Lectures Vie des arts - Érudit

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Lectures Vie des arts - Érudit
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Vie des arts

Lectures

Volume 20, numéro 80, automne 1975

URI : https://id.erudit.org/iderudit/55085ac

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Éditeur(s)
La Société La Vie des Arts

ISSN
0042-5435 (imprimé)
1923-3183 (numérique)

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Citer ce compte rendu
(1975). Compte rendu de [Lectures]. Vie des arts, 20(80), 80–84.

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                                                                   https://www.erudit.org/fr/
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lectures
                   LES INDIENS DE LA PRÉHISTOIRE EN                 1975; Musée de Vancouver, du 7 mai ai
                   EN COLOMBIE CANADIENNE                           4 juin 1975; Royal Ontario Museum, Toronto
                   Catalogue de l'Exposition IMAGES —               du 23 juin au 24 août 1975; Musée National
                   STONE — B.C. An exhibition originating at        de l'Homme d'Ottawa, du 15 novembre 1975
                   the Art Gallery of Greater Victoria. Saanich-    au 11 janvier 1976. Musée du Winnipeg AM
                   ton, C.B., Hancock House Publishers, Ltd.,       Gallery, du 27 janvier au 7 mars 1976.
                   1975. 191p.; 136 illus. en noir et en couleur.      Le catalogue de l'exposition, à lui seul,
                                                                    est un document précieux sur la sculpture
                       Ce remarquable catalogue est publié à        préhistorique des Indiens de la Côte de la
                   l'occasion d'une grande exposition réunis-       Colombie britannique; il ouvre des voies
                   sant 136 sculptures sur pierre des Indiens       jusqu'à ce jour inexplorées, grâce au travail
                   de la Côte Nord-ouest du Pacifique, en           d'une équipe internationale d'archéologues
                   Colombie britannique. Ces œuvres ont été         et d'artistes.
                   produites sur une période de plus de trente                                   Lucile OUIMET
                   siècles avant l'arrivée des Blancs en Amé-
                   rique. Leurs dimensions varient entre de
                   petites pièces d'un pouce et demi et d'im-
                   menses blocs de pierre. Ces objets sculp-        EXPOSITIONS CANADIENNES DE
                   tés représentent des formes décoratives          1973-1974.
                   d'hommes, d'animaux, d'objets et de mas-         Artistes canadiens-Expositions, 1973-1974.
                   ques qui traduisent la mythologie aussi bien     Toronto, The Roundstone Council for the
                   que la philosophie et les connaissances          Arts, 1974. 288 p.
                   scientifiques de ces peuples anciens. A
                   travers le language plastique, l'humanité et         Cet ouvrage est le deuxième volet de la
                   la façon de voir et de sentir de ces civilisa-   collection intitulée Tour d'horizon de l'art
                   tions disparues nous sont révélées. L'expo-      canadien. Il comprend la période s'étendant
                   sition est le résultat de la collaboration de    de juin 1973 à juin 1974. On se rappelle
                   spécialistes et de directeurs de musées du       que cette collection s'est donné pour but
                   Canada, des États-Unis et de la France.          de présenter, chaque année, les œuvres
                       Dans un texte d'introduction remarqua-       récentes des artistes canadiens ayant par-
     WILSON DUFF   ble, Wilson Duff, professeur d'anthropologie     ticipé aux principales expositions organi-
                   à la U. B. C, qui fut l'âme de cette entre-      sées, d'une extrémité à l'autre du pays,
                   prise, explique la fascination exercée par       durant la période considérée. L'entreprise
                   l'image lorsqu'elle devient une façon de         était aussi ambitieuse et risquée qu'elle
                   voir et de penser, la pierre servant de sup-     était attendue et nécessaire. Avec ce deu-
                   port au message. Il démontre que l'art des       xième volume (sorti de presse six mois
                    Indiens de la Colombie se trouve, sur un        seulement après le premier), les auteurs
                   territoire et sur deux mondes: celui des         semblent avoir triomphé des principales
                   régions du sud arrosé par la rivière Fraser      difficultés et situé leur projet dans une
                   et celui de la région du nord, par la rivière    optique et un style de réalisation qui ne
                   Skeena. Il fait état des relations de l'art et   pourront qu'être bénéfiques à tous ceux qui
                   de l'archéologie, mais il déplore le fait que    attendent une information originale et éten-
                   les œuvres anciennes, retirées de leur envi-     due. Les artistes, d'abord, à qui elle appor-
                   ronnement original alors qu'elles étaient        te la stimulation indispensable à l'œuvre; le
                   séparées dans le temps et dans l'espace          public, qui cherche souvent avec angoisse
                   quand elles furent conçues, doivent être         un lieu unique où concilier son conserva-
                   tout à coup rassemblées de façon artificielle    tisme viscéral et la douloureuse tentation
                   dans un même lieu et sous une même lumiè-        d'un renouveau; les historiens et les criti-
                   re, ce qui ne facilite pas, pour l'observateur   ques, enfin, qui essaient de comprendre et
                   de 20e siècle, une heureuse compréhen-           de suivre le sens des grands courants ainsi
                   sion de l'art et de la culture de ces peuples.   que les originalités ou les similitudes qui
                   L'acte de voir et de penser, en même temps       singularisent ou relient les activités artisti-
                   que les techniques de la contemplation y         ques des grandes communautés — linguis-
                   sont aussi longuement expliqués.                 tiques, culturelles ou nationales — du
                       Un avant-propos de Richard Simmins,          monde.
                   directeur du Musée de Greater Victoria,              Si l'on accepte, dès le départ, les limita-
                   renferme l'historique de cette exposition et     tions inhérentes à la nature d'un tel ouvra-
                   cite le nom des principaux collaborateurs,       ge, telles que l'impossibilité matérielle d'en
                   tandis qu'une préface d'Hilary Stewart,          faire une somme exhaustive, ou le fait que
                   chargé de la photographie, des dessins et        l'équation personnelle de chaque artiste
                   de l'équipement visuel raconte, parfois          semblera incomplètement définie par la sé-
                   avec humour, les joies et les tribulations du    lection qui le représente, il reste que l'ou-
                   chercheur et du photographe. Il faut souli-      vrage est une tentative unique, et en bonne
                   gner que les photographies sont d'une qua-       voie de réussite, de donner un sens et une
                   lité exceptionnelle.                             dimension intelligible à toute une activité
                       Des textes très élaborés accompagnent        intellectuelle et sensible dont les éléments,
                   chacune des grandes reproductions. Cette         souvent disparates, les filiations, quelque-
                   partie principale de l'ouvrage est suivie        fois confuses et les démarches presque tou-
                   d'un catalogue donnant les détails techni-       jours contradictoires, échappaient jusque-
                   ques relatifs à chaque pièce, toutes les         là, dans leur ensemble, à nombre d'entre
                   descriptions étant accompagnées d'une ré-        nous.
                   plique, en petit format, des grandes repro-          Le succès d'une telle entreprise, et les
                   ductions. Le catalogue est suivi d'une lon-      auteurs ne manquent pas de le noter dans
                   gue liste d'ouvrages consultés. Deux cartes,     leur court texte de présentation, est gran-
                   indiquant l'endroit exact où les sculptures      dement influencé par la collaboration et
                   furent découvertes, complètent la docu-          l'intérêt que manifestent les galeries et les
                   mentation.                                       artistes eux-mêmes. Comparé au premier
                       Cette importante exposition sera montrée     ouvrage, ce second volume a bénéficié,
                   aux endroits et aux dates suivants: Musée        avec un flot accru de documentation, d'une
                   du Greater Victoria, du 4 mars au 13 avril       conception beaucoup plus souple qui ajou-

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te grandement à son intérêt critique. Les              et riches d'horizon. Mais l'horizon vient de            levant, baptisant à son insu le nouvel art,
œuvres illustrées, dont un très grand nom-             s'évanouir».                                            Monet est le véritable initiateur des vibra-
bre en couleur, sont groupés non pas par                   Vient ensuite une sorte de glorification            tions lumineuses en peinture. Il réussira à
auteur mais par courant artistique; les                de l'union. L'autre est perçu comme l'incar-            faire briller la matière, miroiter l'atmosphè-
œuvres d'un même artiste apparaissent                  nation et la caution de l'instant. Sa présen-           re, s'estomper la nature. Mille feux, mille
donc à différents endroits, en fonction de la          ce est la seule garantie de l'oubli du passé            reflets émanent des tableaux de cette expo-
mystérieuse chimie des filiations et des               et de l'inexistence du futur. «Je ne suis plus          sition remarquable d'un peintre qui n'a pas
valences qui préside à la création. Si, à              moi et tu n'es plus toi. Et pourtant je ne              fini de ravir et d'émouvoir le public.
l'échelle de ce panorama national, l'activité          suis pas un autre. Je suis en équilibre et                                                        R.R.
créatrice du Québec semble nettement                   sans réalité.»
sous-représentée, la faute n'en est peut-être             Avec le constat de cette immobilité naît
point aux auteurs de l'ouvrage. La présence,           le désir sourd d'une autre chance. Pouvoir
d'une part, de certains noms relativement              revenir, neuf, aux rivages anciens. Refaire
mineurs et l'absence, d'autre part, d'artistes         le chemin avec, au cœur, le capital de l'ex-
dotés d'une renommée nationale, laissent               périence. «Je goûterai les fruits des nou-
à penser que certains ont peut-être omis               velles démences sans demander au jour de
de faire parvenir une documentation indis-             les renouveler. Chacun de mes regards
pensable. Si tel est le cas, il est urgent que         sera comme un dernier.»
ces négligences soient évitées à l'avenir                  La fin de l'union amène l'amertume et la            ofcej   c*L/c4. ~^£u^u£4i   ./ca.n   Al
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                                              LE PARADIS DES EXILÉS                             sentement. L'épilogue de Gore Vidal ef-
                                                                                                fleure le sujet. Tandis que Beny propose, à
                              £ BEfelY        Roloff BENY, In Italy. Photographie et mise
                                              en page de Roloff Beny. Texte et anthologie       celui qui n'a jamais foulé le sol italien, un
                                                                                                poème visuel, et à l'initié, un regard neuf
                                        .     de Anthony Thwaite et Peter Porter. Notes
     1           l \                          historiques des planches de Brian de Breff-       l'incitant à réviser ses impressions. Pour
     ;                                        ny. Épilogue de Gore Vidal. Toronto, McClel-      tout dire, un volume pour le plaisir des
                                              land and Stewart, Ltd., 1974. 430 p.; Illus.:     yeux, où l'exaltation des sens rejoint celle

 1                                NL
                                                                                                de l'esprit.
                              C               160 p. en couleur et 120 en noir et blanc.
                                              (Édition française à paraître chez Arthaud.)                                               R. R.

 1           *

     3| < Y u ^ . ^ ^
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                                  Wk^jLSitm
                                                  «L'Art dans la rue», slogan familier de
                                              notre époque, est un fait accompli, depuis
                                              tant de siècles, en Italie. A cette profusion
                                              d'œuvres d'art — d'aucuns considèrent
                                              l'Italie comme un musée global — ajoutez
                                                                                                DONALD JUDD
                                                                                                Brydon Smith, Catalogue de l'Exposition

                              JF ï jSk
                                                                                                Donald Judd, tenue à la Galerie Nationale
                                              bonne table, doux climat, lumière dorée et        du Canada, du 24 mai au 6 juillet 1975,
                                              transparente, sites pittoresques, chaleur et      contenant aussi un catalogue raisonné des
                                              entrain de ses habitants, et vous compren-        peintures, des objets et des planches en
         t
             |     >                          drez pourquoi tant de poètes et d'écrivains       bois produites de 1960 à 1974. Ottawa, Ga-
                                   i-.-j*»    ont non seulement chanté ses vertus, mais         lerie Nationale du Canada, 1975. 320 pages;
                                              aussi choisi de s'y exiler. Natifs ou non, ils    4 planches en couleur et, en noir et blanc,
                                              figurent dans ce volume. De Virgile et            presque tout l'œuvre de Judd (355 pièces).
                                              Ovide à Browning et Lawrence, en passant
                                              par Goethe, Chateaubriand et Stendhal, on             Brydon Smith, conservateur de l'art ca-
                                              leur a emprunté des passages de leurs             nadien à la Galerie Nationale du Canada, a
                                              œuvres. Magnifique synthèse de textes et          connu Donald Judd, en 1968, au moment
                                              de citations qui sert de contrepoint au           où il organisait l'exposition Lumière fluores-
                                              magistral album du photographe canadien           cente par Dan Flavin. L'amitié de Judd pour
                                              Roloff Beny, un de ces exilés qui vit à Rome.     Flavin l'amena à rédiger un article pour le
                                                  Du haut de sa terrasse, un décor de rêve      catalogue de celui-ci; sept ans après, c'est
                                              se profile: d'un côté, le dôme de Saint-          l'inverse qui se produit. Pour le catalogue
                                              Pierre; de l'autre, les campaniles de Sainte-     de Judd, Flavin a dessiné une exquisse de
                                              Marie-Majeure et le Capitale de Michel-           son ami et rédigé une lettre dans laquelle il
                                              Ange. Par temps clair, il peut voir au loin       clame «bien haut, sans équivoque que Don
                                              la Méditerranée, ou du moins en humer             a créé, avec insistance et constance, les
                                              l'air salin. Rome regorge de vestiges de          meilleures sculptures encore jamais vues
                                              l'Antiquité, témoignage encore tangible de        en Amérique». Il n'y a pas de doute! Mais
                                              plus de 2000 ans d'histoire. C'est dans ce        Flavin, si généreux soit-il en compliments,
                                              contexte que Beny a conçu ce volume. Mais         se garde bien de rester propriétaire de son
                                              si tous les chemins mènent à Rome, inver-         dessin.
                                              sement la Ville éternelle renvoit à toute             Pour sa part, Brydon Smith a rédigé le
                                              l'Italie. Région par région, Beny nous dé-        court avant-propos du catalogue, Il signale
                                              voile un pays inépuisable de merveilles. La       comment il est venu à s'intéresser à l'œu-
                                              dernière planche du livre reproduisant une        vre de Judd et l'importance qu'elle a eu sur
                                              œuvre de Pollaiulo, dont un détail réappa-        lui et, beaucoup trop sommairement, l'origi-
                                              raît sur la jaquette, est allégorique: comme      nalité de la sculpture de Judd ou plutôt de
                                              l'Archange conduit Tobie aveugle jusqu'au         ses «objets spécifiques», comme l'artiste
                                              poisson sacré qui lui rendra la vue, ainsi        préfère les appeler. Il ne dit rien pour tenter
                                              Beny nous guide pas à pas à travers l'Italie      d'expliquer la présence des objets de Judd
                                              pour ranimer notre regard. Vision non pas         dans les expositions d'art minimal, ni sur
                                              de touriste, ni de simple amateur, mais de        ce qu'on entend précisément par cet art.
                                              véritable connaisseur qui a senti l'âme mê-           La présentation de toute la démarche de
                                              me du pays pour y avoir vécu. Vision d'ar-         l'artiste est restée à Barbara Smith, qui a
                                              tiste aussi, qui capte et recrée en images         déjà été employée par Judd. Dans un texte
                                              tout le faste et la sensualité d'un coin de       fort long, qu'elle réparti sous quatre titres:
                                              notre univers dont on ne saurait se lasser.        Les œuvres de jeunesse: peinture et critique
                                                  A vrai dire, le sujet s'y prêtait. Car si     d'art; Des peintures aux objets tridimen-
                                              l'Italie est le paradis des exilés, comme         tionnels; Les expositions à la Green Gallery;
                                              disait Shelley, c'est plus précisément celui       Matériaux nouveaux, elle retrace l'évolu-
                                              des artistes, tant l'art y côtoie la vie. En      tion de l'artiste en citant à l'occasion quel-
                                              témoignent, au début du volume, les bicy-          ques textes de ce dernier pour expliciter ses
                                              clettes adossées au mur de ruines à Monte-         recherches. Elle discerne avec justesse les
                                              cassino, ou l'étalage de denrées faisant           caractéristiques de l'œuvre de Judd qui
                                              bon ménage avec l'œuvre sculptée d'un              découlent de la clarté des éléments em-
                                              bâtiment de Venise, ou encore cet ouvrier          ployés à former un tout («les parties essen-
                                              vu de dos qui, sans le savoir, adopte la pose     tielles doivent alors occuper tout l'espace
                                              immortalisée par le David de Donatello.           disponible»), de la distinction entre l'inté-
                                              D'ailleurs, si le volume renferme faune et         rieur d'un objet, de l'importance du rôle des
                                              flore italiennes, sites et monuments, aubes        matériaux et de la couleur, du fait que l'œu-
                                              et crépuscules, il foisonne aussi d'œuvres        vre est le résultat d'un calcul mathématique
                                              d'art que Beny affectionne. Tableaux, sculp-       précis et, de l'unicité de l'œuvre, «une for-
                                              tures et bâtiments de choix ont été captés         me, un volume, une couleur, une surface
                                              par un témoin oculaire de goût et de talent.       est une entité de soi qu'on ne doit pas dis-
                                                  La population italienne, trop existentielle    simuler à l'intérieur d'un tout passablement
                                              — c'est aussi une grande qualité — quand           différent». Malheureusement, le texte de
                                              elle n'est pas trop préoccupée par les exi-        Barbara Smith n'est pas facile à suivre
                                              gences de la vie quotidienne, semble —             parce qu'il est souvent coupé de descrip-
                                              peu soucieuse des lendemains, de la survie        tions et de renvois à des œuvres citées mais
                                              de son patrimoine culturel comme de la             qu'on n'a pas eu le temps de mémoriser à
                                              qualité de la vie, tous deux menacés pré-         fond, l'illustration ne se déroulant pas au

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Lectures Vie des arts - Érudit
fur et à mesure du texte. Pour suivre le récit,   DES POÈMES DE P.-M. LAPOINTE                          tique et tragique de son œuvre, mais il ne
il faut continuellement tenir ouvertes deux       Paul-Marie LAPOINTE, Tableaux de l'amou-              tarde pas à s'éloigner peu à peu de l'art
ou trois pages de cet impressionnant              reuse suivi de Une unique, Art égyptien,              figuratif, et ce lent cheminement l'a con-
document.                                         Voyage & autres poèmes. Montréal, L'Hexa-             duit inévitablement à une maturité qui lui
   Impressionnant, c'est le moins qu'on           gone, 1974. 101 pages.                               fait découvrir le sens de l'humain et la
puisse dire, mais rendu tel par un abus de                                                              primauté du spirituel.
sophistication dans la présentation et un             Poète d'ascendance surréaliste, Paul-                Tavernari utilise le bois, le bronze, la
gaspillage de papier. En effet, pourquoi ne       Marie Lapointe poursuit, depuis plus de               pierre, le marbre et l'originale technique
pas avoir intégré le catalogue de l'exposi-       vingt-cinq ans, une œuvre singulière dans            du bois brûlé pour exprimer des réalités
tion dans le catalogue raisonné, évitant ainsi    ce que Gilles Marcotte a nommé «le lieu du            humaines et universelles. Son œuvre est
la répétition de cinquante pleines pages?         plus haut scandale»1. Son inspiration se             composée de plusieurs cycles: les mater-
Cette économie aurait permis une meilleure        nourrit, comme chez Rimbaud, d'une sorte             nités, les nus et les torses, les formes abs-
impression des quatres planches en cou-           de mysticisme «à l'état sauvage». Sa poé-            traites, les crucifixions, les calvaires, les
leur, de telle sorte qu'elles rendent vraiment    sie s'insurge pour la justice et pour l'hom-         totems, les ciels et les amants.
les effets recherchés par Judd. Il y a égale-     me. Le poème trouve sa tension révélatrice               Les textes de Jianou et de Carli laissent
ment un gaspillage insensé d'espace pour la       dans la libération erotique, amoureuse.              percevoir une connaissance profonde de
traduction de l'index des prêteurs, qui aurait       Le dernier recueil de Paul-Marie Lapointe         l'artiste car ils expriment l'essence même
pu facilement tenir dans deux pages et            continue, à même un verbe chaleureux,                de l'œuvre et des thèmes de ce grand sculp-
demi, au lieu de cinq.                            d'explorer l'espace vital, d'occuper de nou-         teur. Ils exigent une lecture attentive à
   La Galerie Nationale du Canada a fourni        veaux paysages. Le poème retrouve encore             cause de la pénétration avec laquelle ces
à Judd, un artiste américain de 47 ans, et        ici l'alchimie du paysage. Le mauve et le            auteurs traitent du sujet, Jianou s'attachant
aux propriétaires de ses œuvres un catalo-        rose continuent de dominer, couleurs com-            à exprimer la vocation d'universalité de
gue comme elle n'en a encore jamais réa-          me des signes à reconnaître chez l'amou-             l'œuvre tandis que Carli insiste surtout sur
lisé pour un Canadien vivant de cet âge. Elle     reuse même. Paysage erotique qui participe           les moyens techniques employés par l'artis-
a produit un document de haute précision          du tableau total: végétal, tellurique, astral       te et sur sa façon de disposer des divers
et qui sera sûrement utile aux historiens         autant que charnel, qui «figure à la fois le         matériaux qu'il utilise.
d'art (un grand nombre d'exemplaires sont         bonheur et la fin des temps».                            Les textes sont précédés d'une préface
déjà rendus à New-York et dans les musées            Et, c'est dans la tension d'images tour à        de Cécile Goldscheider et suivis d'une utile
américains), mais elle aurait pu le publier       tour souterraines, artérielles et foudroyan-        chronologie de Tavernari, d'une liste de ses
avec moins d'ampleur et, grâce à l'écono-         tes que le poète se bat «pour l'adorable dé-        expositions et d'une bibliographie compre-
mie réalisée, fournir au profane qui visitait     lire d'aimer», défini dans «l'hégémonie des         nant les livres écrits sur l'artiste, les albums
l'exposition autre chose que cinq feuilles        corps».                                             et les livres qu'il a illustrés, les articles,
polycopiées et brochées qui, virtuellement,          Cette poésie de Paul-Marie Lapointe,             études, chroniques et préfaces qui ont paru
ne donnent qu'une triste enumeration des          dans la proclamation de «la misère quoti-           sur lui. Il faut aussi souligner l'excellente
pièces, sans explication ni reproduction.         dienne d'être heureux», nous arrive de loin         qualité des reproductions. Ce document est
                                                  comme de toujours, avec son flambeau                une heureuse addition aux études trop peu
                         Claude GOSSELLIN         d'images qui brûlent le langage comme               nombreuses, hélas! qui paraissent actuel-
                                                  pour ressasser les cendres de la vie, com-          lement sur les sculpteurs contemporains.
                                                  me pour raviver le feu de l'amoureuse
                                                  continuelle, celle qui vainc la mort à chaque                                                 L.O.
QUELQUES PUBLICATIONS RÉCENTES
                                                  geste, à chaque soleil. Images qui s'instal-
   Catalogue d'une exposition d'œuvres de         lent dans leur fragilité et les chocs de leur
femmes artistes ARTFEMME 75, organisée            durée: pour inventer le jazz du poème.
à Montréal, par le Centre Saidye Bronfman,           La poésie (québécoise) n'aurait pas pu
le Musée d'Art Contemporain, la Galerie           se passer du délire amoureux de Paul-Marie
Powerhouse et le YWCA, et tenue du 5 au           Lapointe.
25 avril 1975.- Catalogue d'une exposition
de peintures de Jack B. YEATS, 1871-1957,
                                                  1. Dans te Temps des poètes. Montréal, HMH, 1969.
tenue à Montréal, à la Galerie Waddington,
du 21 mai au 21 juin 1975.- Ghislaine                                               Jean ROYER
HOULE, La Femme au Québec. Montréal,
Bibliothèque Nationale, Ministère des Affai-
res Culturelles, 1975. (Bibliographies qué-       VITTORIO TAVERNARI
bécoises, No 1).- Jean-Claude DUPONT, Le          lonel JIANOU et Enzo CARLI. Vittorio Ta-
Sucre du pays. Montréal, Leméac Inc., 1975.       vernari. Paris, Arted, Éditions d'Art, 1974.
(Traditions du geste et de la parole/ll).-        57 p.; 79 illus. en noir.
Catalogue de l'Exposition 15 American
Artists formée de la collection permanente           Deux professeurs d'histoire de l'art et
de la Corcoran Gallery of Art, Washington,        critiques d'art renommés inaugurent avec
et tenue au Musée London, (Ontario), du           cette monographie de Vittorio Tavernari une
4 avril au 6 mai 1975.- Catalogue d'une           nouvelle collection intitulée: Maîtres de la
exposition intitulée Arf de systèmes en           sculpture contemporaine, qui a pour objet
Amérique latine, tenue à Londres, à l'Insti-      de faire connaître l'œuvre des sculpteurs
tute of Contemporary Arts; à Buenos-Aires,        de ce temps qui travaillent surtout hors de
au Centre d'Art et Communications, et à           France. On sait que Tavernari, sculpteur
Paris, Espace Pierre-Cardin, en 1974 et en        italien né à Milan, en 1919, s'est acquis
1975.- L'ARTE NAIVE, revue trimestrielle,         aujourd'hui une audience mondiale. Ses
1re Année, No 4 (Décembre 1974) Editrice          nombreuses expositions personnelles et
Age, Reggio Emilia.- Catalogue de l'Exposi-       collectives en Europe, aux États-Unis, en
tion de Jack COWIN, tenue à la Norman             Amérique latine, en Asie, en Afrique et au
Mackenzie Art Gallery de l'Université de          Japon, témoignent de l'abondance de la
Regina, du 22 mars au 27 avril 1975.- Cata-       production de ce sculpteur, qui se distin-
logue d'une Exposition rétrospective de           gue par un solide métier et une remarqua-
peintures et de dessins d'Arthur B. DAVIES,       ble originalité. Formé à l'école tradition-
tenue du 11 mars au 15 avril 1975, chez           nelle, il découvre très tôt et maîtrise les
M. Knoedler & Co.- Catalogue d'une Expo-          secrets de la techniqjue. Tavernari, qui fut
sition de l'artiste italien Arnaldo ESPOSTO,      marqué par les misères de la guerre, profite
tenue à Genève, à la Galerie Nuovo Sagitta-       heureusement de ses expériences humaines
rio, en janvier 1975.                             et artistiques pour rechercher des moyens
                                         L.O.     d'expression nouveaux, d'où le côté pathé-

                                                                                                                                                       83
AU PAYS DE L'ALEIJADINHO                           Après quelques moments de réflexion, quel-
     BRESIL BAROQUE   Maurice PIANZOLA. Brésil baroque. Genè-             le veine: Michel Journiac vient à la rescous-
                      ve, Les Editions de Bonvent, 1974. 181 p.;         se. Il relève le défi, en précurseur par sur-
                      Illus. en noir et blanc et en couleur; Notes et    croît car c'est en novembre-décembre der-
                      bibliographie.                                     nier qu'avait lieu, chez Stadler, à Paris, son
                                                                         exposition intitulée 24 heures dans la vie
                          Les beaux livres concernant le Brésil ne       d'une femme ordinaire, dont on a tiré le
                       sont pas tellement nombreux. En voici un          présent ouvrage.
                       très beau, et par le texte et par la présen-          Initiateur de l'art sociologique en France,
                       tation.                                           le jeun*- Journiac (1943- ) est l'un des
                          Le Srés/7 baroque, une réflexion sensible      piliers de l'avant-garde parisienne. La deu-
                       et combien humaine sur le pourquoi et le          xième partie du volume renferme, outre sa
                       comment «du grand transfert a travers             biographie et un manifeste du corps, un
                       l'Atlantique d'un art né dans les cours d'Eu-     aperçu de son activité, depuis l'abandon de
                       rope et renaissant devant les yeux abaissés       la peinture traditionnelle en 1968, que do-
                       des Indiens, dispersés dans la forêt incen-       minent trois thèmes: le corps humain, ob-
                       diée».                                            sessionnel et omniprésent (Messe pour un
                          Son auteur, Maurice Pianzola, conserva-        corps, office profane à la Galerie Templon
                       teur principal du Musée d'Art et d'Histoire       où il offrait à la communion des fidèles du
                       de Genève, a vécu au Brésil, un pays qu'il a      boudin fait de son propre sang; ou Piège
                       appris à reconnaître avec mille précautions.      pour un voyeur où de jeunes hommes nus,
                       L'histoire de cette terre ardente «lui est        en cage, se prêtent aux regards des visi-
                       familière, par le cœur autant que par les         teurs de la Galerie Martin-Malburet); dé-
                       yeux. Il en connaît les ressorts intimes et la    nonciation de l'activité artistique (dérision
                       secrète poésie».                                  de l'art conceptuel, par l'émission de chè-
                          Au moment où s'écrivait une épopée du          ques personnels de 300 Fr. contre leur
                       sucre avec les esclaves, les jésuites et          valeur monétaire, et parodie de l'art tout
                       bientôt la fièvre de l'or, un art transplanté     court par le fonctionnement, au Salon de
                       par les premiers pionniers se transforme          Mai, d'un distributeur automatique d'œu-
                       dans un pays si peu préparé à le recevoir         vres); enfin, contestation sociale, préférant
                       en un art «tellement en harmonie avec son         le geste critique à l'œuvre esthétisante, où
                       environnement qu'il n'est baroque que par         s'insère la présente exposition.
                       hasard».                                              Pour réaliser 24 heures dans la vie d'une
                          Et, c'est l'histoire de cette implantation,    femme ordinaire, Journiac n'est pas allé
                       du côté du pays minier, que l'auteur nous         chercher une amie pour lui servir de modè-
                       propose, et de celle de la fabuleuse explo-       le, bien qu'il dédie son œuvre à deux d'en-
                       sion, au début du 18e siècle et des trans-        tre elles. Allant au bout de sa démarche, il
                       formations rapides tout au long de ce siècle.     incarne lui-même, par le travestissement,
                       Enfin, le point final est apporté par le gé-      la femme devant l'objectif. Voilà qu'Adam
                       nial Aleijadinho, qui a fait surgir a Con-        et Eve sont réunis en un seul être. Il en
                       gonhas do Campo, sur la colline du Maran-         résulte une suite de tableaux ou documents
                       hào, un ensemble d'art exceptionnel, à la         photographiques en noir-blanc traquant, par
                       fois digne des grandes traditions médié-          une mise en scène réaliste, les faits et ges-
                      vales et précurseur du romantisme.                 tes quotidiens de la femme moderne en
                          L'illustration a été confiée à Fulvio Roi-     situation — réveil du mari, ménage, lessive,
                      ter, Clarival Valladares, Marcel Gautheret,        départ, arrivée au travail, pointage, courses,
                       François Meyer.                                   et ainsi de suite. Puis, à la Réalité qu'il
                                                    Andrée PARADIS      vient de nous présenter, Journiac oppose
                                                                         les Phantasmes (dont la jeune mariée, la
                                                                         putain, la sainte, la vamp, et même la les-
                                                                         bienne!), non sans ironie, quand ce n'est
                                                                         pas avec une pointe d'humour noir.
                      ADAM OU EVE                                           Acuité du propos. Constat de l'aliénation
                      Michel JOURNIAC. 24 heures dans la vie            de la condition féminine et, par extension,
                      d'une femme ordinaire. Paris-Zurich, Arthur        masculine, le mâle étant complice, et à plus
                      Hubschmid, 1974. 112 pages; illustré en           d'un niveau ici. Critique acerbe de la bana-
                                                                         lité de la vie quotidienne vécue par des
                      noir et blanc.
                                                                        milliers de gens pour qui l'imprévisible est
                         L'année de la femme bat son plein. A qui       un non-lieu. Remise en cause des rôles et
                      le dites-vous! Que d'événements en son            conditionnements sexuels: pourquoi n'y au-
                      nom. Musées et galeries sont évidemment           rait-il pas interaction jusqu'au chevauche-
                      de la partie. Mais à quoi riment ces expo-        ment et à la bipolarité des sexes? N'est-ce
                      sitions d'art féminin, si ce n'est qu'elles       pas là la meilleure façon d'abolir la guerre
                      nous permettent de constater béatement            séculaire des sexes? Finie la vie schéma-
                      que la notion de genre (masculin/féminin)         tisée et sclérosée! A travers ce miroir, par
                      s'estompe devant la recherche esthétique?         un jeu signifiant, Journiac crève l'abcès,
                      Qu'à l'encontre des artistes, l'art n'a pas de    abat les tabous. Et, par son language abra-
                      sexe? Et que seule, en fin de compte, la          sif et percutant, Journiac ravive l'art socio-
                      lecture de l'étiquette au bas de l'œuvre          logique et lui rend ses lettres de noblesse.
                      trahit la véritable nature de son auteur? A
                      ce compte, nul doute qu'une exposition                                             René ROZON
                      ayant pour thème la femme, mais vue à
                      travers des œuvres d'artistes masculins, eût
                      été plus valable. Mais là, attention! On va
                      nous accuser une fois de plus de chauvi-
                      nisme mâle. Evitons donc le sexe fort. Il         Reçu de Dargaud, Editeur: Astérix / La gran-
                      ne semble pas à la mode. Du moins, pas            de traversée; Joe Fast / Agent spécial, La
                      cette année. Alors, comment en sortir? Il         Jeunesse de Blueberry, Hypocrite, La Croi-
                                                                        sière des oubliés; Clodomir Free / Le grand
                      faut chercher autre chose, ailleurs, et cela      complot; Achille Talon / Au coin du feu, Les
                      sans sortir du contexte. Est-ce possible?         Phantasmes de la nuit, Ulysse.

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