Documentaire : Albrecht Dürer, un artiste novateur sensible aux idées de la Réforme - Reforme.net
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Publié le 17 décembre 2021(Mise à jour le 17/12) Par Cathy Gerig Documentaire : Albrecht Dürer, un artiste novateur sensible aux idées de la Réforme Arte.tv consacre un documentaire à Albrecht Dürer, artiste allemand aux multiples facettes. Proche des idées de Martin Luther et du premier cercle des partisans de la Réforme, il évoque dans ses tableaux de nombreux passages de la Bible. Créateur novateur, génie du commerce, inventeur du droit d’auteur. Albrecht Dürer est né en 1471 à Nuremberg. La ville allemande est alors l’un des centres intellectuels de l’Europe. Encouragé par son père, qui a décelé son talent pour l’art figuratif, Albrecht Dürer propose un univers pictural imprégné d’une conception chrétienne, selon laquelle le diable et le mal peuvent surgir à n’importe quel moment. Son premier diptyque représente ses parents. Pour les experts, ce choix n’a qu’une explication possible : il s’agit de rappeler à l’homme qu’il est mortel. L’œuvre d’Albrecht Dürer se distingue aussi parce que l’artiste s’intéresse à ce qui passe inaperçu et y accorde de l’importance, comme la nature, et par son
souhait de démocratiser l’art. S’il raconte le parcours du graveur, le documentaire dresse également le portrait d’une société. Copié à maintes reprises et doté d’une fibre commerciale, Albrecht Dürer décide de la mettre au service de l’art. Ainsi, il signe chacune de ses compositions en les estampillant d’un monogramme réalisé à l’aide de ses initiales. Comme Luther, il défend la langue allemande La diffusion à grande échelle des gravures de Dürer, par des représentants, le rend célèbre dans toute l’Europe. Proche du milieu humaniste allemand, l’artiste est hanté par une peur panique des maladies contagieuses de l’époque et celle de l’au-delà. Il réalise toute une série de xylographies sur le thème de l’Apocalypse de Jean, qu’il présente comme des visions de la réalité à venir plutôt que des illustrations du texte biblique. Coutumier des autoportraits, celui réalisé vers 1 500 le représente idéalisé sous les traits du Christ. Tout au long de sa vie, Albrecht Dürer a contribué à promouvoir la langue allemande par rapport au latin, qui était la langue savante. Comme Luther l’a fait en traduisant la Bible. Mais il ne s’agit pas là de l’unique point commun des deux hommes. Ils partagent également l’idée qu’un contact direct peut s’établir entre Dieu et l’homme. Des idées à peine esquissées malheureusement dans le documentaire. Et si les parties “fiction” sont parfois un peu longues, celui-ci n’en reste pas moins très intéressant. “Moi, Albrecht Dürer” sur arte.tv. Durée 1h30. Disponible jusqu’au 3 mars 2022.
Publié le 16 décembre 2021(Mise à jour le 17/12) Par Guillaume Morel Exposition : “Signac collectionneur” au musée d’Orsay Le peintre Paul Signac (1863-1935) était aussi collectionneur. Jusqu’au 13 février, le musée d’Orsay réunit un florilège de ses acquisitions. L’occasion de voir des œuvres rarement montrées de Seurat, Cross, Vallotton, Van Gogh ou Marquet. Le pointilliste Paul Signac (1863-1935) a le vent en poupe. Quelques mois après l’exposition monographique du musée Jacquemart-André, les éditions Gallimard publient son Journal, tenu à partir de 1894, et le musée d’Orsay consacre un accrochage aux tableaux, dessins et estampes de sa collection personnelle. Issu d’une famille aisée et autodidacte, le peintre et aquarelliste doit sa vocation à son émerveillement devant des toiles de Claude Monet, en 1874. Fondateur puis président du Salon des indépendants, Signac évolue au cœur de la vie artistique parisienne, et côtoie les meilleurs artistes de son temps. Des oeuvres rares En tant que collectionneur, il privilégie les œuvres de ses amis néo- impressionnistes, Georges Seurat, Maximilien Luce (tableau ci-dessus : Portrait de Paul Signac, 1889) ou Théo Van Rysselberghe. Mais les goûts de Paul Signac le portent également vers les Nabis (Maurice Denis, Félix Vallotton…), et les peintres fauves, d’Henri Matisse à Louis Valtat en passant par Charles Camoin et Albert Marquet. Le premier mérite de cette exposition est de réunir un corpus d’œuvres rarement vues, car pour beaucoup conservées en mains privées. Et si tout n’est pas de la même qualité – les toiles de Juliette Cambier et de Lucie
Cousturier sont vite oubliées –, la collection recèle de véritables pépites, notamment l’ensemble de tableaux d’Henri-Edmond Cross, immense peintre de la couleur et de la lumière. « Signac collectionneur », au musée d’Orsay (Paris) jusqu’au 13 février. D’autres expositions à voir pendant les fêtes de fin d’année : Exposition : le trésor des Morozov à la fondation Vuitton Expositions : “Arts de l’islam, un passé pour un présent” Exposition : “Le Théorème de Narcisse” de Jean-Michel Othoniel Exposition : “Botticelli, artiste et designer” Expositions : Jean-Jacques Henner, un peintre ténébreux
Publié le 12 décembre 2021(Mise à jour le 10/12) Par Cathy Gerig Documentaire : la deuxième Vierge au fuseau est-elle l’œuvre de Léonard de Vinci ? Un documentaire se penche sur la restauration du tableau intitulée La Vierge au fuseau. La petite toile a fait l’objet d’une enquête pour savoir si elle était bien l’œuvre de Léonard de Vinci. Une matière subtile, raffinée et “transparente”. Voilà de quoi mettre la puce à l’oreille d’experts qui se sont penchés sur la paternité d’une petite toile de 50 cm x 36 cm, nommée La Vierge au fuseau. Elle a même fait l’objet d’une enquête inédite, lors de sa restauration pour savoir si elle avait été peinte par Léonard de Vinci. Pour avancer dans leurs recherches, les experts ont eu la chance de s’appuyer sur des documents de la toute fin du XVe et du XVIe siècle. Si la description du tableau est l’occasion de dévoiler des indices expliquant pourquoi les spécialistes se sont penchés sur cette œuvre, le documentaire va bien plus loin. Dans la longue histoire du tableau, le 10 juillet 2018 fait figure de date clé. Ce jour-là, il prend la direction du musée du Louvre où il est comparé à La Joconde et d’autres tableaux tardifs du grand maître de la Renaissance. Cinzia Pasquali, la restauratrice, et Vincent Delieuvin, conservateur en charge de la peinture italienne du XVIe siècle au Louvre, prennent le temps d’expliquer ce qui les fait pencher d’un côté ou d’un autre, comme s’ils s’adressaient aux téléspectateurs, les entraînant au cœur de l’enquête dont l’enjeu est de taille. Ils sont épaulés par un chimiste.
Une autre Madone au fuseau Léonard de Vinci est un peintre rare, qui a pris jusqu’à vingt ans pour peindre une œuvre. Si bien que seules 14 œuvres lui sont attribuées de manière sûre. Qui plus est, pour la plupart des experts, il s’agit d’une très belle copie, qui aurait pu être réalisée par l’un des élèves du maître. Il faut dire qu’une autre Madone au fuseau est exposée à Édimbourg. Celle-ci est considérée comme ayant été en partie peinte par Léonard de Vinci au même moment que le tableau restauré à Paris. Si vous n’êtes pas un amateur d’art éclairé, ne vous privez pas de lancer le documentaire. Tout est expliqué avec simplicité par des passionnés désireux de partager leurs connaissances avec le plus grand nombre. Léonard de Vinci – Le chef-d’œuvre redécouvert est disponible sur arte.tv jusqu’au 1er février 2022. Durée : 91 minutes. Publié le 1 octobre 2021(Mise à jour le 1/10) Par Laure Salamon Livre jeunesse : dix peintres
racontés en BD Quelle belle introduction à l’histoire de la peinture pour des enfants de 8-10 ans grâce à Bruno Heitz et ses courts récits illustrés qui racontent la genèse de ces chefs-d’œuvres. Les dix histoires commencent toujours de la même manière. Le peintre est dans son atelier quand on frappe soudainement à la porte. L’arrivée du nouveau personnage vient perturber le travail de l’artiste tout en offrant aux lecteurs l’opportunité de découvrir une de ses œuvres emblématiques. Exception faite pour Claude Monet qui, lui, est sorti pour peindre dans sa barque sur la Seine. Ainsi, Bruno Heitz fait découvrir en quelques pages Léonard de Vinci, Pieter Brueghel, Johannes Vermeer, Jacques-Louis David, Théodore Géricault, Claude Monet, Vincent Van Gogh, Paul Cézanne, Pablo Picasso et Niki de Saint Phalle. Une belle initiation à la peinture et aux grandes œuvres qui ont marqué l’histoire. Bruno Heitz, Dans l’atelier des peintres, Casterman, 2021, 48 p., 12,95 €. Dès 8 ans. Publié le 1 juillet 2021(Mise à jour le 1/07) Par Martine Lecoq
Exposition : à la Bourse de commerce de Paris, le neuf jaillit de l’ancien La Bourse de commerce fait peau neuve à Paris, restaurée et transformée en musée d’art contemporain, sous la houlette du collectionneur François Pinault. La Bourse de commerce – Pinault Collection, qui vient d’ouvrir ses portes, est entièrement dédiée à la création contemporaine. Des noms d’artistes, certains connus, d’autres pas, jalonnent le parcours de son espace intérieur autour de la rotonde centrale et sous la verrière de sa magnifique coupole. Le lieu seul, en effet, mérite déjà une visite. À l’inverse de nombreux partis pris esthétiques du XXe siècle qui sacrifiaient l’ancien au nouveau, ce qui tuait souvent le nouveau lui-même, le XXIe siècle s’avère conciliateur. Ce qui est visé ici par l’architecte japonais Tadao Andō, c’est la complémentarité. Des œuvres d’aujourd’hui respirent parce que l’écrin du passé leur donne relief et profondeur. Ce neuf qui explose dans l’ancien fait de la visite une promenade ludique. Elle ne fatigue pas le cerveau et, pourtant, la réflexion en découle naturellement. La collection de François Pinault, riche de 10 000 œuvres, ne veut d’ailleurs pas se dévoiler d’un coup. Elle sème des graines… Beauté de l’éphémère Ce qui saute d’abord aux yeux, c’est cette réplique d’une sculpture monumentale de la Renaissance (L’Enlèvement des Sabines de Giambologna) par le Suisse Urs Fischer, dont la cire se consume peu à peu sous nos yeux. Une manière de dire, sans doute, que la majesté extérieure des choses est éphémère, qu’elle existe pour disparaître, et que la beauté consiste justement dans cette destruction. Les fausses chaises de l’artiste franco-italienne Tatiana Trouvé, qui ponctuent chaque entrée de salle, sont plus vraies que nature, comme si des gardiens de musée venaient de s’y asseoir. Le bronze d’un châle posé sur un dossier a l’apparence chatoyante du tissu, on s’y méprend. Les installations du sculpteur
afro-américain David Hammons sont, quant à elles, très variées, engagées dans la mouvance du Black Arts Movement ou pleines d’une poésie décalée : ainsi ce panier de basket devenu objet de luxe ou ces chats paisiblement endormis sur des djembés démesurés. Parmi les peintres, on peut citer entre autres l’Anglaise Lynette Yiadom-Boakye et l’Américain Kerry James Marshall qui font étinceler les peaux noires ou les enfoncent mystérieusement dans plus sombre qu’elles. Ou la Suissesse Miriam Cahn et ses créatures oniriques, improbables et pourtant si humaines, qui penchent vers Le Cri de Munch. Exposition inaugurale : « Ouverture », Bourse de commerce (Paris 1er), jusqu’au 31 décembre. Publié le 22 mai 2021(Mise à jour le 22/05) Par Rédaction Réforme avec AFP Comment le peintre Marc Chagall
“a renouvelé l’art sacré” Pour Chagall, “la bible hébraïque, c’est le point de départ”. Marc Chagall, “maître des couleurs, a renouvelé l’art sacré” à la moitié du XXe siècle, estime Elia Biezunski, commissaire d’une exposition du Centre Pompidou- Metz, hommage au peintre à l’occasion des 800 ans de la cathédrale qu’il illumine avec ses vitraux. Intitulée “Marc Chagall, passeur de lumière”, cette exposition se concentre jusqu’au 30 août sur cette période “du peintre qui aimait le vitrail”, souligne Mme Biezunski. Chagall avait débuté dans cet art avec la décoration du baptistère de la nouvelle église de Notre-Dame-de-Toute-Grâce (Haute-Savoie/1950-57). Mais c’est à Metz (1959), où il avait été préféré à Jean Cocteau pour cet édifice classé en pleine rénovation après-guerre, qu’il a pu exercer ses talents de coloriste à l’échelle d’un bâtiment et a déployé son inventivité. Il poursuivra à Reims, Jérusalem, Zurich, à l’ONU, Chicago ou Mayence. “Chagall dialoguait avec les maîtres verriers qui interprétaient ses maquettes comme des musiciens des partitions musicales. Ensuite il passait derrière mettre son empreinte”, explique Mme Biezunski. Quelque 250 œuvres, dessins, tableaux, sculptures, travaux de gravures, vitraux, collages (les maquettes)… sont exposés et démontrent que Chagall (1887-1985) natif de Vitebsk (Bélarus), arrivé vers 1911 à Paris, a traversé tous les courants (fauvisme, cubisme, suprématisme…) sans adhérer à aucun. Chagall était parfois considéré comme “Marginal” “Il a été parfois considéré comme un marginal”, observe la commissaire, car il s’est “nourri autant des couleurs du fauvisme que des couleurs des gravures populaires russes de son enfance qui juxtaposent des couleurs très contrastées”, les Loubki.
Juif, Chagall avait un rapport particulier avec la religion. Il se disait “non religieux” mais “mystique”. “Il considérait les prophètes comme une source importante. Tout comme Mozart, l’art, l’amour”, explicite Mme Biezunski. “Dans ses œuvres, il y avait aussi l’apport affectif de son enfance quand il s’enivrait des chants assis à côté de son grand-père à la synagogue”. La religion est revenue très rapidement dans son travail. D’abord en 1930, lorsqu’on lui commande une illustration de la Bible, dont une des gravures est exposée. Pour Chagall, “la bible hébraïque, c’est le point de départ”, relève la commissaire. Plus tard, dans ses tableaux, le Christ va représenter la tragédie dont sont victimes les Juifs face aux nazis, et au-delà, les souffrances de l’humanité. “Pour exprimer la souffrance, il emprunte le Christ comme un symbole car l’humanité en est imprégnée depuis des siècles”, analyse Mme Biezunski, précisant que pour Chagall, “l’ensemble de l’œuvre fait figure de symbole”: “Il empruntait, transformait, combinait et s’appropriait des symboles de différentes cultures ou traditions très reconnaissables”. Chagall a déployé une inventivité iconographique libre Les vitraux de Chagall n’ont pas été réalisés sans difficulté à Metz, malgré la volonté de l’architecte en chef des monuments historiques, Robert Renard. Le ministre de la culture de l’époque, André Malraux, a dû insister pour que le projet aboutisse. “Confier des décors d’églises à un artiste d’une autre religion ou à un agnostique, c’était une révolution”, observe la commissaire, détaillant les principaux griefs formulés à l’époque : “voir mêler de l’ancien à l’art moderne” et la crainte d’un “conflit de vocabulaire et de couleurs avec l’existant”. “C’est cet art et ce nouveau vocabulaire qui ont contribué au renouveau de l’art sacré en France et à l’international. Chagall a déployé une inventivité iconographique libre, contraire de la tradition où les symboles étaient liés au texte”, poursuit-elle.
Aujourd’hui, cette modernité permet encore à l’édifice messin de figurer parmi les plus visités de France. Quant aux dessins de Chagall, notamment une rosace bleue, elle suscite toujours des questions. Ainsi, son Christ, auréolé en jaune, porte un carré sur le front, comme si Chagall avait voulu rappeler la judéité de Jésus avec ce tephillin, un objet religieux juif. Son Saint-Jean, en-dessous, avec l’aigle, conforme à l’iconographie du moment, ressemble aussi beaucoup à un autoportrait. “Chacun se fera son idée”, répond Mme Biezunski: “Chagall n’était pas enclin à décrire ses œuvres. Il privilégiait la pluralité des interprétations. Il voulait que chacun, avec sa culture, ses connaissances puisse proposer sa lecture. Il souhaitait laisser courir l’imagination du regardeur”. Publié le 14 mai 2021(Mise à jour le 14/05) Par Laure Salamon Exposition virtuelle : chefs- d’œuvre des églises de Paris en
ligne Peintures, sculptures et vitraux, autant de trésors des églises parisiennes à être désormais accessibles en ligne. La Ville de Paris détient plus de 40 000 œuvres d’art dans 96 lieux de culte. Inédite, une exposition en trois volets, accessible en ligne et gratuite, réalise un modeste inventaire de ces trésors. Elle se divise en trois parties : peintures, sculptures et vitraux. Les internautes peuvent découvrir des œuvres aussi diverses que Le Christ au jardin des Oliviers (1827) d’Eugène Delacroix, situé dans l’église Saint-Paul-Saint-Louis (4e arrondissement), La Vie du Christ (1990) de Keith Haring, à Saint-Eustache (1er arrondissement), ou encore la statue de Marie l’Égyptienne (1450), avec ses long cheveux dorés, à l’église Saint-Germain- l’Auxerrois (1er arrondissement). Chaque œuvre est décrite et expliquée. Instructif ! « Les chefs-d’œuvre des églises parisiennes », sur le site de la Ville de Paris. Publié le 29 avril 2021(Mise à jour le 29/04) Par Martine Lecoq
Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (4/4) : “Le Christ au jardin des Oliviers” de Paul Gauguin Le peintre et sculpteur Paul Gauguin fut confronté sa vie durant à la précarité matérielle et à la solitude, toujours en quête d’une reconnaissance inaccessible. Aujourd’hui que la grandeur de l’artiste n’est plus contestée, qu’elle a atteint son zénith, l’homme est mis en cause. C’est en 1889 que Paul Gauguin peint son Christ au jardin des Oliviers. Il s’est établi à Pont-Aven en Bretagne, mais revient d’Arles après deux mois passés auprès de Vincent Van Gogh. Et l’influence de ce dernier (qui lui-même n’a jamais peint de Christ) semble avoir joué un rôle dans la genèse de son tableau. Les deux hommes se sont mal quittés, juste après que Van Gogh se soit tranché l’oreille, mais continuent de communiquer. Aussi, dans une lettre, Gauguin envoie-t-il à Van Gogh deux esquisses de son futur « Christ rouge ». Évocation de l’artiste martyr Othon Printz, théologien protestant, biographe passionné du peintre, confirme cette connivence : « Si l’on rapproche cette lettre du tableau achevé, on s’interroge. La couleur orange/rouge du capulet qui entoure la tête de Jésus, de même que celle de sa barbe, n’évoque-t-elle pas la chevelure rousse de Vincent ? Et le rouge n’est-il pas la couleur du sang, celui de l’oreille coupée ? » Malgré les différences de caractère sur lesquelles les historiens d’art insistent généralement, ces deux écorchés ont bien des points communs, les « tics » inhérents aux incompris, aux méconnus. Aux missionnaires de l’art, se sacrifiant pour lui, et pour le salut des hommes. En ce sens, le Christ selon Gauguin est l’évocation de l’artiste martyr. Lors d’une exposition de 1891, le journaliste Jules Huret s’était arrêté, dérouté, devant la toile. Or le peintre était présent, et pour répondre au critique, il expliqua : « C’est mon portrait que j’ai fait là… Mais cela veut représenter aussi
l’écrasement d’un idéal, une douleur aussi divine qu’humaine, Jésus abandonné de tous. » Il ajouta : « un cadre aussi triste que mon âme ». Dans ce cadre, les disciples ne dorment pas comme le veulent les Évangiles, ils prennent la fuite. Un personnage complexe Gauguin n’a pas fait scandale en son temps. Malheureusement, pourrait-on dire, car cela lui aurait apporté la notoriété. C’est aujourd’hui, de manière inattendue, qu’il le provoque. La raison de cette contestation tient à son goût pour les trop jeunes filles, ses icônes tahitiennes puis marquisiennes à peine nubiles qui l’accompagneront jusqu’à sa mort à 54 ans. De ce point de vue, celui de notre temps, si différent du point de vue d’alors, ce Gauguin/Christ peut paraître choquant. Mais sans nier les pentes ténébreuses de l’artiste, il convient ici d’oser plaider sa cause. Car qui sait regarder ne pourra rester insensible à l’infinie tendresse qui se dégage de ces portraits de femmes-enfants. Et ne leur rend-il pas un vibrant hommage, à une époque où les poncifs de l’Europe métropolitaine, avec leur définition étriquée de la beauté, les auraient rejetées comme des sauvages ? Il convient de souligner également que Gauguin, ce qu’on ignore parfois, s’est positionné en faveur des Marquisiens contre les colons et leurs gendarmes qu’il haïssait. Enfin rarement vie, cette fois prise dans sa totalité, fut plus poignante que la sienne. Et, avouons-le, plus courageuse. Peu d’artistes « bourgeois » en effet ont autant « trimé » pour sortir de la misère, acceptant les pires corvées, au point qu’il se propose comme manutentionnaire lors de la construction du canal de Panama, ce qui démolit sa santé pour toujours. Gauguin protestant Othon Printz commente la toute dernière période de Gauguin : « J’aime parler de lui à partir des Marquises et revenir ensuite en arrière. Car elles sont l’aboutissement, mais aussi le commencement. Gauguin, aux Marquises, lit la Bible, une Bible protestante, tous les jours, fréquente la petite communauté d’Atuona dont le pasteur Paul Vernier est aussi son médecin. Mais c’est surtout avec le diacre Tioka qu’il noue une amitié, au point de procéder à l’échange des noms, un rite très fort ! Opposé aux Églises, Gauguin n’imagine pas que le salut puisse venir d’elles. Peu à peu, il découvre un christianisme particulier, dans
l’expansion universelle de la foi, rencontre d’un mode de pensée occidental et d’une conception maorie du monde. Retourner à la nature vierge, comme il dit, c’est retourner au paradis perdu. Je veux croire qu’il l’a retrouvé. » « L’Évangile est la première base (la seule peut-être) de la société dans l’avenir », écrira Gauguin et, à propos des textes qui le composent, il se décrit lui-même « s’efforçant de les comprendre, dans l’esprit d’un monde meilleur ». Vu ainsi, il paraît moins déplacé qu’il prenne, le temps d’un tableau, les traits du Christ. « Sur le plan de l’art, conclut Othon Printz, Gauguin avait un peu le complexe du sauveur. Celui qui est sur terre pour sauver la peinture. » Retrouvez les épisodes précédents de cette série : Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (1/4) : “La Mort de la Vierge” du Caravage Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (2/4) : “Jésus insulté par les soldats” de Manet Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (3/4) : “Jésus à douze ans au Temple” de Max Liebermann
Publié le 22 avril 2021(Mise à jour le 22/04) Par Martine Lecoq Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (3/4) : “Jésus à douze ans au Temple” de Max Liebermann Le peintre berlinois Max Liebermann, très célèbre en Allemagne, est moins connu en France. Malgré la longue vie de l’artiste, son œuvre a été quelque peu éclipsée par les courants expressionnistes du XXe siècle. À 35 ans, il suscite l’indignation avec une toile originale inspirée des Évangiles. Max Liebermann est, pourrait-on dire, un « moderne classique ». Toute sa vie, il va jeter des ponts entre une nouveauté picturale stimulante et la leçon des maîtres anciens. Aussi sa grande curiosité, essaimée en multiples voyages, se nourrit-elle autant de l’impressionnisme parisien que du naturalisme hollandais. Le pays de Rembrandt et Hals demeura d’ailleurs toujours pour lui un lieu de ressourcement. Peindre en ethnologue En 1879, ce peintre juif, ni croyant ni pratiquant, qui fréquentait enfant les églises réformées, peint son Jésus à douze ans au Temple d’après la scène relatée dans l’Évangile de Luc. Ce qui fait subitement frémir et bouillir tout l’antisémitisme latent de l’Allemagne impériale. Ainsi joue-t-il là un rôle de sourcier, mettant au jour un flux souterrain déjà présent dans les mentalités, mais encore ignoré. Un rôle non de témoin mais de visionnaire, et de visionnaire du
réel. Thomas Köhler, directeur de la Berlinische Galerie de Berlin, musée consacré à l’art moderne et contemporain, commente le tableau : « Liebermann l’a réalisé naïvement, en peintre et aussi en chercheur, en ethnologue. Il a voulu réunir à l’intérieur d’une même œuvre les impressions reçues durant ses voyages, notamment la visite des synagogues qui l’ont fasciné. Quoique juif, il connaissait peu l’univers du judaïsme et entreprend ici un dialogue avec sa propre origine. Le scandale qu’il va provoquer sans le vouloir le déprimera à tel point qu’il ne peindra plus, par la suite, d’œuvre à caractère religieux. » Le tableau qui nous reste aujourd’hui, visible à la Kunsthalle de Hambourg, n’est pas la première mouture. D’après quelques dessins conservés, on peut se faire une idée de cette dernière. On y voit l’enfant Christ avec des cheveux bruns et courts, un nez marqué, des pieds déchaussés. Ces détails anatomiques choquent profondément le public. Un journal allemand dénonce « le garçon juif le plus infatué et le plus laid qu’on puisse imaginer ». Liebermann n’était ni révolté ni provocateur. Il cède aussitôt à l’opinion en retouchant son Christ selon des préceptes plus proches de l’iconographie chrétienne en vogue. D’où l’apparition cette fois d’un blondinet en sandales. Mais, et c’est là le plus intéressant, il n’obtient pas davantage de succès. Pas de distance avec la judaïté « Cette réaction négative s’explique selon moi par deux raisons, analyse Thomas Köhler. La première saute aux yeux. Qu’un peintre juif (malgré tous ses efforts d’assimilation) ose s’emparer d’un sujet chrétien paraît alors déplacé. La deuxième raison, plus historique et politique, tient aux deux confessions chrétiennes qui se déchirent en Allemagne, celle du Nord protestant et celle du Sud catholique. Le tableau a été peint à Munich, en Bavière catholique ; or la famille de Liebermann, juive mais très riche, atteste mieux que nulle autre la force du système capitaliste libéral du Nord et la vigueur du protestantisme tel que le chancelier Bismarck l’a voulu, c’est-à-dire prédominant (les catholiques sont exclus des offices). Liebermann est donc mal accueilli comme tout ce qui émane de Berlin, la ville rivale. » Rien n’indique cependant que la peinture ait été mieux reçue au Nord même si,
effectivement, le Grand Prêtre (catholique) de la Cour ouvre les hostilités. Car ce Jésus, malgré ses contours atténués et la tâche de lumière dans laquelle il se meut, repousse toujours le rendu traditionnel. Ce qui le démarque d’une représentation habituelle consiste sans doute dans la manière dont les savants juifs font cercle autour de lui. Même s’ils l’écoutent avec considération, ils l’entourent de très près. Ils sont infiniment proches, à la fois par la distance mais aussi l’air de famille. Jamais le Christ n’a baigné dans son milieu de naissance d’une façon plus naturelle et spontanée. Rien, à première vue, ne le sépare distinctement de ces rabbins, rien n’en fait un corps étranger pour eux, encore moins un corps omniscient ou supérieur. Il est seulement un enfant éveillé. En 1879, l’Allemagne de Guillaume Ier récemment unifiée est en quête de son identité nationale jusque-là morcelée. C’est le crescendo d’une interrogation de la germanité, et bientôt de la germanité comme conséquence de la race et du sol. Le juif allemand qui avait vu évoluer son statut à la faveur d’une plus large intégration sociale autour de 1848 redevient peu à peu un étranger, un apatride. Liebermann qui connaîtra le nazisme débutant et en subira les premiers méfaits, l’annonce déjà à voix murmurée dans son émouvant tableau. Retrouvez les épisodes précédents de cette série : Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (1/4) : “La Mort de la Vierge” du Caravage Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (2/4) : “Jésus insulté par les soldats” de Manet
Publié le 15 avril 2021(Mise à jour le 15/04) Par Martine Lecoq Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (2/4) : “Jésus insulté par les soldats” de Manet Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le peintre français Édouard Manet a révolutionné l’art académique. De même que plusieurs de ses œuvres les plus connues, les Christs de ses tableaux à thème religieux ont soulevé un tollé général. Des tableaux religieux peints par le si parisien Édouard Manet ? Eh oui ! Ils ne sont pas nombreux mais constituent une branche non négligeable de la curiosité artistique du peintre. Manet a 32 ans quand il dévoile son Christ mort et les anges lors du Salon officiel de 1864. Et il réitère l’année suivante avec son Jésus insulté par les soldats. Il n’est pas inutile de souligner que deux de ses chefs-d’œuvre, Le Déjeuner sur l’herbe et Olympia, seront exposés dans les mêmes dates. Aussi ne convient-il pas d’attribuer ses toiles religieuses à une « première manière » encore tâtonnante. Les Christs de Manet vont provoquer des réactions aussi violentes que les femmes des deux toiles précédemment citées. Peut-être trouvera-t-on « scandaleux » de
les comparer, puis de constater que les raisons de ces remous sont identiques dans les deux cas ? Pourtant, le scandale s’avère bien de même nature. Le Christ, un homme « comme les autres » Qu’il peigne son Christ insulté ou son Olympia, l’énergie à l’œuvre dans la toile rejette tout idéalisme. Si l’on imagine la réaction indignée du public devant un nu féminin étranger aux lois de la pudeur (comme à celles de l’impudeur), on comprend son émoi devant un Christ si semblable à ses bourreaux. Mais n’y a-t-il pas ici le rappel d’une connivence fidèle aux Évangiles ? Le Christ, de son vivant, ne fut-il pas l’ami des prostituées, et décrié pour cela ? Qu’on se souvienne du passage johannique où il se laisse parfumer, enlacer les pieds par une prostituée, tandis que son hôte, comme le public des Salons sans doute, ne peut s’empêcher d’amalgamer silencieusement cette femme perdue et cet homme douteux. Il est difficile de déterminer les sources qui ont inspiré ce Christ aux outrages. Certains citent le Ecce Homo de Van Dyck, d’autres Le Couronnement d’épines du Titien. Il ne convient pas non plus d’oublier l’admiration portée par Manet à la peinture espagnole, de Vélasquez à Goya, en passant par Zurbarán. Plus que l’intérêt religieux, la confrontation aux Maîtres a très sûrement servi de déclencheur. Pourtant, quand le peintre s’approprie ces phrases extraites du récit de la Passion par Matthieu : « Ils lui disaient par dérision : “Salut, roi des Juifs !” Ils lui crachaient aussi dessus et, prenant le roseau, ils en frappaient sa tête » (Mt 27, 29-30), les Maîtres sont vite mis entre parenthèses. La tradition n’a de sens que si elle émerge au présent. Une démarche « anti-artistique » ? Bruno Dubreuil enseigne la photographie au Centre Verdier de Paris. Historien d’art, il s’est penché sur le médium photographique à ses débuts dans son lien avec la peinture. Notamment avec ce tableau : « Ce qu’on remarque d’abord, c’est sa théâtralité : une image arrêtée, de l’ordre du tableau vivant à la manière médiévale. Donc rien qui, à première vue, rappelle l’art photographique. Ce qui ne la rappelle pas non plus, c’est l’absence d’homogénéité. Chez Manet, les personnages semblent toujours appartenir à des plans différents. Comme si chacun bénéficiait de sa lumière singulière. On pense à un montage ou un collage de morceaux disparates. Pourtant, le tableau est d’une extrême modernité. » Et
cette fois oui, il rappelle la photographie : « Les gestes ne sont plus éternels ou éternisés, mais instantanés. La fatigue qui tombe sur les épaules du Christ l’installe dans le présent. » On peut aussi évoquer la photographie pour une autre raison. D’abord considérée comme un pur mécanisme, cette toute nouvelle technique de l’image apparaît à la société mondaine du Second Empire dénuée de transcendance. Or le tableau de Manet, avec son fond noir et ses couleurs froides, son absence volontaire de relief, sera lui aussi jugé anti-artistique car « anti-transcendant ». Mais l’est-il ? À l’époque, on estime le talent d’un peintre d’après sa capacité à faire « sentir » un travail orienté. Celui de Manet a contrario cherche seulement à faire « voir » ; chacun est libre de sentir ce qu’il veut. « Quand on peignait un roi autrefois, par exemple Louis XIV, il importait de le différencier des autres mortels, dit Bruno Dubreuil. Mais une photographie de Napoléon III ne le rend pas différent. Rien ne distingue plus son portrait de n’importe quel portrait. Manet va dans le sens de cette égalisation. » Dans son grand cours sur le peintre (1998-2000), au Collège de France, le philosophe Pierre Bourdieu le faisait entrer dans sa définition de l’hérétique, un mot pour désigner celui « qui met en question, non pas la croyance, mais les défenseurs d’une forme particulière de croyance ». À lire Pierre Bourdieu, Manet, une révolution symbolique, Éditions du Seuil, 2013, 784 p., 32 €. Retrouvez le premier article de cette série : Les tableaux religieux qui ont choqué leur temps (1/4) : “La Mort de la Vierge” du Caravage
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