Immigration en temps de pandémie : COVID-19 - Canadian Institute for ...
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INTRODUCTION SANTÉ : SÉCURITÉ, ACCÈS ET VULNÉRABILITÉ La COVID-19 : l’occasion d’une prise de conscience La COVID-19 et les professionnels de la santé 3 Miriam Taylor 46 canadiens formés à l’étranger et sous-employés Joan Atlin Accès aux soins de santé pour les migrants précaires CONTEXTE, CONCEPTS ET DONNÉES et sans statut pendant la COVID-19 en Ontario et 50 au Québec Graham Hudson, Chloé Cébron et Rachel Laberge COVID-19 et migrations internationales : Mallette 7 quelques pistes de réflexion Victor Piché La COVID-19 et les emballeurs de viande dans le Impact de la COVID-19 sur les nouveaux arrivants : 56 sud de l’Alberta – éviter le « piège culturaliste » Bronwyn Bragg Préoccupations et expériences socio-économiques 13 des immigrants pendant la COVID-19 Jane Badets TERREAU FERTILE AU RACISME L’impact de la COVID-19 sur l’évolution de 19 l'établissement et de la réinstallation au Canada John Biles SARS-1 et COVID-19 au Canada et aux États-Unis : Comment le racisme a façonné une épidémie et 61 une pandémie Lori Wilkinson IMPACT DISPROPORTIONNÉ, PROBLÈMES STRUCTURELS Canadiens d’Asie de l’Est, la discrimination et ET SOLUTIONS 66 l’impact de la COVID-19 sur la santé mentale Cary Wu, Rima Wilkes, Yue Qian et Eric B. Kennedy Soutien aux entrepreneurs immigrants et nouveaux 26 arrivants au Canada pendant la pandémie COVID-19 Wendy Cukier, Miki Itano-Boase et Akalya Atputharajah STRATÉGIES ET EXPÉRIENCES COMMUNAUTAIRES Favoriser la résilience économique des nouveaux 32 arrivants : Les leçons de la COVID-19 Gestion de crise et liens communautaires : Stratégie d’une agence pour soutenir les nouveaux arrivants June Francis et Kristina Henriksson 72 dans le cadre de la pandémie de la COVID-19 Fariborz Birjandian et Karen O’Leary Préoccupations, intersectionnalité et violence 39 domestique en contexte de COVID-19 Ilene Hyman et Bilkis Vissandjee Le Coronavirus et les témoignages des nouveaux 75 arrivants en milieu rural (Manitoba) Don Boddy
DIVERSITÉ CANADIENNE EST PUBLIÉ PAR Diversité canadienne est une publication trimestrielle de l’Association d’études canadiennes (AEC). Les collaborateurs et collaboratrices de Diversité canadienne sont entièrement CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION D’ÉTUDES CANADIENNES (ÉLU LE 23 NOVEMBRE 2019) responsables des idées et opinions exprimées dans leurs DRE JULIE PERRONE articles. L’Association d’études canadiennes et un organisme Présidente du Conseil d'administration, Directrice, Communications et Marketing, pancanadien à but non lucratif dont l’objet est de promouvoir Finance Montréal, Montréal, Québec l’enseignement, la recherche et les publications sur le Canada. L’AEC est une société savante et membre de la Fédération CELINE COOPER Rédactrice, L’Encyclopédie canadienne, Professeure, Université Concordia, canadienne des sciences humaines et sociales. Montréal, Québec HUBERT LUSSIER Ancien sous-ministre adjoint, Patrimoine Canadien, Ottawa, Ontario JANE BADETS COURRIER Ancienne statisticienne en chef adjointe, Statistique Canada, Ottawa, Ontario GISÈLE YASMEEN Des commentaires sur ce numéro ? Directrice exécutive, Réseau pour une alimentation durable, Montréal, Québec Écrivez-nous à Diversité canadienne : PROFESSEUR HOWARD RAMOS Diversité canadienne / AEC Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse 850-1980, rue Sherbrooke Ouest L'HONORABLE MARLENE JENNINGS Montréal, Québec H3H 1E8 C.P., LLb., Avocate, Montréal, Québec Ou par courriel au MADELINE ZINIAK Consultante, Présidente, Canadian Ethnic Media Association, Toronto, Ontario PROFESSEUR CHEDLY BELKHODJA Université Concordia, Montréal, Québec Cette édition spéciale de Diversité canadienne est publiée en JEAN TEILLET partenariat avec la Commision canadienne pour l'UNESCO. Associé, Pape Salter Teillet LLP, Vancouver, Colombie-Britannique Nous désirons les remercier pour leur précieuse collaboration. PROFESSEURE JOANNA ANNEKE RUMMENS Université Ryerson, Toronto, Ontario ÉDITEUR Jack Jedwab RÉDACTRICE EN CHEF IMAGE EN COUVERTURE Miriam Taylor Vague de Simone Taylor-Cape TRADUCTION Miriam Taylor RÉVISION ET CORRECTION D’ÉPREUVES David Lazarus Laura Comboïgo DESIGN ET MISE EN PAGE CAMILAHGO. studio créatif
INTRODUCTION LA COVID-19, L’OCCASION D’UNE PRISE DE CONSCIENCE La Dre Miriam Taylor est la directrice des publications et des partenariats de l’Association d’études canadiennes. Les programmes et accréditations tous imprimés, les pané- des preuves afin d’aider le Canada à naviguer la tempête vers listes déjà tous confirmés. L’Association d’études canadiennes- la relance et la résilience. Institut Metropolis était dans les derniers préparatifs de son événement annuel : le plus grand rassemblement national Alors que les Canadiens étaient rivés aux nouvelles, essayant d’experts, de praticiens et de décideurs politiques dans le de suivre la crise naissante, l’attention du monde s’est détournée domaine de l’immigration. Ces spécialistes se réunissent de la multitude de distractions qui caractérisent notre mode chaque année pour un exercice massif de pollinisation croisée, de vie au sein de sociétés occidentales. L’attention s’est tour- de partage d’études, de stratégies et de meilleures pratiques. née vers des questions essentielles plus pressantes, liées à la L’édition 2020 de la conférence Metropolis, qui devait avoir santé, à la sécurité et à l’approvisionnement en denrées de lieu à Winnipeg, s’annonçait plus populaire que jamais et première nécessité. Au fur et à mesure qu’un bouleversement s’apprêtait à accueillir plus de 1 000 participants alors que majeur des perceptions et des priorités se produisait, quelques l’Organisation mondiale de la santé déclara l’état de pandémie vérités trop souvent occultées de la conscience générale ont à l’échelle mondiale et le confinement qui s’ensuit met un commencé à prendre le dessus. terme abrupt et dramatique à toute activité. Au fur et à mesure que les familles se retranchaient dans Dans la semaine qui suit l’annulation naît le Réseau COVID-19 leur isolement, que les communautés se repliaient sur elles- sur les impacts sociaux, une idée de Jack Jedwab, président mêmes et que les pays fermaient leurs frontières, il devint et directeur général de l’AEC-Métropolis. S’appuyant sur le évident que nous ne pouvions plus nous permettre de fermer réseau étendu et multidisciplinaire de Metropolis, la nouvelle les yeux sur le sort des plus vulnérables parmi nous. Si des initiative sollicita également des nouveaux partenaires et col- mesures appropriées n’étaient pas prises pour assurer leur laborateurs, et avait pour but de veiller à ce que les dimensions sécurité, ceux qui n’avaient pas les ressources nécessaires sociales et économiques de la crise COVID-19 soient gardées pour se protéger de la contamination virale deviendraient à l’esprit lorsque le Canada s’engageait sur une voie sans certainement des vecteurs de contagion générale. Ainsi, né de précédent en eaux inconnues. En effet, le Réseau COVID-19 la nécessité, un nouveau type de solidarité interne émergea, étudie les perceptions et les comportements, identifie les pro- créant une volonté d’investir de l’énergie et des ressources blèmes et les indicateurs, et génère des réponses fondées sur dans la lutte contre les vulnérabilités exposées qui, si elles 3
étaient négligées, pourraient laisser entrer le virus dans nos la situation des migrants résidant au Canada, M. Piché nous communautés et submerger la capacité du système à veiller invite à élargir notre vision vers un sens de responsabilité sur nous tous. mondiale et attire notre attention sur le dilemme créé par la crise chez les migrants internationaux. Avec la fermeture des Lorsque les fissures de la société constituent un danger pour frontières internationales, ces migrants et les réfugiés n’ont pas le bien-être de tous, il est peut-être plus difficile de se livrer au bénéficié du sentiment croissant de solidarité interne au sein déni collectif alimenté par un système qui encourage chacun de de nos pays respectifs. Comme le souligne Piché, cependant, nous, dans le cours normal des choses, à se débrouiller seul et les guerres, l’oppression, les conditions de vie dangereuses et à se concentrer sur sa propre réussite et sa propre survie plu- les autres facteurs de migration forcée ne s’arrêtent pas en tôt que sur le bien-être collectif. On pourrait affirmer qu’une période de pandémie, et notre responsabilité humaine envers vigilance accrue a donné lieu à une prise de conscience crois- les populations déplacées ne devrait pas le faire non plus. sante des failles structurelles qui affaiblissent les fondements de notre société, ainsi qu’à une plus grande volonté d’accorder Ensuite, Jane Badets nous fait part de données et d’analyses à ces questions l’attention qu’elles méritent1. Certains de ces précieuses, dans son étude de problèmes rencontrés à court défis systémiques et les moyens possibles de les relever sont terme par les nouveaux arrivants dont la situation plus pré- au centre de ce numéro spécial de Diversité canadienne, intitulé caire au niveau de l’emploi, du logement et des systèmes de « L’immigration en période de pandémie : faire face aux défis ». soutien, a rendu particulièrement vulnérables aux aléas de la pandémie. La statisticienne soulève également la question Créée en collaboration avec la Commission canadienne pour des conséquences plus durables créées par ces obstacles addi- l’UNESCO, l’un de nos partenaires du Réseau COVID-19 sur tionnels à l’intégration des nouveaux arrivants au Canada, les impacts sociaux, cette publication présente les contri- nécessitant des interventions publiques. Enfin, elle souligne butions de chercheurs, de représentants gouvernementaux la nécessité de collecter et d’analyser de nouvelles données et communautaires ainsi que de prestataires de services du qui nous permettront, en tant que pays, de prendre la pleine terrain. Elle s’appuie sur les riches constats établis au cours mesure de la situation. des derniers mois par le Réseau COVID-19. La publication tient compte des expériences des nouveaux arrivants et des Dans le dernier article de (1), John Biles nous donne un aperçu Canadiens récemment immigrés – groupes qui sont souvent fascinant et détaillé de la façon dont le réseau des services en manque de ressources, de systèmes de soutien ainsi que de d'établissement et d'intégration au Canada a mis la main à la la stabilité qui accompagne une implantation à long terme. Les pâte pour faire face à la crise, réagir, et nous aider à nous réta- articles se penchent sur le fardeau disproportionné porté par blir et même de prospérer. Il souligne également qu’à mesure les résidents les plus récemment arrivés dans notre pays. On que le Canada continue de se diversifier, la réinstallation et cherche à exposer les problèmes structurels qui contribuent à l’intégration des immigrants doivent devenir la responsabilité la vulnérabilité de ces groupes et à examiner les défis croisés non pas d’un seul ministère ou programme, mais plutôt une auxquels sont confrontés ceux dont la précarité est aggravée entreprise sociétale plus généralisée qui nous concerne tous. par de multiples marqueurs d’identité. Les contributions sou- lignent également l’importance des données et de leur analyse (2) Impact disproportionné : Problèmes structurels et solu- dans le but de nous attaquer à la source des défis sociétaux. tions, se concentre sur les problèmes structurels qui ont fait porter le poids de la pandémie aux nouveaux arrivants, et Divisé en cinq sections, (1) Contexte, concepts et données, en particulier aux Canadiens racialisés. Wendy Cukier, Miki (2) Impact disproportionné : Problèmes structurels et solutions, Itano-Boase et Akalya Atputharajah soulignent la manière (3) Santé : Sécurité, accès et vulnérabilité, (4) Terreau fertile au dont les immigrants entrepreneurs, dont beaucoup sont racisme et (5) Stratégies et expériences communautaires, ce des femmes, ont été touchés par les bouleversements de la numéro spécial aborde les problèmes, les met en évidence et crise. Les mesures nécessaires pour leur apporter un soutien, indique la voie à suivre pour y remédier. expliquent les auteures, servent plus qu’un simple objectif humain – la réussite de ces entrepreneur(e)s immigrant(e)s Dans (1) Contexte, concepts et données, Victor Piché ouvre est un élément clé de notre reprise collective. June Francis la publication en donnant un vaste aperçu des différents et Kristina Henriksson, considèrent également la pandémie types et catégories d’immigration et des divers facteurs et comme un moment où il faut prendre conscience des problèmes mécanismes qui alimentent la vulnérabilité accrue de cette de longue date pour mieux les affronter : « La manière dont la population dans le contexte de la pandémie. Il fait ensuite pandémie a mis en évidence ces effets négatifs disproportionnés plusieurs recommandations sur la manière de remédier à offre en même temps une occasion sans précédent de traiter certains de ces problèmes systémiques. En plus d’examiner ces problèmes de manière systématique et à long terme », 1 Cela pourrait-il expliquer en partie la vague de soutien aux mouvements de protestation qui se sont répandus si rapidement à travers le monde à la suite du meurtre de George Floyd ? 4
ce qui nous donne une occasion unique « de réimaginer des les usines de conditionnement de la viande en Alberta. Une réponses politiques plus résilientes » en utilisant une optique fois de plus, la COVID-19 a fait apparaître des lignes de faille de race et de genre. trop longtemps ignorées et négligées. Ces travailleurs, qui avaient déjà les plus grandes chances de souffrir d’une blessure L’intersectionnalité fournit également la toile de fond de invalidante de tous les employés de l’industrie manufacturière, l’article d’Ilene Hyman et de Bilkis Vissandjée, qui étudie la étaient des cibles faciles pour le virus, car le système n’a pas façon dont la COVID-19 a exacerbé les inégalités sociales et réussi à mettre au premier plan la sécurité et le bien-être économiques au Canada. Les auteures soulignent que « les de ces travailleurs, dont les emplois sont essentiels à l’essor trajectoires migratoires se recoupent avec le sexe, le genre économique de l’Alberta. et d’autres déterminants sociaux de la santé pour accroître la vulnérabilité des femmes immigrantes aux inégalités en (4) Terreau fertile au racisme, renferme deux articles qui matière de santé » et spécifiquement à la violence exercée par traitent de la malheureuse tendance à chercher des boucs le partenaire intime (VPI). Les chercheuses plaident pour la émissaires en temps de crise. Lori Wilkinson établit une com- nécessité d’intégrer au sein de nos recherches les complexités paraison intéressante entre les épidémies du SRAS-1 de 2003 des trajectoires migratoires, afin de rester vigilants et de veiller et de la COVID-19 de 2020, et constate que, dans les deux à ce que les femmes vulnérables ne passent pas entre les cas, les Chinois et les autres Canadiens d’origine asiatique ont mailles du filet. Cet article constitue une passerelle vers la subi des insultes et une discrimination raciale accrues. « Les section suivante, portant sur la santé. similitudes sur le plan des théories du complot, les qualificatifs racistes utilisés par les politiciens pour » désigner « le virus et (3) Santé : Sécurité, accès et vulnérabilité, soulève plusieurs l’augmentation du racisme à l’égard des Asiatiques, en particu- problèmes de santé spécifiques à la COVID-19, rencontrés à la lier ceux d’origine chinoise, révèlent plusieurs concordances fois par les praticiens et les patients. Joan Atlin se concentre importantes non seulement entre le SRAS-1 et la COVID-19, sur les travailleurs de première ligne dans les centres de soins mais soulignent que le racisme présente des spécificités simi- de longue durée, qu’elle identifie comme étant en grande partie laires au Canada et aux États-Unis ». Cary Wu, Rima Wilkes, des femmes, des immigrantes et des personnes racialisées. Yue Qian et Eric B. Kennedy abordent également le racisme Ces travailleurs, dont la vie est souvent précaire, se sont mis anti-asiatique, alimenté par la pandémie, et se concentrent à risque pour nous protéger. Qui plus est, leurs compétences notamment sur le lourd fardeau que ces attaques font peser sont trop souvent sous-exploitées. Outre le fait que cela freine sur la santé mentale des victimes. Les auteurs insistent sur leur propre développement professionnel, cette situation la nécessité d’aider les populations ciblées à faire face à ce entrave notre capacité à lutter contre le virus. En cherchant à traumatisme additionnel. tirer les leçons de l’expérience de la COVID-19, Atlin déclare : « Le moment est venu de relancer un débat national sur la La dernière section, (5) Stratégies et expériences commu- manière de continuer à faire avancer les changements sys- nautaires, est centrée sur le palier communautaire, mettant en témiques qui permettront à un plus grand nombre de PSFE lumière la force, la créativité et la résilience dont font preuve [professionnels de la santé formés à l’étranger] d’obtenir leur tant les prestataires que les bénéficiaires de services. Fariborz permis d’exercer et d’intégrer le personnel de santé – là où ils Birjandian et Karen O’Leary témoignent du parcours impres- veulent être et là où le Canada a besoin d’eux ». sionnant de leur organisme communautaire à Calgary, qui s’est attaquée à la vitesse de l’éclair aux énormes problèmes Graham Hudson, Chloé Cébron et Rachel Laberge Mallette, créés par la pandémie, afin de répondre à des besoins spéci- pour leur part, se concentrent non sur les fournisseurs de fiques, tout en favorisant un sentiment d’appartenance à la soins, mais plutôt sur ceux qui doivent y avoir accès. Ils communauté. La publication se termine par des témoignages exposent les faiblesses d’un système de soins de santé qui de membres de la communauté, partagés par Don Boddy, prétend à l’universalité, mais qui exclut en réalité des groupes soulignant que les nouveaux arrivants et les immigrants dont la précarité et le dévouement ont fait la une des journaux récents ne sont pas seulement dignes de notre attention et pendant la pandémie. Nos gouvernements ont fait des efforts de nos soins particuliers, mais qu’ils sont aussi les vecteurs pour résoudre ces problèmes, mais les auteurs affirment qu’il d’une résilience et d’une sagesse qui continuent à permettre reste encore énormément à faire : « Si la levée des obstacles au Canada de se développer et de prospérer. juridiques formels à (certains) services de santé est utile et devrait servir de base à la réforme du modèle national, les migrants sans statut et à statut précaire continuent de se heurter à des obstacles structurels, linguistiques, idéologiques et juridiques prohibitifs que les gouvernements peuvent, devraient et doivent supprimer ». Bronwyn Bragg étudie également l’interaction entre la santé et la vulnérabilité, mais cette fois dans un contexte spécifique, 5
CONTEXTE, CONCEPTS ET DONNÉES
COVID-19 ET MIGRATIONS INTERNATIONALES : QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION Le Dr Victor Piché est un sociologue-démographe spécialisé dans le domaine des migrations internationales. Il s’est intéressé aux liens entre les migrations internationales et la mondialisation, en se concentrant sur les droits des travailleurs migrants. Il a dirigé une étude pour l’UNESCO sur les raisons pour lesquelles le Canada refuse de ratifier la Convention des Nations Unies sur la protection des droits des migrants et des membres de leur famille. Il a été professeur au département de démographie de l’Université de Montréal de 1972 à 2006 et est toujours professeur honoraire. Il est chercheur associé à la Chaire Oppenheimer en droit public international, Université McGill. INTRODUCTION peuvent inférer un certain nombre de liens entre la pandémie et la situation des personnes migrantes. Cette méthode, que La question de l’impact de la COVID-19 sur les migrations l’on peut appeler « l’inférence logique », permet, par exemple, est très peu abordée dans les médias. Mais que sait-on de faire le raisonnement suivant : si l’on sait d’un point de vraiment, d’un point de vue scientifique, sur cette question ? vue scientifique que les populations vulnérables sont plus La réponse est fort simple : très peu de choses. D’une part, il à risque de contracter la COVID-19 et que, par ailleurs, on est trop tôt pour tirer des conclusions de nature scientifique sait que plusieurs catégories de populations migrantes sont et, d’autre part, les statistiques disponibles ne permettent reconnues comme étant vulnérables, on peut en inférer que pas pour le moment de s’attaquer à cette question de façon ces groupes de migrants sont plus à risque, même si pour le systématique. moment nous n’avons pas de preuves statistiques à cet effet. Est-ce à dire que les scientifiques ne peuvent rien dire ? Loin Les liens entre migration et épidémie constituent une de là. Même s’il n’existe pas d’études démontrant que les constante dans l’histoire des maladies et des épidémies. Ces populations migrantes seraient plus à risque que les popu- liens recouvrent deux types de risques liés à la migration, l’un lations non migrantes de contracter la COVID-19, voire d’en lié à la diffusion et l’autre à la contraction. Les migrants ont mourir plus, plusieurs travaux de recherche permettent de souvent été blâmés comme étant responsables de la diffusion suggérer quelques pistes de réflexion. Dans des situations des maladies, justifiant ainsi des mesures de quarantaine les de crise, en absence de données probantes, les scientifiques visant spécifiquement1. Le deuxième type de risque concerne 1 Denis Goulet fournit plusieurs exemples de « victimisation » des populations migrantes dans l’histoire des maladies et des épidémies (voir Brève histoire des épidémies au Québec, Septentrion, 2020). Le cas du sida en Afrique est un bon exemple récent où les migrants ont été stigmatisés comme étant responsables de la diffusion de la maladie (voir Lalou, R., Piché, V. et Waîtzeneger, F., « Migration, HIV/AIDS knowledge, perception of risk and condom use in the Senegal River Valley », dans Michel Caraël et Judith Glyn [eds]. HIV, Resurgent Infections and Population Change in Africa, Springler, 2007, pp. 171–194. 7
la propension ou la susceptibilité à contracter la COVID-19. mobilité. En date du 22 avril 2020, 167 pays avaient partiel- lement ou totalement fermé leurs frontières afin de contenir Les liens entre la COVID-19 et les migrations ne sont pas la propagation du virus. Quelques 57 pays n’ont pas prévu directs, car cela voudrait dire que le simple fait d’être migrant, d’exceptions quant aux procédures d’accès à l’asile. Selon en soi, serait directement relié à un plus grand risque d’être l’indicateur développé par l’Organisation internationale des infecté et éventuellement de mourir. C’est ce que l’on appelle migrations (OIM) (le Displacement Tracking Matrix), en date l’approche essentialiste, largement rejetée en sciences sociales. du 23 avril 2020, 215 pays et régions ont mis en œuvre un Donc, si le lien n’est pas direct, il faut établir le cheminement total de 52,262 mesures restrictives quant aux déplacements causal en faisant intervenir des facteurs intermédiaires. Pour des personnes2. Selon l’OIM, cette base de données permet décortiquer les diverses formes de cheminement causal de cartographier les impacts disproportionnés sur les popula- reliant COVID-19 et migrations internationales, je propose tions les plus vulnérables comme le sont plusieurs catégories trois modèles spécifiques à des fins purement illustratives. de migrants. Le premier modèle relève à la fois des risques de diffusion et de contraction : les mesures de restrictions à la mobilité sont Il est clair que les fermetures de frontières auront un impact mises en place pour éviter la diffusion, mais, ce faisant, aug- négatif sur les nombreux projets de migrations entamés, mais mentent la vulnérabilité et les risques de contraction du virus. restés en plan. Cet impact sera particulièrement catastro- Les deux autres modèles font uniquement référence aux phique pour les migrations « forcées ». risques de contraction associés aux inégalités socioécono- miques et aux types d’emploi dans les systèmes de santé. LE MODÈLE DES VULNÉRABILITÉS LIÉES AUX INÉGALITÉS LE MODÈLE DES RESTRICTIONS À LA MOBILITÉ SOCIO-ÉCONOMIQUES (FERMETURE DES FRONTIÈRES) Le deuxième modèle réfère également à la notion de vulné- rabilité, non plus sous l’angle des restrictions à la mobilité Le premier modèle est centré sur la notion de vulnérabilité comme dans le modèle précédent, mais plutôt sous l’angle engendrée par les restrictions à la mobilité, essentiellement des inégalités socio-économiques qui remplacent les mesures reliées à la fermeture des frontières. On peut formuler ainsi le de restriction comme facteur intermédiaire. Le cheminement cheminement causal : causal peut s’exprimer ainsi : C R V M (1) C I V M (2) Où : Où : C = COVID-19 C= COVID-19 R= Restrictions à la mobilité (fermeture des frontières) I = Inégalités socio-économiques V= populations vulnérables V= populations vulnérables M = infections/décès de migrants M = infection/décès des migrants En mots clairs, cela veut dire que la COVID-19, en amenant Même si les études pouvant vérifier le bien-fondé de cette les pays à restreindre la mobilité des personnes (p. ex. par la équation ne sont pas nombreuses, quelques-unes ont identifié fermeture des frontières), exacerbe la vulnérabilité de certains par exemple les populations noires aux États-Unis comme groupes de population, dont les migrants, ce qui augmente étant plus affectées par la mortalité due à la COVID-19. Selon les risques d’infection à la COVID-19 et éventuellement les deux études effectuées au Royaume-Uni, la mortalité due à la risques de décès. COVID-19 serait plus élevée au sein des minorités3. On verra plus loin que ce modèle s’applique également à la situation Selon des données du Pew Research Center, 93 % de la popu- du Québec. lation mondiale vit présentement avec des restrictions à la 2 Milan, Andrea et Cunnoosamy, Reshma (2020), « COVID-19 and migration governance: A holistic perspective, » dans Journal Migration Policy Practice, vol. X, No. 2:27–31. 3 Tel que rapporté par l’Agence France-Presse, La Presse+, 6 mai 2020. 8
En ce qui concerne les migrants, plusieurs groupes peuvent par la fermeture des entreprises est la diminution des trans- être associés à cet état de vulnérabilité : il s’agit des réfugiés et ferts monétaires (baisse de 20 % selon la Banque Mondiale). des demandeurs d’asile, des personnes déplacées, des travail- On connaît l’importance de ces transferts (550 milliards de leurs temporaires et des migrants irréguliers. Comme nous dollars AMÉRICAINS en 2019 selon la Banque Mondiale) l’avons mentionné au début, on ne connaît pas encore l’im- pour de nombreux ménages dans les pays d’origine. pact réel de la COVID-19 sur ces populations migrantes. On peut néanmoins suggérer des impacts probables compte tenu de ce que l’on connaît par ailleurs sur les liens entre la vulné- LE CAS PARTICULIER DES ENFANTS MIGRANTS rabilité et l’impact du virus. Les enfants migrants font partie des groupes les plus vulné- rables dans le monde. Il y a 13 millions d’enfants réfugiés et un POPULATIONS RÉFUGIÉES ET PERSONNES DÉPLACÉES million de demandeurs d’asile. Il y aurait 3,7 millions d’enfants vivant dans des camps de réfugiés ou des centres collectifs. Selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR)4, il y a actuel- Les enfants non accompagnés constituent un sous-groupe lement environ 26 millions de réfugiés et 41,3 millions de particulièrement vulnérable. Dans certains cas, comme on l’a populations déplacées dans le monde. Le degré élevé de vulné- vu aux États-Unis, ils sont séparés de leurs parents. En plus rabilité peut être causé par les dangers liés aux déplacements, le des problèmes d’insécurité, de conditions de vie précaires et peu de possibilités d’emploi, le surpeuplement des habitats, des du manque d’accès aux soins de santé, il ne faut pas sous- conditions de travail précaires, l’accès limité à l’eau potable, à estimer les séquelles psychologiques profondes que subissent la nourriture et aux soins de santé. Dans certaines municipa- ces enfants. lités, comme en Italie par exemple, les bons alimentaires sont réservés aux nationaux et aux résidents à long terme5. Dans le cas des personnes déplacées, la suspension des programmes de réinstallation des Nations Unies à cause de la pandémie LE MODÈLE SANITAIRE fait particulièrement mal. (LES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE LA SANTÉ) MIGRANTS IRRÉGULIERS Dans ce troisième modèle, ce n’est pas tant les restrictions à la mobilité (facteur « R » dans la première équation), ni les Si la pandémie a mis entre parenthèses les activités écono- inégalités (facteur « I » dans le modèle 2) qui agissent comme miques, les conflits violents, eux ne se sont pas arrêtés, conti- facteurs intermédiaires, mais plutôt les modalités d’intégration nuant à engendrer des flux de migrants irréguliers, d’autant économique définies par le type d’emploi occupé dans le sys- plus que les canaux réguliers sont fermés. Outre les facteurs tème de santé. Le cheminement causal peut s’exprimer ainsi : déjà mentionnés pour les réfugiés et les personnes déplacées, les migrants irréguliers prennent davantage de risques et sont plus à risque d’exploitation par les réseaux de passeurs. C M S Im (3) Où : TRAVAILLEURS MIGRANTS (TEMPORAIRES) C = COVID-19 En 2017, il y avait environ 164 millions de travailleurs M = Mode d’intégration migrants temporaires dans le monde. Beaucoup se retrouvent S = Système de santé dans des pays développés tels que ceux du Golfe. Les condi- Im = Immigrant tions de travail précaires, la vie dans des camps surpeuplés, des conditions d’hygiènes qui laissent à désirer les mettent Les liens entre la migration et le secteur de la santé sont bien dans des situations à risque face à la COVID-19. De plus, la documentés dans la littérature sur l’exode des cerveaux. Il crise économique et l’augmentation du chômage en obligent appert que les immigrants sont surreprésentés dans plu- plusieurs à retourner chez eux, augmentant ainsi le taux sieurs professions reliées au système de santé, que ce soit au de chômage dans les pays d’origine. Une des conséquences somment de la hiérarchie (médecins, infirmiers/infirmières, réelles des pertes d’emploi et de revenus causés entre autres pharmacien-ne-s, nutritionnistes) ou au bas de l’échelle 4 Voir les rapports annuels du HCR sur leur site WEB. 5 Giammarinaro, Maria Grazia et Palumbo, Letizia (2020), « COVID-19 and inequalities: protecting the human rights of migrants in a time of pandemic », dans Journal Migration Policy Practice, vol.X, No. 2:21–26. 9
(préposé-e-s dans les centres de santé pour personnes âgées, Le modèle 2 insiste sur la vulnérabilité accrue de certains les soins à domicile, les travaux d’entretien). Dans plusieurs groupes de migrants. Il est trop tôt pour statuer sur les pays, sans les travailleurs et travailleuses de la santé d’origine impacts réels du confinement sur les immigrants du Canada étrangère, les systèmes de santé ne pourraient pas fonctionner. et du Québec. Par contre, on sait d’ores et déjà, grâce au rap- Par exemple, aux États-Unis, 30 % des médecins et 16 % des port de la Direction de la santé publique de Montréal, qu’il y infirmières sont nés à l’étranger. Les pourcentages correspon- a des risques accrus de diffusion du virus dans les quartiers dants sont 20 % et 16 % pour l’Allemagne ; 33 % et 22 % pour la plus défavorisés de Montréal (par exemple Montréal-Nord). Grande-Bretagne ; 47 % et 32 % pour la Suisse ; et enfin 38 % et Comme il existe d’autres quartiers pauvres, on peut s’attendre 24 % pour le Canada6. à des taux d’infection et de mortalité plus élevés qu’ailleurs à Montréal et dans le reste du Québec. On sait aussi que ces quartiers ont une plus grande concentration d’immigrants. LES IMMIGRANTS EN PÉRIODE DE « SHUTDOWN » : Outre les conditions de précarité socio-économique, dans le cas des immigrants et des immigrantes la vulnérabilité com- LE CAS DU QUÉBEC ET DU CANADA prend une dimension politique importante liée à la gestion des diverses catégories d’immigration. Même s’il est trop tôt Dans le domaine des droits de la personne concernant les pour établir le bilan des impacts de la COVID-19 sur les immi- migrations internationales, le Canada se démarque de la grants et les immigrantes, on peut quand même soulever les plupart des autres pays du monde, que ce soit des pays en questions suivantes : développement, où se concentrent la majorité des personnes réfugiées et déplacées, ou des pays de l’Union européenne, • Les résidents permanents : même si en principe qui tentent désespérément de construire une forteresse le gouvernement continue de traiter les demandes infranchissable pour les migrants et les demandeurs d’asile7, de sélection permanente, on peut certainement ou des pays du Golfe, champions pour maintenir les travail- s’attendre à des délais plus longs dans le traitement leurs temporaires dans des conditions précaires, ou encore des dossiers. De quelle ampleur ? Ce sera à suivre. des États-Unis, où détentions, déportations et chasses aux irréguliers se multiplient sous le règne de Donald Trump. • Les étudiants étrangers : il y a présentement près de 40 000 étudiants étrangers au Québec. Compte tenu des La situation canadienne plus favorable ne nous exempte pas tergiversations autour du Programme de l’expérience de poser quelques questions et de soulever certaines inquié- québécoise (PEQ), on peut s’attendre à des niveaux tudes. Premièrement, s’agissant du modèle 1, il est clair que la élevés de confusion et d’anxiété chez les étudiants. fermeture des frontières avec les États-Unis et en particulier la fermeture du chemin Roxham n’est pas une bonne nouvelle • Les migrants en détention : comme nous l’avons pour les demandeurs d’asile. Dans le décret datant du 26 mars mentionné plus haut, les migrants en détention font dernier, le Gouvernement fédéral a fermé les passages fron- partie des groupes les plus vulnérables quant au taliers irréguliers, tels que celui du chemin Roxham, selon risque de contracter la COVID-19. On ne connaît pas une entente avec les États-Unis qui prévoie de renvoyer les encore l’impact de la COVID-19 sur cette catégorie demandeurs d’asile qui franchissent de façon irrégulière la de migrants. Par contre, quelques signes d’inquiétude frontière pour entrer au Canada. Dans le nouveau décret du nous proviennent de certains centres de détention, 22 avril dernier, il est précisé que les personnes ayant déjà comme par exemple celui de Laval, où une grève de la un membre de leur famille au Canada, celles qui n’ont pas faim a été entreprise par les détenus craignant d’être besoin de visa pour entrer au pays, ainsi que les personnes contaminés par la COVID-19. mises en accusation pour une infraction pouvant leur valoir la peine de mort ont la possibilité de déposer une demande • Les travailleurs temporaires : sur le site du ministère d’asile dans l’un des postes frontaliers du Canada. Il s’agit de l’Immigration du Québec, les mesures suivantes des exceptions déjà liées à l’Entente sur les tiers pays sûrs, ont été annoncées : (1) des programmes d’aide pour les signée avec les États-Unis, qui s’appliquait avant la crise travailleuses et travailleurs qui perdent leur revenu en sanitaire et la fermeture des frontières. L’impact de ces raison de la COVID-19 ; (2) possibilité pour les déten- mesures a été de réduire presque à zéro ce flux migratoire de teurs de permis de travail ouvert de trouver un nouvel demandeurs d’asile. emploi auprès de n’importe quel autre employeur ; (3) 6 Ardittis, Solon et Laczko, Frank (2020), « Introduction – Migration policy in the age of immobility », dans Journal Migration Policy Practice, vol. X, No. 2:27. 7 Piché, Victor (2014) « Production/gestion de l’incertain : les populations migrantes face à un ordre mondial de plus en plus répressif », dans Vrancken Didier (dir.), (2014). Penser l’incertain, Presses de l’Université Laval, pp. 173-199. 10
possibilité de cumuler de façon non continue les 12 préposés aux bénéficiaires dans nos CHSLD en ces mois d’expérience de travail à temps plein nécessaire temps de pandémie doit être reconnu, lui aussi. pour être admissible au Programme de l’expérience québécoise ; (4) maintien de la couverture médicale par Que l’Assemblée nationale reconnaisse la contribution la RAMQ ; (5) accès aux tests de dépistage ; (6) respect de centaines de demandeurs d’asile, majoritairement par les employeurs des mesures exceptionnelles mises d’origine haïtienne, présentement comme préposés en place par le gouvernement du Québec. Encore une aux bénéficiaires dans les CHSLD du Québec. fois, il sera indispensable d’évaluer l’application réelle de ces mesures. Selon le reportage de Daphné Cameron Qu’elle demande au gouvernement canadien de régu- (La Presse du 24 juin), les cas de coronavirus chez les lariser rapidement leur statut d’immigration, dans un ouvriers agricoles ne sont pas officiellement recensés, souci de reconnaissance du travail accompli durant la ce qui rendra les évaluations fort difficiles8. crise actuelle. » • Les immigrants irréguliers : on n’en connaît pas l’am- Cette motion, appuyée par les trois partis de l’opposition pleur, mais on sait qu’il y en a et qu’il s’agit d’un groupe (PLQ, QS et le PQ), a été rejetée par la CAQ ! Trois jours plus particulièrement vulnérable. Ce groupe d’immigrant tard (16 mai), en réponse à un journaliste lors du point de invisible hésitera à se pointer pour les tests aussi presse quotidien, François Legault a réitéré l’opposition de la longtemps qu’il n’aura pas la garantie de ne pas être CAQ à la régularisation. expulsé. Comme nous l’avons mentionné plus haut, plusieurs pays ont procédé à la régularisation de leur Le 25 mai 2020, lors du point de presse habituel, le gouvernement statut. Pourquoi pas le Canada et le Québec ? Legault a fait volte-face et annoncé qu’il pourrait y avoir des cas de régularisation, mais ce sera au « cas par cas »10. À suivre. Enfin, qu’en est-il du modèle 3 (modèle sanitaire) au Québec ? C’est probablement le modèle le mieux documenté actuelle- ment. Selon un rapport de la Direction régionale de la santé publique de Montréal, les travailleurs de la santé sont surre- CONCLUSION présentés dans les zones chaudes de Montréal, par exemple à Montréal-Nord. Dans ces zones, toujours selon le rapport, Même si on en sait peu sur l’impact de la COVID-19 sur les environ le quart des cas d’infection concernent les travail- populations migrantes, il est tout à fait plausible de postuler leurs de la santé. En fait, presque partout sur l’île de Montréal que ces populations seront plus affectées que les autres par il y a une surreprésentation des travailleurs de la santé. la pandémie actuelle, compte tenu de leur plus grande vulné- rabilité. Plusieurs pays ont déjà donné le ton. Ainsi, en cette Or, on sait par ailleurs que les immigrants, surtout les immi- période de crise, il serait opportun de régulariser le statut des grantes, sont surreprésentés chez ces travailleurs de la santé, personnes présentement sans statut. C’est ce qu’a fait le Portugal en particulier comme préposées aux bénéficiaires dans de en octroyant des permis de résidence temporaires à tous les nombreux CHSLC. Il s’agit d’une filière empruntée par plu- migrants et les demandeurs d’asile, avec plein accès aux soins sieurs demandeurs d’asile, dont un certain nombre ont de santé et aux services sociaux. Ou l’Espagne, qui a libéré les emprunté le chemin Roxham en 2017-2018. On a senti dans immigrants en détention ; où l’Irlande, qui a rendu accessible les médias un vent de sympathie et de reconnaissance pour ces l’assurance chômage à tout le monde, indépendamment du travailleurs à risque9. C’est ce contexte qui a amené la députée statut légal ; ou la Malaisie en garantissant de ne pas arrêter ou indépendante Catherine Fournier à déposer une motion à mettre en détention les personnes qui se présentent pour être l’Assemblée nationale le13 mai 2020. Elle se lit comme suit : testées ; ou enfin le Pérou, en fournissant des kits d’hygiène, du support psychologique virtuel et de l’assistance financière « Le travail des demandeurs d’asile œuvrant comme aux enfants des demandeurs d’asile. 8 Les données provenant de l’Ontario indiquent un problème important de contagion parmi les travailleurs agricoles temporaires. Selon un article du Globe and Mail du 28 juin 2020, il y aurait plus de 800 cas confirmés de COVID-19 parmi les travailleurs agricoles, surtout dans la région de Windsor. Trois hommes en provenance du Mexique en sont morts. La situation a été jugée suffisamment troublante pour que le gouvernement mexicain exige des mesures de protection plus sévères envers les travailleurs mexicains. 9 Voir entre autres : « Pour des motifs humanitaires », Yves Boisvert, La Presse+, 29 avril 2020 ; « La filière Roxham », Agnès Gruda La Presse+, 2 mai 2020 ; « S’en souviendra-t-on ? » Rima Elkoury, La Presse+, 3 mai 2020. Le 21 mai, les avocats en immigration réclament de régulariser le statut des travailleurs « essentiels ». Une manifestation en faveur de la résidence permanente pour les demandeurs d’asile a eu lieu à Montréal le 23 mai 2020. Enfin, le 24 mai, Fabrice Vil, à Tout le monde en parle, s’est dit furieux face à la position de la CAQ. 10 On peut penser que le mouvement de sympathie en faveur de la régularisation a joué un rôle important dans le changement de position du gouvernement. 11
Dans le cas du Canada et du Québec, il faudra attendre avant d’évaluer comment les mesures couchées sur papier ont été effectivement appliquées sur le terrain. En attendant, les mesures économiques visant à soutenir les victimes du confi- nement doivent tenir compte de la situation spécifique des groupes de migrants les plus vulnérables. Dans ce sens, on se serait attendu à un peu plus d’empathie de la part de la CAQ lors du vote sur la motion de reconnaissance des travail- leurs et travailleuses de la santé dans les CHSLC, dont une bonne partie est des immigrantes et des demandeurs d’asile. De même, demander au gouvernement fédéral de régulariser leur statut aurait été un geste dans la bonne direction. Un dernier point sur les seuils d’immigration. Depuis quelques semaines, le premier ministre du Québec, François Legault ne cesse de se plaindre du manque de main d’œuvre dans le réseau de la santé. Pourtant, il existe quatre leviers impor- tants qui pourraient contribuer à combler certains besoins en main d’œuvre : (1) régulariser les statuts des deman- deurs d’asile, comme suggéré plus haut ; (2) supprimer les barrières institutionnelles qui empêchent plusieurs immi- grants et immigrantes à exercer leur profession, en particu- lier dans le domaine de la santé ; (3) augmenter l’immigration temporaire, avec des possibilités de mobilité professionnelle (ne plus dépendre d’un seul employeur) et l’accès à la résidence permanente ; et (4) augmenter les seuils de l’immigration permanente. 12
IMPACT DE LA COVID-19 SUR LES NOUVEAUX ARRIVANTS : PRÉOCCUPATIONS ET EXPÉRIENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES DES IMMIGRANTS PENDANT LA COVID-19 Jane Badets a occupé le poste de statisticienne en chef adjointe du Canada, dans le domaine des affaires sociales, de la santé et du travail, où elle était responsable d’un large éventail de statistiques sociales, notamment sur la santé, la justice, l’éducation, le travail, le revenu, l’immigration, les peuples indigènes, les estimations démographiques et la démographie. Elle était égale- ment responsable du programme d’accès aux microdonnées de Statistique Canada, notamment de ses centres de données de recherche. Aujourd’hui à la retraite, Mme Badets a occupé plusieurs autres postes de haut niveau à Statistique Canada, notamment la responsabilité de la Direction des statistiques sur l’éducation, le travail et le revenu, et de la Direction des sujets de recensement, des statistiques sociales et démographiques. Tout au long de sa carrière, Mme Badets a travaillé sur divers recensements de la population. Elle a supervisé le contenu et l’analyse du Recensement de 2016. Mme Badets est l’auteur de plusieurs articles et publications sur l’immigration et l’ethnicité. Elle est titulaire de deux diplômes d’études supérieures, dont une maîtrise en administration publique. Son diplôme de premier cycle était en sciences politiques et en économie. Il ne fait aucun doute que la COVID-19 et les mesures de au Canada ? Plusieurs nouvelles sources de données sont santé publique mises en place par les gouvernements pour apparues, depuis le mois de mars, qui permettent d’éclairer y faire face ont eu un impact disproportionné sur certaines la situation, les préoccupations et les expériences de ces per- populations. Les personnes les plus vulnérables aux chan- sonnes pendant la pandémie. Il existe également l’enquête gements sur le marché du travail – notamment celles qui mensuelle sur la population active qui permet de suivre leurs occupent des emplois moins bien rémunérés dans le secteur expériences sur le marché du travail. En rassemblant ces des services ou qui vivent dans des logements surpeuplés ou diverses sources, cet article étudie les préoccupations des à faible revenu – sont plus susceptibles d’être touchées par la immigrants au Canada et leur situation actuelle sur le marché crise. Les immigrants, en particulier les nouveaux arrivants, du travail. sont souvent confrontés à de telles situations. Ils font partie de ceux qui sont le moins capables de tolérer une perte de revenus importante et/ou qui sont le plus susceptibles de connaître des niveaux de chômage prolongés. On craint que DE PLUS GRANDES INQUIÉTUDES QUANT À LA CONTRACTION DU VIRUS les conditions de la pandémie n’entravent la voie de l’intégration au Canada. Statistique Canada a réalisé un panel web, l’Enquête sur les perspectives canadiennes : Impacts de la COVID-19, du 29 mars Mais que savons-nous réellement des impacts socio- au 3 avril 2020. Ce riche ensemble de données donne un aperçu économiques de la COVID-19 sur la population immigrante des premières préoccupations des immigrants au Canada1. 1 Statistique Canada, « Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes : Impacts de la COVID-19 sur les immigrants », menée entre le 29 mars et le 3 avril 2020, basée sur les rotations de l’Enquête sur la population active. Plus de 4 600 répondants dans les 10 provinces ont participé à cette enquête en ligne, dont 357 hommes et 366 femmes immigrées. Dans cette analyse, toutes les différences entre les immigrants et les personnes nées au Canada sont significatives au seuil de 5 % (p
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