L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit

La page est créée Maryse Dupuy
 
CONTINUER À LIRE
L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit
Document generated on 09/07/2021 11:56 a.m.

Continuité

L’éveil d’une conscience
Anne Vallières and Anne-Marie Dufour

Le patrimoine au fil du siècle
Number 83, Winter 1999–2000

URI: https://id.erudit.org/iderudit/16830ac

See table of contents

Publisher(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (print)
1923-2543 (digital)

Explore this journal

Cite this document
Vallières, A. & Dufour, A.-M. (1999). L’éveil d’une conscience. Continuité, (83),
65–70.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1999                                    This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                                    (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
                                                                                    viewed online.
                                                                                    https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

                                                                                    This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                                    Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                                    Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                                    promote and disseminate research.
                                                                                    https://www.erudit.org/en/
L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit
Avis et prises de position|

                                                                                                            Le Conseil des monu-
L'ÉVEIL D'UNE CONSCIENCE                                                                                        ments et sites du
                                                                                                           Québec jette un regard
                                                                                                               sur 25 ans d'action
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » Cette                                       pour la sauvegarde
                                                                                                                   du patrimoine.
maxime de La Fontaine pourrait être celle des organismes de défense
du patrimoine. Au fil du temps, ils ont avec détermination affirmé sur
la place publique la nécessité de renouveler notre rapport aux témoins
de notre histoire. Un bilan de quelques décennies d'action patrimoniale.
                             p a r Anne Vallières et Anne-Marie Dufour

D a n s une métaphore de la mémoire, Freud affirme que «le             moine bâti émerge vigoureusement dans tout le monde occiden-
développement le plus paisible de toute ville implique des             tal à partir des années 1960.
démolitions et des reconstructions de bâtisses». Si, jusqu'à l'ère     Au Québec, de grands pas ont été accomplis dans ce domaine,
industrielle, le processus de la démolition équilibrait celui de la    mais trop souvent, encore, des pans significatifs de notre
construction, le XXe siècle est marqué par une approche urbanis-       mémoire collective disparaissent ou sont dénaturés de manière
tique qui préconise la démolition de façon radicale. Désormais,        irréversible. Des bâtiments institutionnels, industriels ou rési-
pour construire la ville, on n'hésite pas à faire place nette. C'est   dentiels dont la valeur patrimoniale est reconnue collectivement
ainsi que, par réaction, un mouvement de préservation du patri-        sont ainsi perdus à tout jamais.

1. IN MEMORIAM
 L e couvent de Montmagny,          ont été démolies à la hâte en
pourtant classé monument his-       1992. À Montréal, la maison
torique en 1982, est acquis et      Van Horne, démolie en 1973,
démoli par la municipalité          suscite une prise de conscience
                                                                              -1IW
                                                                                         Esifl                       •M'-MB?*"            '""i
quatre ans plus tard. Celui de      de la fragilité du patrimoine
la Malbaie, érigé en 1876, dis-
paraît en 1997, bien qu'il soit
inscrit dans une zone d'intérêt
patrimonial identifiée dans le
schéma d'aménagement de la
                                    devant le projet des promo-
                                    teurs: dans le sillage de cette
                                    démolition est né Sauvons
                                    Montréal. Même les sites
                                    archéologiques ne sont pas
                                                                       1                      uJtuu-H

MRC. En 1987, l'usine               épargnés. Celui de la première
Wabasso de Trois-Rivières           église de Saint-Joachim à
(construite en 1908) est rasée,     Châteauguay, un site à fort        -       —
contre la volonté de plusieurs      potentiel archéologique, a été
organismes et citoyens, pour        détruit en 1992 lors de l'agran-
faire place à un bâtiment com-      dissement du collège Héritage.     niale soit incontestable. Le       A proximité de l'Hôpital Sainte-
mercial tout à fait commun. À       Parfois, c'est leur abandon pro-   Montreal Hunt Club, construit      Justine, le Montreal Hunt Club
Hull, la maison Hammond,            longé qui a raison de bâtiments    en 1897, est aujourd'hui sur le    en 1989. Dix ans plus tard,
construite entre 1860 et 1870       très anciens. C'est le sort qui    point de s'effondrer à cause du    il est à l'agonie.
et l'une des plus anciennes de      menace la maison Gauvreau          laxisme de son propriétaire        Photo: Continuité
la ville, n'existe plus. A Saint-   de Rimouski qui, en attente        (l'Hôpital Sainte-Justine).
Constant, les maisons Bail-         d'être restaurée, subit les        Plus subtilement, mais de          patrimoniaux est parfois lié à
largeon et Camyré, toutes deux      affres du temps, bien que sa       manière tout aussi irrémédiable,   leur dénaturation. Qu'on pense
témoins de la rébellion de 1837,    valeur symbolique et patrimo-      le dépouillement des bâtiments     au déplacement des édifices

                                                                                                                                                m
                                                                                                                              numéro quatre-vingt-trois c
L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit
|Avis et prises de position

        de leur emplacement d'ori-                en Gaspésie, illustre bien            banque présente sur le site             En demeurant bien vivant, le
        gine. C'est alors toute la rela-          toute l'absurdité de cette prati-     devait être intégrée au nou-            souvenir de ces pertes et
        tion entre le bâtiment et son             que... Il existe aussi certains       veau bâtiment. Cependant, ce            d'innombrables autres devrait
        environnement qui est effacée.            subterfuges qui deviennent            que l'on aperçoit aujourd'hui           à tout le moins nous permettre
        Le cas du phare de Pointe-                extrêmement trompeurs. Par            n'est que la reconstitution des         de tirer des leçons pour
        à-la-Renommée, transporté de              exemple, lors de la récente           façades de l'édifice qui devait         l'avenir.
        son lieu d'origine à Québec,              construction du complexe de           être conservé mais qui n'existe
        puis heureusement retourné                l'ENAP, à Québec, l'ancienne          plus...

        2. LE VIEUX-PORT DE QUÉBEC
                                                                                        En 1989, des tubulures                  publique. Le rapport de ce
                                                                                        métalliques installées sur la ter-      comité est déposé en 1990 et
                                                                                        rasse en b o r d u r e du fleuve        plusieurs recommandations
                                                                                        cachent complètement la vue             vont dans le sens des demandes
                                                                                        vers la vieille ville.                  exprimées par le CMSQ. Il pré-
                                                                                        Photo: Pierre Larochelle                conise notamment de respecter
                                                                                                                                trois réalités fondamentales qui
                                                                                        A u m ê m e endroit, après le           caractérisent le site: il s'agit
                                                                                        réaménagement effectué au               d'un port de mer actif, d'un
                                                                                        d é b u t des années 1990, le pas-      lieu historique remarquable et
                                                                                        sant p e u t admirer la ville d'un      d'un lieu de détente que fré-
                                                                                        seul coup d'œil. En 1999, un            quente la population.
                                                                                        nouveau p r o j e t menace encore       Plusieurs revendications de la
                                                                                        de soustraire la ville aux              Coalition sont considérées à
                                                                                        regards.                                partir de 1991 : les structures
                                                                                        Photo : Anne Vallières                  aériennes et l'édifice du Havre
                                                                                                                                sont démolis et le risque qu'un
                                                                                        elles viennent créer une bar-           cinéma IMAX s'implante en
                                                                                        rière physique entre le quartier        bordure du bassin Louise est

                                        1} i                p        t   m    m
                                                                                        historique et le fleuve.
                                                                                        En 1988, l'imminence de la
                                                                                        cession des terrains et bâti-
                                                                                                                                écarté. Par contre, le hangar
                                                                                                                                du Vieux-Marché est toujours
                                                                                                                                en place et, en 1994, l'école
                                                                                        ments de la Pointe-à-Carcy              navale militaire s'installe le
                                                                                        à un promoteur immobilier               long des quais. Le projet
                                        — •-           '*                               incite une soixantaine d'orga-          annoncé récemment d'aména-
          /iSSSSS''            „„",."   Ml     MM! '                                    nismes à former la Coalition            ger un terminal pour les navires

               :
                          :   ~ 1   •

                                                            l    m m m
                                                                                        pour la sauvegarde du Vieux-            de croisière, avec l'érection de
                                                                                                                                passerelles aériennes, ravive les

       n '.
                                                                                        Port. L'année précédente, les
                                         —'-                     j                      projets soumis lors d'un appel          plus grandes inquiétudes...
                                                                                        d'offres lancé par les autorités        Le Vieux-Port est un lieu pu-
                                                                 1                      fédérales prévoyaient sur le            blic que deux millions de
        L a fin des années 1980 et                tés marquant le 450'' anniver-        site la construction d'au moins         personnes fréquentent annuel-
        le début des années 1990                  saire du voyage de Jacques            une tour de plusieurs étages,           lement. Il constitue une fenêtre
        auront été marqués par la lutte           Cartier en Nouvelle-France.           d'unités résidentielles et de           exceptionnelle sur le paysage
        populaire épique engagée pour             De nouveaux bâtiments sont            commerces.                              régional. Aucune vocation ne
        la sauvegarde du Vieux-Port               érigés sur la Pointe-à-Carcy, de      En 1989, la Coalition remporte          devrait réduire son accessibi-
        de Québec, lutte dans laquelle            même que des structures t i t u -     une victoire importante alors           lité, hypothéquer les perspec-
        le CMSQ a été un acteur                   laires tridimensionnelles, des        que le gouvernement fédéral             tives visuelles remarquables,
        important.                                passerelles aériennes, une tour       décrète un moratoire sur tout           ni s'opposer à sa nature
        Les premières interventions de            d'observation et une scène            projet de d é v e l o p p e m e n t .   profonde d'installation por-
        réaménagement du site débu-               extérieure. Ces interventions         Ottawa annonce la formation             tuaire et maritime.
        tent de manière hâtive au début           sont c o m p l è t e m e n t décon-   du Comité consultatif sur
        des années 1980 et s'inscrivent           nectées du tissu dans lequel          l'avenir de la Pointe-à-Carcy
        dans la préparation des festivi-          elles s'insèrent et, pire encore,     chargé de tenir une consultation

PS
0 numéro quatre-vingt-trois
L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit
Avis et prises de position!

3. PLACE-ROYALE
 D e p u i s la fondation du          pement à privilégier. Pourtant,
CMSQ en 197.5, le dossier de          lorsque de nouvelles proposi-
Place-Royale revient régulière-       tions de restauration sont dévoi-
ment à l'ordre du jour. Ce            lées en 1995, elles semblent
chantier de restauration, que le      faire fi de tout le cheminement
gouvernement provincial a pris        accompli en prônant la muséi-
en charge dès le début des            fication de l ' e n s e m b l e . Le
années 1960 et jusqu'à la fin         plan-image présenté alors
des années 70, traduit les pre-       réserve un maigre 17% de la
miers efforts de protection du        superficie totale à l'habitation.
patrimoine à Québec. Au-delà          L'augmentation de ce pour-
de la question de l'approche          centage dans la version finale
qui a largement été contestée         du programme proposé en
depuis, le plus grand problème        1999 s'est faite au détriment
du secteur est que les rési-          des qualités du tissu urbain.
dants qui l'ont quitté n'ont          En effet, la densification
jamais été remplacés.                 à outrance des parcelles com-
Le d é b u t des années 1980          promet définitivement leur
marque un changement dans             potentiel pour des typologies
la gestion de Place-Royale.           résidentielles adaptées au lieu.
Le gouvernement du Québec             Ce projet constituait une occa-
devient un partenaire de              sion u n i q u e d'élaborer un         question d'aménagement ur-          Près de 40 ans d'intervention et
la Ville de Québec et de nou-         véritable plan d'aménagement           bain. Le CMSQ espère que les        de controverse à Place-Royale.
velles préoccupations relatives       de Place-Royale, en tenant             autorités qui ont adhéré à cette    Photo: Pierre Lahoud
à la qualité de vie et à la revita-   compte des préoccupations              convention sauront s'y confor-
lisation économique commen-           des citoyens. Le statut de ville       mer lorsque des interventions
cent à être prises en compte.         du patrimoine mondial est              seront envisagées à Place-
De nombreuses études sont             certes prestigieux, mais il com-       Royale ou ailleurs dans le
menées pour tenter de répon-          porte aussi des responsabilités,       Vieux-Québec.
dre aux intérêts de la popula-        dont celle de tenir un véritable
tion vis-à-vis des orientations       débat public, selon les critères
de sauvegarde et de dévelop-          de l'UNESCO, lorsqu'il est

4. LES DOMAINES CATARAQUI ET JOLY-DE LOTBINIÈRE
L e s énergies que le CMSQ a          cette époque, la menace                domaine sera restauré pour          vale, mais des travaux majeurs
déployées pendant de nom-             d'amputation du domaine avait          accueillir différentes fonctions.   de restauration des bâtiments
breuses années auront contri-         entraîné la coalition d'une            Quant au Domaine Joly-De            doivent être entrepris rapi-
bué à mettre en valeur deux           vingtaine d'organismes régio-          Lotbinière, il est exproprié par    d e m e n t . La Fondation du
joyaux de notre patrimoine            naux (dont le CMSQ) œuvrant            le gouvernement du Québec           Domaine Joly-De Lotbinière
bâti: le domaine Cataraqui, à         dans les domaines de la cul-           en 1967. Jusqu'en 1992, le site     est mise sur pied afin d'orienter
Sillery, et le Domaine Joly-          ture, de l'histoire et de l'écolo-     n'a pas de vocation précise et      ces interventions et de projeter
De Lotbinière, sur la pointe          gie. De 1983 à 1994, les projets       sa protection est assurée grâce     l'avenir du site. L'engagement
Platon, à Sainte-Croix.               de mise en valeur se succèdent         au bénévolat et au dévoue-          de très nombreux partenaires
Bien qu'il ait été classé et          mais aucun ne reçoit l'aval du         ment d'organismes du patri-         permet de mener à bien toute
acquis par le gouvernement            gouvernement. Le CMSQ                  moine et à l'initiative de la       l'opération de sauvetage. En
québécois en 1975 et avant            maintient une surveillance             Société linnéenne, en collabo-      1999, le Domaine est classé
même que sa vocation d'en-            étroite et réitère ses exigences       ration avec le ministère des        par le ministère de la Culture
semble ne soit définie, le            aussi souvent qu'il le faut:           Loisirs, de la Chasse et de la      et des Communications qui
domaine Cataraqui a été mor-          l'intégrité du domaine doit            Pêche. En 1992, le CMSQ est         reconnaît ainsi l'un des sites
celé au début des années 1980         être préservée et son accessibi-       désigné comme gérant du site.       patrimoniaux les plus excep-
afin de permettre l'érection de       lité publique, maintenue. En           L'accessibilité des lieux est       tionnels du Québec.
la maison Michel-Sarrazin. À          1994, on annonce enfin que le          assurée durant la période esti-

                                                                                                                                                     [67j
                                                                                                                                   numéro quatre-vingt-trois o
L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit
[Avis et prises de position

     5. LA CÔTE D'ABRAHAM                                                     6. LE PATRIMOINE NATUREL
    E n septembre 1986, la Ville de Québec signe un protocole                 L a création des premiers parcs nationaux s'est inscrite dans une
    d'entente avec la compagnie Citicom de Toronto, lui accordant             vision unidimensionnelle de la conservation du patrimoine natu-
    l'exclusivité de 400 000 pieds carrés de terrains vacants au cœur         rel. À l'époque, les politiques d'aménagement éliminaient des
    du quartier Saint-Roch. En retour, la compagnie doit y dévelop-           lieux toute trace d'occupation humaine. Exemple éloquent, la
    per un projet immobilier de grande envergure. C'est le projet de          création du parc Forillon, en Gaspésie, a été l'occasion de l'une
    la «Grande Place». En vertu de cet accord, le promoteur obtient           des plus importantes expropriations de l'histoire du Québec:
    le droit de démolir une vingtaine de bâtiments très mal en point,         2000 propriétés ont été touchées, dont 350 comportaient des bâti-
    situés côte d'Abraham, dans un îlot faisant partie de l'arrondisse-                                          ments, plus de 200 familles ont
    ment historique du Vieux-Québec. Cette menace sérieuse à                                                     été déplacées et 4 bourgs sont
                                       l'intégrité du patrimoine bâti                                            disparus. Le bourg de Grande-
                                       entraîne la formation du                                                  Grève, partiellement épargné
                                       Comité pour la sauvegarde de                                              et restauré à la fin des années
                                       la côte d'Abraham, objectif                                               1980, témoigne aujourd'hui de
                                       que le CMSQ appuie. Les                                                   cet épisode malheureux.
                                       positions du comité pèsent                                                Bien que la population soit
                                       certainement très lourd dans le                                           d e v e n u e plus sensible à la
                                       débat public sur le mégapro-                                              protection du patrimoine natu-
                                       jet, qui devient le principal                                             rel, la conciliation entre le
                                       enjeu électoral du scrutin                                                développement touristique
                                       municipal de 1989.                                                        ou industriel et les objectifs de
                                       Heureusement, les bâtiments                                               conservation se fait encore
                                       de la côte d'Abraham ont été                                              difficilement. Les cas récents
                                       épargnés. En 1992, ils étaient                                            de l ' a m é n a g e m e n t du site
                                       restaurés pour accueillir le                                              (pourtant classé) de la chute
                                       complexe Méduse, regroupant                                               Montmorency ou de la cons-
                                       divers organismes artistiques                                             truction d'une centrale hydro-
                                       et culturels. Cette restauration                                          électrique aux chutes de la
                                       marque la relance d'un déve-                                              Chaudière en sont l'illustra-
                                       loppement plus respectueux                                                tion. Si la conservation du
                                       des caractéristiques du quar-          Le déplacement de la population    patrimoine naturel constitue
                                       tier. Le plan de revitalisation        entraîné par la création du parc   une préoccupation croissante
                                       prévoit plusieurs étapes dans           Forillon a suscité de nombreuses  depuis 25 ans, les mandataires
     La côte d'Abraham à Québec        une vision à moyen et à long           réflexions sur la façon d'inter-   de cette responsabilité se défi-
     vers 1900.                        terme, la seule acceptable              venir pour protéger la nature et  lent encore trop souvent...
     Photo : A V Q
                                       lorsqu'il est question d'aména-         les paysages québécois.
                                       gement urbain.                          Photo: Parcs Canada

     7. LE RÉSEAU ROUTIER
     L un des aspects les plus caractéristiques de l'aménagement de           Un autre type de problème survient lorsque la route, particulière-
     nos milieux de vie au cours du dernier siècle est sans contredit la      ment bien intégrée à un paysage, devient panoramique. Les sites
     mise en place du réseau routier. À partir des années 1950 et pen-        qui la bordent sont alors très convoités. La volonté de contrer
     dant des décennies, la construction des routes est déterminée en         cette pression peut empêcher un développement anarchique
     fonction du seul critère de l'efficacité de la circulation automobile.   comme ce fut le cas dans la côte de la Miche, à Saint-Joachim.
     C'est ainsi que des démolitions massives sont entreprises                Par contre, l'absence de critères de développement urbain bien
     et que le tissu des villes est déchiré. A Québec et à Montréal, des      définis risque peu à peu d'entraîner la banalisation du paysage,
     quartiers entiers sont rasés pour accueillir les autoroutes au cœur      comme le long du boulevard de Comporté, à la Malbaie.
     de la ville, tandis qu'à Trois-Rivières, l'autoroute tranche la ville    La route est une construction quasi permanente, c'est une com-
     en deux. Bien que les projets de construction d'autoroutes urbaines      posante majeure du milieu bâti. L'intégrité même de notre cadre
     soient aujourd'hui abandonnés, une certaine approche fonctionna-         de vie est menacée si on continue d'ignorer l'impact du dévelop-
     liste préside encore trop souvent aux décisions d'aménagement            pement du réseau routier sur les paysages humanisés.
     routier. Le triste cas de la réfection de la côte des Eboulements
     le démontre clairement.

numéro quatre-vingt-trois
L'éveil d'une conscience - Anne Vallières and Anne-Marie Dufour - Érudit
Avis et prises de position]

8. LE MONT ROYAL
Principal point de repère spatial et symbolique de Montréal, le
                                                                         Symbole d'une ville, le mont Royal n'a
mont Royal constitue assurément l'un des plus importants élé-
ments identitaires de la ville: il lui a donné son nom et en a façon-   jamais connu de répit quant à son avenir.
né le développement. Le parc du Mont-Royal, conçu par                   Photo: Photos Pro Multi + inc.
Frederick Law Olmsted (1876), et les cimetières Mount-Royal
(1852) et Notre-Dame-des-Neiges (1854) ajoutent à sa valeur.
Cependant, ce vaste espace libre en plein centre-ville a toujours
été convoité par les promoteurs, plus particulièrement ces 20 der-
nières années. Durant les années 1980, des projets de tout acabit
ont menacé la montagne, notamment un centre de ski, un funicu-
laire, un stationnement étage et un centre sportif. En 1985, l'oppo-
sition à un ambitieux projet de construction d'une tour observatoire
conduit à la création des Amis de la montagne. En 1987, la Ville de
Montréal crée enfin un site du patrimoine dont le périmètre
déborde largement le parc lui-même. Malgré ce statut juridique
de protection, le projet de lotissement du site de l'ancienne
Ferme sous les Noyers, actuellement en voie de réalisation,
rappelle à quel point l'intégrité du mont Royal reste fragile.
Les menaces sont nombreuses, particulièrement en ce qui a trait
à la restructuration du système de santé étant donné que de gran-
des institutions occupent une importante frange en bordure du
parc. La création récente d'une table de concertation interminis-
térielle ayant pour mandat de développer une vision globale
de l'aménagement du mont Royal témoigne d'un problème de
conservation complexe et dont l'issue est incertaine. Pourtant, il
faudra tôt ou tard reconnaître que le mont Royal a une valeur
patrimoniale qui dépasse largement les intérêts des propriétaires
et des municipalités qui se le partagent.

9. LE COUVENT SAINT-ISIDORE                                             10. BIENS ARCHÉOLOGIQUES,
U n dangereux précédent est survenu en 1995-1996 avec la                       BIENS PATRIMONIAUX
démolition du couvent Saint-Isidore, à la suite de la décision de
la Ville de Montréal de retirer au bâtiment le statut de bien cité      L e CMSQ s'est prononcé à          Bien qu'on ne puisse réclamer
qu'elle lui avait octroyé en 1990 en vertu de la Loi sur les biens      quelques reprises sur l'urgence    la mise en valeur de la totalité
culturels. L'édifice de 1852 était le dernier témoin significatif       d'adopter une politique            des vestiges archéologiques
de l'ancien village de Longue-Pointe, dans l'Est de l'île de            en matière d'archéologie. La       québécois, ce cas soulève tout
Montréal, secteur presque complètement démoli pour la cons-             menace qui pesait sur les vesti-   de même la question de la res-
truction du tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine et l'extension            ges archéologiques découverts      ponsabilité de conserver ces
du port. La décision de la Ville a alors soulevé un tollé chez          en 1994 sur le site de Fau-        vestiges. La collectivité est en
les organismes de défense du patrimoine. Mais rien n'y fit. Le          bourg Québec, au centre-ville      droit de souhaiter q u ' u n e
6 juin 1996, l'édifice tombait sous le pic des démolisseurs.            de Montréal, a même conduit        administration municipale et le
On est en droit de s'interroger sur la portée de la Loi sur les         à la création du comité Avis et    ministère de la Culture et des
biens culturels si des enjeux politiques et économiques peuvent         prises de position, région         Communications imposent aux
mener au renversement d'une décision prise en vertu de cette            Ouest. L'empressement du           promoteurs l'obligation de
loi. En transférant ses responsabilités aux autorités municipales       promoteur à réaliser son projet    considérer la mise en valeur
et régionales, le ministère de la Culture et des Communications         résidentiel compromettait la       des vestiges lorsque le poten-
placerait-il le patrimoine dans une situation dangereuse? Les           sauvegarde et la mise en valeur    tiel archéologique du site où
réflexions sur une éventuelle politique du patrimoine amorcées          des vestiges d'un bastion          ils entendent développer leurs
cette année devront considérer le précédent créé par la démoli-         des anciennes fortifications       projets le justifie.
tion du couvent Saint-Isidore et réévaluer la pertinence de             de Montréal. L'importance du
conférer aux villes le pouvoir de citer des biens patrimoniaux          site étant supérieure aux atten-
si ce pouvoir n'est pas assorti d'une obligation de responsabilité      tes, il convenait de réévaluer
en regard de ces biens.                                                 une partie du concept original.

                                                                                                                                              L6?JÉ
                                                                                                                            numéro quatre-vingt-trois Q
|Avis et prises de position

        11. LA FRAGILITÉ DES CENTRES-VILLES                                            12. LE PATRIMOINE RELIGIEUX

                                              La destruction de l'hôtel Queen          - A la fois m o n u m e n t s du     Dans cette perspective, le
                                              à Montréal ainsi que celle de            culte et centres autour des-         CMSQ a récemment participé
                                              nombreux autres bâtiments,               quels les villes se sont structu-    à l'exercice du Synode de
                                              dans un contexte de                      rées, les bâtiments religieux        Montréal afin de nourrir la
                                              développement urbain                     sont porteurs de la mémoire          réflexion sur des possibilités
                                              échevelé, marquent la ville de           des communautés qui les ont          d'utilisation du patrimoine
                                              façon indélébile.                        édifiés. Depuis quelques             religieux. Il a n o t a m m e n t
                                              Photo: Héritage Montréal                 décennies, le Québec est             proposé des critères généraux
                                                                                       confronté à la désaffection mas-     qui p e r m e t t e n t d'assurer
                                                                                       sive de l'ensemble des lieux         l'intégrité d'un bâtiment et de
                                              don dans la trame urbaine,               liés à la pratique religieuse.       son site. Dans un deuxième
                                              véritables plaies dans la ville,         Paroisses et congrégations           temps, la nécessité de réaliser
                                              indiquent comment les lois du            se retrouvent avec des églises,      un inventaire en vue d'une
                                              marché peuvent avoir des                 des couvents, des pensionnats,       hiérarchisation des églises
                                              conséquences néfastes sur                des chapelles de procession,         à conserver est notamment
       - A u cours des 25 dernières           l'aménagement urbain. Le pro-            des cimetières dont elles ne         ressortie du synode.
       années, plusieurs dossiers dans        jet Overdale (1987) a ainsi lais-        savent que faire.                    La déclaration conjointe du
       le centre-ville de Montréal ont        sé de vastes terrains vacants            L'église Saint-Julien à Lachute,     ministère de la Culture et des
       mis en lumière la fragilité du         là où se trouvait autrefois un           inoccupée depuis 1996, est           Communications, du diocèse
       contexte urbain et la nécessité        quadrilatère résidentiel im-             aujourd'hui en attente d'une         de Québec et de la Ville de
       d'une planification cohérente.         planté au tournant du siècle.            nouvelle utilisation; l'église       Québec sur la sauvegarde et la
       Les projets des promoteurs             D'autre part, des infrastruc-            Saint-Jacques-le-Majeur, à           mise en valeur des églises
       vont souvent à l'encontre des          tures urbaines comme la gare             Clarenceville, a quant à elle été    situées sur le territoire de la
       impératifs de conservation des         Windsor, dont la localisation            démolie en 1997. De tels exem-       capitale ouvre la voie à de nou-
       milieux anciens. Toute inter-          dans la ville est porteuse de            ples sont révélateurs d'un           velles solutions. De plus, le
       vention, particulièrement en           significations, perdent leur             phénomène plus large qui             ministère de la Culture et des
       milieu dense, doit être le fruit       valeur structurante quand se             mènera nécessairement à des          Communications           prépare
       d'une réflexion sérieuse sur les       concrétisent tout autour des             choix difficiles. Une vision à       actuellement un programme
       impacts qu'elle risque d'avoir         d é v e l o p p e m e n t s à la pièce   la pièce ne peut être ici que        pour les églises désaffectées.
       sur la qualité de vie et le pay-       sans égard pour les bâtiments            stérile.
       sage urbain. La fragilité du           en place. La ville doit être vue
       milieu impose une vision plani-        comme un organisme com-
       fiée à long terme qui s'appuie         plexe qui répond à ses propres
       notamment sur une connais-             règles d'évolution. Sans vouloir
       sance approfondie du contexte          tout figer, le développement
       d'intervention.                        doit s'opérer selon certains
       Des projets irréfléchis peuvent        critères d'aménagement qui
       créer de dangereux précé-              considèrent l'urbanisme et
       dents. Par exemple, de larges          l'architecture.                          Anne Vallières et Anne-Marie Dufour sont agentes de liaison des comités
       portions de territoire à l'aban-                                                Avis et prises de position au Conseil des monuments et sites du Québec.

                              Comité Avis e t prises d e position d u Conseil des monuments e t sites d u Québec
        MEMBRES OUEST DU QUÉBEC                                                        POUR INFORMATION
        Jean Bélisle, historien de l'art; Yves Bellefleur, citoyen; Denise Caron,      Anne-Marie Dufour, agente de liaison Comité APP,
        historienne; Claudine Déom, historienne de l'architecture; Anne-Marie          région de l'Ouest du Québec.
        Dufour, maîtrise en architecture; Cristina lamandi, architecte; Nathalie       Tél.: (514) 890-1318
        Sénécal, historienne de l'art.                                                 Téléc.: (514) 890-1320
                                                                                       Anne Vallières, agente de liaison Comité APP,
        MEMBRES EST DU QUÉBEC                                                          région de l'Est du Québec.
        Daniel Arsenault, archéologue; Daniel Bouchard, avocat; Clermont               82, Grande Allée Ouest, Québec (Québec) G1R 2G6
        Bourget, urbaniste; Bernard S. Gagné, architecte; Louis Gagnon, histo-         Tél.: (418) 647-4347 ou 1 800 494-4347
        rien de l'art; France Gagnon Pratte, historienne de l'architecture; Pierre     Téléc.: (418) 647-6483
        Larochelle, professeur en architecture; Michel Lessard, historien; Anne        cmsq@megaquebec.net
        Vallières, architecte.

îm
z
O numéro quatre-vingt-trois
Vous pouvez aussi lire