L'Afrique noire - LCT-CWB
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19 Une publication de la Ligue Internationale des Travailleurs - Q.I. Troisième époque mars 2018 - année 9 L’Afrique L’Histoire La crise actuelle noire et les luttes des travailleurs 2 10 27 47 Le partage de Les révolutions et Les tâches démocratiques et RDC l’Afrique l’indépendance la Révolution permanente
Courrier I nternational N° 19 / Mars 2018 Présentation grèves en Côte d’Ivoire et ce qui a motivé l’ajout d’une page au Sénégal ; etc. concernant l’évènement. Mais aussi parce que Une autre partie importante de cette notre Internationale ini- édition est constituée d’articles qui tie un travail dans cette abordent les questions d’ensemble : région. Un travail qui a l’histoire de la colonisation et du pillage commencé avec l’ad- par les puissances impérialistes, le déni hésion de la LPS (Ligue de l’histoire et de la culture africaines Populaire du Sénégal) par ces puissances, les luttes pour l’in- en tant qu’organisation dépendance, le rôle de la Chine en tant sympathisante ; qui se que « nouvel acteur » de poids, et la poursuit avec la dis- question théorique et programmatique cussion avec d’autres de l’application de la théorie de la révo- groupes et militants lution permanente dans cette région. politiques et le rappro- Nous sommes conscients qu’il chement avec des com- s’agit d’une « première édition » et que munautés africaines en plusieurs articles contiendront des exil, et qui s’approfondit imprécisions. Nous avons aussi d’im- dans la relation avec des portantes « lacunes » : une analyse du Des mineurs armés d’armes traditionnelles défilent devant dirigeants et des syn- Nigeria (le pays le plus peuplé de la « Wondekop Hill » à l’occasion du cinquième anniversaire du mas- dicats, rendue possible région) et une analyse plus globalisée sacre de Marikana à Rustenburg (Afrique du Sud). Photo : EFE. par la participation au du sous-continent dans son ensemble. Réseau International de Mais même ainsi, il s’agit d’une étape C’est avec une grande fierté que Solidarité et de Lutte. très importante dans les publications nous présentons ce nouveau numé- Grâce à cela (et à l’étude de l’histoire de la LIT-QI. ro de Courrier International, dédié à et de la réalité africaines), nous pou- Nous espérons, tout d’abord, que l’Afrique noire. Sur le site web de la vons inclure des articles sur l’Angola, cette revue sera utile pour aider les LIT-QI (www.litci.org), nous avons pu- le Congo, le Sénégal, l’Afrique du Sud, sections militantes et sympathisantes blié des articles sur plusieurs pays de le Soudan et le Zimbabwe, et incor- dans l’étude et la discussion. Puis, ce sous-continent. Mais nous pouvons porer dans d’autres des éléments du qu’elle contribue au travail que nous dire que depuis de nombreuses années Burkina Faso, du Niger, d’Ouganda et commençons en Afrique noire et dans (voire des décennies), notre organisa- du Rwanda. les communautés africaines d’autres tion et le courant moréniste n’avaient Nous incluons également des entre- pays. Et enfin, qu’elle serve aussi dans pas publié un tel document sur l’Afrique tiens avec des dirigeants syndicaux du les pays avec une forte population noire noire dans son ensemble. Botswana et de la Côte d’Ivoire (bien (comme le Brésil et les Etats-Unis), où Cette revue est nécessaire au vu que nous ne partagions pas toutes les de nombreux militants se tournent vers de nombreux processus de la réa- positions qui y sont exprimées), en rai- l’Afrique à la recherche de leurs racines. lité : les démissions de Jacob Zuma son de leur grande valeur en tant qu’in- Il est maintenant temps que ces en Afrique du Sud, de Robert Mugabe formation provenant « du terrain ». Et objectifs puissent être atteints, ou du au Zimbabwe et de José Eduardo dos au moment de la mise sous presse, le moins, que nous puissions avancer Santos en Angola ; les luttes et les mo- gouvernement d’Ethiopie a renoncé, dans cette direction. bilisations au Congo et au Soudan ; les suite aux mobilisations des masses, L’éditeur Correo Internacional est la publication centrale de la Ligue Internationale des Travailleurs - Quatrième Internationale. Cette traduction fut réalisée par sa section belge, la Ligue Communiste des Travailleurs. https://litci.org/es/ www.lct-cwb.be lct.cwb@gmail.com www.facebook.com/LigueCommunisteDesTravailleurs 5€ Ed. resp. selon la législation belge : J.Talpe - rue de l’Elan 73 - 1170 Bxl.
Histoire Le partage de l’Afrique Lénine définissait l’impérialisme dans son essence comme l’existence du « capitalisme monopolistique », résultat de la fusion du capital industriel et du capital bancaire, qui génère du capital financier.1 Americo Gomes « L’ère de la possession premières bon marché et des terres à Cela fait que ces conquêtes colo- monopolistique des colonies » bas prix. niales ne pouvaient qu’être menées Ce capital monopolistique exige une L’afflux de plus-value se maintient de manière de plus en plus violente. politique coloniale. Dans la mesure où sous la forme d’intérêts sur les prêts Parce que dans la mesure où les grands le capital financier doit se battre « pour accordés aux gouvernements fantoches groupes monopolistiques luttent entre les sources de matières premières, sur le continent, et de bénéfices des eux pour l’appropriation de la plus- pour l’exportation de capitaux, pour sociétés multinationales opérant en value créée à l’échelle mondiale, ils les «sphères d’influence», c’est-à-dire Afrique. Pour cela, le contrôle mono- génèrent une nouvelle division inter- les sphères des transactions lucratives, polistique de ces pays plus pauvres est nationale du travail, transformant les des concessions, des profits monopolis- nécessaire, les Etats impérialistes ga- économies « nationales » en parties tiques, etc. , et, enfin, pour le territoire rantissant la répression militaire. d’un processus gigantesque qui s’étend économique en général ».2 Autrement Dans le cas spécifique de la conquête à toute la planète, dans un conflit qui dit, il a besoin de colonies pour assurer des « colonies des puissances euro- ne peut être résolu que par des luttes le monopole des matières premières et péennes en Afrique », Lénine distingue sanglantes, engendrant des guerres du marché intérieur. ce que fut cette politique jusqu’en 1876 impérialistes, la militarisation de l’éco- Le « capital excédentaire » des pays (dite « conquête libre » de territoires) de nomie et la course aux armements. Une impérialistes, résultat de l’appropria- celle qui a lieu à partir de 1900 (« quand époque de guerre et de révolutions.4 tion de la plus-value dans leurs pays, le monde entier était déjà partagé »), et il Le nouveau partage de l’Afrique, rencontre des obstacles à sa croissance caractérise cette dernière comme « l’ère qui s’est matérialisé vers la fin du 19e (parmi eux, la pauvreté du prolétariat et de la possession monopolistique des co- siècle et le début du 20e, se combine les tarifs douaniers protectionnistes en lonies ». La lutte pour le nouveau par- avec la formation de monopoles capi- Europe), créant donc le besoin « d’ex- tage du monde, basée sur « la tendance talistes internationaux ; l’exportation portation de ce capital » à la recherche à la domination, au lieu de la tendance à de capitaux de la métropole (au lieu de d’un endroit plus « lucratif ». Ils vont la liberté » et l’exploitation conséquente matières premières), et l’importation à à l’étranger, dans les pays considérés « d’un nombre croissant de petites ou grande échelle de matières premières. comme sous-développés, avec peu de faibles nations par une poignée de na- La Conférence de Berlin (1884-1885) fut capitaux, de bas salaires, des matières tions très riches ou très fortes ».3 son plus grand symbole.5 Représentation actuelle de soldats anglais dans la guerre contre les Zoulous. Courrier International 2 N° 19 �������������� / Mars 2018
Histoire Cependant, comme Lénine le pré- et l’Ouganda furent voyait, ces accords impérialistes étaient conquis), le protectorat soumis au rapport de forces entre ces du Nigeria fut formé et groupes qui, une fois modifié, provo- Sierra Leone et la Côte querait de nouvelles luttes pour un de l’Or furent également nouveau partage des marchés. Ainsi, la dominées. En 1877, les situation devient instable et source de Britanniques annexent la constants conflits. République d’Afrique du Sud, battent les Zoulous Le partage de l’Afrique en 1879 et les Boers en L’Afrique était considérée comme un 1902, et annexent les ré- marché ouvert à la production impéria- publiques indépendantes liste excédentaire, fournissant une ma- de l’Etat libre d’Orange. tière première abondante et possédant En 1882, le Royaume-Uni une main-d’œuvre bon marché, et par- Dans son livre L’impérialisme, phase exerçait le contrôle administratif fois gratuite. suprême du capitalisme, Lénine analyse le pro- de l’Egypte par l’intermédiaire Jusqu’au 19e siècle, les puissances cessus qui conduit à la colonisation africaine. de ses forces militaires, et il le européennes étaient présentes sur la déclare protectorat en 1914. côte (à peine 10 % du continent). La n’étaient pas revendiquées : le Liberia, Les Français avaient perdu le Canada traite d’esclaves et le flux commer- occupé par les rapatriés afro-améri- et l’Inde au profit des Anglais. Pour com- cial avec l’Asie et l’Orient étaient les cains (en fait, une dépendance des penser cela, ils conquirent l’Algérie en principaux objectifs. Plusieurs puis- Etats-Unis) et l’Ethiopie, qui maintint 1830 ; annexèrent la Tunisie en 1881 et sances européennes étaient présentes son indépendance après avoir battu les la Guinée en 1884 et entrèrent dans une sur le territoire africain : la France, la Italiens en 1896. partie du Congo et du Sénégal en 1885. Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne et Après la Première Guerre mondiale, En 1912, ils s’installèrent au Maroc, avec le Portugal. La Grande-Bretagne et la il y eut une nouvelle répartition du bu- l’accord de la Grande-Bretagne, malgré France ont alors demandé à Bismarck tin, avec le partage du territoire qui l’opposition allemande, tandis que l’Ita- d’organiser une Conférence pour conso- était sous la domination allemande : lie occupait la Libye. lider un nouveau partage du continent. le Togo et le Cameroun furent cédés à Les Belges formèrent l’Etat libre du Ces puissances européennes, plus la France, la Tanzanie à l’Angleterre, le Congo, plus précisément en tant que les Etats-Unis, se sont réunies pour ga- Rwanda à la Belgique, et la Namibie à propriété de leur roi, Léopold II. Cela si- rantir leurs « sphères d’influence » et l’Afrique du Sud. gnifia la conquête d’environ 2,3 millions établir des mécanismes pour la création de km², soit 75 fois la superficie de la Capital financier et exportation de de territoires. Elles ont établi qu’aucune Belgique. Léopold augmenta sa fortune matières premières nation ne revendiquerait de territoire personnelle basée sur l’exploitation du Avec le partage de l’Afrique, les pro- africain sans d’abord notifier ses in- latex, de l’ivoire et des minéraux. Son priétaires de capitaux financiers comme tentions aux autres pays impliqués et règne se caractérisa par la cruauté et la Morgan et Rockefeller des Etats-Unis, qu’aucun territoire ne devrait être re- terreur, avec des travaux forcés et des Rothschild de l’Europe ; Oppenheimer vendiqué sans être d’abord occupé. châtiments sanglants : comme la coupe de l’Allemagne et l’Afrique du Sud, et « Telles seraient les conditions pour que de mains et de tête (dans l’Etat libre du Schneider de la France sautèrent sur le les annexions soient reconnues. »6 Un Congo, les têtes et les corps des villa- continent comme des hyènes affamées. accord entre bandits impérialistes se geois étaient accrochés aux clôtures, Bethlehem Steel et Standard Oil des répartissant le butin de leurs vols. comme un avertissement aux autres Rockefeller, et Morgan Guaranty Trust, Le « partage de l’Afrique », comme sur ce qui arrivait à ceux qui n’avaient associé à US Steel et General Eletric, fut appelée la conférence de Berlin, pas atteint leur quota de latex),7 et les opéraient au Gabon et dans l’Union fut une tentative de résolution des assassinats en masse.8 Minière au Congo. La Banque belge différends sur l’extension du pouvoir Les Allemands bénéficièrent bien de la Société Générale dans Angola de chaque puissance coloniale, à une de cette conférence, puisqu’avant Diamond exploitait des diamants sur époque où de nouveaux pays entraient ils n’avaient pratiquement rien. un territoire d’un million de km² en par- dans la course à la conquête de colo- L’acquisition de la petite colonie du Togo tenariat avec la Diamond Corporation nies. La formule trouvée était qu’aucun et du Cameroun, en Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire et l’Angola Minerals nouveau pouvoir n’aurait de droit sur ainsi que la Namibie et la Tanzanie ont Research Company, associée au gou- un territoire à moins qu’il n’exerçât un permis à leurs industries en expansion vernement angolais. contrôle politique fort et efficace sur de disposer d’huile de palme et de pé- Les Rothschild, propriétaires de la celui-ci. En pratique, les puissances éta- trole. Un empire de 2,6 millions de km² Banque d’Angleterre et amis intimes de blissaient des protectorats formels, qui et de 14 millions d’habitants. Les ba- Lord Randolph Churchill (père du futur garantissaient des marchés libres pour teaux à vapeur établirent des lignes di- Premier ministre Winston Churchill), leur commerce. rectes entre l’Afrique et Hambourg. créèrent la Standard Bank en Afrique Entre 1873 et 1904, environ un En 1914, environ 90 % du continent du Sud et furent les principaux bailleurs tiers de l’Afrique fut annexée par l’Em- était nominalement sous contrôle de de fonds de Cecil Rhodes et de la com- pire britannique (le Soudan, le Kenya ces pays. Seules deux régions d’Afrique pagnie De Beers. Londres devint le Courrier International Le partage de l’Afrique N° 19 / Mars 2018 3
Histoire La Firestone acheta les plantations d’hévéas du Libéria pour alimenter son usine d’Akron, Ohio, puis l’usine Ford de Detroit. L’approvisionnement en matières premières a généré des profits de plusieurs millions de dollars pour l’industrie impérialiste. L’Europe a éga- lement importé du café, du cacao, des arachides, des bananes et du coton de ses colonies et exporté des machines et des produits textiles. L’exploitation minière fut la grande exploitation de l’Afrique. La Guinée fournissait du fer, de la bauxite et des diamants ; le Ghana de la bauxite ; la Côte d’Ivoire du manganèse et des dia- mants ; le Sénégal du phosphate de cal- cium et de l’aluminium ; la Mauritanie du fer ; le Togo du phosphate ; le Gabon du manganèse, de l’uranium, du pé- trole et du fer ; l’Angola du pétrole, des diamants, du manganèse et du minerai de fer ; la Sierra Leone du mi- nerai de fer ; le Congo des diamants, du cuivre et de l’étain ; la Rhodésie du Empires coloniaux en Afrique Nord du cuivre, du zinc et du manga- après la Conférence de Berlin nèse ; la Rhodésie du Sud du carbone, en 1884. du chrome et de l’amiante. L’Afrique du Sud est encore aujourd’hui le premier producteur mondial d’or (avec la moitié premier centre de traitement de dia- du Congo pour la Belgique ne pouvaient de la production mondiale). Elle pro- mants au monde. La City de Londres être transportées que par des sociétés duit 40 % des pierres précieuses (telles fut, jusqu’en 1939, le centre de l’écono- belges ; la France établit des droits de que les diamants), se classant troisième mie mondiale. douane très élevés pour les produits de après le Congo et le Ghana (qui produit Les banques allemandes, telles ses colonies transportés par des navires également du chrome, du plomb et de que la Deutsche Bank et la Dresdner étrangers ; les colons des colonies por- l’uranium). En 1956, l’Afrique produisait Bank, entrèrent en Afrique comme al- tugaises payaient des prix exorbitants 96 % des diamants du monde ; 69 % du liées des trusts Mannesman, Krupp, pour les produits importés ; les Anglais cobalt ; 63 % de l’or ; 15 % d’étain ; 37 % Bayer, Hoechst et Siemens. Français imposaient des droits de douane éle- de manganèse ; 32 % du phosphate ; et Belges étaient ensemble dans la vés pour les exportations japonaises et 24 % de cuivre ; 4 % du minerai de fer et Société Générale, agissant en Afrique américaines vers leurs colonies. Avec de la bauxite ; 66 % du cacao ; 26 % de française et au Congo. La Banco di leurs appareils de répression – l’armée, l’arachide et 14 % du café. Roma et la Banco di Napoli étaient ac- la police, les groupes paramilitaires et Cecil Rhodes et la conquête tives en Libye, et la Banco Ultramarino les tribunaux –, ils garantissaient l’ex- Les rois de l’exploitation minière dans les colonies portugaises. En 1905, ploitation capitaliste / impérialiste de dans le monde sont actuellement les les Allemands fondèrent la Banque alle- l’Afrique, baignée dans le sang de ceux Oppenheimer et les Morgans, qui, en mande de l’Afrique de l’Est en Tanzanie.9 qui résistèrent. plus de leurs banques, possèdent l’Anglo En 1901, la Banque du Sénégal de- William Lever, qui a mis en place American Corporation, Consolidated vint la Banque de l’Afrique Ocidentale le complexe industriel d’Unilever, Gold Fields South Africa Ltd., et des di- (BAO), ayant des liens avec la puissante commença par produire du savon à zaines d’autres sociétés. Avec la Central Banque d’Indochine.10 Liverpool en 1902. Il obtint des Belges Selling Organization (maintenant Après la Première Guerre mondiale, des concessions de terres en grande Diamond Trading Co), ils ont le contrôle les Anglais et les Français obtinrent quantité au Congo, pour la culture de la exclusif du marché mondial du diamant pratiquement le monopole absolu du palme. En 1910, il acheta une usine au et 85 % de sa production. Ils sont liés à système bancaire africain à travers les Nigeria, puis d’autres en Sierra Leone et Imperial Chemical Industries (ICI) (asso- banques National & Gridlays, Standard au Libéria. Il absorba ses deux concur- cié à l’IE de Dupont) et IG Farben dans Bank et Barclays. rents, l’African et l’Estern, et forma la l’industrie chimique et dans l’industrie Les administrations coloniales garan- United Africa Company (UAC), monopo- militaire. En Afrique du Sud, la African tirent à leurs impérialismes un mono- lisant l’ensemble du secteur. Explosives a pratiquement le monopole pole sur leurs territoires. Les cargaisons de la vente d’explosifs sur le continent. Courrier International 4 N° 19 �������������� / Mars 2018
Histoire Dans les années 1920, ils achetèrent million de km² de terres sud-africaines la société de la figure de proue de l’im- furent volés.11 périalisme en Afrique, Cecil Rhodes, Ayant obtenu des concessions frau- fondateur de De Beer Consolitad Mines. duleuses des rois tribaux, Rhodes et En 1888, Rhodes a construit avec les son partenaire Charles Rudd obtin- Rothschild un monopole mondial de rent l’accord du gouvernement britan- l’industrie du diamant. Il a commencé nique pour monter leur compagnie, la ses conquêtes dans les champs de British South Africa Company (BSAC), diamants de Kimberley, en Afrique du qui gouvernait et assurait la police de Sud, et s’est unifié avec la Compagnie toute la région, de la rivière Limpopo Française et avec la Compagnie aux Grands Lacs de l’Afrique australe. Il Centrale de Kimberley. fonda sur ces territoires la colonie de la Il est responsable du plus grand gé- Rhodésie du Sud (le Zimbabwe actuel) nocide de Noirs : on estime que 60 000 et la Rhodésie du Nord (la Zambie). Il Africains ont été tués. Il avait son ar- enfonça un coin entre les colonies por- Le Britannique Cecil Rhodes était un mée paramilitaire privée, la British tugaises de l’Angola et du Mozambique. symbole de la colonisation impérialiste South Africa Police (BSAP), qui procéda Il en vint à dominer un territoire de de l’Afrique. à des assassinats systématiques à par- 1 million de km². Seul le surpassa en tir de 1889. Dans la guerre contre les cruauté le roi Léopold II, qui décapita le racisme est au service de l’exploita- Metabeles, en Rhodésie, il a tué plus de le roi Msiri pour obtenir les concessions tion capitaliste parce qu’il contribue à 1500 personnes en une seule bataille, du royaume Yeke au Katanga, et incor- maintenir un régime de travail discri- avec sa principale arme, la mitrailleuse pora le territoire au Congo. minatoire qui réduit le coût de la main- Maxim 0.45 (qui tirait 500 projectiles par Ce faisant, il contrecarra le rêve bri- d’œuvre et augmente ainsi les profits. minute). tannique de tracer une ligne rouge sur En Afrique, la préconception impé- Il fut premier ministre de la Colonie du la carte, « du Cap au Caire », avec une rialiste raciste était la base idéologique Cap entre 1890 et 1896, et durant cette ligne de chemin de fer pour garantir la pour que, jusqu’à aujourd’hui, la majo- période, il établit le Glen Grey Act, qui répression militaire dans tous les do- rité des Noirs n’aient pas un salaire égal visait à expulser les Noirs de leurs terres maines (tout comme la France rêvait aux Blancs, ni du travail technique, de pour qu’ils aillent travailler en ville ; de relier ses colonies d’ouest en est, et la terre fertile, de l’éducation, et soient la Loi des Seigneurs et des Serviteurs les Portugais avaient leur carte rose). forcés de vivre dans de grandes favelas (1890), qui a réintroduit la pratique de La Belgique et l’Allemagne furent les sans assistance sociale ni santé et hy- la torture pour les travailleurs noirs ; principaux obstacles, jusqu’à ce que le giène de base, assurant ainsi une force la Loi Franchise and Ballot de 1892, qui Royaume-Uni prenne le Tanganika (au- de travail bon marché et en grande élimina effectivement les droits de vote jourd’hui la Tanzanie) aux Allemands, quantité dans les fermes et les mines. des Africains. Il légalisa l’acquisition il- après leur défaite dans la Première L’un des éléments fondamentaux fut légale et illégitime de terres par la force Guerre mondiale. l’expropriation de la terre des autoch- armée, sur base de laquelle environ 1,5 Rhodes voulait aussi que le tones. Les colons blancs produisaient Protectorat du Bechuanaland (le ainsi sur ces terres et exploitaient la Botswana actuel) rejoigne la BSAC. Mais main-d’œuvre noire. En Afrique du Les banques et les entreprises in- les rois tribaux de cette région voyagè- Sud et en Rhodésie, il fut interdit aux dustrielles de l’impérialisme ont été les rent en Grande-Bretagne et convain- Noirs de planter sur leurs terres à des grands bénéficiaires de la colonisation quirent le gouvernement de les lais- fins commerciales ; dans les régions africaine et du pillage des ressources ser sous le girond du British Colonial du Congo, il était interdit aux Noirs de naturelles. Office (BCO). Les dénonciations contre chasser ; et en Afrique-Orientale an- Sur la photo, William Lever, fondateur Rhodes amenèrent également à ce que glaise, ils étaient obligés de planter ex- de la société Unilever. le BCO continue à administrer l’Afrique clusivement du coton et des arachides. Centrale Britannique (le Malawi actuel). En 1923, les autorités britanniques Rhodes, idéologue de l’apartheid appliquèrent sur leurs territoires le sud-africain, apologiste de l’impéria- « Native Autority Ordenance » instituant lisme anglo-saxon et raciste invétéré, le travail forcé sur le chemin de fer et écrivit qu’il aidait la race blanche dans les routes. Au Nigeria, les propriétaires le développement du monde : « Nous des entreprises d’étain ont bénéficié du sommes la première race au monde, et travail forcé, tout comme les grandes plus grande est la portion du monde où entreprises du bois au Gabon et en Côte nous habitons, mieux ce sera pour la d’Ivoire. Les Français ont fait de même race humaine. » en Afrique équatoriale et au Soudan français. Lors de la construction de Racisme et exploitation la ligne de chemin de fer au Congo Le racisme était fondamental pour Brazzaville, en 1921, on estime que 25 % l’exploitation brutale du travail des des 10 000 « volontaires » sont morts peuples de l’Afrique noire. En général, de faim et de maladies. Les Portugais Courrier International Le partage de l’Afrique N° 19 / Mars 2018 5
Histoire étaient les principaux fournisseurs de assument aujourd’hui le rôle de cer- comme les Zoulous, les Matabeles), les la traite des esclaves et de l’exploita- taines nations européennes, avec un in- Mashonas, le royaume du Niger, la prin- tion forcée dans leurs colonies, mais ils vestissement croissant dans l’industrie cipauté de Kano, les Fulanis, les Dinkas, ont également envoyé beaucoup d’in- extractive et des institutions financières les Maasaïs, les Soudanais et les habi- digènes dans les mines de l’Afrique du associées aux banques françaises et tants du Bénin. Sud. belges qui dominent encore dans leurs Les frontières modernes du conti- anciens territoires. La City a cédé la nent furent artificiellement créées : Conséquences place à Wall Street. elles reflétaient les intérêts étrangers L’exploitation de l’Afrique a contri- L’Afrique est un continent riche en et non l’histoire des peuples et des na- bué au processus de concentration de matières premières, exploité par les tions africaines. Près d’un millier de capitaux de l’impérialisme, dominé puissances impérialistes à travers des royaumes tribaux furent transformés par des monopoles dans diverses acti- groupes multinationaux liés à des gou- en un peu plus de 50 Etats « indépen- vités. Ils prenaient la matière première vernements africains corrompus et qui dants ». C’était un processus qui ne te- et amenaient des produits manufactu- ont engendré des bourgeoisies noires nait pas compte des vraies bases eth- rés. Ils n’étaient pas intéressés par un parasitaires totalement dépendantes niques et géographiques et qui, dans de développement industriel et subordon- de ces puissances. nombreux cas, a conduit à la construc- naient la croissance économique aux L’utilisation de la force militaire tion de certains pays économiquement intérêts des pays impérialistes. Même pour établir et maintenir le contrôle invivables. La division des groupes eth- les activités industrielles et artisanales fut constante et sanglante. Le navire à niques dans différents Etats a entravé la précoloniales furent détruites. Ils ont vapeur, les chemins de fer et, particuliè- lutte de libération nationale et a génère réalisé les projets économiques qui les rement, les mitrailleuses étaient fonda- des conflits jusqu’à aujourd’hui. intéressaient, tels que la construction mentaux pour la conquête du continent. Le modèle d’Etat européen a été de ports, de routes et de voies ferrées, Les gouvernements coloniaux étaient la copié sur le plan organisationnel et pour le transport de ces productions. La police au service des consortiums ban- institutionnel, sans avoir rien à voir spécialisation dans l’industrie extrac- caires et industriels impérialistes. avec la tradition africaine, dans le tive axée sur l’exportation a pratique- Des trésors culturels furent volés, but de construire une bureaucratie ment mis fin au commerce interafricain. emmenés en Europe et vendus aux en- et une bourgeoisie despotique et ré- Les zones où ces ressources étaient ab- chères pour compenser les coûts des pressive, courroie de transmission de sentes furent totalement négligées. expéditions. Les chefs tribaux étaient l’impérialisme. Même aujourd’hui, les monopoles subjugués, trompés ou tués, d’autres L’exploitation est toujours brutale, contrôlent environ 80 % du volume du se vendirent directement aux coloni- au service des capitaux impérialistes. commerce en Afrique. Les Etats-Unis sateurs ; les tribus furent décimées, Il suffit de citer un exemple : Glencore, Les guerriers zoulous ont combattu les forces britanniques avec héroïsme, mais ils ont été vaincus. Courrier International 6 N° 19 �������������� / Mars 2018
Histoire Actuellement, la société Glencore Notes est l’une des plus 1 V.I. Lénine, L’impérialisme, phase su- importantes dans prême du capitalisme, Chap. 10 : La place l’exploitation des de l’impérialisme dans l’histoire. 2 Ibidem 3 Ibidem 4 Ibidem minerais stratégiques 5 Ce n’est pas la seule : des accords bilaté- en Afrique. raux et autres conférences eurent lieu, comme en 1904 entre la France et le Royaume-Uni (l’Entente cordiale) ou la extrême. 10 % des enfants Conférence d’Algésiras, où la France per- au Congo meurent avant dit le Maroc mais fut récompensée par d’avoir atteint l’âge de 5 d’autres territoires. une société minière basée en Suisse ans, et plus de 40 % ont 6 Niall Ferguson, Império, como os et active au Congo, exploite le cobalt des retards de croissance en raison de Britânicos fizeram o mundo moderno, la malnutrition. Planeta, 2010. (comme sous-produit de l’extraction du La colonisation africaine fut une 7 Adam Hochschild, Fantasma do rei cuivre et du nickel), un minerai dont le Leopoldo (1999)., Companhia das Letras. prix a doublé parce qu’il est essentiel source de développement pour l’im- 8 Walter Rodneu, Como a Europa subde- dans la production de la nouvelle gé- périalisme européen, qui imposa à cet senvolveu a Africa. Seara Nova, p. 225. nération de voitures électriques et de effet le travail forcé, le flux migratoire 9 Ibidem, p.230 téléphones portables. Ce produit est avec le déplacement des populations 10 Ibidem, p.233 consommé par des entreprises comme (ce qui démantelait les cultures et les 11 We don’t want to erase Cecil Rhodes from Apple, BMW, Toyota, Fiat, Chrysler, économies précoloniales), les cultures history. We want everyone to know his General Motors, HP, Microsoft et Sony obligatoires, l’appropriation forcée de crimes.”. http ://www.telegraph.co.uk/ed- terres, le taux élevé de la mortalité dans ucation/ universityeducation/12064939/ (on estime que la demande sera multi- les mines et les plantations, la brutalité Wedont- want-to-erase-Cecil-Rhodes- pliée par 47 d’ici 2030). Selon Amnesty from- history. International, cette entreprise exploite contre les mouvements de résistance et 40 000 enfants qui gagnent entre 1 et de protestation. 2 dollars par jour. Ils travaillent sans Il ne fait aucun doute que la tâche matériels de protection et souffrent par principale de la classe ouvrière afri- conséquent de maladies pulmonaires caine est d’expulser définitivement les et cutanées ; en outre, ils portent des puissances impérialistes et leurs entre- sacs pesant entre 20 et 40 kilos. Une prises du continent, en tant que partie démonstration de la méthode d’utilisa- indissoluble de la révolution socialiste tion de la force de travail locale, à faible en Afrique. Cela ne se fera qu’avec la coût. méthode de lutte de la classe ouvrière, Entre 1900 et 1990, la population dirigée contre l’impérialisme, mais africaine est passée de 100 millions à également contre la nouvelle bour- 500 millions d’habitants. Selon les don- geoisie africaine et ses gouvernements nées de l’ONU, plus des deux tiers de fantoches, en rompant avec tous les la population de l’Afrique noire vivent dirigeants réformistes et nationalistes, dans des conditions de pauvreté et qui ne posent pas ces tâches comme 40 % dans des conditions de pauvreté essentielles. Bibliographie • Boukharine, Nikolai, L’impérialisme et l’économie mondiale, 1915. (Lénine a écrit une introduction à ce livre en décembre 1915, en soutenant son analyse principale.) • Chaliand, Gerard. L’enjeu africain. Géostratégies des puissances, Paris, Seuil, 1980, 157 p • Dumont, René. Démocratie pour l’Afrique. La longue marche de l’Afrique noire vers la liberté avec Charlotte Paquet, 1991 (Le Seuil, Paris, coll. « L’Histoire immédiate ») • Ferguson, Niall. Empire : How Britain Made the Modern World, Allen Lane. • Guerra, Henrique. Angola. Estrutura Económica e Classes Sociais. União dos Escritores Angolanos, 1988. • Jones, Cr ; Trotsky, León ; Breitman, George. A Revolução e o Negro, Editions Iskra, 2015. • Lénine, V. I. L’impérialisme, phase suprême du capitalisme, 1916, • N’krumah, Kwame. Le néo-colonialisme : Dernier stade de l’impérialisme, Paris, Editions Présence Africaine, « Le panafrica- nisme »,, 268 p 1967 • Rodney, Walter. How Europe Underdeveloped Afric a (1972) • Shawki, Ahmed. Libertação Negra e Socialismo. Editora Sundermann, 2017. • Trotsky, León. “Teses sul-africanas ». • Woodis, Jack. África, as Raízes da Revolta. Edipe. Courrier International Le partage de l’Afrique N° 19 / Mars 2018 7
Actualité Le nouveau rôle de la Chine en Afrique Alejandro Iturbe Dans d’autres articles de cette revue, il est fait référence au rôle du gouvernement chinois dans les pro- cessus politiques de plusieurs pays africains : quelle est la signification de cette influence ? Dans la seconde moitié du 20e siècle, (pour la construction d’infrastructures, autorités de Beijing (alias Pékin), et après la transformation de la Chine en d’écoles et d’hôpitaux). En 2010, les plusieurs autres régimes dictatoriaux Etat ouvrier en 1949/50, celle-ci et le échanges avec ce continent atteignirent africains bourgeois survivent grâce au maoïsme ont toujours été présents en 210 milliards. soutien chinois. Afrique, à cette époque à travers le sou- Voyons quelques exemples. Au Quel genre de pays est la Chine tien de certains mouvements de libéra- Nigeria, en échange du droit préfé- d’aujourd’hui ? tion et, depuis 1962, dans une dispute rentiel sur les ventes aux enchères Tous ces éléments semblent don- d’influence avec la bureaucratie de de pétrole, les investissements et les ner raison à ceux qui prétendent que l’URSS. Ce fut le cas du FNLA en Angola projets s’accumulent pour atteindre la Chine est aujourd’hui la « puissance ou de la ZANU au Zimbabwe. Un soutien 21 milliards d’euros ; en Ethiopie et en émergente » du monde ou, en langage et une influence qui se poursuivaient Algérie, les investissements arrivent à marxiste, un pays impérialiste ou, du alors, si ces mouvements prenaient le 15 milliards pour chacun, et en Angola moins, sous-impérialiste (comme l’af- pouvoir. et en Afrique du Sud à 10 milliards. firment plusieurs secteurs de la gauche Malgré la dispute interbureaucra- Dans certains pays plus petits ou moins mondiale). tique avec le Kremlin, la politique du développés, tels que le Zimbabwe, la Depuis de nombreuses années, cette maoïsme était fondamentalement la Guinée Equatoriale, la Mauritanie et la caractérisation est pour nous contro- même que celle du stalinisme clas- Zambie, les chiffres sont inférieurs (au- versée. Les limites de cet article nous sique : que ces organisations fassent tour de 4 milliards), mais très significa- empêchent d’aborder ce problème avec des alliances de classe avec la bour- tifs par rapport au PIB de ces pays. Avec la profondeur qu’il mérite2. Mais voici geoisie et ne dépassent pas les limites l’Angola, la Chine a conclu un accord une brève synthèse de notre analyse. des exigences démocratiques. Et si elles pour « exporter » 250 000 travailleurs Dans nos articles, nous définissons arrivaient au pouvoir, le stalinisme et le chinois (dans des conditions de semi- la Chine comme un pays capitaliste maoïsme étaient également d’accord : esclavage) afin d’aider à « moderniser » dépendant atypique. Elle est capita- garder le pays dans le cadre du capita- le pays. En retour, le gouvernement de liste parce que l’économie fonctionne lisme et construire des régimes répres- Luanda importe de la Chine tout le ma- sur base de la recherche du profit par sifs de parti unique. tériel nécessaire à la construction de les entreprises, dont la base fondamen- Aujourd’hui, la Chine profite des « es- routes et d’infrastructures de base. tale est la plus-value extraite aux tra- paces vides » laissés par les puissances A la suite de cette avancée dans la vailleurs chinois dans la production. impérialistes et elle a considérablement pénétration économique, l’influence Il est dépendant parce que les deux étendu son influence économique et politique du gouvernement chinois éléments de son modèle d’accumula- politique en Afrique noire. Elle ne le fait se développe. Au Zimbabwe, la clique tion (les investissements et les expor- toutefois plus en tant qu’Etat ouvrier, bourgeoise-étatique qui a forcé la dé- tations) sont contrôlés par les capitaux mais en tant qu’Etat capitaliste.1 mission du vétéran Robert Mugabe a impérialistes. Mais nous affirmons qu’il d’abord « demandé la permission » aux Les investissements chinois En 2015, l’International Busssines Times estimait que la Chine avait alloué 150 milliards de dollars à l’Afrique au cours des cinq dernières années, le tout réparti entre inves- tissements directs, prêts et accords de coopération Le Premier ministre chinois, Xi Jinping, et l’ancien président zimbabwéen, Robert Mugabe Courrier International 8 N° 19 �������������� / Mars 2018
Actualité s’agit d’une dépendance atypique (qui façon semblable à celle des entreprises les travailleurs. De l’autre, à la suite de la différencie d’autres pays ayant ces impérialistes) : elles exploitent les tra- ce qui précède et pour maintenir cette caractéristiques) pour deux raisons. La vailleurs et extraient la plus-value de situation, la Chine appuie et soutient première est qu’il y a une planification leurs investissements à l’étranger ; des dictatures bourgeoises sanglantes. économique centralisée par le gouver- elles pillent les ressources naturelles Il ne fait donc aucun doute que nous nement (une sorte d’« héritage » de et envoient une grande partie de leurs nous mettons du côté des travailleurs l’époque de l’Etat ouvrier), avec des bénéfices à la société mère. Mais il est et des peuples de ces pays africains, outils politiques et monétaires solides nécessaire de situer cette réalité dans contre cette influence de la Chine. Pour pour influencer l’économie. le contexte de l’ensemble du pays d’ori- une véritable libération nationale de La deuxième, un aspect spécifique gine. Nous devons analyser si cette ces pays, il faut, en plus de l’expropria- de la première, est que le marché mo- plus-value obtenue à l’étranger est l’axe tion des entreprises des puissances nétaire et financier chinois est contrôlé principal, autour duquel tourne l’éco- impérialistes, exproprier également les de manière centralisée par la Banque nomie du pays, ou si elle ne représente, entreprises chinoises et renverser, par populaire de Chine (la banque centrale) au contraire, qu’un élément contradic- la lutte des travailleurs et du peuple, les et dispose d’une très large base propre, toire (et privilégié) dans un processus gouvernements bourgeois que les deux fondée sur les importantes réserves général dans lequel ce pays livre la (les pays impérialistes et la Chine) sou- de change, accumulées par les larges majorité de la plus-value acquise aux tiennent et défendent. soldes favorables de la balance com- pays centraux, par le biais de différents merciale. Il y a, oui, des banques privées mécanismes. Notes nationales et étrangères, mais elles ont Le cas de la Chine est très complexe 1 Le capitalisme a été restauré en Chine à un poids secondaire et minoritaire. en raison du volume de capital dis- partir de 1979, avec le gouvernement de ponible pour l’Etat et la bourgeoisie Deng Xiao Ping. Un trait impérialiste dans des pays 2 Pour ceux qui souhaitent approfondir chinoise (et de la taille des investisse- qui ne le sont pas cette question, nous renvoyons aux ar- ments qu’ils réalisent à l’étranger), ainsi ticles de Martín Hernández, China, mito Ces importantes réserves moné- que de l’autonomie financière relative y realidad, dans la revue Marxismo Vivo taires permettent à l’Etat chinois et aux à laquelle nous nous sommes référés. n°2 (janvier 2001), et d’Alejandro Iturbe, entreprises d’Etat de ce pays d’avoir Mais le modèle économique chinois ne Certezas e interrogantes que plantea la divers fonds d’investissement et des tourne pas autour de la plus-value ob- crisis económica en China, en https://litci. investissements directs dans d’autres org/es/menu/mundo/asia/china/certe- tenue à l’étranger. Au contraire, il donne pays, de posséder des entreprises à zas-e-interrogantes-que-plantea-la-cri- la plus grande partie de cette plus-va- l’étranger, de conclure des accords avec sis-economica-en-china/ lue, et celle extraite dans le pays, au ca- les gouvernements, etc. Le chiffre a aug- 3 Données extraites de l’article Quelles en- pital financier impérialiste. menté au cours de la dernière décennie. treprises la Chine possède-t-elle dans le Si nous analysons les investisse- monde ? de Richard Anderson, analyste En 2013, il atteignait 140 milliards de ments chinois réalisés, nous consta- économique à la BBC. dollars.3 Comme nous l’avons vu, une tons que la plupart d’entre eux visent à partie fut dirigée vers l’Afrique. maintenir les réserves monétaires ou à La définition de la Chine comme im- garantir la fourniture et le transport des périaliste ou sous-impérialiste est ba- matières premières et de la nourriture sée sur le raisonnement suivant : Lénine importées. Secondairement, le pays a défini que la caractéristique centrale cherche à remédier un peu à la surpro- de l’impérialisme est l’exportation de duction d’acier, de construction civile capital financier. Donc, les pays qui ont et de produits mécaniques existante des entreprises qui le font (et extraient dans le pays. Ces investissements sont donc la plus-value d’autres pays) ac- subsidiaires et subordonnés au modèle quièrent un caractère impérialiste. d’accumulation dans son ensemble, Nous pensons que cette caractéri- et ils sont au service de ce modèle. Ils sation est erronée, car elle part de l’ab- servent donc, en dernière instance, à solutisation d’un élément (l’existence garantir la plus-value à l’impérialisme. d’entreprises exportatrices de capitaux) pour définir mécaniquement le carac- Conséquences politiques tère global de ce pays et sa localisation Le fait que nous menons ce débat – dans la « hiérarchie internationale ». nécessaire du point de vue d’une ana- Si nous y regardons de plus près, nous lyse marxiste sérieuse – ne signifie pas constatons qu’au stade actuel du déve- que nous ne soyons pas conscients du loppement du capitalisme, il y a même rôle globalement négatif de l’Etat et des des entreprises de ce type dans des entreprises chinois en Afrique noire. pays que personne ne peut qualifier D’une part, nous l’avons vu, ils pillent d’impérialistes (Argentine, Chili, Pérou, les ressources naturelles et exploitent Venezuela, etc.). Il est vrai que ces entreprises agis- sent comme des multinationales (de Siège de l’ICBC (Industrial & Comercial Bank of China) à Buenos Aires (Argentine). Courrier International Le nouveau rôle de la Chine en Afrique N° 19 / Mars 2018 9
Histoire Les révolutions et l’indépendance Jose Moreno Pau « Avant d’être des Américains, des Anglais, des Français, des Belges, nous sommes des Noirs, nous sommes des Africains. On nous le fait bien sentir par les faveurs et les privilèges que les Caucasiens (ou les Blancs) se taillent à nos dépens. Ils sont vraiment cocasses, ces tartuffes qui nous apprennent à mourir pour leur patrie pendant qu’ils ruinent la nôtre. Nous n’avons que faire d’ânonner sans cesse « nos ancêtres les Gaulois ». Nous n’avons aucune prétention à être de la race aryenne, la race à rien, comme disait un blagueur. Nous avons une terre, un continent, une patrie : l’Afrique. » Ce discours fut prononcé par Kojo (Sénégal) et au Nigeria, qui fu- Tovalou Houénou au congrès de rent persécutées par les autorités l’UNIA (Universal Negro Improvement coloniales. Association) à Harlem, New York, en Un autre dirigeant afro-amé- août 1924. ricain important, également l’un L’éveil de la « conscience noire » est des fondateurs du panafrica- un processus qui débute avec les pre- nisme, fut W.E.B. Du Bois, qui par- mières résistances à l’esclavage et les ticipa à la première conférence révoltes d’esclaves en Amérique. Les panafricaniste à Londres en 1900. Le Jamaïcain Marcus Garvey fut l’un des palenques, les quilombos, comme celui Son organisateur, Sylvester Williams, précurseurs de l’africanisme et ses idées de Palmares au Brésil, seront rappe- avait rencontré, à l’école de Trinidad, le ont influencé de nombreux intellectuels lés plus tard par les leaders de l’indé- fils du roi africain Ashanti (du Ghana ac- noirs de l’époque.. pendance africaine. Mais le principal tuel), déporté sur l’île par les autorités exemple américain pour l’Afrique fut britanniques. La conférence fut conçue comme le Gabon. Diagne, au Sénégal, celui de Haïti, la première République pour rassembler des leaders noirs et et Du Bois, aux Etats-Unis, soutinrent noire, qui a littéralement acquis son des intellectuels, comme le meilleur le recrutement de troupes noires. En indépendance par le feu et le sang en moyen de lutter contre le racisme, et même temps, Du Bois soutenait qu’il 1804, après avoir vaincu les troupes Du Bois en rédigea le manifeste. Après n’y aurait pas de paix durable sans li- françaises de Napoléon. La violence de la conférence, le groupe participant prit bertés démocratiques pour les Noirs. la révolution haïtienne a donné lieu à la le nom d’Association Panafricaine, et La Première Guerre mondiale montrera politique de rapatriement des esclaves comptait initialement 50 membres afri- aux « peuples non européens qu’ils ont vers le continent africain par les auto- cains et 150 membres non africains. le droit, et la capacité, de prendre en rités impérialistes et leurs fondations Il faudra 19 ans avant que Du Bois charge leur propre destin ».1 « philanthropiques » ainsi que par cer- ne parvienne à réunir à nouveau un Le Congrès panafricain de 1919 tains Afro-Américains comme Blyden, congrès panafricain. Entre-temps eut comptera avec Du Bois et Blaise Diagne qui soutinrent la création de colonies lieu la Première Guerre mondiale, au comme principaux animateurs. Ils n’ob- de rapatriement. cours de laquelle des troupes africaines tiendront cependant le soutien d’aucun Plus tard, en 1920, le retour en participèrent aux armées des puis- pouvoir. Deux ans plus tard, les deux Afrique fut préconisé par le leader noir sances en conflit. L’Allemagne essaya dirigeants se sépareront : le conser- étasunien d’origine jamaïcaine, Marcus de maintenir la neutralité africaine dans vateur Diagne utilisera une erreur de Garvey, qui organisa l’UNIA (la première la guerre avec l’argument que l’utilisa- traduction (« une terre commune ») organisation internationale noire). tion des troupes noires, tant en Europe comme s’il s’agissait d’une référence Dans la « Déclaration des droits des qu’en Afrique, « diminuait le prestige de à la Commune de Paris et au commu- peuples noirs du monde », l’UNIA, en la race blanche », mais les Français et les nisme (dont l’influence allait croissant) plus de promouvoir l’égalité des droits Anglais, désireux de se partager les co- pour faire approuver des résolutions et la justice sociale, exigeait la reddition lonies allemandes, ne suivirent pas ce plus modérées. de l’Afrique aux Africains : une approche conseil. En plus des enrôlements pour Un autre tournant qui marquera la cette fois pleinement anticolonialiste. intégrer les troupes, les colonies afri- conscience africaine fut l’invasion ita- Elle dénonçait en plus la Société des caines furent profondément dévalisées lienne de l’Ethiopie en 1935. Depuis Nations pour avoir refusé le droit à l’au- pour nourrir les armées et envoyer des la fin du 19e siècle, avec la victoire todétermination aux peuples africains. matières premières aux industries euro- des Ethiopiens sur les troupes ita- Le garveyisme eut une grande influence péennes. La famine qui en découla dura liennes, « l’éthiopisme » devint la réfé- en Afrique, avec des sections à Dakar jusqu’en 1925 dans certaines régions rence des aspirations noires. La prise Courrier International 10 N° 19 �������������� / Mars 2018
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