Immigration en temps de pandémie : COVID-19 - Canadian Institute for ...

La page est créée Julie Ruiz
 
CONTINUER À LIRE
Immigration en temps de pandémie : COVID-19 - Canadian Institute for ...
COVID-19

Immigration en temps de pandémie :
relever le défi

  VOLUME 17   |   NO. 3   |   2020
INTRODUCTION                                              SANTÉ : SÉCURITÉ, ACCÈS ET VULNÉRABILITÉ
     La COVID-19 : l’occasion d’une prise de conscience        La COVID-19 et les professionnels de la santé
3    Miriam Taylor
                                                          46   canadiens formés à l’étranger et sous-employés
                                                               Joan Atlin

                                                               Accès aux soins de santé pour les migrants précaires
     CONTEXTE, CONCEPTS ET DONNÉES                             et sans statut pendant la COVID-19 en Ontario et
                                                          50   au Québec
                                                               Graham Hudson, Chloé Cébron et Rachel Laberge
     COVID-19 et migrations internationales :                  Mallette

7    quelques pistes de réflexion
     Victor Piché                                              La COVID-19 et les emballeurs de viande dans le

     Impact de la COVID-19 sur les nouveaux arrivants :
                                                          56   sud de l’Alberta – éviter le « piège culturaliste »
                                                               Bronwyn Bragg
     Préoccupations et expériences socio-économiques
13   des immigrants pendant la COVID-19
     Jane Badets

                                                               TERREAU FERTILE AU RACISME
     L’impact de la COVID-19 sur l’évolution de
19   l'établissement et de la réinstallation au Canada
     John Biles
                                                               SARS-1 et COVID-19 au Canada et aux États-Unis :
                                                               Comment le racisme a façonné une épidémie et
                                                          61   une pandémie
                                                               Lori Wilkinson

     IMPACT DISPROPORTIONNÉ, PROBLÈMES STRUCTURELS
                                                               Canadiens d’Asie de l’Est, la discrimination et
     ET SOLUTIONS
                                                          66   l’impact de la COVID-19 sur la santé mentale
                                                               Cary Wu, Rima Wilkes, Yue Qian et Eric B. Kennedy
     Soutien aux entrepreneurs immigrants et nouveaux

26
     arrivants au Canada pendant la pandémie COVID-19
     Wendy Cukier, Miki Itano-Boase et
     Akalya Atputharajah
                                                               STRATÉGIES ET EXPÉRIENCES COMMUNAUTAIRES
     Favoriser la résilience économique des nouveaux
32   arrivants : Les leçons de la COVID-19                     Gestion de crise et liens communautaires : Stratégie
                                                               d’une agence pour soutenir les nouveaux arrivants
     June Francis et Kristina Henriksson
                                                          72   dans le cadre de la pandémie de la COVID-19
                                                               Fariborz Birjandian et Karen O’Leary
     Préoccupations, intersectionnalité et violence
39   domestique en contexte de COVID-19
     Ilene Hyman et Bilkis Vissandjee
                                                               Le Coronavirus et les témoignages des nouveaux
                                                          75   arrivants en milieu rural (Manitoba)
                                                               Don Boddy
DIVERSITÉ CANADIENNE EST PUBLIÉ PAR                                                        Diversité canadienne est une publication trimestrielle de
                                                                                           l’Association d’études canadiennes (AEC). Les collaborateurs
                                                                                           et collaboratrices de Diversité canadienne sont entièrement
CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION D’ÉTUDES CANADIENNES (ÉLU LE 23 NOVEMBRE 2019)   responsables des idées et opinions exprimées dans leurs
DRE JULIE PERRONE
                                                                                           articles. L’Association d’études canadiennes et un organisme
Présidente du Conseil d'administration, Directrice, Communications et Marketing,           pancanadien à but non lucratif dont l’objet est de promouvoir
Finance Montréal, Montréal, Québec                                                         l’enseignement, la recherche et les publications sur le Canada.
                                                                                           L’AEC est une société savante et membre de la Fédération
CELINE COOPER
Rédactrice, L’Encyclopédie canadienne, Professeure, Université Concordia,
                                                                                           canadienne des sciences humaines et sociales.
Montréal, Québec

HUBERT LUSSIER
Ancien sous-ministre adjoint, Patrimoine Canadien, Ottawa, Ontario

JANE BADETS                                                                                COURRIER
Ancienne statisticienne en chef adjointe, Statistique Canada, Ottawa, Ontario

GISÈLE YASMEEN                                                                             Des commentaires sur ce numéro ?
Directrice exécutive, Réseau pour une alimentation durable, Montréal, Québec               Écrivez-nous à Diversité canadienne :
PROFESSEUR HOWARD RAMOS                                                                    Diversité canadienne / AEC
Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse
                                                                                           850-1980, rue Sherbrooke Ouest
L'HONORABLE MARLENE JENNINGS                                                               Montréal, Québec H3H 1E8
C.P., LLb., Avocate, Montréal, Québec
                                                                                           Ou par courriel au 
MADELINE ZINIAK
Consultante, Présidente, Canadian Ethnic Media Association, Toronto, Ontario

PROFESSEUR CHEDLY BELKHODJA
Université Concordia, Montréal, Québec
                                                                                           Cette édition spéciale de Diversité canadienne est publiée en
JEAN TEILLET                                                                               partenariat avec la Commision canadienne pour l'UNESCO.
Associé, Pape Salter Teillet LLP, Vancouver, Colombie-Britannique
                                                                                           Nous désirons les remercier pour leur précieuse collaboration.
PROFESSEURE JOANNA ANNEKE RUMMENS
Université Ryerson, Toronto, Ontario

ÉDITEUR
Jack Jedwab

RÉDACTRICE EN CHEF
                                                                                           IMAGE EN COUVERTURE
Miriam Taylor
                                                                                           Vague de Simone Taylor-Cape
TRADUCTION
Miriam Taylor

RÉVISION ET CORRECTION D’ÉPREUVES
David Lazarus
Laura Comboïgo

DESIGN ET MISE EN PAGE
CAMILAHGO. studio créatif
INTRODUCTION

LA COVID-19, L’OCCASION D’UNE PRISE DE CONSCIENCE
La Dre Miriam Taylor est la directrice des publications et des partenariats de l’Association d’études canadiennes.

Les programmes et accréditations tous imprimés, les pané-           des preuves afin d’aider le Canada à naviguer la tempête vers
listes déjà tous confirmés. L’Association d’études canadiennes-     la relance et la résilience.
Institut Metropolis était dans les derniers préparatifs de son
événement annuel : le plus grand rassemblement national             Alors que les Canadiens étaient rivés aux nouvelles, essayant
d’experts, de praticiens et de décideurs politiques dans le         de suivre la crise naissante, l’attention du monde s’est détournée
domaine de l’immigration. Ces spécialistes se réunissent            de la multitude de distractions qui caractérisent notre mode
chaque année pour un exercice massif de pollinisation croisée,      de vie au sein de sociétés occidentales. L’attention s’est tour-
de partage d’études, de stratégies et de meilleures pratiques.      née vers des questions essentielles plus pressantes, liées à la
L’édition 2020 de la conférence Metropolis, qui devait avoir        santé, à la sécurité et à l’approvisionnement en denrées de
lieu à Winnipeg, s’annonçait plus populaire que jamais et           première nécessité. Au fur et à mesure qu’un bouleversement
s’apprêtait à accueillir plus de 1 000 participants alors que       majeur des perceptions et des priorités se produisait, quelques
l’Organisation mondiale de la santé déclara l’état de pandémie      vérités trop souvent occultées de la conscience générale ont
à l’échelle mondiale et le confinement qui s’ensuit met un          commencé à prendre le dessus.
terme abrupt et dramatique à toute activité.
                                                                    Au fur et à mesure que les familles se retranchaient dans
Dans la semaine qui suit l’annulation naît le Réseau COVID-19       leur isolement, que les communautés se repliaient sur elles-
sur les impacts sociaux, une idée de Jack Jedwab, président         mêmes et que les pays fermaient leurs frontières, il devint
et directeur général de l’AEC-Métropolis. S’appuyant sur le         évident que nous ne pouvions plus nous permettre de fermer
réseau étendu et multidisciplinaire de Metropolis, la nouvelle      les yeux sur le sort des plus vulnérables parmi nous. Si des
initiative sollicita également des nouveaux partenaires et col-     mesures appropriées n’étaient pas prises pour assurer leur
laborateurs, et avait pour but de veiller à ce que les dimensions   sécurité, ceux qui n’avaient pas les ressources nécessaires
sociales et économiques de la crise COVID-19 soient gardées         pour se protéger de la contamination virale deviendraient
à l’esprit lorsque le Canada s’engageait sur une voie sans          certainement des vecteurs de contagion générale. Ainsi, né de
précédent en eaux inconnues. En effet, le Réseau COVID-19           la nécessité, un nouveau type de solidarité interne émergea,
étudie les perceptions et les comportements, identifie les pro-     créant une volonté d’investir de l’énergie et des ressources
blèmes et les indicateurs, et génère des réponses fondées sur       dans la lutte contre les vulnérabilités exposées qui, si elles

                                                                                                                                         3
étaient négligées, pourraient laisser entrer le virus dans nos          la situation des migrants résidant au Canada, M. Piché nous
    communautés et submerger la capacité du système à veiller               invite à élargir notre vision vers un sens de responsabilité
    sur nous tous.                                                          mondiale et attire notre attention sur le dilemme créé par la
                                                                            crise chez les migrants internationaux. Avec la fermeture des
    Lorsque les fissures de la société constituent un danger pour           frontières internationales, ces migrants et les réfugiés n’ont pas
    le bien-être de tous, il est peut-être plus difficile de se livrer au   bénéficié du sentiment croissant de solidarité interne au sein
    déni collectif alimenté par un système qui encourage chacun de          de nos pays respectifs. Comme le souligne Piché, cependant,
    nous, dans le cours normal des choses, à se débrouiller seul et         les guerres, l’oppression, les conditions de vie dangereuses et
    à se concentrer sur sa propre réussite et sa propre survie plu-         les autres facteurs de migration forcée ne s’arrêtent pas en
    tôt que sur le bien-être collectif. On pourrait affirmer qu’une         période de pandémie, et notre responsabilité humaine envers
    vigilance accrue a donné lieu à une prise de conscience crois-          les populations déplacées ne devrait pas le faire non plus.
    sante des failles structurelles qui affaiblissent les fondements
    de notre société, ainsi qu’à une plus grande volonté d’accorder         Ensuite, Jane Badets nous fait part de données et d’analyses
    à ces questions l’attention qu’elles méritent1. Certains de ces         précieuses, dans son étude de problèmes rencontrés à court
    défis systémiques et les moyens possibles de les relever sont           terme par les nouveaux arrivants dont la situation plus pré-
    au centre de ce numéro spécial de Diversité canadienne, intitulé        caire au niveau de l’emploi, du logement et des systèmes de
    « L’immigration en période de pandémie : faire face aux défis ».        soutien, a rendu particulièrement vulnérables aux aléas de
                                                                            la pandémie. La statisticienne soulève également la question
    Créée en collaboration avec la Commission canadienne pour               des conséquences plus durables créées par ces obstacles addi-
    l’UNESCO, l’un de nos partenaires du Réseau COVID-19 sur                tionnels à l’intégration des nouveaux arrivants au Canada,
    les impacts sociaux, cette publication présente les contri-             nécessitant des interventions publiques. Enfin, elle souligne
    butions de chercheurs, de représentants gouvernementaux                 la nécessité de collecter et d’analyser de nouvelles données
    et communautaires ainsi que de prestataires de services du              qui nous permettront, en tant que pays, de prendre la pleine
    terrain. Elle s’appuie sur les riches constats établis au cours         mesure de la situation.
    des derniers mois par le Réseau COVID-19. La publication
    tient compte des expériences des nouveaux arrivants et des              Dans le dernier article de (1), John Biles nous donne un aperçu
    Canadiens récemment immigrés – groupes qui sont souvent                 fascinant et détaillé de la façon dont le réseau des services
    en manque de ressources, de systèmes de soutien ainsi que de            d'établissement et d'intégration au Canada a mis la main à la
    la stabilité qui accompagne une implantation à long terme. Les          pâte pour faire face à la crise, réagir, et nous aider à nous réta-
    articles se penchent sur le fardeau disproportionné porté par           blir et même de prospérer. Il souligne également qu’à mesure
    les résidents les plus récemment arrivés dans notre pays. On            que le Canada continue de se diversifier, la réinstallation et
    cherche à exposer les problèmes structurels qui contribuent à           l’intégration des immigrants doivent devenir la responsabilité
    la vulnérabilité de ces groupes et à examiner les défis croisés         non pas d’un seul ministère ou programme, mais plutôt une
    auxquels sont confrontés ceux dont la précarité est aggravée            entreprise sociétale plus généralisée qui nous concerne tous.
    par de multiples marqueurs d’identité. Les contributions sou-
    lignent également l’importance des données et de leur analyse           (2) Impact disproportionné : Problèmes structurels et solu-
    dans le but de nous attaquer à la source des défis sociétaux.           tions, se concentre sur les problèmes structurels qui ont fait
                                                                            porter le poids de la pandémie aux nouveaux arrivants, et
    Divisé en cinq sections, (1) Contexte, concepts et données,             en particulier aux Canadiens racialisés. Wendy Cukier, Miki
    (2) Impact disproportionné : Problèmes structurels et solutions,        Itano-Boase et Akalya Atputharajah soulignent la manière
    (3) Santé : Sécurité, accès et vulnérabilité, (4) Terreau fertile au    dont les immigrants entrepreneurs, dont beaucoup sont
    racisme et (5) Stratégies et expériences communautaires, ce             des femmes, ont été touchés par les bouleversements de la
    numéro spécial aborde les problèmes, les met en évidence et             crise. Les mesures nécessaires pour leur apporter un soutien,
    indique la voie à suivre pour y remédier.                               expliquent les auteures, servent plus qu’un simple objectif
                                                                            humain – la réussite de ces entrepreneur(e)s immigrant(e)s
    Dans (1) Contexte, concepts et données, Victor Piché ouvre              est un élément clé de notre reprise collective. June Francis
    la publication en donnant un vaste aperçu des différents                et Kristina Henriksson, considèrent également la pandémie
    types et catégories d’immigration et des divers facteurs et             comme un moment où il faut prendre conscience des problèmes
    mécanismes qui alimentent la vulnérabilité accrue de cette              de longue date pour mieux les affronter : « La manière dont la
    population dans le contexte de la pandémie. Il fait ensuite             pandémie a mis en évidence ces effets négatifs disproportionnés
    plusieurs recommandations sur la manière de remédier à                  offre en même temps une occasion sans précédent de traiter
    certains de ces problèmes systémiques. En plus d’examiner               ces problèmes de manière systématique et à long terme »,

    1   Cela pourrait-il expliquer en partie la vague de soutien aux mouvements de protestation qui se sont répandus si rapidement à travers le
        monde à la suite du meurtre de George Floyd ?

4
ce qui nous donne une occasion unique « de réimaginer des              les usines de conditionnement de la viande en Alberta. Une
réponses politiques plus résilientes » en utilisant une optique        fois de plus, la COVID-19 a fait apparaître des lignes de faille
de race et de genre.                                                   trop longtemps ignorées et négligées. Ces travailleurs, qui
                                                                       avaient déjà les plus grandes chances de souffrir d’une blessure
L’intersectionnalité fournit également la toile de fond de             invalidante de tous les employés de l’industrie manufacturière,
l’article d’Ilene Hyman et de Bilkis Vissandjée, qui étudie la         étaient des cibles faciles pour le virus, car le système n’a pas
façon dont la COVID-19 a exacerbé les inégalités sociales et           réussi à mettre au premier plan la sécurité et le bien-être
économiques au Canada. Les auteures soulignent que « les               de ces travailleurs, dont les emplois sont essentiels à l’essor
trajectoires migratoires se recoupent avec le sexe, le genre           économique de l’Alberta.
et d’autres déterminants sociaux de la santé pour accroître
la vulnérabilité des femmes immigrantes aux inégalités en              (4) Terreau fertile au racisme, renferme deux articles qui
matière de santé » et spécifiquement à la violence exercée par         traitent de la malheureuse tendance à chercher des boucs
le partenaire intime (VPI). Les chercheuses plaident pour la           émissaires en temps de crise. Lori Wilkinson établit une com-
nécessité d’intégrer au sein de nos recherches les complexités         paraison intéressante entre les épidémies du SRAS-1 de 2003
des trajectoires migratoires, afin de rester vigilants et de veiller   et de la COVID-19 de 2020, et constate que, dans les deux
à ce que les femmes vulnérables ne passent pas entre les               cas, les Chinois et les autres Canadiens d’origine asiatique ont
mailles du filet. Cet article constitue une passerelle vers la         subi des insultes et une discrimination raciale accrues. « Les
section suivante, portant sur la santé.                                similitudes sur le plan des théories du complot, les qualificatifs
                                                                       racistes utilisés par les politiciens pour » désigner « le virus et
(3) Santé : Sécurité, accès et vulnérabilité, soulève plusieurs        l’augmentation du racisme à l’égard des Asiatiques, en particu-
problèmes de santé spécifiques à la COVID-19, rencontrés à la          lier ceux d’origine chinoise, révèlent plusieurs concordances
fois par les praticiens et les patients. Joan Atlin se concentre       importantes non seulement entre le SRAS-1 et la COVID-19,
sur les travailleurs de première ligne dans les centres de soins       mais soulignent que le racisme présente des spécificités simi-
de longue durée, qu’elle identifie comme étant en grande partie        laires au Canada et aux États-Unis ». Cary Wu, Rima Wilkes,
des femmes, des immigrantes et des personnes racialisées.              Yue Qian et Eric B. Kennedy abordent également le racisme
Ces travailleurs, dont la vie est souvent précaire, se sont mis        anti-asiatique, alimenté par la pandémie, et se concentrent
à risque pour nous protéger. Qui plus est, leurs compétences           notamment sur le lourd fardeau que ces attaques font peser
sont trop souvent sous-exploitées. Outre le fait que cela freine       sur la santé mentale des victimes. Les auteurs insistent sur
leur propre développement professionnel, cette situation               la nécessité d’aider les populations ciblées à faire face à ce
entrave notre capacité à lutter contre le virus. En cherchant à        traumatisme additionnel.
tirer les leçons de l’expérience de la COVID-19, Atlin déclare :
« Le moment est venu de relancer un débat national sur la              La dernière section, (5) Stratégies et expériences commu-
manière de continuer à faire avancer les changements sys-              nautaires, est centrée sur le palier communautaire, mettant en
témiques qui permettront à un plus grand nombre de PSFE                lumière la force, la créativité et la résilience dont font preuve
[professionnels de la santé formés à l’étranger] d’obtenir leur        tant les prestataires que les bénéficiaires de services. Fariborz
permis d’exercer et d’intégrer le personnel de santé – là où ils       Birjandian et Karen O’Leary témoignent du parcours impres-
veulent être et là où le Canada a besoin d’eux ».                      sionnant de leur organisme communautaire à Calgary, qui
                                                                       s’est attaquée à la vitesse de l’éclair aux énormes problèmes
Graham Hudson, Chloé Cébron et Rachel Laberge Mallette,                créés par la pandémie, afin de répondre à des besoins spéci-
pour leur part, se concentrent non sur les fournisseurs de             fiques, tout en favorisant un sentiment d’appartenance à la
soins, mais plutôt sur ceux qui doivent y avoir accès. Ils             communauté. La publication se termine par des témoignages
exposent les faiblesses d’un système de soins de santé qui             de membres de la communauté, partagés par Don Boddy,
prétend à l’universalité, mais qui exclut en réalité des groupes       soulignant que les nouveaux arrivants et les immigrants
dont la précarité et le dévouement ont fait la une des journaux        récents ne sont pas seulement dignes de notre attention et
pendant la pandémie. Nos gouvernements ont fait des efforts            de nos soins particuliers, mais qu’ils sont aussi les vecteurs
pour résoudre ces problèmes, mais les auteurs affirment qu’il          d’une résilience et d’une sagesse qui continuent à permettre
reste encore énormément à faire : « Si la levée des obstacles          au Canada de se développer et de prospérer.
juridiques formels à (certains) services de santé est utile et
devrait servir de base à la réforme du modèle national, les
migrants sans statut et à statut précaire continuent de se
heurter à des obstacles structurels, linguistiques, idéologiques
et juridiques prohibitifs que les gouvernements peuvent,
devraient et doivent supprimer ».

Bronwyn Bragg étudie également l’interaction entre la santé
et la vulnérabilité, mais cette fois dans un contexte spécifique,

                                                                                                                                             5
CONTEXTE, CONCEPTS
    ET DONNÉES
COVID-19 ET MIGRATIONS INTERNATIONALES :
QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION
Le Dr Victor Piché est un sociologue-démographe spécialisé dans le domaine des migrations internationales. Il s’est intéressé
aux liens entre les migrations internationales et la mondialisation, en se concentrant sur les droits des travailleurs migrants. Il
a dirigé une étude pour l’UNESCO sur les raisons pour lesquelles le Canada refuse de ratifier la Convention des Nations Unies
sur la protection des droits des migrants et des membres de leur famille. Il a été professeur au département de démographie de
l’Université de Montréal de 1972 à 2006 et est toujours professeur honoraire. Il est chercheur associé à la Chaire Oppenheimer en
droit public international, Université McGill.

INTRODUCTION                                                               peuvent inférer un certain nombre de liens entre la pandémie
                                                                           et la situation des personnes migrantes. Cette méthode, que
La question de l’impact de la COVID-19 sur les migrations                  l’on peut appeler « l’inférence logique », permet, par exemple,
est très peu abordée dans les médias. Mais que sait-on                     de faire le raisonnement suivant : si l’on sait d’un point de
vraiment, d’un point de vue scientifique, sur cette question ?             vue scientifique que les populations vulnérables sont plus
La réponse est fort simple : très peu de choses. D’une part, il            à risque de contracter la COVID-19 et que, par ailleurs, on
est trop tôt pour tirer des conclusions de nature scientifique             sait que plusieurs catégories de populations migrantes sont
et, d’autre part, les statistiques disponibles ne permettent               reconnues comme étant vulnérables, on peut en inférer que
pas pour le moment de s’attaquer à cette question de façon                 ces groupes de migrants sont plus à risque, même si pour le
systématique.                                                              moment nous n’avons pas de preuves statistiques à cet effet.

Est-ce à dire que les scientifiques ne peuvent rien dire ? Loin            Les liens entre migration et épidémie constituent une
de là. Même s’il n’existe pas d’études démontrant que les                  constante dans l’histoire des maladies et des épidémies. Ces
populations migrantes seraient plus à risque que les popu-                 liens recouvrent deux types de risques liés à la migration, l’un
lations non migrantes de contracter la COVID-19, voire d’en                lié à la diffusion et l’autre à la contraction. Les migrants ont
mourir plus, plusieurs travaux de recherche permettent de                  souvent été blâmés comme étant responsables de la diffusion
suggérer quelques pistes de réflexion. Dans des situations                 des maladies, justifiant ainsi des mesures de quarantaine les
de crise, en absence de données probantes, les scientifiques               visant spécifiquement1. Le deuxième type de risque concerne

1   Denis Goulet fournit plusieurs exemples de « victimisation » des populations migrantes dans l’histoire des maladies et des épidémies (voir
    Brève histoire des épidémies au Québec, Septentrion, 2020). Le cas du sida en Afrique est un bon exemple récent où les migrants ont été
    stigmatisés comme étant responsables de la diffusion de la maladie (voir Lalou, R., Piché, V. et Waîtzeneger, F., « Migration, HIV/AIDS
    knowledge, perception of risk and condom use in the Senegal River Valley », dans Michel Caraël et Judith Glyn [eds]. HIV, Resurgent Infections
    and Population Change in Africa, Springler, 2007, pp. 171–194.

                                                                                                                                                     7
la propension ou la susceptibilité à contracter la COVID-19.               mobilité. En date du 22 avril 2020, 167 pays avaient partiel-
                                                                               lement ou totalement fermé leurs frontières afin de contenir
    Les liens entre la COVID-19 et les migrations ne sont pas                  la propagation du virus. Quelques 57 pays n’ont pas prévu
    directs, car cela voudrait dire que le simple fait d’être migrant,         d’exceptions quant aux procédures d’accès à l’asile. Selon
    en soi, serait directement relié à un plus grand risque d’être             l’indicateur développé par l’Organisation internationale des
    infecté et éventuellement de mourir. C’est ce que l’on appelle             migrations (OIM) (le Displacement Tracking Matrix), en date
    l’approche essentialiste, largement rejetée en sciences sociales.          du 23 avril 2020, 215 pays et régions ont mis en œuvre un
    Donc, si le lien n’est pas direct, il faut établir le cheminement          total de 52,262 mesures restrictives quant aux déplacements
    causal en faisant intervenir des facteurs intermédiaires. Pour             des personnes2. Selon l’OIM, cette base de données permet
    décortiquer les diverses formes de cheminement causal                      de cartographier les impacts disproportionnés sur les popula-
    reliant COVID-19 et migrations internationales, je propose                 tions les plus vulnérables comme le sont plusieurs catégories
    trois modèles spécifiques à des fins purement illustratives.               de migrants.
    Le premier modèle relève à la fois des risques de diffusion et
    de contraction : les mesures de restrictions à la mobilité sont            Il est clair que les fermetures de frontières auront un impact
    mises en place pour éviter la diffusion, mais, ce faisant, aug-            négatif sur les nombreux projets de migrations entamés, mais
    mentent la vulnérabilité et les risques de contraction du virus.           restés en plan. Cet impact sera particulièrement catastro-
    Les deux autres modèles font uniquement référence aux                      phique pour les migrations « forcées ».
    risques de contraction associés aux inégalités socioécono-
    miques et aux types d’emploi dans les systèmes de santé.

                                                                               LE MODÈLE DES VULNÉRABILITÉS LIÉES AUX INÉGALITÉS
    LE MODÈLE DES RESTRICTIONS À LA MOBILITÉ                                   SOCIO-ÉCONOMIQUES
    (FERMETURE DES FRONTIÈRES)                                                 Le deuxième modèle réfère également à la notion de vulné-
                                                                               rabilité, non plus sous l’angle des restrictions à la mobilité
    Le premier modèle est centré sur la notion de vulnérabilité                comme dans le modèle précédent, mais plutôt sous l’angle
    engendrée par les restrictions à la mobilité, essentiellement              des inégalités socio-économiques qui remplacent les mesures
    reliées à la fermeture des frontières. On peut formuler ainsi le           de restriction comme facteur intermédiaire. Le cheminement
    cheminement causal :                                                       causal peut s’exprimer ainsi :

                        C      R      V      M (1)                                                C      I    V      M (2)

    Où :                                                                       Où :

    C = COVID-19                                                               C= COVID-19
    R= Restrictions à la mobilité (fermeture des frontières)                   I = Inégalités socio-économiques
    V= populations vulnérables                                                 V= populations vulnérables
    M = infections/décès de migrants                                           M = infection/décès des migrants

    En mots clairs, cela veut dire que la COVID-19, en amenant                 Même si les études pouvant vérifier le bien-fondé de cette
    les pays à restreindre la mobilité des personnes (p. ex. par la            équation ne sont pas nombreuses, quelques-unes ont identifié
    fermeture des frontières), exacerbe la vulnérabilité de certains           par exemple les populations noires aux États-Unis comme
    groupes de population, dont les migrants, ce qui augmente                  étant plus affectées par la mortalité due à la COVID-19. Selon
    les risques d’infection à la COVID-19 et éventuellement les                deux études effectuées au Royaume-Uni, la mortalité due à la
    risques de décès.                                                          COVID-19 serait plus élevée au sein des minorités3. On verra
                                                                               plus loin que ce modèle s’applique également à la situation
    Selon des données du Pew Research Center, 93 % de la popu-                 du Québec.
    lation mondiale vit présentement avec des restrictions à la

    2   Milan, Andrea et Cunnoosamy, Reshma (2020), « COVID-19 and migration governance: A holistic perspective, » dans Journal Migration
        Policy Practice, vol. X, No. 2:27–31.
    3   Tel que rapporté par l’Agence France-Presse, La Presse+, 6 mai 2020.

8
En ce qui concerne les migrants, plusieurs groupes peuvent               par la fermeture des entreprises est la diminution des trans-
être associés à cet état de vulnérabilité : il s’agit des réfugiés et    ferts monétaires (baisse de 20 % selon la Banque Mondiale).
des demandeurs d’asile, des personnes déplacées, des travail-            On connaît l’importance de ces transferts (550 milliards de
leurs temporaires et des migrants irréguliers. Comme nous                dollars AMÉRICAINS en 2019 selon la Banque Mondiale)
l’avons mentionné au début, on ne connaît pas encore l’im-               pour de nombreux ménages dans les pays d’origine.
pact réel de la COVID-19 sur ces populations migrantes. On
peut néanmoins suggérer des impacts probables compte tenu
de ce que l’on connaît par ailleurs sur les liens entre la vulné-        LE CAS PARTICULIER DES ENFANTS MIGRANTS
rabilité et l’impact du virus.
                                                                         Les enfants migrants font partie des groupes les plus vulné-
                                                                         rables dans le monde. Il y a 13 millions d’enfants réfugiés et un
POPULATIONS RÉFUGIÉES ET PERSONNES DÉPLACÉES                             million de demandeurs d’asile. Il y aurait 3,7 millions d’enfants
                                                                         vivant dans des camps de réfugiés ou des centres collectifs.
Selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR)4, il y a actuel-           Les enfants non accompagnés constituent un sous-groupe
lement environ 26 millions de réfugiés et 41,3 millions de               particulièrement vulnérable. Dans certains cas, comme on l’a
populations déplacées dans le monde. Le degré élevé de vulné-            vu aux États-Unis, ils sont séparés de leurs parents. En plus
rabilité peut être causé par les dangers liés aux déplacements, le       des problèmes d’insécurité, de conditions de vie précaires et
peu de possibilités d’emploi, le surpeuplement des habitats, des         du manque d’accès aux soins de santé, il ne faut pas sous-
conditions de travail précaires, l’accès limité à l’eau potable, à       estimer les séquelles psychologiques profondes que subissent
la nourriture et aux soins de santé. Dans certaines municipa-            ces enfants.
lités, comme en Italie par exemple, les bons alimentaires sont
réservés aux nationaux et aux résidents à long terme5. Dans le
cas des personnes déplacées, la suspension des programmes
de réinstallation des Nations Unies à cause de la pandémie               LE MODÈLE SANITAIRE
fait particulièrement mal.
                                                                         (LES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE LA SANTÉ)

MIGRANTS IRRÉGULIERS                                                     Dans ce troisième modèle, ce n’est pas tant les restrictions
                                                                         à la mobilité (facteur « R » dans la première équation), ni les
Si la pandémie a mis entre parenthèses les activités écono-              inégalités (facteur « I » dans le modèle 2) qui agissent comme
miques, les conflits violents, eux ne se sont pas arrêtés, conti-        facteurs intermédiaires, mais plutôt les modalités d’intégration
nuant à engendrer des flux de migrants irréguliers, d’autant             économique définies par le type d’emploi occupé dans le sys-
plus que les canaux réguliers sont fermés. Outre les facteurs            tème de santé. Le cheminement causal peut s’exprimer ainsi :
déjà mentionnés pour les réfugiés et les personnes déplacées,
les migrants irréguliers prennent davantage de risques et sont
plus à risque d’exploitation par les réseaux de passeurs.                                          C         M     S   Im (3)

                                                                         Où :
TRAVAILLEURS MIGRANTS (TEMPORAIRES)
                                                                         C = COVID-19
En 2017, il y avait environ 164 millions de travailleurs                 M = Mode d’intégration
migrants temporaires dans le monde. Beaucoup se retrouvent               S = Système de santé
dans des pays développés tels que ceux du Golfe. Les condi-              Im = Immigrant
tions de travail précaires, la vie dans des camps surpeuplés,
des conditions d’hygiènes qui laissent à désirer les mettent             Les liens entre la migration et le secteur de la santé sont bien
dans des situations à risque face à la COVID-19. De plus, la             documentés dans la littérature sur l’exode des cerveaux. Il
crise économique et l’augmentation du chômage en obligent                appert que les immigrants sont surreprésentés dans plu-
plusieurs à retourner chez eux, augmentant ainsi le taux                 sieurs professions reliées au système de santé, que ce soit au
de chômage dans les pays d’origine. Une des conséquences                 somment de la hiérarchie (médecins, infirmiers/infirmières,
réelles des pertes d’emploi et de revenus causés entre autres            pharmacien-ne-s, nutritionnistes) ou au bas de l’échelle

4    Voir les rapports annuels du HCR sur leur site WEB.
5    Giammarinaro, Maria Grazia et Palumbo, Letizia (2020), « COVID-19 and inequalities: protecting the human rights of migrants in a time of
     pandemic », dans Journal Migration Policy Practice, vol.X, No. 2:21–26.

                                                                                                                                                9
(préposé-e-s dans les centres de santé pour personnes âgées,               Le modèle 2 insiste sur la vulnérabilité accrue de certains
     les soins à domicile, les travaux d’entretien). Dans plusieurs             groupes de migrants. Il est trop tôt pour statuer sur les
     pays, sans les travailleurs et travailleuses de la santé d’origine         impacts réels du confinement sur les immigrants du Canada
     étrangère, les systèmes de santé ne pourraient pas fonctionner.            et du Québec. Par contre, on sait d’ores et déjà, grâce au rap-
     Par exemple, aux États-Unis, 30 % des médecins et 16 % des                 port de la Direction de la santé publique de Montréal, qu’il y
     infirmières sont nés à l’étranger. Les pourcentages correspon-             a des risques accrus de diffusion du virus dans les quartiers
     dants sont 20 % et 16 % pour l’Allemagne ; 33 % et 22 % pour la            plus défavorisés de Montréal (par exemple Montréal-Nord).
     Grande-Bretagne ; 47 % et 32 % pour la Suisse ; et enfin 38 % et           Comme il existe d’autres quartiers pauvres, on peut s’attendre
     24 % pour le Canada6.                                                      à des taux d’infection et de mortalité plus élevés qu’ailleurs
                                                                                à Montréal et dans le reste du Québec. On sait aussi que ces
                                                                                quartiers ont une plus grande concentration d’immigrants.

     LES IMMIGRANTS EN PÉRIODE DE « SHUTDOWN » :                                Outre les conditions de précarité socio-économique, dans le
                                                                                cas des immigrants et des immigrantes la vulnérabilité com-
     LE CAS DU QUÉBEC ET DU CANADA                                              prend une dimension politique importante liée à la gestion
                                                                                des diverses catégories d’immigration. Même s’il est trop tôt
     Dans le domaine des droits de la personne concernant les                   pour établir le bilan des impacts de la COVID-19 sur les immi-
     migrations internationales, le Canada se démarque de la                    grants et les immigrantes, on peut quand même soulever les
     plupart des autres pays du monde, que ce soit des pays en                  questions suivantes :
     développement, où se concentrent la majorité des personnes
     réfugiées et déplacées, ou des pays de l’Union européenne,                       • Les résidents permanents : même si en principe
     qui tentent désespérément de construire une forteresse                             le gouvernement continue de traiter les demandes
     infranchissable pour les migrants et les demandeurs d’asile7,                      de sélection permanente, on peut certainement
     ou des pays du Golfe, champions pour maintenir les travail-                        s’attendre à des délais plus longs dans le traitement
     leurs temporaires dans des conditions précaires, ou encore                         des dossiers. De quelle ampleur ? Ce sera à suivre.
     des États-Unis, où détentions, déportations et chasses aux
     irréguliers se multiplient sous le règne de Donald Trump.                        • Les étudiants étrangers : il y a présentement près de
                                                                                        40 000 étudiants étrangers au Québec. Compte tenu des
     La situation canadienne plus favorable ne nous exempte pas                         tergiversations autour du Programme de l’expérience
     de poser quelques questions et de soulever certaines inquié-                       québécoise (PEQ), on peut s’attendre à des niveaux
     tudes. Premièrement, s’agissant du modèle 1, il est clair que la                   élevés de confusion et d’anxiété chez les étudiants.
     fermeture des frontières avec les États-Unis et en particulier
     la fermeture du chemin Roxham n’est pas une bonne nouvelle                       • Les migrants en détention : comme nous l’avons
     pour les demandeurs d’asile. Dans le décret datant du 26 mars                      mentionné plus haut, les migrants en détention font
     dernier, le Gouvernement fédéral a fermé les passages fron-                        partie des groupes les plus vulnérables quant au
     taliers irréguliers, tels que celui du chemin Roxham, selon                        risque de contracter la COVID-19. On ne connaît pas
     une entente avec les États-Unis qui prévoie de renvoyer les                        encore l’impact de la COVID-19 sur cette catégorie
     demandeurs d’asile qui franchissent de façon irrégulière la                        de migrants. Par contre, quelques signes d’inquiétude
     frontière pour entrer au Canada. Dans le nouveau décret du                         nous proviennent de certains centres de détention,
     22 avril dernier, il est précisé que les personnes ayant déjà                      comme par exemple celui de Laval, où une grève de la
     un membre de leur famille au Canada, celles qui n’ont pas                          faim a été entreprise par les détenus craignant d’être
     besoin de visa pour entrer au pays, ainsi que les personnes                        contaminés par la COVID-19.
     mises en accusation pour une infraction pouvant leur valoir
     la peine de mort ont la possibilité de déposer une demande                       • Les travailleurs temporaires : sur le site du ministère
     d’asile dans l’un des postes frontaliers du Canada. Il s’agit                      de l’Immigration du Québec, les mesures suivantes
     des exceptions déjà liées à l’Entente sur les tiers pays sûrs,                     ont été annoncées : (1) des programmes d’aide pour les
     signée avec les États-Unis, qui s’appliquait avant la crise                        travailleuses et travailleurs qui perdent leur revenu en
     sanitaire et la fermeture des frontières. L’impact de ces                          raison de la COVID-19 ; (2) possibilité pour les déten-
     mesures a été de réduire presque à zéro ce flux migratoire de                      teurs de permis de travail ouvert de trouver un nouvel
     demandeurs d’asile.                                                                emploi auprès de n’importe quel autre employeur ; (3)

     6   Ardittis, Solon et Laczko, Frank (2020), « Introduction – Migration policy in the age of immobility », dans Journal Migration Policy Practice,
         vol. X, No. 2:27.
     7   Piché, Victor (2014) « Production/gestion de l’incertain : les populations migrantes face à un ordre mondial de plus en plus répressif », dans
         Vrancken Didier (dir.), (2014). Penser l’incertain, Presses de l’Université Laval, pp. 173-199.

10
possibilité de cumuler de façon non continue les 12                         préposés aux bénéficiaires dans nos CHSLD en ces
        mois d’expérience de travail à temps plein nécessaire                       temps de pandémie doit être reconnu, lui aussi.
        pour être admissible au Programme de l’expérience
        québécoise ; (4) maintien de la couverture médicale par                     Que l’Assemblée nationale reconnaisse la contribution
        la RAMQ ; (5) accès aux tests de dépistage ; (6) respect                    de centaines de demandeurs d’asile, majoritairement
        par les employeurs des mesures exceptionnelles mises                        d’origine haïtienne, présentement comme préposés
        en place par le gouvernement du Québec. Encore une                          aux bénéficiaires dans les CHSLD du Québec.
        fois, il sera indispensable d’évaluer l’application réelle
        de ces mesures. Selon le reportage de Daphné Cameron                        Qu’elle demande au gouvernement canadien de régu-
        (La Presse du 24 juin), les cas de coronavirus chez les                     lariser rapidement leur statut d’immigration, dans un
        ouvriers agricoles ne sont pas officiellement recensés,                     souci de reconnaissance du travail accompli durant la
        ce qui rendra les évaluations fort difficiles8.                             crise actuelle. »

     • Les immigrants irréguliers : on n’en connaît pas l’am-               Cette motion, appuyée par les trois partis de l’opposition
       pleur, mais on sait qu’il y en a et qu’il s’agit d’un groupe         (PLQ, QS et le PQ), a été rejetée par la CAQ ! Trois jours plus
       particulièrement vulnérable. Ce groupe d’immigrant                   tard (16 mai), en réponse à un journaliste lors du point de
       invisible hésitera à se pointer pour les tests aussi                 presse quotidien, François Legault a réitéré l’opposition de la
       longtemps qu’il n’aura pas la garantie de ne pas être                CAQ à la régularisation.
       expulsé. Comme nous l’avons mentionné plus haut,
       plusieurs pays ont procédé à la régularisation de leur               Le 25 mai 2020, lors du point de presse habituel, le gouvernement
       statut. Pourquoi pas le Canada et le Québec ?                        Legault a fait volte-face et annoncé qu’il pourrait y avoir des
                                                                            cas de régularisation, mais ce sera au « cas par cas »10. À suivre.
Enfin, qu’en est-il du modèle 3 (modèle sanitaire) au Québec ?
C’est probablement le modèle le mieux documenté actuelle-
ment. Selon un rapport de la Direction régionale de la santé
publique de Montréal, les travailleurs de la santé sont surre-              CONCLUSION
présentés dans les zones chaudes de Montréal, par exemple
à Montréal-Nord. Dans ces zones, toujours selon le rapport,                 Même si on en sait peu sur l’impact de la COVID-19 sur les
environ le quart des cas d’infection concernent les travail-                populations migrantes, il est tout à fait plausible de postuler
leurs de la santé. En fait, presque partout sur l’île de Montréal           que ces populations seront plus affectées que les autres par
il y a une surreprésentation des travailleurs de la santé.                  la pandémie actuelle, compte tenu de leur plus grande vulné-
                                                                            rabilité. Plusieurs pays ont déjà donné le ton. Ainsi, en cette
Or, on sait par ailleurs que les immigrants, surtout les immi-              période de crise, il serait opportun de régulariser le statut des
grantes, sont surreprésentés chez ces travailleurs de la santé,             personnes présentement sans statut. C’est ce qu’a fait le Portugal
en particulier comme préposées aux bénéficiaires dans de                    en octroyant des permis de résidence temporaires à tous les
nombreux CHSLC. Il s’agit d’une filière empruntée par plu-                  migrants et les demandeurs d’asile, avec plein accès aux soins
sieurs demandeurs d’asile, dont un certain nombre ont                       de santé et aux services sociaux. Ou l’Espagne, qui a libéré les
emprunté le chemin Roxham en 2017-2018. On a senti dans                     immigrants en détention ; où l’Irlande, qui a rendu accessible
les médias un vent de sympathie et de reconnaissance pour ces               l’assurance chômage à tout le monde, indépendamment du
travailleurs à risque9. C’est ce contexte qui a amené la députée            statut légal ; ou la Malaisie en garantissant de ne pas arrêter ou
indépendante Catherine Fournier à déposer une motion à                      mettre en détention les personnes qui se présentent pour être
l’Assemblée nationale le13 mai 2020. Elle se lit comme suit :               testées ; ou enfin le Pérou, en fournissant des kits d’hygiène,
                                                                            du support psychologique virtuel et de l’assistance financière
        « Le travail des demandeurs d’asile œuvrant comme                   aux enfants des demandeurs d’asile.

8   Les données provenant de l’Ontario indiquent un problème important de contagion parmi les travailleurs agricoles temporaires. Selon un
    article du Globe and Mail du 28 juin 2020, il y aurait plus de 800 cas confirmés de COVID-19 parmi les travailleurs agricoles, surtout dans
    la région de Windsor. Trois hommes en provenance du Mexique en sont morts. La situation a été jugée suffisamment troublante pour que
    le gouvernement mexicain exige des mesures de protection plus sévères envers les travailleurs mexicains.
9   Voir entre autres : « Pour des motifs humanitaires », Yves Boisvert, La Presse+, 29 avril 2020 ; « La filière Roxham », Agnès Gruda La Presse+,
    2 mai 2020 ; « S’en souviendra-t-on ? » Rima Elkoury, La Presse+, 3 mai 2020. Le 21 mai, les avocats en immigration réclament de régulariser
    le statut des travailleurs « essentiels ». Une manifestation en faveur de la résidence permanente pour les demandeurs d’asile a eu lieu à
    Montréal le 23 mai 2020. Enfin, le 24 mai, Fabrice Vil, à Tout le monde en parle, s’est dit furieux face à la position de la CAQ.
10 On peut penser que le mouvement de sympathie en faveur de la régularisation a joué un rôle important dans le changement de position
   du gouvernement.

                                                                                                                                                      11
Dans le cas du Canada et du Québec, il faudra attendre avant
     d’évaluer comment les mesures couchées sur papier ont été
     effectivement appliquées sur le terrain. En attendant, les
     mesures économiques visant à soutenir les victimes du confi-
     nement doivent tenir compte de la situation spécifique des
     groupes de migrants les plus vulnérables. Dans ce sens, on
     se serait attendu à un peu plus d’empathie de la part de la
     CAQ lors du vote sur la motion de reconnaissance des travail-
     leurs et travailleuses de la santé dans les CHSLC, dont une
     bonne partie est des immigrantes et des demandeurs d’asile.
     De même, demander au gouvernement fédéral de régulariser
     leur statut aurait été un geste dans la bonne direction.

     Un dernier point sur les seuils d’immigration. Depuis quelques
     semaines, le premier ministre du Québec, François Legault ne
     cesse de se plaindre du manque de main d’œuvre dans le
     réseau de la santé. Pourtant, il existe quatre leviers impor-
     tants qui pourraient contribuer à combler certains besoins
     en main d’œuvre : (1) régulariser les statuts des deman-
     deurs d’asile, comme suggéré plus haut ; (2) supprimer les
     barrières institutionnelles qui empêchent plusieurs immi-
     grants et immigrantes à exercer leur profession, en particu-
     lier dans le domaine de la santé ; (3) augmenter l’immigration
     temporaire, avec des possibilités de mobilité professionnelle
     (ne plus dépendre d’un seul employeur) et l’accès à la
     résidence permanente ; et (4) augmenter les seuils de
     l’immigration permanente.

12
IMPACT DE LA COVID-19 SUR LES NOUVEAUX ARRIVANTS :
PRÉOCCUPATIONS ET EXPÉRIENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES
DES IMMIGRANTS PENDANT LA COVID-19
Jane Badets a occupé le poste de statisticienne en chef adjointe du Canada, dans le domaine des affaires sociales, de la santé
et du travail, où elle était responsable d’un large éventail de statistiques sociales, notamment sur la santé, la justice, l’éducation,
le travail, le revenu, l’immigration, les peuples indigènes, les estimations démographiques et la démographie. Elle était égale-
ment responsable du programme d’accès aux microdonnées de Statistique Canada, notamment de ses centres de données de
recherche. Aujourd’hui à la retraite, Mme Badets a occupé plusieurs autres postes de haut niveau à Statistique Canada, notamment
la responsabilité de la Direction des statistiques sur l’éducation, le travail et le revenu, et de la Direction des sujets de recensement,
des statistiques sociales et démographiques. Tout au long de sa carrière, Mme Badets a travaillé sur divers recensements de
la population. Elle a supervisé le contenu et l’analyse du Recensement de 2016. Mme Badets est l’auteur de plusieurs articles
et publications sur l’immigration et l’ethnicité. Elle est titulaire de deux diplômes d’études supérieures, dont une maîtrise en
administration publique. Son diplôme de premier cycle était en sciences politiques et en économie.

Il ne fait aucun doute que la COVID-19 et les mesures de                  au Canada ? Plusieurs nouvelles sources de données sont
santé publique mises en place par les gouvernements pour                  apparues, depuis le mois de mars, qui permettent d’éclairer
y faire face ont eu un impact disproportionné sur certaines               la situation, les préoccupations et les expériences de ces per-
populations. Les personnes les plus vulnérables aux chan-                 sonnes pendant la pandémie. Il existe également l’enquête
gements sur le marché du travail – notamment celles qui                   mensuelle sur la population active qui permet de suivre leurs
occupent des emplois moins bien rémunérés dans le secteur                 expériences sur le marché du travail. En rassemblant ces
des services ou qui vivent dans des logements surpeuplés ou               diverses sources, cet article étudie les préoccupations des
à faible revenu – sont plus susceptibles d’être touchées par la           immigrants au Canada et leur situation actuelle sur le marché
crise. Les immigrants, en particulier les nouveaux arrivants,             du travail.
sont souvent confrontés à de telles situations. Ils font partie
de ceux qui sont le moins capables de tolérer une perte de
revenus importante et/ou qui sont le plus susceptibles de
connaître des niveaux de chômage prolongés. On craint que                 DE PLUS GRANDES INQUIÉTUDES QUANT À LA CONTRACTION DU VIRUS
les conditions de la pandémie n’entravent la voie de l’intégration
au Canada.                                                                Statistique Canada a réalisé un panel web, l’Enquête sur les
                                                                          perspectives canadiennes : Impacts de la COVID-19, du 29 mars
Mais que savons-nous réellement des impacts socio-                        au 3 avril 2020. Ce riche ensemble de données donne un aperçu
économiques de la COVID-19 sur la population immigrante                   des premières préoccupations des immigrants au Canada1.

1   Statistique Canada, « Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes : Impacts de la COVID-19 sur les immigrants », menée entre le 29
    mars et le 3 avril 2020, basée sur les rotations de l’Enquête sur la population active. Plus de 4 600 répondants dans les 10 provinces ont
    participé à cette enquête en ligne, dont 357 hommes et 366 femmes immigrées. Dans cette analyse, toutes les différences entre les immigrants
    et les personnes nées au Canada sont significatives au seuil de 5 % (p
Vous pouvez aussi lire