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LA GUÉRISON TRADITIONNELLE DANS LES CONTEXTES CONTEMPORAINS Protéger et respecter le savoir et la guérison indigènes Dawn Martin Hill, Ph.D. Organisation nationale de la santé autochtone 28 février 2003
TABLE DES MATIÈRES SECTION 1 – Le savoir et la guérison indigènes 4 Analyse du contexte 5 Calendrier d’exécution 5 La complexité des approches holistiques 6 Définir la guérison traditionnelle 7 Les domaines spécialisés de la guérison traditionnelle 9 La guérison traditionnelle : Sa relation complexe avec la terre, le langage et la culture 12 Questions courantes concernant la localité et la culture 13 Notions rattachées à la guérison traditionnelle – Politiques 13 Le rôle de l’autorité, de l’authenticité et des aînés 15 Protéger la guérison traditionnelle de l’exploitation et de l’appropriation 17 Les droits de propriété intellectuelle 19 L’exploitation de la guérison traditionnelle 21 Les enjeux associés au sexe et la revictimisation 22 Le carrefour de la guérison traditionnelle, l’identité et la guérison par la foi 25 L’évolution de la tradition 27 2
SECTION II – LES AÎNÉS ET LES GUÉRISSEURS ORIENTENT L’ONSA SUR LA GUÉRISON TRADITIONNELLE 28 Un examen, un résumé et des recommandations provenant de consultations auprès des aînés/guérisseurs 28 Résumé des recommandations 28 A) L’éducation communautaire et la décolonisation de la médecine traditionnelle 29 1. La guérison et le savoir indigènes sont sujets à la colonisation 29 2. Joindre les enfants dans les écoles 30 3. Créer un lieu d’apprentissage pour les aînés et les guérisseurs 30 4. Créer un lieu d’apprentissage mutuel pour les praticiens de la biomédecine occidentale, de la médecine douce et de la guérison traditionnelle 31 5. Le mentorat entre les jeunes et les aînés 31 Recommandations pour la Section A 32 B) Les droits de propriété intellectuelle 32 Élaborer des politiques adéquates pour protéger le savoir indigène 32 La crainte de parler ouvertement de la guérison traditionnelle. 33 Recommandation pour la Section B 33 C) Maintenir l’autonomie de la guérison traditionnelle face à l’État 33 Le contrôle du gouvernement 33 Le débat sur la rémunération pour la guérison traditionnelle 33 L’exploitation et l’authenticité 34 Recommandation pour la Section C 34 La guérison traditionnelle comme emploi rémunéré 34 Un code déontologique pour les guérisseurs traditionnels 34 Un dernier mot 35 BIBLIOGRAPHIE 36 UNE BIBLIOGRAPHIE ANALYTIQUE DE LA GUÉRISON TRADITIONNELLE 40 3
SECTION 1 – Le savoir et la guérison indigènes La pédagogie indigène reconnaît diverses théories de la connaissance et respecte le pluralisme du savoir. Aucune approche normalisée ou étiquette polyvalente n’est réservée à la guérison traditionnelle; elle découle plutôt de la diversité géographique et culturelle du savoir indigène. Pour bien saisir la guérison traditionnelle, il faut l’examiner sous l’angle du savoir indigène et comprendre pourquoi, sur le plan historique, elle a toujours existée hors les institutions dominantes, les modèles biomédicaux et les paradigmes eurocentriques. D’après le Rapport sur la protection de l’héritage des peuples indigènes, « Le savoir indigène est un système de la connaissance complet ayant sa propre épistémologie, philosophie et validité scientifique et logique […] qu’on ne peut comprendre sans adopter la pédagogie traditionnelle des peuples en question » [traduction] (Battiste et Henderson, 2000, p. 41). Trois sources typiques alimentent le savoir et les enquêtes indigènes. Selon l’universitaire mohawke Marlene Brant Castellano, le savoir indigène repose sur une multiplicité de sources traditionnelles, spirituelles et empiriques (Dei, Hall et Rosenthal, 2000). Sa pluralité donne lieu à un paradigme holistique où le mieux-être affectif, spirituel, physique et mental d’un peuple est reconnu. Un cadre indigène du savoir éclaire les questions cruciales telles que la mainmise des colonialistes sur l’autorité indigène, les représentations trompeuses et la marginalisation du savoir indigène dans le cadre de la « recherche empirique valide » occidentale (Dei, Hall et Rosenburg, 2000; Battiste et Henderson, 2000; Smith, 1999). Selon l’Organisation mondiale de la santé, la « guérison traditionnelle » : [Traduction] « […] renferme la somme totale des connaissances, compétences et pratiques fondées sur les théories, croyances et expériences intrinsèques à différentes cultures – qu’elles soient explicables ou non – employée pour maintenir la santé et pour prévenir, diagnostiquer et améliorer le traitement des maladies physiques ou mentales. » (WHO/EDM/Traditional Medicine/Definitions; mis à jour le mardi 30 octobre 2001.) L’Organisation nationale de la santé autochtone (ONSA), organisme qui relève des organisations nationales des Premières Nations, des Métis et des Inuits, sort des sentiers battus en préconisant la guérison traditionnelle dans son mandat. Nous résumerons les questions principales dégagées lors d’une analyse du contexte de la guérison traditionnelle, menée au compte de l’ONSA, et de groupes-cibles composés d’aînés et de guérisseurs. L’analyse du contexte tient compte des nouvelles préoccupations signalées par les organisations autochtones, les études sur la guérison traditionnelle et la documentation ayant trait à la guérison traditionnelle et révèle un bon nombre de questions importantes. Aussi, la diversité culturelle des peuples indigènes nous a contraint à reconnaître le lien qui rattache le savoir indigène aux langues, aux paysages et aux cultures qui le produisent. L’universitaire Vandana Shiva affirme, 4
[Traduction] Cependant, l’héritage génétique et intellectuel des sociétés non occidentales a été dévalué sous l’influence coloniale. Les priorités dictées par la progression scientifique […] ont transformé la pluralité des systèmes de la connaissance en une hiérarchie. Depuis lors, le rangement horizontal de systèmes, divers mais également valides, a cédé à un rangement vertical de systèmes inégaux. De plus, les fondements épistémologiques du savoir occidental ont été imposés aux systèmes de la connaissance non occidentaux, ce qui a eu pour résultat de les rendre invalides (Shiva, 2000, p. vii, dans Dei, Hall et Rosenburg). Battiste et Henderson approfondissent le cadre dans lequel l’analyse du contexte et la recherche avec les aînés ont été menés : [Traduction] Les peuples indigènes perçoivent que tous les fruits de l’esprit et du cœur humain existent de façon interdépendante à l’intérieur du savoir indigène. Ils soutiennent que toute connaissance provient de la même source : la relation entre la fluctuation écologique continuelle et l’affinité du peuple pour le monde spirituel. L’écosystème changeant étant la source ultime du savoir, l’art et la science d’un peuple précis manifestent cette relation et nous pouvons considérer qu’ils concrétisent l’ensemble des connaissances d’un peuple (Battiste et Henderson, 2000, p. 43). Analyse du contexte Tout d’abord, une recherche a été menée à partir de la documentation d’archives et auprès des organisations. Des conférences sur la guérison traditionnelle tenues partout en Amérique du Nord (notamment au Nouveau Mexique, en Arizona, en Colombie-Britannique et à Washington) ont fourni une quantité de renseignements et ont stimulé des discussions sur divers thèmes allant des politiques du gouvernement jusqu’à l’adaptation contemporaine des stratégies employées non seulement par les guérisseurs, mais aussi par les médecins indigènes. Les responsables des politiques, les guérisseurs, les chercheurs et les universitaires ont profité de ces occasions pour mettre en commun l’information sur la guérison traditionnelle, le ressourcement et la recherche. Calendrier d’exécution Nous tenons à signaler les contraintes imposées à l’analyse du contexte par le calendrier d’exécution. La brévité de celui ci (août 2001 - décembre 2002) a répercuté sur la portée de l’analyse et de la recherche avec les aînés. De surcroît, la diversité des peuples indigènes du Canada a présenté multiples défis géographiques et culturels; par exemple, la documentation ayant trait aux Métis était rare, en partie parce que les données étaient inexistantes ou parce que les chercheurs étaient dans l’impossibilité de se déplacer pour des périodes prolongées. Les États-Unis ont produit un plus grand nombre de travaux d’érudition sur la guérison traditionnelle que le Canada. La majorité de ces documents ont trait aux Indiens du Sud-Ouest (surtout les 5
Navajos) et aux Indiens des Plaines (Dakota du Nord et du Sud). Il est significatif que très peu de recherche empirique ait été menée par des universitaires indigènes, des praticiens communautaires ou des aînés. Des 30 études empiriques faisant l’objet de notre analyse, seulement trois étaient conçues, mises en œuvre et rédigées par des universitaires autochtones, des aînés/praticiens traditionnels ou des collectivités. De ces trois, deux étaient des dissertations doctorales rédigées par des étudiants autochtones sur leur propre peuple ou collectivité. Les Métis sont sous-représentés à toutes les facettes de la recherche et de la documentation. En examinant la documentation, les politiques et les protocoles sur la guérison traditionnelle provenant des organisations autochtones, plusieurs questions centrales se sont dégagées. En quoi consiste la « guérison traditionnelle » selon la documentation et les universitaires? Qu’est-ce qu’un « guérisseur traditionnel » et comment pouvons-nous repérer un guérisseur? Comment les organisations autochtones existantes emploient-elles la guérison et les guérisseurs traditionnels comparativement aux chercheurs universitaires? Quels sont les nouveaux enjeux dans le domaine de la guérison traditionnelle? Par respect de la pluralité et de la diversité, nous considérons la guérison traditionnelle dans le cadre des pratiques valides et variées. Nous ne tentons aucunement d’établir une représentation monolithique de la guérison traditionnelle ni d’expliquer comment le savoir autochtone crée un contexte pour ces pratiques. Les différences propres à ce cadre sont résumées avec concision par Marlene Brant Castellano : [Traduction] Les connaissances privilégiées par les sociétés autochtones proviennent de multiples sources, y compris les enseignements traditionnels, l’observation empirique et la révélation […] On dit du savoir autochtone qu’il est personnel, oral, expérientiel, holistique et qu’il est transmis sous forme de récit ou par un langage métaphorique […] (Castellano, 2000, p. 25). La reconnaissance de multiples sources du savoir facilite notre examen de la guérison traditionnelle. L’établissement d’un discours indigène en la matière promet de mettre le sujet à l’avant plan de la recherche, du monde universitaire et de l’élaboration des politiques. Par extension, les universitaires indigènes doivent disposer de l’appui et des ressources nécessaires pour entamer un programme indigène en matière de recherche qui favorisera une approche holistique à la santé et au mieux-être. La complexité des approches holistiques La guérison traditionnelle étant solidement basée sur des croyances et des pratiques holistiques, toute recherche en la matière doit reposer sur une approche multidisciplinaire. La présente analyse examine la recherche issue de diverses disciplines occidentales, notamment l’anthropologie, la sociologie, les études autochtones, le travail social, la psychologie, l’histoire, la biomédecine occidentale, la religion et la philosophie. Il est intéressant de noter que les 6
documents les plus détaillés provenaient de la recherche judiciaire – quelle triste ironie de retrouver la guérison traditionnelle le plus souvent dans les prisons! Autres sources extra-universitaires (c’est à dire, les revues n’ayant pas fait l’objet d’ « approbation par les collègues ») ont davantage compliqué la recherche documentaire sur la guérison traditionnelle. Les lieux centraux d’information en la matière existent « à l’écart » des établissements occidentaux de la médecine ou de l’enseignement, dans les collectivités indigènes en milieu urbain et ailleurs. Les organisations indigènes (par exemple, la Fondation pour la guérison des Autochtones, le Centre des ressources pour les Métis, l’Inuit Arctic College et les revues indigènes) ont fourni certains documents; cette collection constitue la présence indigène dans l’analyse bibliographique de la présente étude. Par ailleurs, l’analyse préliminaire du contexte a révélé que la guérison traditionnelle est fragmentaire et qu’elle a été dissimulée aux regards de l’église, du gouvernement et des établissements d’enseignement tout au long de l’époque coloniale car ses adhérents craignaient d’être châtiés ou même emprisonnés (CRPA, 1996). L’historienne Maureen Lux approfondie l’histoire de cette relation entre l’église, le gouvernement et les collectivités indigènes : [Traduction] On justifiait la répression des danses sous le prétexte qu’elles entravaient les travaux agricoles et « perturbaient » les gens. En réalité, les connaissances particulières des Autochtones quant à la guérison, issues de visions et de l’expérience et transmises par le don de ballots de remèdes lors des camps de danse cérémonielle, faisaient l’objet d’une vive répression […] En dépeignant le guérisseur comme charlatan et les danses comme une perte de temps barbare, on a réussi à justifier la répression des deux phénomènes (Lux, 2001, p. 84) Ce n’est que récemment que les peuples indigènes de l’Amérique du Nord ont commencé à rétablir leurs traditions ouvertement et sans craindre la persécution. Il ne faut pas oublier que les cérémonies religieuses/de guérison, telles que la danse du soleil, étaient interdites par la loi jusqu’aux années 1970. En règle générale, il faut chercher la documentation indigène en dehors du monde universitaire, dans les organisations autochtones et leurs centres de ressources, dans les rapports de recherche (rédigés au compte du gouvernement ou d’organismes communautaires) et sur les sites Web (tels que ceux de l’American Indian Physicians Association, de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation panaméricaine de la santé). Cette énumération des ressources sur la guérison traditionnelle est loin d’être exhaustive; elle n’est qu’une indication de la complexité et de l’étendue du sujet. Définir la guérison traditionnelle Le manque d’un langage clair et invariable pour décrire diverses croyances et pratiques constitue une autre entrave à la recherche sur les pratiques traditionnelles de guérison. Souvent, le terme 7
« guérison traditionnelle » est inexactement appliqué à diverses activités que les praticiens indigènes et leurs clients ne reconnaissent pas toujours d’un commun accord. Il est donc utile d’examiner les diverses façons dont la guérison traditionnelle est définie (ou n’est pas définie, dans la majorité des revues érudites et autres publications). De tous les documents examinés, seulement quelques-uns fournissaient une description générale des particularités de la guérison traditionnelle; le terme lui-même était rarement défini. En examinant la documentation, il faut tenir compte des deux points suivants : I. Le terme « traditionnelle » est une notion coloniale britannique qui déplait à bien des groupes indigènes. II. Les spécialistes et les universitaires ont introduit ce terme aux peuples indigènes de l’Amérique du Nord. La majorité des groupes indigènes auraient eu recours à un répertoire complexe de pratiques et de croyances médicales regroupées simplement sous le terme « guérison ». Seuls les Européens, avec leur insistance sur le cloisonnement et la catégorisation des croyances d’autrui, employaient le terme « traditionnelle ». Quelques travaux d’érudition cherchaient à « opérationnaliser » le terme « traditionnelle » dans leurs études empiriques en citant plusieurs définitions. Les rédacteurs tendaient à diviser leur sujet entre l’époque préeuropéenne et la période posteuropéenne. Le terme « guérison traditionnelle » a donc été conçu de plusieurs différentes façons. Le Rapport de la Commission Royale sur les peuples autochtones (1996) défini la guérison traditionnelle ainsi : [Traduction] La guérison traditionnelle a été définie comme des pratiques favorisant le mieux-être mental, physique et spirituel, fondées sur des croyances qui renvoient à l’époque où la biomédecine ‘scientifique’ occidentale n’était pas répandue. Lorsque les Autochtones du Canada parlent de guérison traditionnelle, ils entendent un large éventail d’activités allant de la guérison des troubles physiques par l’emploi de plantes médicinales et d’autres remèdes, jusqu’à la promotion du mieux-être psychologique et spirituel par le recours aux cérémonies, aux consultations et à la sagesse acquise par les aînés (CRPA, 1996, vol. 3, p. 348). Les documents examinés se penchaient sur différents aspects de la guérison traditionnelle. « Chaman » et « guérison chamaniste » sont des termes courants chez les anthropologues. Selon l’Encyclopedia of Native American Healing1 (1998) de William Lyon : [Traduction] Ceci est le premier ouvrage savant à offrir une vue d’ensemble des pouvoirs mystérieux de guérison repérés chez les chamans de l’Amérique du Nord. Il s’impose depuis longtemps […] En triant ces preuves on se rend compte que le chamanisme comporte des nettes tendances transculturelles. C’est à dire qu’il s’agit d’un système cohérent, 1 « L’encyclopédie de la guérison des Autochtones d’Amérique » 8
comportant ses propres règles de fonctionnement […] parce que dans l’hypothèse la plus optimiste, notre compréhension du chamanisme n’est que rudimentaire […] (Lyon, 1998, p. xv). Lyon décrit la guérison chamaniste comme étant « irrationnelle » mais efficace et il s’intéresse au rituel tandis que les autres textes se concentrent sur la botanique. La discussion alterne entre les pratiques rituelles et la pharmacologie ou les connaissances botaniques. Certains exemples sont cités ci-dessous pour donner une idée de l’étendue des sujets renfermés par la « guérison traditionnelle » ou le « chamanisme » dans les documents que nous avons examinés. Les Sud- américains et les Centraméricains emploient le terme « chaman » plus fréquemment que les peuples indigènes de l’Amérique du Nord. Dans un texte intitulé Gathering of Shamans in the Columbian Amazon2 (1999), l’auteur affirme : [Traduction] Le mot « chaman » est bien à la mode de nos jours. Déjà, il renvoyait au nom que les Tungus (un peuple sibérien ayant des ressemblances linguistiques avec les Mandchous) donnaient aux personnes chargées de la santé et des liens avec le monde spirituel dans la collectivité. Aujourd’hui, le mot chaman, tel qu’employé par les anthropologues, a été élargi pour comprendre les herboristes, les guérisseurs traditionnels et les prêtres des peuples autochtones de partout dans le monde (Union of Traditional Yagé Healers of the Columbian Amazon Umiyac, 1999, p. 45). L’analyse du contexte, qui comprenait les Amériques, la Nouvelle Zélande, l’Australie et l’Inde, a permis de dégager quelques domaines spécialisés, mais interdépendants, de la guérison traditionnelle. Les domaines spécialisés de la guérison traditionnelle Les spirites – s’intéressent à la santé spirituelle et intercèdent auprès des esprits en faveur de leur client. Le diagnostique comporte souvent des consignes quant au mode de vie de la personne ou de la famille ainsi que des offrandes à divers esprits bienveillants. Les spirites servent également de conseillers, de mentors ou d’éducateurs aux personnes et aux familles. Leur champ d’intérêt principal est le mieux-être spirituel des personnes. Leur connaissance des pratiques culturelles et spirituelles est très étendue et leur mérite le respect de la collectivité. De plus, ces praticiens sont souvent les détenteurs de titres d’honneur tels que « Gardien des croyances, Sainte personne ou, en Amérique du Sud, Prêtre (traditionnel) » [traduction]. Les herboristes – mettent l’accent sur les connaissances botaniques et pharmacologiques des plantes et de la faune indigènes. Souvent, ces praticiens collaborent étroitement avec d’autres guérisseurs indigènes et fournissent les remèdes pour des personnes diagnostiquées par ces derniers. Leur pratique peut se limiter à une spécialité précise, telle que les remèdes pour traiter les morsures de serpent, ou elle peut être aussi variée que les maladies qui surviennent. 2 « Rassemblement de chamans dans l’Amazone colombienne » 9
Les diagnostiqueurs – ont souvent recours à la communication avec des esprits et des entités spirituelles ou corporelles pour arriver à leur diagnostic. Ils sont souvent des « clairvoyants » ou des communicateurs qui, au moyen de cérémonies, repèrent les malaises, les remèdes ou les cérémonies nécessaires pour rétablir la santé et le mieux-être spirituel, affectif et physique. Ces praticiens fournissent souvent un service d’aiguillage vers d’autres spécialistes. Les hommes/femmes médecine – font souvent preuve de tous les dons susmentionnés et parfois d’autres. Leurs activités se concentrent généralement autour du rituel, des cérémonies et de la prière. Dans certaines sociétés, ces praticiens sont identifiés comme « homme/femme médecine » parce qu’ils/elles possèdent des ballots de remèdes, des calumets et des masques sacrés ou parce qu’ils/elles ont droit aux rituels, aux chants et aux remèdes hérités de leurs parents ou grands- parents ou mérités lors d’un apprentissage auprès d’un praticien reconnu. Selon la nation, ces praticiens dirigent également les cérémonies communautaires telles que la danse du soleil, les danses sombres (Dark Dances), la danse du cheval (Horse Dance), le faux-visage, la tente tremblante et la cérémonie de l’étuve, pour n’en nommer que quelques-unes. D’habitude, ces gens consacrent leur vie quotidienne au rituel, à la prière et à la guérison. Les guérisseurs – sont des personnes douées qui accomplissent la guérison de diverses façons, y compris par les méthodes susmentionnées, par l’imposition des mains ou en travaillant sur le corps énergétique – ce qui veut dire que le rituel n’est pas toujours une nécessité. Les guérisseurs peuvent employer des rituels, mais ils ont également recours à une variété de thérapies pour guérir l’esprit, les émotions et le corps. Les sages-femmes – sont généralement des femmes ayant des connaissances spécialisées des soins périnataux et de l’accouchement. Les services de la sage-femme peuvent renfermer le massage, les conseils alimentaires, les remèdes, le rituel, la prière et/ou les conseils. On trouve les sages-femmes traditionnelles partout dans le monde et elles possèdent une variété de compétences, souvent biophysiques, mais aussi spirituelles ou rituelles. Aucune des catégories spécialisées n’est exclusive; on remarque plutôt qu’elles sont interdépendantes et que certains praticiens possèdent plusieurs des connaissances spécialisées à la fois. Dans ce sens, la documentation laisse supposer que la guérison traditionnelle ressemble à la médecine occidentale par l’étendue et la variété de la formation et des connaissances spécialisées chez les fournisseurs de soins (Coulehan, 1980; Waldram, 1990; McWhorter et Ward, CRPA, 1996). Il faut toutefois nuancer – lors des groupes-cibles, les aînés et les guérisseurs ont fait part de leurs inquiétudes face à la « clinicisation » de la guérison traditionnelle comme moyen d’intégrer cette pratique culturelle aux établissements sanitaires. Les Maoris ont décrit plusieurs facettes de la guérison traditionnelle, telles qu’énoncées dans l’article de Aroha Mead, A Policy and Ethical Framework to Improve Maori Health Through 10
Maori Traditional Healing3. La guérison traditionnelle renferme plusieurs domaines fondés sur des connaissances spécialisées : Mirimiri masseur, physiothérapeute, chiropraticien Rongoa ethnobotaniste – emploie les remèdes à base de plantes et de faune indigènes Karakia protecteur – s’intéresse au mieux-être spirituel de la personne, de sa famille et du son milieu immédiat (Mead, 2000, p. 4). On peut également dire que la guérison nord américaine comporte plusieurs domaines de spécialisation. L’article de Catherine Kim intitulé Navajo Use of Native Healers4 (1998), mentionne que plusieurs catégories de guérisseurs existent « […] allant des diagnostiqueurs qui emploient la cristallomancie, l’« écoute » spirituelle et le tremblement des mains, jusqu’aux personnes qui dirigent les cérémonies […] » [traduction] (Kim, 1998, p. 1). Dans American Indian Medicine5 (1992), les auteurs attirent notre attention sur les rebouteux possédant des connaissances « de pointe chez les Indiens américains au moment des premiers contacts avec les Européens. Les Aléoutes désinfectaient les plaies et faisaient des sutures avec une aiguille en os et du fil en babiche; les Koniags avaient recours à la chirurgie pour enlever le calcul de la partie distale de l’urètre […] » [traduction] (McWhorter et Ward, 1992, p. 625). Le répertoire des connaissances et des spécialités médicales s’est rétréci avec le temps – le colonialisme et la modernisation ont provoqué l’abandon des rebouteux et des approches indigènes à l’obstétrique et à la chirurgie. Toutefois, les catégories spécifiques ne renferment pas nécessairement la gamme entière des pratiques de guérison traditionnelle. Le Nunavut Arctic College a publié cinq volumes qui regroupent les connaissances d’aînés inuits sur des sujets divers tels que Childrearing Practices6 (2001) et Cosmology and Shamanism7 (2001). Cette approche novatrice à la collaboration et la recherche avec les aînés a produit des donnés appréciables sur les sujets en cause. Dans Perspectives on Traditional Health8 (2001), les auteurs affirment que: [Traduction] En discutant des pratiques de santé traditionnelles et des connaissances médicales, on pourrait s’attendre à ce que les aînés énumèrent les meilleures techniques pour guérir les maladies selon les blessures ou les troubles de santé auxquels ils se sont affrontés par le passé : Comment traiter les furoncles, les infections, la fièvre, les infections oculaires, le rhume, les fractures, la noyade et ainsi de suite. Cependant, la perspective des Inuits 3 « Une politique et un cadre déontologique pour améliorer la santé des Maoris par le recours à la guérison traditionnelle des Maoris » 4 « Le recours aux guérisseurs traditionnels chez les Navajos » 5 « La guérison chez les Amérindiens » 6 « L’éducation des enfants » 7 « La cosmologie et le chamanisme » 8 « Perspectives sur la santé traditionnelle » 11
renferme beaucoup plus. En plus des techniques pour traiter les éraflures et les plaies et pour guérir les maladies […] les aînés se sont souvenu des moyens pour créer un esprit sain et un corps résistant […] Nous tenons à préciser que dans les sociétés inuites, les connaissances médicales n’ont jamais fait partie d’un répertoire explicite et autonome, contrairement aux sociétés occidentales modernes (Ootoova, Atagutsiak, Ijjngiaq, Piteolak, Joamie et Papatsie, 2001, p. 1). La guérison indigène comporte une approche holistique qui est à la fois son point fort et la source de sa complexité. La guérison traditionnelle : Sa relation complexe avec la terre, le langage et la culture La documentation indigène insiste sur l’importance des liens qui rattache la guérison indigène à la terre, au langage et à la culture. Le milieu naturel façonne les compétences et les pratiques de guérison auxquelles chaque groupe indigène à recours. Par exemple, il est peu probable que les traitements des Hopis pour les morsures de serpents venimeux sont connus ou employés dans les Territoires du Nord-Ouest; dans le même ordre d’idées, les Hopis n’ont probablement pas développé de remèdes pour les engelures. Battiste et Henderson décrivent l’approche culturelle au savoir qu’on repère chez les peuples indigènes. [Traduction] Les connaissances écologiques traditionnelles des peuples indigènes sont scientifiques dans ce sens qu’elles sont empiriques, expérimentales et méthodiques. Cependant, elles se distinguent de la science occidentale par deux caractéristiques significatives : les connaissances écologiques traditionnelles sont extrêmement localisées et elles sont intrinsèquement sociales. Elles se rapportent au réseau des relations entretenues par les humains, les animaux, les plantes, les forces de la nature, les esprits et les formes du terrain dans une localité précise, plutôt qu’à la découverte de principes universels (Battiste et Henderson, 2000, p. 44). Un autre universitaire indigène, Gregory Cajete, a inventé le terme « ethnoscience » dans son livre Look to the Mountain9 (2001). Il décrit l’épistémologie indigène comme étant liée à la terre, aux lois spirituelles qui régissent la terre et à la façon dont la coexistence des animaux, des plantes et des humains crée un équilibre collectif. Il examine comment l’ethnoscience reflète le caractère unique d’une localité; par conséquent, les connaissances indigènes sur la guérison traditionnelle seraient intrinsèquement liées à la terre et exprimées par la langue et la culture. 9 « Regardez vers la montagne » 12
Questions courantes concernant la localité et la culture Récemment, deux guérisseurs équatoriens ont été inculpés de « négligence criminelle causant la mort et de l’administration, du trafic et de l’importation au Canada d’une substance contrôlée » [traduction] (Carr, Canadian Press, 3 novembre 2002). Ces accusations risquent de répercuter énormément sur les guérisseurs traditionnels. À présent, les deux hommes médecine font face à de longs procès à cause d’un décès survenu pendant une cérémonie menée dans la collectivité de Wikwemikong. Les arguments contre les deux Équatoriens reposent sur la notion du « trafic de substances contrôlées ». La substance contrôlée en cause, l’aya-huasca, est bien documentée dans les ouvrages d’anthropologie et d’ethnobotanique. Des questions se rapportant aux guérisseurs équatoriens et à l’usage de substances seront soulevées tout au long du présent document dans les sections traitant de sujets connexes. L’enjeux principal s’articule autour de l’idée que les pratiques de guérison indigène sont spécifiques à une localité et à une culture. L’affaire comporte alors des répercussions pour le transfert de la guérison traditionnelle à des populations culturellement mixtes. Voici donc la question qu’on soulève sans cesse : Est-ce que les méthodes employées par la médecine traditionnelle limitent l’utilité des connaissances indigènes à une localité ou à une culture précises? Notions rattachées à la guérison traditionnelle – Politiques Selon Wade Davis (un anthropologue et ethnobotaniste de grande renommée, dont la pensée éclaire et met dans son contexte l’usage de l’aya-huasca et l’immense fossé qui divise la médecine occidentale de la guérison indigène) : [Traduction] Pour bien comprendre le rôle du chaman, et pour moindrement saisir son génie pour l’usage des plantes, nous devons admettre la possibilité que lorsqu’il parle de voyages dans le monde des esprits, il ne s’exprime pas en termes métaphoriques. Il s’agit possiblement là de la leçon qui m’a été la plus difficile à intégrer en tant qu’ethnobotaniste formé dans les sciences […] Faisant preuve d’une perspicacité digne d’un chimiste moderne, ils ont reconnu que de très petites doses de différents composés pourraient se potentialiser les unes les autres de façon efficace. Dans le cas de l’aya-huasca, environ vingt et un mélanges ont été repérés, notamment Psychotria viridis […] « Peux-tu m’expliquer, a dit Dennis, comment diable ils sont arrivés à déceler le secret? » Quelles sont les chances qu’on découvre, dans une forêt comportant cinquante mille espèces, deux plantes complètement différentes, l’une étant une vigne et l’autre un arbuste, et qu’on apprenne à les combiner de façon précise, si bien que leurs propriétés chimiques toutes particulières et tout à fait inhabituelles se complémentent à merveille […]? (Davis, 2001, p. 75). 13
L’emplacement géographique d’un guérisseur le caractérise. Les peuples indigènes et non indigènes sont tous d’accord à cet égard. La question du transfert de guérisseurs d’une nation à l’autre est au cœur des enjeux contemporains en guérison traditionnelle. Le cas des deux chamans accusés au Canada constitue peut-être un avertissement digne d’un examen plus attentif. Dans certaines régions, des dérogations limitées s’appliquent aux guérisseurs traditionnels. Par exemple, la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, Lois de l’Ontario, déclare que : « Cette Loi ne s’applique pas aux (a) guérisseurs autochtones fournissant des services de guérison aux Autochtones ou aux membres de la communauté autochtone » [traduction]. La question que nous devons nous poser est celle-ci : Est-ce que des dérogations nationales, ou même internationales, devraient s’appliquer aux guérisseurs traditionnels? « Guérisseur » est un terme que la documentation réserve aux praticiens de guérison traditionnelle, aux chamans et aux « médecins » indigènes. Cela fait contraste avec les descriptions de la biomédecine occidentale qui ne définissent pas généralement les « médecins, docteurs ou chirurgiens » comme étant des « guérisseurs ». La majorité des allusions à la biomédecine occidentale ne renvoient pas à la guérison ou à un guérisseur puisque, selon un auteur, « ces deux termes sonnent peu scientifiques et évoquent vaguement le charlatanisme » [traduction] (Coulehan, 1976, p. 93). Il semblerait que la documentation indigène n’évite pas l’usage de ces termes puisqu’elle ne cherche pas à être affirmée par les modèles biomédicaux. Les points de services qui prodiguent la guérison traditionnelle sous diverses formes s’appliquent à définir le guérisseur; par exemple, les services correctionnels du Canada et les enquêtes judiciaires ont, ironiquement, jouer un rôle prépondérant pour définir les termes connexes à la guérison traditionnelle. Dans The Way of the Pipe: Aboriginal Spirituality and Symbolic Healing in Canadian Prisons10 (1997), Waldrum déclare : [Traduction] Le rôle du guérisseur est central au processus de guérison symbolique et, dans le même ordre d’idées, le rôle des aînés autochtones est central à la spiritualité autochtone. Cependant, le statut de « guérisseur » ou d’ « aîné » est ambigu et n’a jamais été clairement défini. À vrai dire, il doit être négocié lors de chaque rencontre thérapeutique ou spirituelle. La question de qui est un « aîné » est bien épineuse. Le critère de base est d’être accepté en tant qu’ « aîné » par la « communauté » (Waldrum, 1997, p. 109). 10 « La voie du calumet : La spiritualité autochtone et la guérison symbolique dans les prisons canadiennes » 14
Rupert Ross, un autre auteur, examine la philosophie du système juridique ainsi que la façon dont les Autochtones arrivent à transformer un « criminel » en une personne aux prises avec des problèmes et ayant besoin de guérison ou de conseils; le fondement de cette perception est lié aux traditions dans Returning to the Teachings11 (1996). La guérison est sensiblement une force qui répercute sur tous les aspects de la société autochtone. À présent, les politiques visant explicitement l’assimilation sont tombées en désuétude et de nouvelles politiques appuyant les traditions indigènes ont été introduites. Le résultat est que les peuples indigènes doivent maintenant s’affronter à l’institutionnalisation de la tradition! (CRPA, 1996; Waldrum, 1997; Frideres, 1993.) Le fait que les organismes gouvernementaux « appuient » la relance de la « culture » et de l’« héritage » des Autochtones crée le besoin d’examiner les conséquences éventuelles de ces nouvelles politiques pour des domaines précis, notamment la guérison traditionnelle. La Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées définit le « guérisseur autochtone » comme étant une personne autochtone qui fournit des services de guérison autochtone (Chapitre 18, 1991). Cette définition est sujette à plusieurs interprétations. Elle risque de devenir une arme à double tranchant par son langage vague qui constitue simultanément une protection pour l’autonomie indigène et une faille dangereuse qui permettrait aux opportunistes de se faire passer pour des guérisseurs authentiques et de revictimiser les peuples autochtones. Le rôle de l’autorité, de l’authenticité et des aînés Dans la documentation, les termes « aîné » et « guérisseur » sont employés de façon interchangeable puisque les enseignements traditionnels sont reconnus pour guérir l’esprit. « Aîné » est un autre terme associé à la guérison traditionnelle qui est employé de façon vague ou contradictoire. Le volume du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996) intitulé Vers un ressourcement décrit les aînés comme étant : [Traduction] Les gardiens de la tradition et de la culture, les sages, les enseignants. Bien que la majorité des gens versés dans les mœurs traditionnelles soient âgés, il faut reconnaître que toute personne âgée n’est pas un aînés et que tous les aînés ne sont pas nécessairement âgés (CRPA, 1996, vol. 3, p. 527). 11 « Le retour aux doctrines ancestrales » 15
Une profusion de documents renvoie aux aînés, mais les auteurs de ces documents n’offrent aucune définition du terme. Une exception serait Gwitch’in Native Elders12 de Shawn Wilson (1996). L’auteur écrit : [Traduction] Qu’est-ce qu’un aîné? Par quelles caractéristiques les aînés se distinguent-ils des autres personnes âgées? […] De plus en plus, les aînés sont reconnus par leur capacité de rendre aux collectivités un état de synergie et de mieux-être (Katz, 1984; Katz et Seth, 1986) […] L’aîné défend les valeurs associées à la famille, non seulement par ses paroles ou ses pensées, mais par ses gestes (Wilson, 1996, p. 7). Certains auteurs décrivent les caractéristiques attribuées aux aînés, mais ils omettent de définir le concept. Le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996) s’est désigné la tâche de répondre à la question : Qui sont les aînés? Les auteurs expliquent que : [Traduction] Les aînés sont respectés et vénérés pour la sagesse, l’expérience et les connaissances qu’ils ont acquises au fil de bien des années. Ce sont des personnes qui servent de modèles et qui ont contribué en quelque sorte au bien d’autrui. Pour y arriver, ils ont généralement dû sacrifier quelque chose d’eux-mêmes, que ce soit leur temps, leur argent ou leur énergie […] Les aînés, les anciens, les grands-pères et les grands-mères ne conservent pas les connaissances ancestrales. Ils les vivent (CRPA, 1996, vol. 4, p. 109). Chez les Inuits, les vieillards sont appelés inutuquak, mais ceux qu’on considère des aînés sont appelés angijukqauqgatigiit, ce qui se traduit par « l’union des aînés » (CRPA, 1996). Selon les lignes directrices élaborées par les Services correctionnels du Canada, un aîné serait : [Traduction] […] toute personne reconnue par une collectivité autochtone externe pour ses connaissances et sa compréhension de la culture traditionnelle de la collectivité, y compris les manifestations concrètes de la culture et des traditions spirituelles et sociales du peuple. Le savoir et la sagesse, ajouté à la reconnaissance et le respect des gens de la collectivité, sont des caractéristiques essentielles des aînés/conseillers spirituels (SCC, 2001, p. 4). Les Métis ont questionné un groupe d’aînés métis lors d’une conférence récente et ces derniers ont défini les aînés ainsi : [Traduction] Traditionnellement, ces personnes étaient appelées « les vieux ». En réalité, il s’agissait de chefs de clan qui devaient se mériter le respect d’autrui et avoir une 12 « Les aînés autochtones des Gwitch’in » 16
bonne et solide réputation. Ces gens étaient également nos historiens […] (Shore et Barkwell, 1997, p. 206). Une caractéristique clé est que les aînés ne cherchent pas le prestige; la position d’aîné leur est plutôt accordée par les autres. Les multiples termes employés dans les langues autochtones renvoient à des personnes qui ont mérité leur position (Meili, 1992). Dans la pratique de la guérison traditionnelle, les aînés servent souvent « de psychologues, de chefs spirituels ou de conseillers » à l’intérieur d’un système de croyances dynamique et évolutif. Multiples dimensions des sociétés indigènes sont muables. Il est donc raisonnable de penser que le concept d’aîné évolue lui aussi, même si les caractéristiques sont imprégnées des valeurs, des croyances et des principes culturels. Le but de la guérison, et le rôle des guérisseurs et des aînés, est de soigner l’esprit, le corps et l’âme du peuple. Les besoins du peuple ont changé avec le temps. Notre défi est d’adapter les concepts selon les nouvelles circonstances. Le guérisseur, l’aîné et la guérison ne demeureront pas nécessairement uniquement associés à la tradition. La diversité qu’on remarque chez les guérisseurs et les aînés n’est pas seulement le résultat de leur diversité culturelle, mais reflète également leur histoire coloniale et leur localité. Les collectivités indigènes en milieu urbain, rural ou éloigné repèrent les guérisseurs et les aînés selon des attentes et des approches très différentes; les attentes et les approches quant à l’accès aux guérisseurs et aux aînés sont tout aussi variées. Protéger la guérison traditionnelle de l’exploitation et de l’appropriation [Traduction] Pour ce qu’il est du savoir indigène, nous tenons à souligner le besoin de reconnaître et de respecter, autant par les lois nationales qu’internationales, le principe que toute acquisition, publication, emploi scientifique ou application commerciale du savoir indigène doit correspondre aux droits coutumiers des peuples en question, tels qu’ils les définissent eux-mêmes (Battiste et Henderson, 2000, p. 269). Les collectivités indigènes de partout dans le monde participent à un débat crucial sur la commercialisation des cérémonies, des rituels et de la guérison. Nous sommes au seuil d’une nouvelle époque où le premier venu peut acheter ce qui était, par le passé, des connaissances sacrées. Un examen approfondi de la commercialisation des cérémonies n’est pas possible, vu l’insuffisance de la recherche et de la documentation à cet égard. Cependant, on peut trouver dans les premiers documents ethnographiques certaines références aux échanges de cérémonies contre des marchandises ou de l’argent. Un des premiers récits de ce genre raconte l’histoire d’un commerçant de fourrures et un trappeur. Le commerçant doutait que l’homme médecine puisse retrouver ses « collègues perdus », mais la situation étant désespérée, il a consenti à l’échange. 17
L’homme médecine a exécuté la cérémonie de la tente branlante et a ensuite fait part de l’emplacement exact des commerçants perdus. Il a reçu une somme d’argent et des marchandises comme paiement. D’après les dires de Nelson, l’homme médecine aurait continué à troquer ses services (Nelson, 1989). D’autres ouvrages datant des débuts de l’ethnographie, comme Western Woods Cree13 de Mendleblum (Mendleblum, 1934), font référence à des hommes/femmes médecines payés pour l’exécution de cérémonies. L’échange de rituels pour un paiement n’a rien de nouveau. Nous avons plus d’intérêt à examiner la question suivante : Quelles sont les conséquences de cette pratique pour l’intégrité sociale des sociétés indigènes et pour l’authenticité des praticiens modernes de la guérison traditionnelle? Dans l’article de Christopher Ronwanien:te Jock, « Spirituality for Sale: Sacred Knowledge in the Consumer Age »14 paru dans Native American Spirituality (2000), l’auteur cite l’énoncé du Center for the Support and Protection of Indigenous Religions and Indigenous Traditions, présenté en 1993 : [Traduction] Les cérémonies traditionnelles et les pratiques spirituelles […] sont des dons précieux accordés aux Indiens par le Créateur. Ces pratiques sacrées nous ont permis, en tant qu’Indiens, de survivre – miraculeusement – à cinq siècles d’attaques continues, menées par des non Indiens et leur gouvernement dans le but de nous anéantir en effaçant toute trace de nos mœurs traditionnelles. À présent, ces précieuses traditions sacrées continuent à fournir aux Amérindiens de toutes les [nations] la force et l’énergie qui nous est nécessaire pour affronter les luttes quotidiennes; elles nous offrent également le meilleur moyen d’assurer un avenir stable et dynamique. Ces traditions sacrées constituent une « bouée de sauvetage » durable et indispensable, sans laquelle nous serions submergés par les malheurs qui, même aujourd’hui, menacent notre survie. C’est parce que nos traditions sacrées nous sont si précieuses que nous ne pouvons accepter qu’elles soient profanées et exploitées (CSPIRIT, 1993 dans Jock, 2001, p. 66). La transformation de cérémonies traditionnelles en marchandises mine les idéaux et les valeurs traditionnelles. La pratique coutumière d’offrir un don aux praticiens, généralement sous forme de nourriture ou d’autres objets utiles, n’est plus suffisante dans une économie basée sur les salaires. Nous avons déniché très peu d’articles portant leur attention sur les conséquences de l’économie moderne pour la guérison traditionnelle. En revanche, les droits de propriété intellectuelle sont une préoccupation majeure pour les peuples indigènes. Selon Battiste et Henderson : [Traduction] Les divers régimes légaux se rapportant à la propriété intellectuelle ont accordé des droits de propriété exclusifs à cette culture autonome pour favoriser sa commercialisation – la 13 « Les Cris des forêts de l’Ouest » 14 « La spiritualité à vendre: Les connaissances sacrées et l’ère de la consommation » 18
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