TROISIÈME PARTIE Des convoitises inattendues - "Tout ce qui brille, même inconnu, déclenche la convoitise" - CRIOBE

 
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TROISIÈME PARTIE Des convoitises inattendues - "Tout ce qui brille, même inconnu, déclenche la convoitise" - CRIOBE
TROISIÈME PARTIE
Des convoitises inattendues

    «Tout ce qui brille, même inconnu, déclenche la convoitise»

    Lettre de Sénèque à Lucilius, 64 ap. J-C.
La Passion – Clipperton :
l’île de toutes les passions et convoitises

Christian JOST
Université de la Polynésie française
CRIOBE, Centre de Recherche Insulaire et Observatoire
de l’Environnement, USR 3278 CNRS - EPHE

        L’île française de Clipperton, désormais La Passion ou La Passion – Clipperton1, est un cas d’étude unique par
son histoire mouvementée, par ses singularités géographiques, ses ressources et par les passions qu’elle a toujours
suscitées. Rattachée un temps aux Établissements français d’Océanie, elle est administrée par le Haut-commissaire
de la République en Polynésie française (HCR-PF) et bien qu’isolée aux confins orientaux du Pacifique tropical, elle
fait partie des marges océaniennes.
       Héritage inutile, confetti d’Empire sans intérêt, caillou stérile à donner à qui en voudra, disent certains, cette
île suscite pourtant bien des convoitises. La Passion a connu des périodes d’intérêt économique, de positionnements
stratégiques et d’engouements scientifiques, espacées de phases d’oubli et d’abandon complets. Aux convoitises
étrangères qui se sont traduites par des occupations militaires et civiles plus ou moins longues ont répondu des
missions d’affirmation de la souveraineté française et des missions plus courtes de surveillance et de police des mers.
Ces dernières doivent décourager les visites.
       Seul atoll du Pacifique oriental, l’île n’offre que 170 hectares de terres émergées, mais confère à la France une
souveraineté sur 435 000 km² de zone marine, soit plus que les 345 000 km² de ZEE de la métropole. Les convoitises
relèvent ainsi des ressources qu’abrite sa zone marine, mais aussi de sa position stratégique face au Mexique et à
sept jours de mer de San Diego (États-Unis d’Amérique).
        Les convoitises de l’histoire : souveraineté et ressources
           La Passion, son nom seul peut inviter à bien des rêves et susciter des envies. C’est le français Michel
Dubocage, commandant la frégate La Découverte, qui naviguait vers la Chine pour y faire négoce, qui la baptisa
ainsi parce qu’il la découvrit le Vendredi Saint 3 avril 1711. Le nom de Clipperton lui vient du flibustier anglais,
John Clipperton, qui aurait croisé l’île vers 1704 sans toutefois qu’aucune trace écrite n’en fasse foi. Ce nom lui
reste attaché probablement en raison de la légende d’un trésor enfoui que le capitaine du Kinkora, échoué sur l’île
en 1897, lança à ses hommes pour les occuper en l’attente de secours. Il y a d’autres trésors à chercher que ceux
des pirates : ceux d’un écosystème unique au monde et ceux des traces d’un passé à redécouvrir, voire d’autres à
découvrir. Il y a bien des restes sur cette île qui témoignent des drames, de l’âpreté de la vie et des occupations
épisodiques. Un inventaire précis en a été réalisé lors des deux dernières expéditions Passion 2013 et Passion 2015
conduites par l’auteur, mais ne pourrait-il y avoir également des restes enfouis d’un passé plus lointain comme ceux
d’un passage de Polynésiens qui auraient fait étape à La Passion durant leur fantastique conquête du grand Océan
vers les Amériques ?
        En ce XIXe siècle de recherche de nouveaux territoires et ressources, Clipperton n’échappe pas à la préemption,
et, inoccupée, elle est une proie facile. La convoitise a d’abord été attisée par ses ressources en guano qui ont conduit
à la prise de possession française en 1858 par Le Coat de Kerveguen qui en déposa l’acte auprès du Consul de France
et du Gouverneur de Hawaii2. La France renonçant à en exploiter la ressource, c’est l’Américain Frédéric Permien
qui débarque le 4 juillet 1892 pour en prendre possession au nom des États-Unis d’Amérique en s’appuyant sur la
loi « Guano Islands act ». L’Oceanic Phosphate Company exploite le guano de 1892 à 1897, année de l’arrivée des
Mexicains. Malgré l’envoi par la France du croiseur-amiral Dugay-Trouin qui réaffirme la souveraineté française le 24
novembre 1897, une canonnière mexicaine, la Democrata, débarque le 13 décembre une garnison de soldats pour
affirmer à son tour la souveraineté du Mexique, prétendant que Clipperton fait partie de l’archipel des Revillagigedo.
En 1905, le Korrigan II amène le lieutenant mexicain Ramon Arnaud, un sergent, dix soldats et leurs familles, rejoints

1   Tel qu’adopté par l’Assemblée nationale, Art. 9, le 24/11/2016.
2   Cette prise de possession fut également publiée les 18 et 26 décembre 1858 dans le journal The Polynesian.

3ème partie -                                                                                                    page 220
par une soixantaine d’ouvriers italiens. Après les troubles de la Révolution mexicaine les ravitaillements s’espacent
jusqu’à une dernière visite en 1914. C’est alors le drame des « Oubliés de Clipperton » qui meurent du scorbut et
dont il n’y eut que onze survivants. Ces vingt années furent la plus longue occupation de l’île.
       Le conflit de souveraineté entre la France et le Mexique, porté en 1909 devant la Cour de La Haye, s’achève
en 1931 après l’arbitrage en faveur de la France du roi d’Italie Victor-Emmanuel III. Le 26 janvier 1935, l’île est une
seconde fois déclarée possession française par le Lieutenant Gauthier du croiseur Jeanne d’Arc. En 1944 les États-
Unis d’Amérique l’occupent un an pendant la Guerre du Pacifique, malgré les protestations du général de Gaulle.
Les innombrables vestiges de matériel militaire, les munitions abandonnées, la piste d’aviation nivelée et les épaves
sont autant de marques de ce passage parmi les plus destructeurs de l’histoire de l’île.
       Militaires seront aussi les cinq Missions Bougainville qui occupèrent l’île de 1966 à 1968, sur ordre du
Général, pendant les premiers essais nucléaires à Moruroa. Plus longue occupation française, elle n’eut pour but
que « d’assurer la présence française », « d’installer une station météorologique » et, officieusement, de « mesurer
la radioactivité »3.
        Si le Gouvernement mexicain ne revendique plus officiellement la souveraineté sur l’île, certains groupes
politiques et de puissants hommes d’affaires, notamment du cartel de la pêche, continuent de réclamer la
« rétrocession » de l’île au Mexique arguant de l’antériorité de découverte par les galions espagnols4. En 2004,
le film « Clipperton, isla de la Pasión » produit par le riche homme d’affaires Manuel Arango, tente à son tour de
démontrer que l’île est mexicaine5. En janvier 2017 un bateau mexicain débarque clandestinement un équipage
pour commémorer le Centenaire du sauvetage des derniers « Oubliés de Clipperton »6. Ils y découvrent deux croix
sur deux tombes récentes apparemment mexicaines. L’île est en effet bien souvent visitée clandestinement. Les
divergences de vue entre les deux pays portent aujourd’hui plus sur la zone marine que sur l’île même.
        Les convoitises économiques et géostratégiques
      Stratégique et convoitée, La Passion - Clipperton l’a été et le reste du fait de sa position géographique, de son
habitabilité et surtout de sa vaste zone marine.
       Par 109°12’ W et 10°17’ N, elle se situe à un peu moins de 1100 km de la côte continentale, du plus
grand port industriel du Mexique, celui de Manzanillo, sur les routes de navigation entre les Amériques et l’Asie et
entre la Colombie et le Mexique. En position d’observatoire des routes des grands cargos et des navires de pêche
œuvrant dans cette zone, elle est un point fixe isolé, non surveillé, qui permet aussi des transferts clandestins de
marchandises illicites. Les ballots de cocaïne récoltés sur les plages en 2005 et en 2015, certes probablement
« tombés du bateau », les interventions de la Marine nationale française sur des « go-fast » auxquelles nous avons
pu assister dans le corridor de circulation entre la Colombie et le Mexique, le débarquement d’hommes en armes7 ,
n’en sont que le sommet de l’iceberg.
       La position de Clipperton dans le plan équatorial en fait aussi un atout potentiel important pour la conquête
spatiale. Lors des premiers lancements de la fusée Ariane 5, la capsule ARD de la fusée était récupérée entre les
Marquises et Clipperton et l’atoll avait fait l’objet en 1995 d’une étude confiée par la France à la NASA en vue
de l’implantation d’antennes relais pour le suivi des vols, projet qui fut finalement réorienté. Dans ce domaine
hautement technologique, elle pourrait même s’avérer être un des meilleurs sites au monde pour l’implantation d’un
ascenseur spatial sur lequel travaille déjà le CNES8.
      L’atoll est habitable et l’a démontré par les occupations passées9. Si sa surface ne se trouve qu’à 2 mètres en
moyenne au-dessus de l’eau, hormis le Rocher, chicot volcanique de 29 mètres, il est rongé par l’érosion marine
et de plus en plus fréquemment submergé par les vagues10. Il est aussi un écueil dangereux sur lequel viennent
s’échouer des bateaux de pêche et même, en février 2010, l’énorme chimiquier Sichem Osprey.
       Clipperton a été trop longtemps négligé par la France et les convoitises s’attisent face aux enjeux de ce
siècle que représentent les océans. Le spectacle de restes et de déchets plastiques que personne ne vient ramasser
alimentent les retours de visites d’étrangers qui crient au scandale sur la toile, pointant l’incapacité de la France
à protéger cette zone, dès lors pillée et sauvagement fréquentée, mais des avancées récentes donnent espoir d’un
meilleur devenir.

3 Ordre de mission et communications personnelles des « anciens » des missions Bougainville.
4 Avelar Miguel G., Clipperton, isla mexicana. Mexico, Fondo de cultura economica, 8 cartes, 1992, 249 p.
5 Amram R., Armendáriz P., Arango M., Clipperton, isla de la Pasión. México, D.F. : México Antiguo, ©2003 réédité 2004, Video DVD 40’.
6 Information d’un de nos observateurs de l’ONG « Clipperton – Projets d’Outre-mer » CPOM.
7 Milbrand L., Clipperton atoll: The daily record of life on a Pacific Atoll, National Geographic, 2003 August 23.
8 Communications personnelles sur la question des travaux par le directeur du CNES en 2009 et par des ingénieurs du CNES plus récemment.
9 À la différence des îles Spratley dont l’artificialisation de plusieurs îlots par la Chine n’a pas suffi à les requalifier en « habitables » pour
disposer d’une ZEE aux yeux de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye qui l’a désavouée le 12/07/2016.
10 Observations et mesures réalisées par l’auteur au cours des différentes missions du programme PASSION.

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La faiblesse d’un statut face aux convoitises étrangères
       Si l’île a fait partie des Établissements français d’Océanie de 1936 à 195511, elle ne fait pas partie du territoire
de la Polynésie française. Inscrit au tableau des propriétés domaniales de l’État, un temps inclus dans son domaine
privé, l’atoll est classé dans le Domaine public maritime12. Ce passage du domaine privé au domaine public a été
motivé par la recherche d’une meilleure protection de l’atoll à une époque où un important projet de création d’un
port hauturier était sur le point d’y voir le jour13. Le ministre des outre-mer en délègue l’administration au Haut-
commissaire de la République en Polynésie française. Clipperton est soumis à l’ensemble du droit métropolitain14,
mais le Traité CEE ne lui est pas applicable15. Elle dispose d’un code postal, le 98799 et, par son extension marine,
elle est le 5e territoire français d’outremer !
       Deux grandes avancées viennent d’être réalisées : la première est la création le 15/11/2016, par arrêtés pris
par la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, Ségolène Royal, l’un de création d’une aire marine
protégée dans les eaux territoriales modifié par arrêté le 16 janvier 2017, l’autre instituant une liste d’espèces
protégées ; la seconde avancée est l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 24 novembre 2016 d’un
nouveau statut présenté par le groupe UDI conduit par le député Philippe Folliot. Ce dernier a défendu avec passion
cette « jachère abandonnée de la République » dans son projet de loi ainsi que dans le Rapport parlementaire
sur la valorisation de Clipperton16 que lui avait confié le Premier ministre17. La Secrétaire d’État à la Biodiversité,
l’écologiste Barbara Pompili, a évoqué une île « stratégique » et indiqué que le Gouvernement voulait « affirmer avec
force que Clipperton fait pleinement partie du territoire français », la proposition de loi participant « au rappel le

11 Loi n° 55-1052 du 6 août 1955 modifiée portant statut des TAAF et de l’île de Clipperton, notamment son titre II.
12 Depuis l’arrêté interministériel du 18 mars 1986 (JO 20 mars 1986, p. 4775).
13 Le projet de la SEDEIC (Société d’Études, Développement et Exploitation de l’îlot Clipperton) de Norbert Niwes est le programme
d’aménagement le plus ambitieux jamais envisagé et aussi proche d’aboutir.
14 Loi portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton. Article 9 -Créé par Loi n°2007-224 du 21 février
2007 art. 14 12° (JORF 22 février 2007).
15 Territoires d’Outre-Mer, Droit commun, 1999, Clipperton et Droit applicable, Dans Wallis et Futuna, Terres Australes et Antarctiques
française, Iles Éparses de l’Océan indien. Clipperton . Éditions du Juris-Classeur – 2, 1999, fasc. 472.
16 Auquel l’auteur a participé.
17 Folliot P., Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international. Paris, fév. 2016,
Rapport parlementaire, 83 p.

3ème partie -                                                                                                                       page 222
plus solennel de la pleine souveraineté de la France »18. Quant à l’arrêté de protection du biotope terrestre et marin,
il renforce les dispositions, mais pas les moyens. De fait ce n’est que 0,4% de la ZEE qui est déclaré « protégé »,
tandis qu’il faudrait 100 milles nautiques (25% de la ZEE) ou a minima 50 milles (6% de la ZEE) pour garantir les
cycles alimentaires de cet oasis de vie. Les nouveaux défis résident donc dans le contrôle de leur application et dans
la création d’une station scientifique qui devra faire l’objet de dérogations. Ces nouvelles dispositions seront-elles
suffisantes à contenir toutes les convoitises ? On peut en douter en l’absence de présence française sur site. C’est une
première étape, mais il faudra aller plus loin.
      Les convoitises sur la mer adjacente
       Stratégique cette possession l’est aussi par le fait qu’elle a permis à la France, en 1973, d’adhérer à la
Commission américaine du thon tropical (CIATT ou IATTC), et par sa position au cœur de l’une des zones les plus
riches au monde en thonidés. La surveillance de la mer adjacente est très difficile. Il faut onze jours de mer à partir
de Tahiti, sept jours à partir de Hiva Oa (Marquises), à un bâtiment de la Marine nationale pour rallier Clipperton.
Ceux-ci y font une visite au moins annuelle à l’occasion de missions diplomatiques ou de soutien de missions
scientifiques. Une surveillance satellitaire militaire quotidienne depuis Tahiti complète ce dispositif depuis quelques
années. Une détection des navires présents dans la ZEE, comme dans d’autres ZEE, est également assurée par l’ONG
internationale Global Fishing Watch qui a notamment montré qu’en 2015 au moins vingt-trois navires de pêche ont
pêché dans la ZEE de Clipperton pendant 125 jours pour un effort de pêche total estimé à 50 000 tonnes (Fig. 2).
       À chaque visite sur zone, des senneurs étrangers, de capacité d’emport de plus de 1 000 tonnes, équipés de
vedettes rapides et d’hélicoptère, sont observés au plus près de la côte. La très grande majorité sont des senneurs
mexicains qui depuis l’accord franco-mexicain du 29 mars 2007 obtiennent sur simple demande une autorisation
de pêche « dans les 200 milles marins entourant l’île de Clipperton ». Cet accord, quasiment sans contrepartie autre
qu’un accueil d’étudiants français au Mexique, dans lequel est soigneusement évité le terme de « ZEE », fait suite à
une protestation du Mexique après l’arraisonnement le 26 avril 2005 d’un navire mexicain en activité dans la ZEE
de Clipperton. Réclamant la reconnaissance de droits de pêche historiques dans les eaux de la Isla de la Pasión et
menaçant de soulever devant les instances internationales la question du statut de l’île, qu’ils considèrent comme un
simple rocher19, a suffi, dans le contexte des relations franco-mexicaines de l’époque, pour signer précipitamment
cet accord pour une durée de dix ans, sans limitation de quotas. Toutefois, le simple fait que le Mexique et les
compagnies de pêche acceptent de demander l’autorisation de pêcher est une reconnaissance de la souveraineté
française… Fin 2016, ce sont 48 sociétés mexicaines qui étaient autorisées à envoyer leurs navires-usines dans les
eaux françaises. Leur seule obligation est de déclarer annuellement leurs prises. Mais si le Mexique a déclaré environ
5 000 tonnes de prises sur l’année 2012, environ 4 000 tonnes en 2013, ce ne sont que 1 450 tonnes sur toute
l’année 2014 qui ont été déclarées. Cela correspond à l’emport d’un seul gros senneur…
                                                                               À partir des tonnages déclarés à l’IATTC
                                                                       rapportées à la superficie de la zone marine de
                                                                       Clipperton, les estimations basses des prises annuelles
                                                                       font état de 2 500 à 26 000 tonnes de poissons
                                                                       pêchés (IRD in Folliot, 2016), de thons (albacore
                                                                       et listao), mais aussi de requins et d’autres espèces.
                                                                       Les estimations hautes basées sur la fréquentation
                                                                       observée par satellite et sur site évaluent les prises à
                                                                       50 000 tonnes20. Toutefois la part de l’effort de pêche
                                                                       de la flotte mexicaine de senneurs et de palangriers
                                                                       que supporte la ZEE de Clipperton n’est évaluée qu’à
                                                                       3% de l’effort total sur l’ensemble de la pêcherie et à

                                                                       18     « L’Assemblée réaffirme la souveraineté de la France sur
                                                                       Clipperton, sans lui donner le statut de collectivité » Le Parisien,
                                                                       24/11/2016.
                                                                       19 Au sens de l’article 121 §3 de la CNUDM selon lequel : « les
                                                                       rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie
                                                                       économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de
                                                                       plateau continental »
                                                                       20      Pauly D., “The fisheries resources of the Clipperton EEZ
                                                                       (France)”. P.35-37 In Zeller D. and Harper S. (eds.). Fisheries Catch
                                                                       Reconstructions: Islands, Part I. Fisheries Centre Research Pauly
                                                                       Report 17(5), 2009.
                                                                       Jost C., « Jeux et enjeux géopolitiques et économiques dans le
    Routes de bateaux de pêche dans la ZEE de Clipperton en 2015       Pacifique nord-oriental ». Paris, Diplomatie » - Affaires stratégiques
             (Source : Global Fishing Watch via National Geographic)   et relations internationales, n° HS 13, août/septembre 2010, p. 51-
                                                                       55.

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1% sur les 100 milles nautiques21 préconisés en réserve intégrale. Les renégociations en cours de cet accord, qui
doivent conduire à une reconnaissance de l’interdiction de la pêche dans les eaux territoriales, doivent aussi tendre à
faire accepter le paiement de redevances de pêche à la France, qui disposerait alors de moyens pour mieux surveiller
la zone et pour l’installation d’une base scientifique et de surveillance (Folliot, 2016).
       La mise en exploitation de la ZEE de Clipperton par la France en août 2005 permet à des pêcheurs français d’y
pratiquer gratuitement la pêche après accord du Haut-commissariat en Polynésie française, préalable nécessaire afin
d’assurer un développement raisonné de la pêche dans ce secteur et de gérer la ressource.
       Sur le récif corallien, la mission 2016 du National Geographic a constaté l’extrême rareté des requins,
essentiellement des juvéniles, alors qu’ils étaient très abondants dans les années 1990, et la présence plus que
nulle part ailleurs de nombreux fils et filets de pêche sur le récif. Le recensement des oiseaux marins que l’auteur a
réalisé a révélé une chute considérable de la population des fous masqués de 100 000 individus en 2005 à 40 000
aujourd’hui. La surpêche des thons qui poussent leurs proies, exocets et autres petits poissons, vers la surface lors de
leur chasse, réduit la ressource alimentaire des fous qui doivent aller chaque année plus loin pour se nourrir. Mais
« la plus grande colonie au monde de fous masqués » prélève aussi une grande part de la ressource, jusqu’à 29 000
tonnes par an22. Enfin, les rats à terre, apparus dans les années 2000 contribuent pour une part à la destruction des
œufs.
       La plongée d’aventure et la pêche au gros, autorisées ou non, sont pratiques courantes. Si les demandes
d’accès au HCR-PF sont répertoriées, les visites clandestines sont aussi traçables sur la toile à travers les offres ou
les images souvenirs. Pour 5 000 US$, il est très facile de s’y rendre depuis un port mexicain. L’exemple du yacht
suisse arrivé sans autorisation et dont un des quatre membres d’équipage se noya dans les fortes vagues pendant
notre mission 2016, est un exemple dramatique des risques liés à une côte accore exposée aux houles croisées et
aux puissantes déferlantes. Ces visites sont toutefois motivées par « l’exception Clipperton », mais aussi par des
intérêts purement mercantiles. Les images sont nombreuses sur la toile de « coups de pêche » depuis le rivage ou de
plongeurs sur fond de Rocher, ou encore d’espèces en vente comme le coquillage Cyprae Isabellamexicana pour 550
US$, ou le poisson ange Holacanthus limbaughi, endémique de l’atoll, qui se revend 10 000 US$ sur les marchés
spécialisés.
        Mais il est aussi des ressources minières profondes supposées qui peuvent attiser les convoitises. À ce jour,
trois sondages dans la ZEE réalisés par l’expédition océanographique mexicaine SURPACLIP en 1997 à laquelle
l’auteur participa ont rapporté des nodules. L’Ifremer n’y prévoit pour l’heure aucune campagne de prospection. Il
faut dire que la France enregistrée comme « investisseur pionnier » le 17/12/1987 dispose déjà à travers le consortium
AFERNOD de concessions sur 75 000 km² de fonds marins dans le grand champ de nodules situé entre les îles
Hawaii et Clipperton. L’intérêt, plus que les convoitises, se situe aussi et surtout dans la recherche scientifique.
        L’intérêt scientifique
      La Passion – Clipperton est un véritable laboratoire à ciel ouvert, un vivier pour la science, autant pour les
découvertes biologiques potentielles que ce microcosme unique par son lagon fermé semble détenir, que pour les
études des relations océan-atmosphère si fondamentales en cette période de changements climatiques majeurs.
       L’intérêt scientifique remonte aux premiers travaux en 1958 de la Scripps Institution et de la française Marie-
Hélène Sachet23. Ils furent suivis des travaux des missions Bougainville, de ceux de l’équipe Cousteau en 1978, des
scientifiques de la mission Jean-Louis Étienne de 2005, et des travaux de l’auteur à partir de 1997 dont les missions
Passion 2001, Passion 2013 et Passion 2015 assistées de l’Armée française. Enfin, l’expédition de mars 2016 du
National Geographic, a permis de montrer que l’écosystème marin est encore sain, bien que surpêché, et qu’il peut
encore être sauvé si une zone conséquente est protégée et une surveillance in situ appliquée24.
       De nombreux organismes de recherche français et étrangers s’intéressent à ce cas d’étude exceptionnel, seul
point fixe dans cette partie de l’océan pour caler les données satellites, seule oasis de vie, nurserie et tremplin dans
la migration des oiseaux et des espèces marines du corridor CMAR25 auquel la France doit s’associer. Le CRIOBE, y
voit tout l’intérêt d’une coopération régionale renforcée sur les problématiques de connectivité spatiale des grands

21 Global Fishing Watch
22 Weimerskirch H., Le Corre M., Bost C.A., Ballance L., Pitman R., « L’avifaune de l’île Clipperton et l’écologie des oiseaux marins », in Charpy
L. (éd.), Clipperton : Environnement et Biodiversité d’un Microcosme Océanique, Paris, Publications scientifiques du Museum National d’Histoire
Naturelles-IRD Éditions, 2009, 68, p. 381-392.
23 Sachet M.-H., « Monographie physique et biologique de l’île de Clipperton », Monaco, Annales de l’Institut Océanographique, 1962, 40,1,
108 p.
24 Jost C. & Friedlander A. et al., « L’atoll de Clipperton (Île de La Passion) – Biodiversité, menaces et recommandations pour sa conservation ».
Rapport au Gouvernement de la France, août 2016, Paris / Washington, Université de la Polynésie française / National Geographic – Pristine Seas,
98 pages et Dossier de Références à l’appui du rapport, 998 pages.
25 Corredor Marino del Pacífico Este Tropical dont les AMP des îles Cocos, Coïba, Malpelo, Gorgona et des Galápagos, auquel les Revillagigedo
(Mx) vont être rattachés et que la France devrait rejoindre avec La Passion.

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animaux (requins, cétacés, tortues, etc.), mais aussi pour l’extension du réseau de suivi des récifs coralliens et un
approfondissement de l’étude et du suivi du lagon qui constitue une zone quasi unique au monde en raison des
phénomènes physico-chimiques qui s’y déroulent. Pour ne citer qu’un autre exemple, le laboratoire LEGOS de
Toulouse et ses partenaires internationaux recommandent aussi l’implantation d’une station scientifique permanente
pour l’étude de la zone de convergence intertropicale (ZCIT), élément clef de la machine climatique dans le Pacifique
et celle du phénomène ENSO26. Dans les domaines de l’océanographie et de la biologie marine, les chercheurs de
la côte californienne et d’Hawaii s’y rendent régulièrement, tandis que les Mexicains y conduisent des recherches en
collaboration plus ou moins directe avec nous depuis vingt ans.
      Toutes ces manifestations d’intérêt conduisent à développer les coopérations scientifiques avec les pays de
la zone et plus particulièrement avec le Mexique. La solution, pour à la fois affirmer la souveraineté française, pour
contrôler la fréquentation et la pêche dans le but de récupérer des redevances et de gérer la ressource, et pour
donner à la science une plateforme unique d’étude, est d’y implanter l’homme.

       Conclusion
       Cette oasis de vie terrestre et marine est comme une micro-planète. Les alternances de domination d’une
communauté sur l’autre, du temps du porc, suivi du temps du crabe, puis du fou, et aujourd’hui celui du rat qui
menace l’équilibre de ce fragile écosystème, nous renvoient quelque part aux cycles des apogées et déclins successifs
des civilisations humaines. Objet d’étude singulier ayant encore bien des secrets à livrer, il est urgent d’en stopper
la prédation de ses ressources et de le gérer. Les pêcheurs doivent comprendre qu’ils ont tout intérêt à permettre la
reconstitution du stock par une mise en réserve intégrale de 100 milles nautiques autour de l’île, ce qui laisserait
encore 75% de la ZEE pour une stratégie écosystémique de pêche.
        Les constats de la convoitise pour la possession ou l’utilisation de ce territoire sont multiples. L’affirmation
de souveraineté, la protection de l’environnement et la valorisation économique ne sont pas antagonistes mais
complémentaires. Une présence française à demeure, de scientifiques et de quelques gendarmes, permettrait d’avoir
un laboratoire unique sur l’océan et, selon les moyens, de dissuader les utilisations clandestines de la zone. Des
stratégies combinées sont nécessaires. Elles doivent être diplomatiques, écosystémique et économique pour les
pêches, scientifique pour le savoir, doublées d’une stratégie de surveillance et de police. La coopération avec les
pays voisins et particulièrement le Mexique s’accroît d’année en année et les deux pays ont tout intérêt à renforcer
leurs liens.
        Accompagnant les études scientifiques et à l’écoute de la parole portée au plus haut niveau de l’État par certains
élus, le Gouvernement français actuel a pris les premières mesures qui s’imposaient. La création d’une AMP, l’adoption
d’un statut et, il faut l’espérer, la création d’ici quelques temps d’une station scientifique ouverte à l’international,
sont en effet les étapes clés d’un avenir qui se construit et qui apportera ses « retours sur investissements », selon
le langage des économistes, mais à prendre ici dans tous les sens. Si les prochains Gouvernements n’y prêtent plus
attention, ce joyau de la République sera toujours pillé et se dégradera alors de façon irréversible.

26 Cravatte S., Kessler W. S., Smith N., Wijffels S.E. and Contributing Authors, 2016: First Report TPOS 2020. GOOS-215, 200 pp. [Available
online at http://tpos2020.org/first-report/.]

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The Passion— Clipperton :
The island of all passions and covetous

       ABSTRACT
       On the margins of Oceania, the uninhabited atoll of La Passion-Clipperton has been generating waves of
covetousness and a succession of preemption, alternating with periods of forgetfulness and complete abandonment
since the nineteenth century. For the past few years, these have seemed to belong to the past with the multiplication
of scientific missions and the support of the French State, which seems to reaffirms French sovereignty. Its strategic
position, its resources, first in guano, now in tuna, and its multiple interests for science, as the only fixed point in the
area for the study of the ocean-atmosphere relations and as a stepping stone for migratory species, make it a territory
of exception.
       The implication of Parliamentarian of the Republic such as the deputy Folliot, followed by recent major
ministerial and parliamentary decisions seem to finally draw a better future for La Passion. The protection and the
valorization of this overseas territory are not antagonistic, but complementary. These involve strategies that are
diplomatic, ecosystemic, economic and scientific, and require the surveillance as well as a further development of
international cooperation, especially with neighboring Mexico.

JOST C., 2017. La Passion – Clipperton : l’île de toutes les passions et convoitises. In Al Wardi S., Regnault J.-M., Sabouret
J.-F., Actes des colloques "L’Océanie convoitée", Paris/Punaauia, CNRS Editions, p.220-226.

3ème partie -                                                                                                     page 226
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