De Venice Beach au pont du Rialto, le tour du monde en webcams

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De Venice Beach au pont du Rialto, le tour du monde en webcams
De Venice Beach au pont du Rialto, le tour du
              monde en webcams
  Il n'est pas forcément besoin de se déplacer pour voyager. Grâce aux
     webcams qui parsèment la planète, une connexion Internet suffit.
                Embarquement sur les pas de Phileas Fogg.

                                                                      04/04/2020

De Venice Beach au pont du Rialto, le tour du monde en webcams ©Jeenah Moon/REUTERS

À l'automne 1872, dans le huis clos de sa maison d'Amiens, Jules Verne
achève son Tour du monde en 80 jours. C'est en voyageur sédentaire,
cloîtré dans l'antre de son bureau, en compagnie d'ouvrages savants,
que l'écrivain a façonné l'un de ses plus beaux personnages : Phileas
Fogg. Le texte paraîtra en feuilleton dans le journal Le Temps, avant
d'être édité l'année suivante pour s'écouler à plus de 100 000
exemplaires, puis d'être traduit dans le monde entier. Au cours du XXe
siècle, le milliardaire Fogg qui a misé sa fortune sur les capacités des
transports modernes ne cessera d'engendrer des rivaux. De Chaplin à
Cocteau ou Aldous Huxley... beaucoup ont repris la route du gentleman
de Mayfair. Près de cent cinquante ans ont passé, tout s'est accéléré. «
La Terre a diminué, puisqu'on la parcourt maintenant dix fois plus vite
qu'il y a cent ans », est-il écrit dans le roman.
De Venice Beach au pont du Rialto, le tour du monde en webcams
Les trains sont devenus des TGV, les avions ont pulvérisé le mur du son,
la Terre a diminué... jusqu'à ce qu'un virus nous renvoie à l'immobilité. Si
la situation sanitaire nous ordonne de ne plus bouger, rien ne nous
empêche de nous transporter à travers les écrans sur une planète
minuscule, de filer plus vite que Fogg dans un gigantesque réseau de
webcams. De nous lancer dans un voyage par la fibre optique.

LE GONDOLIER MUET RAME EN SILENCE

La grande roue du London Eye à l'arrêt, au bord de la Tamise ©Tolga Akmen / AFP

Première escale à Londres, où s'ouvre le roman. L'Abbey Road Studio
capte en direct les black cabs et les double-deckers qui ralentissent au
passage piéton des Beatles. Bien sûr, l'angle n'est pas celui de la
pochette de l'album et de la célèbre photo de Iain MacMillan. Au fond, un
cerisier imprime à l'image une touche pastel que je retrouverai au Japon
quelques clics plus loin. À l'heure où j'entreprends ce voyage, le
Royaume-Uni ne s'est pas encore résolu au confinement, en fin d'après-
midi quelques rares curieux reproduisent le pas des Fab Four sous
l'objectif d'un smartphone. Image printanière, bonheur de marcher dans
une ville comme quatre garçons dans le vent. Phileas Fogg, lui, avait
prévenu son domestique Passepartout :
« Nous marcherons peu ou pas. »
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Mais pourquoi Londres ? Une clé se cache peut-être dans le labyrinthe
de la National Gallery. Par le portail de Google Arts & Culture, je me
glisse à travers les salles du musée virtuel : Les Epoux Arnolfini de Van
Eyck, Les Parapluies de Renoir... la boussole me guide vers Pluie,
vapeur et vitesse de William Turner. Image fascinante d'une locomotive
qui écartèle une averse à 150 km/h. En 1844, Turner représente un
Empire qui domine les technologies et dévore les distances. Le monde
selon Fogg. À partir de là, nous allons poursuivre le milliardaire vers l'est,
invariablement. Faire le tour de la Terre reste la seule façon de retrouver
son point de départ sans revenir sur ses pas.

La place Saint-Marc, à Venise. Photos extraites de la série « Coronavirus: postcards from
italian webcams », du photographe Graziano Panfili. Un travail effectué à partir d'images de
webcams témoignant de la vie suspendue dans une Italie confinée ©Graziano Panfili
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Et voici Venise. Perchée comme une gargouille sur la basilique Saint-
Marc, la caméra de l'hôtel Concordia regarde la nuit s'allonger sur la cité
somnambulique. Venise confinée, vidée de ses visiteurs. Un jogger
solitaire traverse ce qui était, il y a quelques semaines encore, la
terrasse du Florian. À la fin des années 1810, bien avant les
croisiéristes, Lord Byron avait l'habitude de prendre ici son café. Il
habitait un palais sur le Grand Canal, où il lui arrivait paraît-il de se
baigner. L'oeil électronique de l'hôtel Ponte Antico observe les derniers
rayons du jour tomber sur le Rialto. Une lumière s'éteint. « Le gondolier
muet rame en silence », souffle Byron. Venise s'assoupit.

Vol de nuit. Je saute d'une plage égyptienne à un temple de Katmandou.
De clic en clic, le monde défile dans le hublot digital. Pendant ce temps,
indifférent, confiné dans les cabines et les compartiments, Fogg
pourfend Suez et l'océan Indien. Le chapitre 14 s'intitule : « Dans lequel
Phileas Fogg descend toute l'admirable vallée du Gange sans même
songer à la voir ». Pour Jean Cocteau, qui suit sa piste en 1938 : « Ce
voyage n'est pas dédié aux décors mais au temps. À des héros d'une
entreprise abstraite qui met en oeuvre l'heure, la distance, les longitudes,
les méridiens... »

Fogg passera 16 heures à Hong Kong. Du haut de sa terrasse, la
webcam du Harbour Grand Hotel de Causeway Bay balaye la ville
comme un phare. Le port de Victoria sort de la nuit. Les lumières des
buildings s'éteignent dans la brume du delta des Perles, le trafic
s'intensifie sur l'autoroute qui file vers les quartiers d'affaires. Dans la
baie, le bal des ferrys a commencé. Il est 23 heures à Paris. Dans mon
portable, au creux de mes mains, nous sommes déjà demain.

ENTRE NEUF YEUX

À Tokyo, l'impassible caméra sentinelle du Shibuya Community News
surplombe le carrefour mythique de la ville. Dans Lost in Translation, la
mégalopole devenait le miroir des solitudes modernes et l'on s'identifiait
à Scarlett Johansson, silhouette dans la houle de 10 000 piétons qui
transitent chaque jour sur ces zébrures. Dix mille passants dans l'oeil
d'un cyclope. Combien d'inconnus, de l'autre côté, à observer le flot se
retirer en 55 secondes, au tempo métronomique des feux de
signalisation ?

Plus loin, sur YouTube, Sakura Live Cam regarde les barques glisser sur
les canaux, le Palais impérial, le vent qui emporte les fleurs de cerisiers.
Un dimanche ordinaire. Il est temps de traverser l'océan. Là-bas, sur une
plage sans bikini, un employé installe les transats. La caméra de l'hôtel
Sheraton pivote à 180 degrés, zoome et ferre trois surfeurs dans l'écume
orangée. Le dimanche qui s'achève à Tokyo commence en Amérique.
Depuis Waikiki, le Pacifique s'étend vers le jour d'après. Désormais,
nous remontons le temps.

Les douves du Palais impérial, à Tokyo, bordées de cerisiers, le 24 mars ©Paul
Brown/REX/SIPA

L'artiste canadien Jon Rafman est un pionnier des traversées
numériques. Le 25 mai 2007, Google entreprend via Street View
d'archiver nos rues. Quelques mois plus tard, Jon se lance dans « 9-
Eyes », une collection d'images insolites, glanées au hasard par la
caméra à « neuf yeux » de Google. Un cheval maigrichon sous une
barre d'immeuble, une fille qui montre ses fesses, un arc-en-ciel sur un
champ de coton, une bande de voyous les armes à la main... « Je
pouvais me faire des marathons de 12 à 16 heures, complètement
drogué à la Ritaline, en ne mangeant presque pas. Pendant au moins
quatre heures, j'étais complètement en transe », racontera l'artiste au
site Vice. Son expérience démontre que les beaux voyages, réels ou
virtuels, nécessitent toujours du temps.
HERE COMES THE SUN

En Californie, les méduses dansent au ralenti dans l'aquarium de
Monteray Bay. À Venice Beach, un skateur virevolte indifférent aux
mesures de confinement. Les maillots jaunes du tour du monde ne
saisissaient que des Polaroid. Jean Cocteau le savait : « Je dois avancer
à la surface du globe par saccades, comme les libellules qui rasent le lac
et s'arrêtent un peu sur chaque fleur. » Lancée à la poursuite de Fogg en
1889, la reporter américaine Nellie Bly déclarera à un journal du Kansas
: « Il n'y a vraiment pas grand-chose à voir à l'étranger pour un
Américain. »

À New York, le virus a figé Times Square. Publicités et écrans géants ne
s'adressent plus qu'à la webcam qui pivote, zoome et dézoome à la
recherche de rares êtres vivants. Elle attrape cependant des souvenirs
de spectateurs : Harry Belafonte dans le Manhattan évacué de Le
Monde, la chair et le diable ; Will Smith dans le New York dévasté par le
virus de Je suis une légende ; Tom Cruise dans le Broadway désert de
Vanilla Sky... Le Covid-19 a transformé la ville en décor de cinéma.

Times Square, à New York, vidé par le coronavirus ©Jeenah Moon/REUTERS

À la fin, Fogg remporte son pari. La somme qu'il empoche couvre très
exactement les frais de son périple. Les compteurs sont à zéro et la
boucle parfaite...
En chemin, néanmoins, il a trouvé l'amour, évènement improbable au
cours d'un voyage virtuel. À Londres désormais, plus personne ne
traverse le passage piéton des Beatles. La caméra du Park Plaza
County Hall fixe la grande roue figée du London Eye. Alors, je me
connecte à la Nasa et à la caméra du Node 2, postée à l'avant de l'ISS.
Doucement, les nuages glissent sur les océans et les continents. Tout
bouge. Tout tourne. Sur la plage 7 d'« Abbey Road », George Harrison
chante que le soleil arrive.

CARNET PRATIQUE
Pour se mettre en route
Quelques portails de
webcam : skylinewebcams.com, earthtv.com, earthcam.com, webcamtaxi.com
En français : vision-environnement.com et toutesleswebcams.com
Le projet de l'artiste Jon Rafman : 9-eyes.com
À lire
Jules Verne, Le Tour du monde en 80 jours, Folio Classiques.
Jean Cocteau, Tour du monde en 80 jours, Gallimard, Collection L'Imaginaire.

RÉCIT D'UN VOYAGE IMMOBILE
Xavier de Maistre est le père des voyageurs immobiles. En 1794, l'officier
assigné à résidence suite à une affaire de duel, écrit un savoureux dialogue
entre lui-même, ses meubles et sa bibliothèque, auxquels il s'adresse ainsi :
« Daignez m'accompagner dans mon voyage ; nous marcherons à petites
journées, en riant, le long du chemin, de voyageurs qui ont vu Rome et Paris ;
aucun obstacle ne pourra nous arrêter ; et, nous livrant gaîment à notre
imagination, nous la suivrons partout où il lui plaira de nous conduire. »
Voyage autour de ma chambre est disponible gratuitement
sur gallica.bnf.fr ou wikisource.org

                                                      @AdrienGombeaud
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