Le chant des nuages Véronique Bellemare Brière - Érudit

La page est créée Charlotte Joubert
 
CONTINUER À LIRE
Le chant des nuages Véronique Bellemare Brière - Érudit
Document generated on 09/21/2021 7:35 p.m.

Continuité

Le chant des nuages
Véronique Bellemare Brière

Échos de la musique
Number 91, Winter 2001–2002

URI: https://id.erudit.org/iderudit/16093ac

See table of contents

Publisher(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (print)
1923-2543 (digital)

Explore this journal

Cite this article
Bellemare Brière, V. (2001). Le chant des nuages. Continuité, (91), 47–49.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 2001                             This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                             (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
                                                                             viewed online.
                                                                             https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

                                                                             This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                             Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                             Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                             promote and disseminate research.
                                                                             https://www.erudit.org/en/
Le chant des nuages Véronique Bellemare Brière - Érudit
Le
                                                                                              chant
                                                                                              des
                                                                                              nuages
Après avoirfait chanter les planètes selon l'harmonie de Kepler,
r architecte Nicolas Reeves et Péquipe NXI Gestatio inventaient
un fabuleux instrument destiné à faire chanter les nuages.

    p a r Véronique Bellemare Brière           Kepler (1571-1630). L'astronome suppo-         En février 2000, Nicolas Reeves installe
                                               sait que les planètes chantaient selon une     sa Harpe dans les larges douves de la Cité

L
         a Harpe képlerienne ou Harpe          note définie par leur distance du soleil.      internationale de Lyon, une création
                                               Toutefois, Reeves n'a trouvé l'idée de         de l'architecte Renzo Piano. La Harpe
         à nuages, exposée au Québec, à
                                                                                              à nuages a d o p t e une configuration
         New York, en Allemagne et en          nuages qui chantent dans aucun conte ou
                                                                                              orthogonale adaptée au site d'implantation.
         Pologne, se présente comme un         mythe.
         instrument architectonique pre-                                                      Photos : Nicolas Reeves
         nant appui dans le ciel, d'où                     ÉCOUTER LE CIEL
émane une musique composée à partir des        Mais comment fait-on pour saisir le chant      et qu'elle est grave si le nuage est bas. Ou
signaux captés par le balayage nuageux.        des nuages? En fait, le fonctionnement de      encore qu'un nuage dense va augmenter
Comme le pianiste joue du piano, Nicolas       la Harpe se compare à celui d'un lecteur       le volume sonore tandis qu'un nuage plus
Reeves «joue du nuage», activité on ne         de disques compacts géant, dans lequel le      vaporeux va produire un son plus faible.
peut plus singulière qui lui a valu l'appel-   nuage joue le rôle du disque. Un télescope     Les sons produits virtuellement sont infi-
lation de «nuagiste» par la journaliste        observe la couche nuageuse à l'endroit         nis puisque le nuage lui-même ne fait pas
Pascale Guéricolas.                            précis où un laser infrarouge vient la frap-   de bruit. Ce sont des synthétiseurs ou des
Faire chanter les nuages... Voilà une idée     per. La nature du nuage - sa densité, son      échantillonneurs qui produisent les sons
qui paraît issue d'un conte de fées! La        altitude - est alors convertie en séquences    qui sont ensuite modulés par le nuage.
technologie permettrait justement, selon       musicales acoustiques. «C'est comme si         Fonctionnant jour et nuit, l'instrument
Nicolas Reeves, de matérialiser des pro-       l'atmosphère devenait une gigantesque          souffle de légères harmonies par temps
jets mythiques ou légendaires que l'hu-        partition et que les nuages étaient des        clair et de longues ondulations nocturnes.
manité porte en elle pratiquement depuis       notes qui chantent», explique l'artiste.
sa naissance. Fàn ce sens, la Harpe à          Kn tant que chef d'orchestre des nuages,            E N SYMBIOSE AVEC LA NATURE
nuages fait suite à la musique des sphères     Nicolas Reeves peut donc décréter que          Pour Nicolas Reeves, l'idée de planter un
imaginée au XVIL siècle par Johannes           lorsque le nuage est haut, la note est aigué   objet dans un parc en pleine nature.

                                                            D o s s i e r                                                  numéro quatre-vingt-onze u
Le chant des nuages Véronique Bellemare Brière - Érudit
instrument insolite, la Harpe à nuages
                                                                                                                  interpelle le spectateur par son aspect
                                                                                                                  merveilleux e t magique. Bois, acier,
                                                                                                                  équipements optiques, électroniques
                                                                                                                  et audio constituent autant
                                                                                                                  de composantes d e l'œuvre.

                                                                                                                  chantante au passage des nuages et muette
                                                                                                                  en leur absence. Par sa présence à la fois
                                                                                                                  sentie et mystérieuse, la H a r p e d e v i e n t
                                                                                                                  un é l é m e n t intrigant et r a s s e m b l e u r .
                                                                                                                  Ainsi, dans ce parc d'Amos, des dormeurs
                                                                                                                  se couchaient autour d'elle et se laissaient
                                                                                                                  b e r c e r par sa m u s i q u e r é c o n f o r t a n t e la
                                                                                                                  nuit durant. A l'image des thaumata, ces
                                                                                                                  m a c h i n e s m e r v e i l l e u s e s q u ' o n installait
                                                                                                                  dans les jardins d e la G r è c e a n t i q u e , la
                                                                                                                  Harpe provoque l'émerveillement en per-
                                                                                                                  mettant d e multiples jeux avec les passants
                                                         comme la Harpe installée la première fois                et la nature environnante.
                                                         à Amos (Québec, 1997), rejoint celle des                 L'ancrage d e la Harpe à nuages dans son
                                                         jardins sonores, comme ceux du parc d e la               e n v i r o n n e m e n t est fondamental. À l'in-
                                                         Villette à Paris ou encore les célèbres jar-             verse d ' u n e œ u v r e d'intégration perma-
                                                         dins japonais. C e s derniers sont e n effet             n e n t e e n a r t p u b l i c , la H a r p e e s t e n
                                                         le lieu d e petits é v é n e m e n t s sonores où        constante mouvance et s'adapte à chaque
                                                         l'eau, les roches et des tubes d e bambou                nouveau sol d'accueil. Si sa composition
                                                         interagissent en harmonie, créant des per-               formelle est d i r e c t e m e n t inspirée d e la
                                                         cussions a u x r y t h m i q u e s naturelles. O n       g é o m é t r i e d e n u a g e s , sa m o r p h o l o g i e
                                                         note aussi u n e analogie entre la Harpe à               finale tient c o m p t e d e l ' e n v i r o n n e m e n t
                                                         nuages et les harpes é o l i e n n e s , c o m p o -     a r c h i t e c t u r a l e t d u p a t r i m o i n e d u lieu
                                                         sées d e filaments t e n d u s sur un buffet             d'assise. P o u r Nicolas R e e v e s , l'intérêt
                                                         résonant. Installées dans un arbre ou u n e              est d e voir la Harpe redéfinir le milieu où
                                                         fenêtre, ces harpes é m e t t e n t un son très          elle s'inscrit. «L'objet doit parler avec le
       Installée en pleine nature p o u r la première                                                             lieu m ê m e e t avec son e n v i r o n n e m e n t
                                                         curieux, entre le hibou et le violon.
       fois à Amos en .997, la Harpe à nuages
                                                         Nicolas Reeves n'a pas voulu concevoir                   géographique », souligne-t-il.
       p r o d u i t d e petits événements sonores
                                                         un instrument d e concert, mais plutôt un                Ainsi, à Amos, l'artiste a pensé la configu-
       q u i ressemblent à ceux audibles dans
                                                         objet qui pourrait être installé à l'exté-               ration d e la Harpe selon une géométrie d e
       les jardins japonais.
                                                         rieur e n p e r m a n e n c e , sorte d e fontaine       stratus qui rappelait é g a l e m e n t un frag-

                                                           Etiàw                  COLLECTION
                                                                                  SOUS LA DIRECTION DE
                                                                                                                                          Simonne Voyer M Gynett* Tremblay

                                                                                                                                         • •
ment de strate géologique, lien formel et                      monolithique des défuntes tours jumelles.                       tout en offrant de riches occasions de ren-
symbolique avec l'activité minière abiti-                      Pour ce faire, l'approche retenue a été de                      c o n t r e s e n t r e les g e n s . Si les g r a n d e s
b i e n n e . L ' i n s t r u m e n t a été orienté en         voir la Harpe comme un objet minuscule à                        a r c h i t e c t u r e s u r b a i n e s écrasent s o u v e n t
fonction des points majeurs d e l'urbanis-                     rendre précieux, féerique, avec une minu-                       l'architecture par assemblage local, le fait
me amossois: la cathédrale et la maison de                     tie d'orfèvre. Au milieu du ramdam new-                         d ' i n s t a l l e r la H a r p e au c œ u r d e m é t r o -
la culture. L e parc des Lions, où il s'enra-                  yorkais, la H a r p e apparaissait c o m m e un                 poles r e d o n n e l'espace d ' u n instant u n e
cinait, s'étale en un espace concentrique                      petit édifice médiéval, é m e r g e a n t parmi                 place de choix à ce type architectural.
flanqué d e g r a n d s a r b r e s qui s ' é l è v e n t      les arbres c o m m e sur une place de village.                  Plongeant de nombreuses racines dans le
vers le ciel. R e e v e s et son é q u i p e o n t             R e c o u v e r t e d ' é r a b l e , bois t y p i q u e d u    p a t r i m o i n e musical et a r c h i t e c t u r a l , la
donc conçu une structure verticale, en                         Q u é b e c et d e la Nouvelle-Angleterre, sa                   H a r p e est d e v e n u e , c o m m e son a u t e u r
m e t t a n t e n é v i d e n c e la t u b u l u r e p a r     s t r u c t u r e é v o q u a i t d e u x b a t e a u x ailés   l ' i n d i q u e , u n e réelle « m a c h i n e à accro-
laquelle montaient les faisceaux laser.                        pointant vers la ville de Q u é b e c .                         cher des rêves». Devant la magie opérante
À L y o n , c ' e s t d a n s la d o u v e d e la C i t é                                                                      d e son instrument, le « n u a g i s t e » va au-
internationale, sorte de cratère au pied de                                     CHAOS ORGANISÉ                                 delà des nuages. Ayant récupéré les fichiers
l'imposante architecture de Renzo Piano                        Architecte de formation, Nicolas Reeves a                       i n f o r m a t i q u e s d e s t e m p ê t e s d e verglas,
(abritant le Palais des congres, un Hilton                     élaboré les différentes morphologies de la                      Nicolas R e e v e s a p r o d u i t u n e véritable-
et le M u s é e d'art c o n t e m p o r a i n ) , q u e la     Harpe en recourant à u n e géométrie par                        s y m p h o n i e glacée. À H a m b o u r g , lors d e
H a r p e e s t v e n u e se n i c h e r . L a f o r m e       assemblage local, une technique architec-                       l'exposition « T e s t r e i h c G e g e n w a r t » en
orthogonale de la Harpe épousait directe-                      turale toujours très vivante dans les archi-                    1998, il a travaillé avec u n e musicienne-
m e n t l ' e n v i r o n n e m e n t architectural. E n       tectures des villes traditionnelles et dans                     allemande, Trillian Bartel, qui a utilisé un
Pologne, Reeves et son é q u i p e ont fonc-                   les b i d o n v i l l e s . S e l o n R e e v e s , un lien     échantillonnent pour capter les voix des
t i o n n é à partir d e l ' a r c h i t e c t u r e du fort   véritable existe entre les bidonvilles et les                   passants, lesquelles d e v e n a i e n t le signal
Boyen, près de la frontière russe, consti-                     nuages, car ce qui paraît chaotique peut se                     d e base qui était m o d u l é par le n u a g e .
tuée de plusieurs kilomètres de murailles                      révéler une organisation très sophistiquée.                     Jusqu'où ira le Merveilleux?
zigzaguant dans la nature. D e plus petite                     À Montréal, ce type d'assemblage trouve
é c h e l l e c e t t e fois, la H a r p e s'est p o s é e     des échos dans Habitat 67 (de l'architecte                      Véronique Bellemare Brière est journaliste
dans l'une des pointes du /.ig/.ag, c o m m e                  é g y p t i e n M o s h e S a f d i e ) e t d a n s les         indépendante et historienne de l'art spécialisée
dans un jardin privé.                                          ruelles, où s'agglomèrent garages et han-                       en nouvelles technologies.
Enfin, à N e w York, dans le cadre d e la                      gars, c o m m e aurant d e variations paysa-
m a n i f e s t a t i o n Q u é b e c - N e w York 2001        gères du patrimoine urbain.
(cpii a é t é a n n u l é e en raison des é v é n e -          En agençant des formes simples d e plu-
ments q u e nous connaissons), la Harpe a                      sieurs façons, Nicolas R e e v e s s o u h a i t e
été installée sur un petit belvédère circu-                    c r é e r un d i a l o g u e fait d e r e n c o n t r e s et
laire situé au bord du fleuve Hudson, face                     d'interférences entre les objets. Selon lui,
au World T r a d e C e n t e r , avec vue sur la               ces s y s t è m e s p e r m e t t e n t u n e gradation
statue de la Liberté. L e défi était d'offrir                  des espaces plus subtile que le quadrillage
un contrepoids architectural à l'immensité                     spatial des grandes villes contemporaines,

                                                                                     o s s i e r                                                                         numéro (juatre-vingt-onze
Vous pouvez aussi lire