h, puis à la cathédrale le lendemain à la même heure. « D’autres initiatives pour des moments de recueillement, de prière et d’unité auront lieu, au-delà de la terreur qui divise », affirme Christian Krieger. Le pasteur français Christian Krieger élu président de la Conférence des Églises européennes La Conférence des Églises européennes (CEC) vient de clore son assemblée générale à Novi Sad, en Serbie. Le pasteur alsacien Christian Krieger, vice- président de l’UÉPAL, membre sortant du comité de direction, a été élu président (au centre sur la photo). « C’est un honneur de porter cette présidence au nom du protestantisme français », affirme-t-il en incluant les orthodoxes, les familles protestantes, dont les baptistes et les méthodistes, les anglicans et les vieux
catholiques. Par ailleurs, Valérie Duval-Poujol, théologienne baptiste, a été élue au comité de direction de la CEC (à gauche sur la photo). Cette organisation européenne œcuménique, qui ne comprend toutefois pas l’Église catholique, a été fondée en 1959. « La CEC [prononcer KEK] a trouvé sa vocation sur les ruines de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Une vocation de paix et de réconciliation qui a ensuite pris tournure au moment de la guerre froide. L’objectif était que les Églises apportent une contribution pacifique en Europe pour sortir des nationalismes », retrace Christian Krieger. Pendant la guerre froide, la CEC permet la rencontre entre des traditions ecclésiastiques plutôt orthodoxe orientale d’un côté et protestante et/ou anglicane de l’autre, constituant un pont entre l’Est et l’Ouest. « Même si la situation a changé, car il ne s’agit plus de relier les deux blocs, la nécessité d’être des constructeurs de ponts demeure, par exemple dans l’accueil des réfugiés. On a le sentiment de vivre une époque de rétrécissement identitaire », pointe Luca Negro, président de la Fédération des Églises protestantes en Italie, en écho au thème de l’assemblée générale. En effet, c’est le verset des Actes des apôtres, « Vous serez mes témoins », qui aura servi de fil conducteur à ces rencontres. Il a été décliné sous trois angles : hospitalité, justice et témoignage. Dès le premier jour, l’hospitalité a été illustrée par le patriarche de l’Église syriaque et un pasteur évangélique grec qui ont rendu compte de ce qui se passe dans leur pays. « Toutes les Églises présentes sont concernées, qu’elles se situent dans un pays de départ ou d’arrivée, avec une volonté commune de parler du Christ », insiste Gérald Machabert, pasteur et responsable communication de la CEC. Christian Krieger enfonce le clou : « L’importance de la CEC se situe sur l’avenir du continent européen, avec la question des néonationalismes et néopopulismes ». Preuve du poids qu’elle souhaite avoir, toutes les activités de la CEC ont été rassemblées à Bruxelles, depuis 2013, avec aussi un bureau à Strasbourg. Le fait que l’assemblée se soit tenue dans un pays orthodoxe est significatif de cette volonté de construire des ponts et des passerelles. « La Serbie est sur une zone de frontières entre l’Est et l’Ouest et se situe d’un point de vue géographique au centre de l’Europe, sans pour autant faire partie de l’Union européenne. C’est un beau lieu de dialogue et d’échange entre les différentes parties de l’Europe », estime Gérald Machabert.
En plus de la traduction de la documentation et des tweets en russe, ce choix géographique ne résonne-t-il pas comme une invitation adressée à l’Église orthodoxe russe qui a quitté la CEC en 2008 ? « La CEC a une politique de main tendue. Les Églises européennes y ont une place. Mais c’est à elles, et donc à l’Église orthodoxe russe, de la saisir », souligne Christian Krieger. Ce qui ne semble pas une priorité pour le patriarcat de Moscou. Pour d’autres raisons, les relations avec les catholiques sont également en pointillé. « À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la relation est allée en s’étoffant entre la CEC et le Conseil des conférences épiscopales en Europe (CCEE) », note Stephen Brown, membre de WACC Europe, association mondiale chrétienne. Ensemble, ces deux instances ont préparé trois grandes rencontres œcuméniques européennes, en 1989, 1997 et 2007. « Un prochain rassemblement est en train de se structurer pour le début des années 2020. Ce sera porté par une structure de type associatif, avec une parole moins institutionnelle, à l’image du Kirchentag. Nous soutenons pleinement ce projet de European convention », confie Christian Krieger. Est-ce que ce sera le cas de la CCEE ? Nul ne le sait encore… « La collaboration ne sera plus aussi étroite entre les deux organismes. Or, c’est ce qui rendait possible une présence de l’Église dans l’espace public européen », regrette Luca Negro. Plus ecclésiale En 2016, l’AG de Budapest a abouti à de nouveaux statuts. L’instance est devenue plus ecclésiale, telle une plate-forme réunissant des responsables d’Églises, plus que des œuvres et mouvements. L’ancrage sur le terrain serait-il moins grand ? « La question du terrain se situe autrement. Par exemple, à travers la thématique de l’AG », défend Christian Krieger, qui rappelle que le président de la Commission des Églises pour les migrants en Europe (CEME) siège au comité de direction de la CEC. « La CEME est très présente et visible. J’ai l’impression que beaucoup d’Églises, y compris orthodoxes, étaient engagées dans l’accueil des immigrés », appuie Luca Negro, qui est intervenu au cours de l’AG sur l’accueil des immigrés et sur l’intérêt d’un œcuménisme pratique pour relever ce défi du XXIe siècle.
Christian Krieger : Entre Luther et Calvin Christian Krieger, tout sourire, accueille son visiteur à vélo. Puis, une fois arrivé chez lui, à deux pas de la gare de Strasbourg, il lui offre du thé tibétain, du basilic sacré. En plus d’être président de l’Église réformée d’Alsace-Lorraine (EPRAL), et vice-président de l’Union des Églises protestantes en Alsace-Lorraine (UEPAL), Christian Krieger est aussi un passionné de thé et de la course à pieds… Il a grandi dans une famille luthérienne très impliquée dans la vie de l’Église, dans le pays de Hanau, en Alsace rurale. Il parle du « complexe d’Obélix » que connaît celui qui « est tombé dedans quand il était petit ». Assez jeune, il ressent un appel fort à devenir pasteur. « La théologie est un métier qui me permet d’exprimer ma passion pour l’accueil, l’étude biblique, le travail avec la jeunesse… Je voulais partager avec les gens des choses qui me font vivre, témoigne celui qui a été ministre en paroisse pendant près de vingt ans. Être pasteur est un cadeau dans le monde actuel. C’est une grâce de vivre avec des questions fortes et de les partager. » Christian Krieger a fait ses études de théologie en Allemagne du nord, près de Hanovre. Mais il a depuis pris ses distances avec cette formation-là. « C’était un lieu très marqué par le luthéranisme piétiste, encore marqué par le réveil du XIXe siècle. Cette forme de spiritualité m’est apparue déconnectée de la culture contemporaine. Il était difficile d’être en dialogue avec le monde, à moins de ramener le monde à soi. » Pourtant, celui qui deviendra par la suite réformé ne rejette pas cet héritage : « Cela fait partie du terreau dans lequel j’ai grandi. »
« Penser mes doutes » Il avait choisi cette école de théologie car elle était rattachée à une œuvre missionnaire présente partout dans le monde (Amérique latine, Afrique, Inde, etc.), et lui rêvait de se mettre au service du tiers-monde. En parallèle, il suivait des cours à la faculté de théologie de Strasbourg, et s’est marié. Avec sa jeune épouse, ils se sont installés à Strasbourg. Christian n’est pas parti missionnaire à l’autre bout du monde car il a été nommé au service d’une paroisse. C’est donc là qu’il a partagé avec les jeunes la passion d’aller à la rencontre des autres et organisé des camps d’été internationaux en Afrique, à Bethlehem, en Hongrie, en Roumanie, en Arménie… « Nous avons vécu notre solidarité autrement. » Il a commencé son ministère dans une paroisse réformée, au Bouclier à Strasbourg, pensant n’y rester que deux ans avant de retourner dans sa famille luthérienne d’origine. Mais la vie l’a poussé à remettre bien des aspects de sa foi en question. « Si je n’arrive pas à articuler la bonté et la miséricorde de Dieu avec des réalités parfois douloureuses à vivre et à accepter, j’arrête le ministère, s’était-il dit. J’ai trouvé chez les réformés de la place pour penser mes doutes. Je ne pouvais plus me satisfaire d’une piété traditionnelle. » Christian Krieger est resté bien plus longtemps à la paroisse du Bouclier, appréciant une « liberté d’action exceptionnelle ». Certes, au sein du luthéranisme qu’il connaissait, « le pasteur était moins contesté », mais le monde réformé qu’il découvrait offrait « plus de débat, de la collégialité et une foi qui s’enrichit de la réflexion en complément de la prière ». Quand en 2006, luthériens et réformés s’unissent en Alsace-Lorraine, Christian Krieger n’y était pas favorable. « Je n’étais pas un défenseur de l’union car je progressais encore dans mon intelligence de la foi réformée. » Il estimait que les différences théologiques et culturelles entre luthériens et réformés étaient trop prononcées. Avec le temps, il a rencontré d’autres approches luthériennes dans d’autres pays qui lui ont fait « relativiser » ce qu’il pensait. Identités en devenir Aujourd’hui, il estime que ces « différentes identités, qui ne se résument pas aux racines, sont à la fois au présent et en chemin». Il prend l’exemple d’Abraham dans la Bible pour plaider la cause des « identités en devenir ». à l’approche des 500 ans des 95 thèses de Luther en 2017, Christian Krieger estime que « nous
sommes tous héritiers de la Réforme. Luther en a découvert les principes fondateurs et Calvin les a pensés en église. Ces deux-là me structurent. » Christian Krieger a parfois nourri le rêve de devenir pasteur réformé en France de l’intérieur. Il ressent une proximité avec l’Église réformée de France. Or justement, celle-ci scelle également son union avec les luthériens au mois de mai prochain – un processus que Christian Krieger accueille avec plus d’enthousiasme qu’en 2006. « Nous saluons cette démarche solide et construite, et nous sommes reconnaissants de la qualité du travail fourni. » élu depuis peu à la présidence de l’EPRAL, Christian Krieger a donné comme priorité à son mandat le travail théologique et la formation des laïcs. « La sécularisation a beaucoup culpabilisé ceux qui portaient à bout de bras les Églises locales. Les former leur donnera de la hauteur et du recul. » Christian Krieger estime aussi que « la création de l’Union a mobilisé beaucoup d’énergie sur les fonctionnements et les structures. Il faut désormais repartir des projets fondamentaux qui relèvent de la mission de l’église, comme les aumôneries, la catéchèse, le travail biblique et théologique. » Christian Krieger sera-t-il le prochain président de l’UEPAL ? « Dans une institution qui compte une majorité -200 000 luthériens- et une minorité -30 000 réformés-, il est tout à fait envisageable que l’Église minoritaire accède à la présidence, mais uniquement si la majorité le souhaite. » Et de conclure : « L’enjeu est ailleurs. Il réside dans la capacité de notre église d’aller à la rencontre des attentes spirituelles contemporaines avec le trésor de cette Parole qui nous est donnée. »
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