La Mort aux trousses (analyse) - Laurette Grenier - Érudit
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Document généré le 9 déc. 2021 13:16 Séquences La revue de cinéma La Mort aux trousses (analyse) Laurette Grenier Numéro 33, mai 1963 URI : https://id.erudit.org/iderudit/51939ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Grenier, L. (1963). La Mort aux trousses (analyse). Séquences, (33), 67–72. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1963 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
LA MORT AUX TROUSSES (North by Northwest) A. 2b,ocumentation talio 1. Générique James Mason (Philip Vandam), Jessie Royce Landis (Clara Thornhill) Lee G. Carroll (l'agent du C.I.A.), Philip Ober Film américain 1959 — Prod, et Real. (Lerter Townsend), Martin Landau (Leo- Alfred Hitchcock. — Scén. : Ernest Leh- nard), Adam Williams (Valerian), Ed- man. — Phot. : Robert Burks — Mus. ward Platt (Victor Larabee), Josephine Bernard Herrmann. — Dec. : Henry Grace Hutchinson (la fausse Mme Townsend), et Frank McKelvey. — Mont. : George Robert Ellenstein (Licht), Les Tremayne Tomasini. — Int. : Cary Grant (Roger (l'encanteur). — 132 min. — Vista- Thornhill), Eva Marie Saint (Eve Kendall), vision, Technicolor. — Dist. : M.G.M. MAI 1963 67
2. Résumé du scénario tées les effigies géantes de quatre prési- dents des Etats-Unis) poursuivis par les Roger Thornhill, directeur d'une a- espions. gence de publicité à New-York, est en- levé et conduit devant Phillip Vandamn, 3. Le réalisateur le chef d'un réseau d'espionnage. Il dé- couvrira, étonné, qu'on le confond a- (voir page 47) vec un certain Kaplan, agent au ser- vice de contre-espionnage (C. I. A . ) . Vandam donne ordre à ses hommes 4. Les collaborateurs de le supprimer : on le grise et le pla- ce au volant d'une voiture sur une rou- "Le style d'Hitchcock, écrivent Roh- te qui longe un précipice. Miraculeuse- mer et Chabrol, est fondé sur la préci- ment ( ! ) sauvé, Thornhill s'engage sion. Le moindre décalage entre la con- alors à son insu dans de périlleuses a- ception et la réalisation peut être fatal: ventures, poursuivi à la fois par les es- aussi Hitchcock cherche-t-il toujours à pions et la police qui le croit coupable former une "équipe" idéale, qu'il s'ef- de meurtre. force de conserver de film en film ( D " . Dans un rapide en direction de Chi- Robert Burks a été promu chef-opéra- cago, une jolie blonde (Eve Kendall) teur lors de la réalisation de Strangers accepte de le cacher dans son compar- on the Train (1951) et participe de- timent et consent à téléphoner à Ka- puis ce temps à tous les films de Hitch- plan pour fixer un rendez-vous. Thorn- cock (sauf Psycho). Depuis 1955, la hill se rend au lieu fixé, dans les plai- musique des films de Hitchcock est com- nes du Middle West, mais n'y trouve posée par Herrmann et le monteur qu'un avion-sulfateux qui l'attaque à la George Tomasini fait partie de l'équipe mitrailleuse. Il en sort indemne et re- depuis 1956. vient à Chicago, ayant compris qu'Eve n'était qu'une espionne. Il la surprend 5. Les interprètes d'ailleurs avec Vandam dans une sal- le de ventes aux enchères. Hitchcock se plaît aussi à choisir des Le C. I. A. intervient et prend Thorn- acteurs qui ont une cettaine notoriété hill sous sa protection. On lui explique et qu'il intègre à "son équipe". "Je n'ai que Kaplan est un personnage fictif, pas choisi Cary Grant par hasard, nous créé pour mettre les espions sur de dit-il. Il était essentiel que le public le fausses pistes et protéger ainsi le véri- connût et l'aimât. Les malheurs d'un table agent, qui n'est autre que Miss acteur favori doublent le facteur d'é- Kendall. Enfin, on demande à Thorn- motion. Si j'étais écrivain, je préfére- hill de continuer à jouer le rôle de rais créer de nouveaux personnages — Kaplan. mais au cinéma le Star System, que je n'approuve pas toujours, m'aide à aug- Mais quelques minutes avant l'en- menter le suspense." Cary Grant avait volée qui devait les ramener à leur pays d'origine, les espions découvrent le jeu de Miss Kendall. Thornhill ar- rive et s'enfuit avec Eve en direction (1) E. Rohmer et C. Chabrol, Hitch- du mont Rushmore (là où sont sculp- cock, Ed. Universitaires, p. 22. 68 SÉQUENCES
déjà joué dans deux films d'Hitchcock : le vide, ne bronche pas". North by Notorious (1946) et To Catch a Thief Northwest reprend donc l'itinéraire de (1955). Cinquième Colonne mais en sens in- Eva Marie Saint apparaît cependant verse. Et les deux films se terminent pour la première fois dans un film par une chasse à l'homme sur un mo- d'Hitchcock et le réalisateur a dû la nument national, le premier, sur la Sta- remodeler entièrement pour en faire tue de la Liberté et le second, sut le une jeune fille sophistiquée. Il avoue mont Rushmore dans le Dakota du avoir lui-même choisi ses robes dans Sud. un grand magasin de New-York. Oui Mais North by Northwest est plus reconnaîtrait la jeune fille timide et que la correction d'un brouillon. Cha- triste de Sur les Quais ? cune de ses principales séquences pro- longe une situation, un effet ou un 6. Les sources thème esquissés dans un film précé- dent. On songe ici à une réplique de l'héroïne de Rébecca (1939) qui ex- Hitchcock nous confie l'origine du plique : "Mon père peignait toujours scénario de North by Northwest. "L'i- la même fleur : il estimait que, lors- dée du film m'a été donnée il y a dix qu'il a trouvé son sujet, le désir de l'ar- ans, par un journaliste. Elle s'inspirait tiste est de ne plus peindre que lui". d'un fait divers : un homme innocent Hitchcock en use-t-il avec les ob- avait été enlevé par des espions qui jets ou les thèmes de ses films de la croyaient reconnaître en lui un agent même façon qu'il se comporte avec ses des services secrets. Or cet agent n'exis- acteurs et ses collaborateurs : chaque tait pas et avait été créé par le gouver- image s'insère dans un groupe pour nement pour servir d'appât aux es- former "l'équipe idéale", un film hitch- pions". cockien. Et cela est tellement vrai, que Mais c'est à lui-même que le réalisa- des critiques ont déjà élaboré un "lexi- teur américain emprunte davantage. Il que mythologique pour l'oeuvre d'Al- aime puiser dans le répertoire de ses fred Hitchcock". On y retrouve les anciens films soit pour corriger et ap- mots : ascension, chute, culpabilité, en- profondir une oeuvre antérieure dont chères, train, téléphone, lunette ou au- il n'est pas satisfait, soit encore et sur- tres instruments d'optique, etc., toutes ces tout, pour exprimer en les prolongeant images quotidiennes avec lesquelles (consciemment ou non) les points es- Hitchcock nous familiarise et qui, par sentiels de sa thématique. leurs incessantes réapparitions, s'organi- sent "pour réaliser la synthèse expressi- Hitchcock n'était pas pleinement sa- ve de certains thèmes". tisfait de son film, Cinquième Co- lonne (Saboteur, 1942). Les acteurs Il ne faudrait pas conclure de là que Robert Cummings et Priscilla Lane North by Northwest n'est qu'un éblouis- n'étaient pas assez convaincants. En sant répertoire de morceaux choisis. U- outre, le maître du suspense avait fait ne étude approfondie du film nous une erreur magistrale à la scène finale : montrera qu'il est plus que cela. il avait mis le méchant en danger de mort et non pas le héros. Or, nous dit Hitchcock, "le public, lorsqu'il voit le ( 2 ) Cahiers Cinéma, août 1956, p. méchant sur le point de tomber dans 18. MAI 1963 69
B. ETUDE çon rapide mais très juste, les princi- paux traits du publicitaire. Ce dernier 1. Le "roi du suspense" participe pleinement à notre civilisation de la vitesse, du "mémo" (écrivez : penser à maigrir) et de l'hyperbole. Les critiques ont souvent affirmé "Dans le monde de la publicité, expli- qu'Hitchcock est le moins intellectuel que Thornhill, on ignore le mensonge. des réalisateurs. Celui-ci a, néanmoins, Cela s'appelle de l'exagération". réfléchi sur son oeuvre et nous a livré Il n'est pas nécessaire, non plus, d'ê- un art du suspense qui pourrait bien tre physionomiste pour identifier les être aussi son Art cinématographique. gangsters. Le brusque mouvement de la "Pour créer et réussir le suspense, ex- caméra, l'impassibilité de leur visage, plique-t-il, il faut établir la situation révèlent la maîtrise de la touche hitch- de base — avec les personnages, leurs cockienne. Et que dire de Vandam ? caractères, leurs rapports sujets à de Un sourire ironique, un geste dénonce multiples variations — rendre ces per- le côté machiavélique du personnage. sonnages sympathiques au public et in- former ce dernier pour le préparer au b) "rendre les personnages sympathi- suspense." North by Northwest est-il, ques au public" selon ces critères, un chef-d'oeuvre du Les réactions du public prouvent combien il est vrai que "les malheurs A ) Bien "établir la situation de base" d'un acteur favori doublent le facteur d'émotion". Le spectateur a les nerfs Le générique, qui est de Saul Bass, crispés, il se cambre pour que se déga- justifie à lui seul cette première exi- gent les vapeurs de l'alcool, se recroque- geance : le building de verres des Na- ville pour que l'avion ne l'effleure pas, tions-Unies réfléchit et brise en multi- suggère : N'y va pas — attention ! . . . ples facettes l'image de l'agitation de et enfin, un ouf ! il l'a échappé bel- la ville. Déjà l'intrigue est située géo- le !" graphiquement (New-York), le genre délimité (un film d'espionnage) et une c) informer le public "pour le prépa- habile notation visuelle nous prépare à rer au suspense" la séquence qui se déroulera à l'O.N. U. (assassinat d'un diplomate). Mieux Cette participation du public résulte encore, l'image inverse et brisée que d'une complicité avec le metteur en nous renvoie l'édifice reflète l'atmos- scène. Le spectateur apprend bien a- phère du film, son rythme effréné, et vant Thornhill que Kaplan n'existe pas disons plus, notre monde de la publi- et que le rendez-vous dans la plaine du cité et l'agitation qui en découle. Middle West est un piège. Il semble Cette image très XXe siècle, intro- assez paradoxal que la connaissance de duit notre héros : Roger Thornhill. ces éléments du film puisse contribuer Sept à huit plans esquissent d'une fa- à augmenter le suspense. Pourtant c'est 70 SÉQUENCES
là un fait indéniable. Si le spectateur avons déjà souligné son habileté à es- connaît ces choses, le héros, lui, les quisser le caractère des personnages : ignore. Son impassibilité devant le dan- un mouvement brusque de caméra, un ger, les fausses pistes dans lesquelles il gros plan, un geste. Il ne lui en faut s'engage, irritent le spectateur. La pen- guère plus pour créer une atmosphère sée de ce dernier s'attache à ces élé- tragique ou comique : la couleur d'un ments, son attention se concentre sur vêtement, un jeu de lignes, une plon- le suspense. Et Hitchcock gagne encore gée ou tout simplement un édifice. une fois... C'est que l'art d'Hitchcock est fait de détails. 2. L'humoriste anglo-saxon "Ce film passionnant vous conduira du palais de l'O.N.U. aux champs de maïs du Middle West", voilà comment . . . Une fois de plus, Hitchcock se les distributeurs ont lancé le film, sera payé notre tête. Pendant vingt mi- North by Northwest. C'était inviter le nutes, il nous met dans les transes, nous public à un film documentaire. Le pu- fait construire différentes hypothèses et bliciste Roger Thornhill s'en serait sû- parvenu au point de saturation, il ren- rement mieux tiré car pour lui les dé- verse tout par une note humoristique, cors ont une valeur plus que descripti- un "Je veux la police" ou un "Alors ve. Disons-le, ils touchent au tragique. messieurs, vous essayez vraiment de Ils s'érigent en obstacle (plaine du tuer mon grand garçon ?" ou encore Middle West qui n'offre aucun abri), "Mon cher, ce sera pour la prochaine contrastent ironiquement avec le sé- fois". Eh oui, Hitchcock nous convie rieux de la situation (ainsi la verdure i un nouveau départ, "une prochaine du domaine Townsend alliée à une mu- fois", comme dit si bien Thornhill. Cet- sique pastorale), participent indiffé- te détente était néanmoins indispensa- rents au drame qui se joue (les ble. "Le plus important est de ména- Présidents des Etats-Unis), écrasant par ger une pause à la fin d'un suspense leur masse les protagonistes. pour soulager le public", affirme lui- même le réalisateur. Elle permet de Et pourquoi ne dirions-nous pas que refaire "ses réserves d'émotion" et as- ces décors prennent une dimension hu- sure un équilibre au film en intégrant maine puisqu'ils sont l'écho de la réa- le comique au suspense. lité contemporaine décrite dans le film et à laquelle nous faisions allusion lors- D'ailleurs, les éléments comiques que nous avons analysé le générique ? sont habilement répartis tout au long du film et résident surtout dans les Certains objets, par leur apparition contrastes. Ces derniers sont d'ordre vi- tout au long du film, sont autant de suel (Thornhill et le petit tasoir) ou leitmotive qui s'orchestrent harmonieu- se retrouvent dans les situations, les at- sement avec la donnée du film. On son- titudes désinvoltes et les fines réparties ge ici au téléphone qui fournit tour à de Thornhill. tour un thème comique et tragique. Ainsi Hitchcock, nous avons pu le constater, a repris à son compte la réa- 3. Réalisation lité extérieure pour la projeter dans le creuset de sa technique, la soumettre à North by Northwest nous révèle tou- l'alchimie de l'art cinématographique te la magie de l'art hitchcockien. Nous et en tirer une substance nouvelle, déli- MAI 1963 71
cieuse. Les objets de nature ont reçu la 2. Quels sont, dans North by North- marque de sa sensibilité, de son goût west, les principaux thèmes hitch- du fantastique, de sa longue expérien- cockien ? ce comme cinéaste et enfin, de son gé- nie. North by Northwest est un film 3. Relevez les formes de comique proprement hitchcockien. utilisées par Hitchcock. Thèmes de réflexion 4. Comment Hitchcock réussit-il à nous faire participer au drame ? 1. Peut-on reprocher au film un cer- tain illogisme ? Laurette Grenier LES STAGES DE CINEMA 1963 Au cours des prochaines vacances, il se tiendra, dans plusieurs régions de la Pro- vince, des stages de cinéma destinés aux éducateurs et aux étudiants qui dirigent un ciné-club. Pour des précisions sur le lieu, la date et le program- me, les intéressés sont priés de s'informer auprès de leur Office diocésain des Techni- ques de diffusion. 72 SÉQUENCES
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