Etude du pouvoir dans une political ecology d'exploitation aurifère traditionnelle -depuis une perspective réaliste critique- (Marmato, Colombie)
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Sciences sociales Département de Science politique Etude du pouvoir dans une political ecology d'exploitation aurifère traditionnelle -depuis une perspective réaliste critique- (Marmato, Colombie) Thierry Fabrice Pignolet Doctorant en sciences politiques et sociales, ULB, Belgique Doctorando en ciencias sociales, UdeA, Colombie thierry.pignolet@ulb.be Promoteurs : Prof. Frédéric LOUAULT, Université libre de Bruxelles Prof. Claudia Patricia PUERTA SILVA, Universidad de Antioquia Secteur de Cien Pesos, Marmato (Photo Thierry Fabrice Pignolet) Document soumis à la réunion annuelle du Comité d'accompagnement doctoral 2019-2020 8 septembre 2020
TABLE DES MATIÈRES 1 INTRODUCTION ...................................................................................................................... 4 1.1 Antécédents (rappel).............................................................................................................. 4 1.2 Incapacité de travail pour raisons médicales ......................................................................... 4 1.3 Portée et limites de ce document ........................................................................................... 4 2 OBJECTIF, CADRE ET STRATÉGIE DE LA RECHERCHE ............................................ 5 2.1 Objectif initial........................................................................................................................ 5 2.2 Souci pour un cadre cohérent ................................................................................................ 5 2.3 Le réalisme critique, une philosophie des sciences et une stratégie ...................................... 5 3 UNE COHÉRENCE SOUTENUE PAR LE RÉALISME CRITIQUE ................................. 6 3.1 Introduction au réalisme critique ........................................................................................... 6 3.1.1 Causalité et mécanismes ................................................................................................ 6 3.1.2 Une réalité différentiée et stratifiée ............................................................................... 7 3.2 L'étude du pouvoir dans le débat agence-structure du réalisme critique ............................... 9 3.3 Le lien entre la political ecology et le réalisme critique...................................................... 11 3.4 Définition de la question de recherche ................................................................................ 12 3.5 Le rôle de la théorie en réalisme critique ............................................................................ 13 3.6 Le traçage de processus dans une étude de cas et le réalisme critique ................................ 13 3.7 La collecte de données ........................................................................................................ 14 3.8 Le codage des données et l'identification des demi-régularités .......................................... 15 3.9 L'analyse de données par l'abduction et la rétroduction ...................................................... 15 3.10 La thèse, une recherche explicative fondée sur le réalisme critique ................................ 16 4 UN "CODAGE ESSENTIELLEMENT DÉDUCTIF MAIS FLEXIBLE" ........................ 17 4.1 Introduction ......................................................................................................................... 17 4.2 Un codage organisationnel .................................................................................................. 18 4.3 Un codage réel ou substantiel .............................................................................................. 19 4.4 Un codage théorique sur l'accès aux ressources naturelles (Ribot & Peluso) ..................... 19 4.4.1 Un codage basé sur l'action sociale sur l'accès........................................................... 20 4.4.2 Un codage basé sur les droits d'accès ......................................................................... 20 4.4.3 Un codage basé sur les mécanismes d'accès structurels et relationnels ..................... 20 4.4.4 Résultats temporaires de codage en matière d'accès aux ressources naturelles ......... 20 4.5 Un codage théorique sur la justice environnementale (Schlosberg) ................................... 21 4.5.1 Un codage de justice distributive, axé sur l'équité (impacts) ...................................... 22 4.5.2 Un codage axé sur la reconnaissance .......................................................................... 23 4.5.3 Un codage de justice procédurale, axée sur la participation ...................................... 24 4.5.4 Un codage sur les capabilités (bien-être) .................................................................... 24 4.5.5 Résultats temporaires de codage en matière de justice environnementale .................. 25 4.6 Un codage théorique sur le pouvoir .................................................................................... 26 4.7 Un codage théorique basé sur le réalisme critique .............................................................. 27 1
5 DISCUSSION ........................................................................................................................... 28 5.1 Codage des données ............................................................................................................ 28 5.2 Analyse et identification des demi-régularités .................................................................... 28 5.3 Abduction (redescription théorique) et rétroduction ........................................................... 28 6 CONCLUSION......................................................................................................................... 29 7 PLANNING ET DEMANDE DE DÉLAI SUPPLÉMENTAIRE ........................................ 29 8 RÉFÉRENCES ......................................................................................................................... 30 LISTE DES ANNEXES A. Codes organisationnels (64) 34 B. Codes réels ou substantiels (267) 35 C. Codes sur la théorie de l'accès (23) 37 D. Codes sur la justice environnementale (23) 38 E. Codes sur le pouvoir (12) 39 F. Codes sur le réalisme critique (20) 40 G. Accès aux ressources naturelles de l'EMT à Marmato (réseau) 41 H. Justice environnementale à Marmato (réseau) 42 I. Conditions nécessaires aux mécanismes de changements à Marmato 43 Figure 1. "Marmato, ton or convoité est source de richesse pour les étrangers et cause de misère pour les tiens. Salutations, mineur de Marmato!" (Photo Thierry Fabrice Pignolet)1 2
ABRÉVIATIONS ARN Accès aux ressources naturelles ASR Approche Stratégique-Relationnelle (Jessop) EMT Exploitation minière traditionnelle JE Justice environnementale (Schlosberg) PE Political Ecology LISTE DES FIGURES 1. "Marmato, ton or convoité…" 2 2. Métaphore de l'iceberg pour l'ontologie du RC 7 3. La réalité différentiée selon Bhaskar 7 4. La stratification de la nature proposée par Carolan 8 5. Le réalisme critique fort et faible selon Carolan (2005 pp.398-399) 9 6. Théories du pouvoir dans le contexte structure-agence 9 7. Structure, stratégie et agence dans l'Approche Stratégique-Relationnelle de Bob Jessop 10 3
1 INTRODUCTION 1.1 Antécédents (rappel) En vertu de la convention de double diplôme doctoral signée le 28 juillet 2017 entre l'Université Libre de Bruxelles (ULB, Belgique) et la Universidad de Antioquia (UdeA, Colombie), l'intéressé a initié un doctorat sous double tutelle, d'une part en sciences politiques et sociales auprès de l'ULB en septembre 2016, d'autre part en sciences sociales auprès de la Universidad de Antioquia (UdeA) en Colombie en août 2017. Les deux formations doctorales, d'une année académique entière chacune, en sciences politiques auprès de l'ULB et en sciences sociales auprès de la UdeA, ont respectivement été suivies lors des années académiques 2016-2017 et 2017-2018. A la date du 7 mai 2018 l'intéressé a présenté en virtuel, depuis la Colombie, l'épreuve intermédiaire de fin de 2e année doctorale 2017-2018 en présence du Comité d'accompagnement. Cette réunion a cependant mis en évidence un manque de résultats empiriques dû au peu de temps disponible pour le travail de terrain après les formations doctorales. Le Comité a bien voulu accepter de reporter l'épreuve intermédiaire jusqu'à la fin de la 3e année doctorale (2018-2019). Le 17 juin 2019, fin de la 3e année doctorale 2018-2019, s'est déroulée l'épreuve intermédiaire doctorale de l'intéressé. Entretemps, le doctorant a eu le temps de réaliser son travail sur le terrain, pendant le premier semestre de l'année académique 2018-2019 (second semestre calendrier de l'année 2018). Lors de cette épreuve, le doctorant a présenté l'ensemble de son travail de terrain -spécialement le processus de récolte de données-, ainsi que des informations quant à un changement important de la stratégie de recherche et un nouveau processus méthodologique. Le Comité a constaté un progrès dans la collecte de données, a recommandé d'abandonner les recherches théoriques et méthodologiques et de commencer l'analyse de données. Un avis favorable a été émis par le Comité, en faveur donc de la réussite de l'épreuve intermédiaire. Dans les circonstances précédemment évoquées, le doctorant a aussi exprimé son souhait de solliciter une prolongation d'un an de son doctorat -qui serait analysée ultérieurement par le Comité. 1.2 Incapacité de travail pour raisons médicales Le doctorant doit informer les membres du Comité qu'il a été dans l'incapacité, après la présentation de son épreuve intermédiaire du 17 juin 2019, de poursuivre ses activités de recherche -et ce jusqu'à la fin de l'année 2019. XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX 1.3 Portée et limites de ce document Le présent document (septembre 2020) présente l'état d'avancement de la recherche de fin de 4e année doctorale 2019-2020. Il ne constitue pas un chapitre de thèse. Il a pour objectif de compléter et corriger le document d'épreuve intermédiaire du 17 juin 2019, et de montrer comment le doctorant a répondu (partiellement) aux souhaits exprimés par le Comité lors de cette même épreuve. Ce document ne reprend donc pas les informations relatives à la récolte de données, qui a fait l'objet d'un exposé détaillé en séance du 17 juin 2019. Il s'étend par contre sur les travaux d'analyse de données demandés par le Comité, mais aussi sur la nouvelle philosophie et stratégie de recherche adoptée par le chercheur. 4
2 OBJECTIF, CADRE ET STRATÉGIE DE LA RECHERCHE 2.1 Objectif initial Déjà dans notre document de synthèse du 17 juin 2019, on montrait que la recherche avait pour objectif de contribuer à l'élaboration d'une méthodologie d'approche pluraliste et globale de la compréhension du pouvoir dans le cadre des interactions nature-sociétés (political ecology ou PE). Plusieurs approches théoriques ont fourni des perspectives spécifiques sur le pouvoir (centrées sur les acteurs, néo-marxistes, poststructuralistes) en PE. Mais aucune tentative n'a été menée jusqu'à ce jour pour rassembler toutes ces théories dans une approche unique. Cette recherche a la prétention de vouloir répondre au besoin "d'une approche large et continue du pouvoir dans la PE en examinant et en intégrant les aspects de ces perspectives du pouvoir ainsi que d'autres contributions pertinentes" (Svarstad et al. 2018) -donc, finalement, en contribuant à développer une méta-théorie du pouvoir spécifique au domaine1 de la PE. 2.2 Souci pour un cadre cohérent Or, nous avons été préoccupés par un souci de cohérence entre une partie théorique basée sur des approches du pouvoir et sur l'accès aux ressources naturelles (dans une approche de PE) et la partie empirique et méthodologique de notre recherche (Danermark et al. 2019 p.3). Comment en effet concilier une réalité des interactions société-nature, à Marmato, composée simultanément (1) de données qualitatives (entretiens, observation) et certaines données quantitatives, (2) de valeurs, de perceptions et de discours (Coman et al. 2016 p.21), (3) de structures, d'agents, et de rapports de pouvoir (Coman et al. 2016 p.21), (4) d'un domaine socio-culturel et d'un domaine biophysique, où se manifestent des phénomènes discursifs, socio-biophysiques et de causalité (Carolan 2005 p.401), et enfin (5) d'une hybridité entre choses humaines et non humaines (mules, moulins, or, maisons)? Comment répondre à cette nécessité en PE d'étudier plus spécifiquement le pouvoir, tout en ayant une approche multidimensionnelle et multi-théorique de celui-ci -notamment via des théories basées sur une approche agentielle, avec d'autres théories sur le pouvoir développées à partir d' (ou en réaction à) une approche structurelle? (Hay 2002, Stör 2017) 2.3 Le réalisme critique, une philosophie des sciences et une stratégie On peut distinguer historiquement, en philosophie de la science, 3 grandes postures. "Selon la première, l'empirisme classique représenté par Hume et ses héritiers, les objets ultimes de la connaissance sont les événements atomistiques. […] La seconde posture s'est incarnée dans la formulation classique, quoique statique, de l'idéalisme transcendantal de Kant […]. Selon cette posture, les objets de la connaissance scientifique sont des modèles, des idéaux de l'ordre naturel, etc." (Bhaskar 2019 [1978] p.47) "La troisième posture, à laquelle nous adhérons, peut être caractérisée en tant que réalisme transcendantal. Elle considère les objets de la connaissance comme des structures et des mécanismes qui génèrent des phénomènes, et la connaissance comme étant produite dans l'activité sociale de la science" (Bhaskar 2019 [1978] p.47). La solution que nous avons trouvée pour répondre à notre souci de cohérence est l'adoption d'une philosophie pratique qui s'inspire de l'œuvre de Roy Bhaskar -sans s'y limiter-, appelée réalisme critique (RC). 1 La "méta-théorie spécifique à un domaine" fait référence aux niveaux théoriques de Cruickshank (2003 p.114). Voir aussi O'Mahoney & Vincent (2014 pp.14-15), Emamjome (2017 p.69). 5
"[…] le réalisme critique met l'accent sur les questions ontologiques et offre une alternative solide au positivisme et au postmodernisme. Contre le positivisme, il relève que l'activité scientifique ne consiste pas à rechercher des lois, et encore moins des corrélations statistiques entre des variables. La science explique les faits et les événements et elle accomplit la tâche en découvrant les mécanismes qui les causent. Contre le postmodernisme, il fait valoir que la réalité existe indépendamment de nous et qu'elle ne peut pas être réduite aux représentations que nous en avons." (Vandenberghe & Archer 2019 p.5) Notre intention, dans notre recherche, est de "plaider en faveur d'une approche réaliste critique [qui] aide à conceptualiser les relations complexes entre la société et la nature au-delà des comptes rendus réductionnistes". Cette tâche, du ressort de la philosophie des sciences, définit des hypothèses pré- analytiques en matière d'ontologie, d'épistémologie et de méthodologie à adopter dans la recherche. (Puller & Smith 2017 p.16)2. "La métathéorie devrait donc être un élément central de toute planification de l'étude des sciences sociales, et ne devrait pas être introduite de manière ponctuelle, car sinon le risque est grand que le travail soit mené de manière non systématique et inconséquente. En d'autres termes, il devrait toujours y avoir un lien clair entre les points de départ ontologiques et épistémologiques et le travail de recherche pratique." (Danermark et al. 2019 pp.3-4). Pour résumer, l'objectif principal de cette recherche est de participer à l'élaboration d'une métathéorie réaliste critique du pouvoir en PE (c'est-à-dire au niveau des interactions nature-société), engagée envers une ontologie différentiée et stratifiée de la nature (Carolan 2005), utilisant une approche de réalisme critique (RC) de la structure et de l'agence (Hay 2002, Bhaskar 2016, Archer 2019, Jessop 2005) et appelant à l'interdisciplinarité (Price & Martin 2018)3. Cette recherche se réalise à partir du cas d'étude de l'exploitation minière traditionnelle de Marmato, en Colombie. La section suivante explique pourquoi le choix du RC, comme ciment d'une recherche en sciences sociales, impose des conditions ontologiques, épistémologies et méthodologies avant tout processus analytique de données empiriques. 3 UNE COHÉRENCE SOUTENUE PAR LE RÉALISME CRITIQUE 3.1 Introduction au réalisme critique 3.1.1 Causalité et mécanismes "De cette association entre positivistes et constructivistes, il résulte que la réalité n'est pas seulement déterminée par des événements, des valeurs, des perceptions et des discours, mais aussi par des structures et des rapports de pouvoir, qu'ils soient identifiés par l'expérience ou par le biais du discours. Le réalisme critique ne s'intéresse pas aux régularités, mais aux contingences et aux processus causaux qui peuvent produire différents résultats dans différents contextes." (Coman et al. 2016 p.21). L'exercice le plus fondamental, en sciences naturelles comme en sciences sociales, est de "trouver les mécanismes inhérents qui génèrent des événements. Ce sont des propriétés inhérentes que nous appelons les « pouvoirs causaux »". Ces pouvoirs peuvent être exercés et produire des événements - 2 Ce dernier point est important à souligner dans le cadre du présent rapport sur les activités du doctorant depuis ce 1 er janvier 2020: en effet, même si le Comité avait conseillé en date du 19 juin 2019 d'abandonner toute recherche théorique et méthodologique, le choix ultérieur pour une cohérence de la recherche assurée par le RC nécessitait un investissement théorique supplémentaire au préalable de la part du doctorant. 3 Cette recherche doctorale se réalise en solitaire: nous ne pouvons donc qu'appeler à une interdisciplinarité -et non y participer. Cette interdisciplinarité est notamment rendue nécessaire par la considération de la stratification réaliste critique de la nature -que nous aborderons plus loin dans ce document. 6
ou non. "Le réalisme critique prend donc son point d'entrée sur l'hypothèse de base que les objets possèdent en réalité des pouvoirs causaux, c'est-à-dire des mécanismes générateurs." (Danermark et al. 2019 p.216) 3.1.2 Une réalité différentiée et stratifiée Au niveau ontologique, Bhaskar (2016) considère la réalité comme différentiée. Il fait une distinction entre le domaine empirique (avec ses expériences vécues), le domaine actuel (avec ses événements vécus ou non), et le domaine réel (avec des structures et des mécanismes causaux) -voir figure 1. "Les mécanismes causaux peuvent être réels, sans être actuels (lorsque d'autres mécanismes sont actifs et neutralisent son pouvoir causal) ou, encore, ils peuvent être actuels, sans pour autant être empiriques (puisqu'il n'y a personne pour les observer)". (Vandenberghe 2015 p.22) Figure 2. Métaphore de l'iceberg pour l'ontologie du RC (Fletcher 2017 p.183) Nous pensons cependant qu'il y a lieu de faire attention avec cette représentation du réel, de l'actuel et de l'empirique. En effet, ces 3 domaines sont imbriqués l'un dans l'autre, comme l'explique la figure 3 -avec la présence respective des mécanismes uniquement dans le domaine réel, des événements vécus ou non dans l'actuel et le réel, et les expériences ou faits observés dans les 3 domaines. Domaine Domaine Domain du réel de l'actuel de l'empirique Mécanismes X Événements X X Expériences X X X Figure 3. La réalité différentiée, selon Bhaskar (2019 [1978] p.78) D'autre part, le RC considère également la réalité comme stratifiée. Il existe ainsi des strates chimiques, biologiques, psychologiques et sociales, ou de nouveaux mécanismes sont continuellement créés : c'est ce qu'on appelle des pouvoirs émergents. En analyse de sciences sociales, 7
on se focalise sur les pouvoirs causaux au niveau social -mais il arrive que certains phénomènes sociaux sont déduits d'autres niveaux (par exemple des mécanismes psychologiques). Michael L. Carolan (2005) a développé une vision conceptuelle des relations entre la nature et la société basée sur le réalisme critique et ses concepts d'émergence, d'enracinement et de stratification ontologique. Ses trois strates ontologiques sont (1) la "nature", domaine des constructions discursives, (2) la nature, domaine des phénomènes socio-biophysiques, et (3) la Nature, domaine des phénomènes physiques et causaux. Ces 3 strates voient s'exercer les interconnexions entre le domaine socio-culturel et le domaine biophysique. Figure 4. La stratification de la nature proposée par Carolan (2005 p.401) Selon Carolan (2005 p.410), "le compte rendu de la réalité présenté ci-dessus vise à stimuler un débat critique sur la manière dont nous devons faire de la sociologie, en particulier compte tenu de […] l'hybridation croissante de la réalité entre les choses humaines et non humaines."4 (Carolan 2005 p.410) Ce débat "socio-culturel/biophysique" dans une approche réaliste critique est rarement abordé. Il sert à délimiter la profondeur de ce débat, basé sur une variante faible du réalisme critique. Carolan prétend que "c'est cette variante de réalisme critique qui est la plus utile à la sociologie de l'environnement comme guide pragmatique pour explorer plus en profondeur les diverses interactions causales qui composent la vie sociale". (Carolan 2005 pp.398-399) Mais au sein du RC existe aussi (et surtout) un débat micro-macro, en ampleur : celui entre l'agence et la structure. C'est ce que Carolan appelle la variante forte du RC (2005 pp.398-399) -et c'est celle qui nous permet de nous focaliser sur le pouvoir. 4 Les mules (chargeant le bois, les terres et déchets), les machines (moulins) dans leur évolution technologique, l'or lui- même et les représentations qu'il véhicule, sont des éléments à prendre en compte dans une réalité socio-environnementale à Marmato. 8
DÉBAT QUESTION RÉALISME CRITIQUE agence-structure d'ampleur fort socio-culturel/biophysique de profondeur faible Figure 5. Le réalisme critique fort et faible selon Carolan (2005 pp.398-399) (réalisation personnelle) 3.2 L'étude du pouvoir dans le débat agence-structure du réalisme critique L'ouvrage de Colin Hay (2002) est une ressource indispensable pour situer l'étude du pouvoir dans "une dichotomie structurelle et agentielle sur la base d'une philosophie scientifique réaliste critique (Stör 2017 p.2). Toutes les théories sur le pouvoir (Hobbes, Dahl, Bachrach & Baratz, Lukes; Machiavel, Gramsci, Foucault) peuvent être intégrées dans une conceptualisation agence-structure globale (fig. 2). Anthony Giddens, avec sa théorie de la structuration, a voulu "transcender le dualisme de la structure et de l'agence par ce qu'il appelle la dualité de la structure. Foucault, quant à lui, a "dépassé le cadre des conceptualisations structure-agence du pouvoir", en s'axant sur les pratiques discursives. (Stör 2017 p.147). 9
Figure 6. Théories du pouvoir dans le contexte structure-agence. La variété théorique dans l'adoption de la conceptualisation structure-agence est illustrée par différentes limites extérieures : (i) le trait plein signifie l'acceptation ; ii) le trait pointillé signifie le rejet (théorie de la structuration) ; (iii) le trait en tirets signifie la reconceptualisation (poststructuralisme et réalisme critique). (Stör 2017 p.148) Le RC, par ses fondements ontologiques et épistémologiques prédéfinis, dépasse le rationalisme et le structuralisme, et permet de donner un sens à la relation entre structure, agence et pouvoir (Stör 2017 p.148). Outre les approches de Bhaskar et Archer sur ce positionnement agence-structure, le réaliste critique Bob Jessop (2005) a élaboré son approche stratégique-relationnelle ("context- and conduct- shaping", fig. 5), où il fait une distinction entre "action stratégique" et "contexte stratégiquement sélectif". "Ce que l'approche stratégique-relationnelle [Jessop 2005] nous offre donc, c'est une compréhension dynamique de la relation de structure et d'agence qui refuse résolument de privilégier l'un ou l'autre moment (structure ou agence) dans cette interaction dialectique et relationnelle. […] Elle fournit un éventail d'éclairages essentiels sur l'analyse du pouvoir politique et du changement politique, tout en faisant preuve d'une sensibilité particulière au rôle des idées (facteurs idéationnels) dans la compréhension de la dynamique politique." (Hay 2002 p.134) "L'approche stratégique-relationnelle va au-delà de ces trois positions [Giddens, Bhaskar, Archer] […]. Elle examine la structure par rapport à l'action, l'action par rapport à la structure, plutôt que de mettre l'une d'entre elles entre parenthèses. Les structures sont ainsi traitées analytiquement comme stratégiquement sélectives dans leur forme, leur contenu et leur fonctionnement; et les actions sont également traitées comme structurellement contraignantes, plus ou moins sensibles au contexte et structurantes." (Jessop 2005 p.48) Figure 7. Structure, stratégie et agence dans l'Approche Stratégique-Relationnelle de Bob Jessop (2005) (Hay 2002 p.131) Comme le souligne Hay (2002 p.128), "la relation clé dans l'approche stratégique-relationnelle n'est donc pas celle entre la structure et l'agence, mais plutôt l'interaction plus immédiate des acteurs stratégiques et le contexte stratégique dans lequel ils se trouvent". L'Etat n'est pas un acteur comme les autres, comme il est souvent considéré en PE. Une des justifications de la mobilisation du cadre analytique de l'ADR de Jessop (et donc de la mobilisation de l'ASR en PE) est que l'Etat est un acteur incontournable de l'EMT à Marmato, ne fut-ce que par la législation minière et par les institutions qui encadrent -ou non- l'EMT. De ce fait, il a le pouvoir d'y 10
"exercer un fort pouvoir procédural" -mais dans un contexte stratégique et relationnel vis-à-vis de l'EMT. (Ioris 2012 p.126) Sur base du positionnement du RC dans le débat agence-structure et de l'ASR, Sum & Jessop (Sum & Jessop 2013, Sum 2018) ont développé "un schéma heuristique de niveau méso […] basé sur quatre modes de sélectivité dans les relations sociales: respectivement structurel, discursif, technologique et agentiel". Ces sélectivités proviennent d'une synthèse d'approches théoriques sur le pouvoir (Gramsci, Marx, Foucault), et s'intègrent aisément dans un schéma agence-structure du type de la figure 5. La sélectivité agentielle est "la capacité différentielle des agents à s'engager dans un calcul stratégique orienté structurellement [...]" -ce qui permet de "distinguer les différentes forces sociales, leur subjectivation en tant que porteuses d'identité spécifiques et d'intérêts idéaux et matériels, leurs capacité de calcul stratégique et leurs capacités d'action". (Sum 2018 p.51, Sum & Jessop 2013 p.217) La sélectivité structurelle est "la configuration asymétrique des contraintes et des opportunités structurelles qui pèsent sur les forces sociales lorsqu'elles poursuivent des intérêts, des stratégies et des projets particuliers" (Sum 2018 p.48, Sum & Jessop 2013 p.214). "Le concept de sélectivité structurelle met en évidence la tendance de structures et de configurations structurelles spécifiques à renforcer de manière sélective des formes d'action, des tactiques ou des stratégies spécifiques et à en décourager d'autres" (Jessop 2005 p.49). "La sélectivité discursive encadre et limite les imaginaires, les discours, les chaînes de genre, les arguments, les subjectivités, les identités sociales et personnelles, et les possibilités d'hégémonie, de sous-hégémonie et de contre-hégémonie". (Sum 2018 p.49, Sum & Jessop 2013 p.218 table 5.1) La sélectivité technologique désigne les "technologies considérées comme des assemblages d'informations et de catégories, des rationalités disciplinaires et gouvernementales, des sites et des mécanismes d'intervention calculés, et des relations sociales pour transformer la nature et/ou régir les relations sociales. [...] En plus de leurs capacités différentielles à transformer la nature, les technologies façonnent également les relations sociales par (1) les divisions horizontales et verticales du travail et des connaissances, (2) leurs effets matériels (par exemple, l'environnement bâti ou l'anatomie et la biopolitique) et (3) leurs effets épistémologiques ("régimes de vérité")". (Sum 2018 p.50 table 1, Sum & Jessop 2013 p.218 table 5.1) 3.3 Le lien entre la political ecology et le réalisme critique Quel est l'apport du RC au débat nourri par la PE entre nature et société -et plus spécifiquement en matière de théorie sociale? Parmi les thèmes qui reviennent régulièrement en PE5, il en est un qui est spécialement pris en charge par le RC, qui met "l'accent sur l'action de la nature dans la formation des interactions entre l'homme et l'environnement. Reconnaître l'action de la nature dans les affaires humaines nécessite une position philosophique fondamentalement matérialiste, tout en reconnaissant que notre compréhension de la réalité matérielle est toujours située et partielle." (Neumann 2014 p.74). Le RC permet d'assurer un pont entre les sciences naturelles et les sciences sociales en reconnaissant une ontologie de l'environnement en-dehors de la perception et de la connaissance humaines. Le RC établit l'indépendance du monde biophysique et reconnait, en même temps, que notre connaissance de ce monde est partielle, situationnelle et contingente. Il reconnait la matérialité de la nature ainsi que notre construction discursive sur cette nature. (Neumann 2014 pp.9-10) 5 Quatre thèmes reviennent régulièrement en PE: voir Neumann 2014 pp.72-79. Parmi ces 4 thèmes émarge aussi celui "des échelles spatiales et temporelles autant dans l'écologie en déséquilibre [des perturbations] qu'en théorie sociale": c'est la chaîne d'explication de Blaikie. (pp.75-76). 11
Le RC en PE vient en réponse contre les approches constructivistes sociales (p.12) et l'empirisme6. "Implicitement et explicitement, ces tentatives de "voie médiane" pour relier les idées des préoccupations constructivistes sociales à une compréhension scientifique de la nature ont adopté une position philosophique connue sous le nom de "réalisme critique" (Bhaskar 1975, Sayer 2000). […] Le réalisme critique fournit donc une "troisième voie" pour la théorie et la méthode scientifiques entre l'empirisme et le positivisme, d'une part, et le relativisme extrême, d'autre part (Sayer 2000). Au-delà de la simple proclamation de l'existence d'un monde indépendant, les théoriciens sociaux et les écologistes politiques ont adopté le schéma de Bhaskar (1975) du réel, de l'actuel et de l'empirique comme moyen d'explorer comment la recherche scientifique ordonne la connaissance (Sayer 2000; Forsyth 2003)" (Neumann 2014 p.50)7. "[…] le défi théorique central de l'écologie politique est d'intégrer les dimensions politiques et écologiques, ainsi que les éléments matériels et discursifs. Comme il a été suggéré précédemment, le réalisme critique fournit le fondement philosophique d'une approche des relations nature-société qui reconnaît l'indépendance ontologique du monde biophysique tout en reconnaissant que notre compréhension du monde naturel est partielle, situationnelle et contingente. Une analyse des processus croisés dans une perspective réaliste critique permettrait ainsi de reconnaître la matérialité de la nature tout en maintenant que notre compréhension de la nature est discursivement construite." (Neumann 2014 pp.10-11) Trois domaines de la PE peuvent notamment être abordés par le RC. (1) Cette approche métathéorique de la PE via le RC peut notamment être mobilisée dans le domaine thématique de l'histoire environnementale (Neumann 2014 pp.52-60). "Cette position est en forte résonance avec le paradigme de l'histoire environnementale selon lequel "les plantes, les animaux, les sols, les climats et les autres entités non humaines deviennent les moteurs et les codéterminants d'une histoire non seulement pour les hommes mais aussi pour la terre elle-même" (Cronon, 1992 : 13498). (2) Elle peut aussi être mobilisée dans le thème du développement et environnement (Neumann 2014 p.92, p.102). Les points d'entrée du développement et de l'environnement ont été initialement choisis dans cette recherche pour élaborer les entretiens semi-structurés. Ces points d'entrée sont ceux recommandés par Escobar (2014) pour une étude de PE. Précisons cependant que cette recherche n'adopte que partiellement le point de vue poststructuraliste d'Escobar, pour adopter la vision plus intermédiaire du RC. (3) Enfin, un troisième domaine de la PE propice à une observation par le RC est l'identité. "L'écologie politique […] s'intéresse depuis longtemps aux questions de savoir comment les identités sociales […] sont liées aux idées sur la nature, à la perception et aux causes de la dégradation de l'environnement, à l'exposition aux dangers et aux risques environnementaux, et aux revendications de droits sur le contrôle et la propriété des terres et des ressources." (Neumann 2014 p.166) 3.4 Définition de la question de recherche Nous pouvons définir une question temporaire : Quels sont les mécanismes causaux entre le changement de politique minière en Colombie vers la fin des années 1990, et les changements successifs constatés dans les interactions société-nature dans le contexte de l'exploitation minière traditionnelle de Marmato? 6 Pour un résumé sur la théorie sociale en PE, voir Neumann 2014 pp.45-52. 7 Le livre de Neumann (2014) sur la PE prend nettement le parti du RC (p.10). A notre connaissance, il s'agit du seul livre de PE qui adopte aussi nettement le RC. Par exemple, c'est le seul livre de PE qui mentionne en référence Bhaskar et Sayer. Il est aussi intéressant d'y voir l'auteur situer Forsyth qui, selon lui, propose "une écologie politique 'critique' combinant le réalisme critique et l'analyse du discours poststructuraliste avec de nouveaux modèles d'écologie de non- équilibre". (Neumann 2014 p.74). 8 Cité par Neumann 2014 p.75. 12
Cette question de recherche est temporaire car le présent travail est, à l'instar de la thèse de Emamjome (2017), de nature réflexive au sens de Weber (2003)9. La question de recherche de base découle de la revue de littérature sur l'étude du pouvoir en PE (p. ex. Svarstad 2018), et elle pourrait s'énoncer comme : "Comment peut-on étudier le pouvoir en PE de manière pluraliste10"? L'élaboration des questions de recherche est un processus progressif. Elles évoluent en fonction du niveau concerné des niveaux théoriques de Cruickshank (2003 p.114)11. 3.5 Le rôle de la théorie en réalisme critique Pour le RC, "nous ne pouvons jamais comprendre, analyser et expliquer la réalité (structures et mécanismes) sans utiliser un langage théorique de concepts. [Cependant], les théories doivent être appréhendées de manière non dogmatique; elles sont faillibles et changeantes et il y aura toujours des théories concurrentes." (Danermark et al. 2019 p.136) Toute recherche en RC commence généralement par une question ou une approche particulière guidée par une ou des théories (Fletcher 2017 p.184). Cependant, on doit "éviter tout engagement sur le contenu de théories spécifiques et reconnaître la nature conditionnelle de tous ses résultats" (Bhaskar 1979 p.612). On mobilise donc des théories initiales, tout en ne perdant pas de vue qu'elles ne sont qu'initiales, et qu'elles servent à soutenir ou aider à élaborer une nouvelle théorie sur la réalité observée (Fletcher 2017 p.184). Au sein de notre recherche, le codage théorique13 fournira des codes basés sur des théories de moyenne portée (théorie de l'accès de Ribot et Peluso, justice environnementale de Schlosberg), sur des grandes théories du pouvoir (Dahl, Bachrach et Baratz, Lukes, Gramsci, Foucault), et sur le RC. Ce codage forme des "etic" categories, avec les concepts du chercheur. Les données sont fournies par les points d'entrée du deuxième cycle d'entretiens, où les questions ont été plus construites à partir des théories. Ce codage théorique se conçoit et s'élabore dans une perspective de PE, donc de théories du pouvoir dans une perspective d'économie écologique (Stör 2017), dans un rapport structure-agence (Hay 2002), et informé par les concepts du RC -notamment l'Approche Stratégique-Relationnelle (Jessop 2005). 3.6 Le traçage de processus dans une étude de cas et le réalisme critique D'après Sayer (2000 p.1914), le choix du réalisme critique dépend de la nature de l'objet de recherche et de ce qu'on veut apprendre à son sujet. Sayer distingue deux types de recherches, l'extensive et l'intensive. "La seconde se concentre sur les agents individuels dans leur contexte en utilisant des entretiens, l'ethnographie et l'analyse qualitative, pose la question "qu'est-ce qui produit le changement", utilise des groupes de causalité, produit des explications causales qui sont toutefois limitées à la situation étudiée de sorte que le test se fait par corroboration. […] La recherche de cas est une méthode de recherche intensive selon la description de Sayer et […] elle est donc tout à fait conforme à une ontologie réaliste critique " (Easton 2010 p.123). "Le traçage de processus est essentiel dans le réalisme critique" (Bache et al. 2012). Avec l'analyse qualitative, le TP permet "d'examiner des contingences, des engrenages, des trajectoires et des systèmes d'interactions qui interviennent entre la cause et l'effet". (Coman et al. 2016 p.164). L'étude de cas est donc le design idéal pour la recherche en RC (Ackroyd & Karlsson 2014 pp.23-25). 9 Cité par Emamjome 2017 p.4. 10 Emamjome utilise le terme "discipliné" (2017 p.4). 11 Une illustration de ce type d'évolution de la QR à travers la recherche peut se trouver chez Emamjome (2017 pp.4-5). 12 Cité par Fletcher (2017 p.184). 13 Comme il sera expliqué plus loin dans ce document, le codage adopté pour préparer l'analyse de données est d'abord organisationnel, puis réel ou substantif, puis théorique -celui-ci comportant à son tour plusieurs volets. 14 Cité par Easton (2010 p.123 Pt 4) 13
Dans cette recherche, on mobilise le explaining-outcome process-tracing15: l'objectif n'est pas de créer, tester ou modifier des théories, mais de comprendre la multiplicité des mécanismes causaux qui amènent à des résultats historiques particuliers. C'est donc une recherche axée sur les problèmes (problem-oriented research) (Beach & Pedersen 2019 p.283). Le explaining-outcoime process-tracing nécessite l'utilisation de l'abduction. (Beach & Pedersen 2019 p.286) Le traçage de processus permet d'examiner les mécanismes causaux sur le pouvoir, de poser des questions spécifiques. Quelles formes de pouvoir sont-elles exercées à travers les mécanismes causaux (incluant les discours) qui construisent ou modifient les interactions société-environnement ? Comment la population cherche-elle à résister aux discours qui génèrent un type d'interactions société-environnement ? Comment les résistances modifient-elles les structures de domination dans un contexte empirique ? (Edwards & al. 2014 p.80) 3.7 La collecte de données Le corpus exhaustif d'une étude de cas "est représentatif de tous les points de vue exprimés ou de toutes les étapes du processus examiné" (Coman et al. 2016 p.170) : les "points de vue" sont des données intensives, tandis que les "étapes" constituent des données extensives (qui permettent d'identifier des demi-régularités). "Quand on choisit de tracer un processus, la collecte de données est comparable à la recherche documentaire classique". Dans cette recherche, on se penche d'une part sur des documents écrits tels que des retranscriptions d'entretiens, des journaux, des études scientifiques, des articles de loi ou de règlement, d'autre part sur des documents non écrits tels que des vidéos, des enregistrements sonores, des notes de terrain. "L'objectif est de réunir tant des documents officiels que des documents non officiels afin de constituer un corpus cohérent et le plus exhaustif possible. Par corpus cohérent, il faut entendre "un corpus qui a été constitué à partir de critères d'analyse pertinents et objectifs comme la date, l'énonciateur, le type de document, le destinataire du document, el sujet abordé dans le document, etc.". Par corpus exhaustif, il faut comprendre "un corpus qui rassemble des documents qui couvrent non seulement toute la période étudiée, mais qui est aussi représentatif de tous les point de vue exprimés ou de toutes les étapes du processus examiné". (Ramona et al. 2016 pp.169-170) Conformément à la philosophie du réalisme critique, cette récolte de données empirique repose sur une vision de "pluralisme méthodologique critique" (Danermark et al. 2019 pp165-196): "[…] un modèle de pluralisme méthodologique critique est présenté. Nous y faisons valoir que la division traditionnelle entre les méthodes quantitatives et qualitatives repose souvent sur des notions erronées de la nature empirique et objective, d'une part, et de la nature idéaliste et subjective de la réalité, d'autre part. La solution n'est pas une simple fusion des deux méthodes dans un processus de recherche ; il faut considérer qu'elles sont élaborées sur la base de deux métathéories différentes. Nous soutenons qu'une division plus fructueuse est celle entre une approche intensive et une approche extensive, dans un processus de recherche pratique qui devrait contenir les deux approches." (Danermark et al. 2019 p.15) Dans un processus de recherche basé sur le RC, on observe les événements au niveau empirique au moyen de deux types de données : celles extensives et celles intensives. Ces deux types de données aident à identifier, après analyse, des "demi-régularités" (Lawson 1997 p.204) ou tendances. La collecte extensive concerne "des données sur les tendances générales, comme les données 15 L'exemple le plus célèbre de cas d'étude de recherche mobilisant le explaining-outcome process-tracing est l'étude de Allison sur la crise des missiles à Cuba, en 1962, 14
statistiques", tandis que celle intensive comprend "des données interprétatives approfondies, obtenues […] par le biais d'entretiens" (Fletcher 2017 p.185). Les deux approches sont nécessaires et complémentaires : la démarche extensive souffre en effet d'un "pouvoir explicatif limité", tandis que "l'approche intensive ne permet pas de généralisation statistique" (Danermark et al. 2019 p.178) Dans la présente recherche, les données empiriques extensives émaneront de sources diverses, telles qu'une étude de caractérisation et diagnostic des unités productives minières et des installations de traitement de Marmato, 3 volumes (MAI 2017), le recensement national de la population et du logement de 2018 (site DANE), le Plan Intégral de Vie et diagnostic socio-environnemental de la Partialité indigène Cartama de Marmato (PIC 2016), ou encore l'ouvrage de Leonardo Ortiz Parra (2019) sur l'histoire et les gens de Marmato. Cependant, dans cette recherche, la focalisation se fait sur les données intensives -c'est-à-dire l'observation et les entretiens réalisés localement, à Marmato. L'identification de ces "demi-régularités" ou tendances se fait donc par le codage des données puis leur analyse. 3.8 Le codage des données et l'identification des demi-régularités "Bien que le RC soit bien développé sur le plan philosophique, les applications empiriques sont beaucoup moins courantes. […] La plupart des textes sur le RC fournissent peu d'orientations concrètes aux chercheurs, en particulier pour les décisions pratiques telles que le codage des données16" (Fletcher 2020 p.175) -et encore moins dans le monde académique francophone, où le RC est quasiment inconnu17 (Vandenberghe & Archer 2019 p.15) En RC, le codage qualitatif des données sert à identifier les demi-régularités (Fletcher 2017). Les deux types de données récoltées, extensives (les données sur les tendances générales) et intensives (les données interprétatives fournies par les entretiens) nous aident, après une codage informé de celles-ci par la théorie, la recherche documentaire et le réalisme critique, à identifier des tendances ou demi-régularités en vue d'une analyse approfondie" (Fletcher 2017 p.185). Par demi-régularité, Lawson (1977 p.20418) désigne des mécanismes qui, "dans certaines régions restreintes de l'espace- temps, […] peuvent en dominer d'autres et/ou s'imposer, [et] donnent lieu à des généralités approximatives et toutes prêtes ou des généralités partielles, à tel point qu'un explication prima facie s'impose". L'identification de ces demi-régularités est une des étapes-clés19 d'un processus d'analyse basé sur le réalisme critique. "Le traitement des données est important dans la recherche qualitative, y compris le RC, pour lequel il donne un aperçu des demi-régularités empiriques et représente le début de l'abduction et de la rétroduction". (Fletcher 2017 p.185) 3.9 L'analyse de données par l'abduction et la rétroduction Les processus inférentiels d'abduction et de rétroduction "sont rarement mentionnés dans la littérature sur la méthode et la méthodologie des sciences sociales". (Danermark et al. 2019 p.110) L'abduction consiste à mettre en relation un événement/phénomène avec une règle, et à formuler une nouvelle hypothèse sur cet événement/phénomène, c'est-à-dire "à passer d'une conception de quelque 16 Le doctorant lui-même a été confronté à cette grande difficulté. 17 Le seul livre francophone sur le RC est celui de Archer et Vandenberghe (2019). 18 Cité par Danermark et al. 2019 p.179. 19 Au même titre que les processus inférentiels d'abduction (aussi appelé "re-description théorique") et de rétroduction. (Fletcher 2017 p.184). 15
Vous pouvez aussi lire