Lire librement Fitzgerald ? - pas avant 2021 - Framablog

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Lire librement Fitzgerald ? —
pas avant 2021
L’actualité du cinéma remet périodiquement en lumière des
œuvres littéraires qui peuvent ainsi trouver un nouveau
lectorat. À condition toutefois de pouvoir y accéder librement
sans attendre que plusieurs générations d’éditeurs et d’ayants
droits aient tiré un substantiel profit des droits qu’ils
confisquent pour un temps toujours plus indéterminé.

Tel est le cas dans cet article pour le roman Gatsby le
magnifique, qui aurait dû être élevé depuis quelques années
dans le domaine public aux États-Unis, mais qui demeure pour
longtemps encore sous copyright. Ce qui n’apportera ni profit
intellectuel ni profit économique.

Rappelons que le terme de copyright est conservé dans cette
traduction en raison du contexte américain, mais que cette
notion n’a pas de fondement juridique en droit français, qui
ne connaît que les dispositions du Code de la propriété
intellectuelle.

Pourquoi Gatsby le magnifique
n’est-il    pas    encore dans
le domaine public ?
Article original de Parker Higgins sur le site de l’Electronic
Frontier Foundation : Why Isn’t Gatsby in the Public Domain?

Traduction Framalang : , Michael, Garburst, Shanx, Slystone,
Asta, goofy

Quand le film Gatsby le magnifique débarque dans les cinémas
de tout le pays, il porte à l’écran l’histoire connue par des
millions de lecteurs de ce classique de la littérature,
souvent appelé proverbialement « le grand roman américain ».
Voici un fait que peu de gens connaissent : même si le livre a
été publié il y a maintenant presque 90 ans et fait partie de
longue date de notre patrimoine culturel, il n’est pas encore
entré dans le domaine public.

Oui, alors même que F. Scott Fitzgerald est mort il y a 73 ans
(et donc est peu susceptible d’être sollicité pour créer
davantage de chefs-d’œuvres), Gatsby le magnifique est
toujours limité par le copyright.

En fait, il ne sera pas totalement libre pour le public
américain avant le 1er janvier 2021 ; et encore, seulement si
les durées de copyright ne sont pas encore une fois
prolongées. Grâce à la loi Sonny Bono de 1998 sur l’extension
du copyright, aucune œuvre publiée aux États-Unis n’entrera
dans le domaine public avant 2019. Certains pays ont des lois
légèrement plus saines sur le copyright, mais le représentant
américain au commerce travaille ardemment à tirer profit des
accords internationaux comme le TPP pour élargir le champ du
copyright partout dans le monde.

Pire encore, une décision dramatique de la Cour suprême en
2012 a décidé que même une fois dans le domaine public, des
œuvres peuvent en être retirées sur décision du Congrès. Entre
les extensions excessives des durées de copyright et
l’incertitude sur le statut du domaine public, créer de
nouvelles œuvres fondées sur le domaine public est devenu
difficile et risqué.

Nous ressentons concrètement les effets pernicieux des
extensions du copyright tous les jours. Par exemple, une étude
datant de l’année dernière sur les livres d’Amazon a révélé
que les livres publiés après la date limite critique de 1923
sont bien moins disponibles que d’autres livres même plus âgés

d’un siècle. Le résultat c’est que la littérature du XXe siècle
a disparu de l’histoire des livres.
Et le problème ne s’arrête pas aux livres. Une autre étude par
un professeur d’économie au MIT s’est penchée sur une archive
de magazines sur le baseball, qui incluait des numéros dans le
domaine public, et d’autres qui sont encore assujettis au
régime du copyright. Par opposition, les images des numéros
dans le domaine public peuvent être numérisées et
redistribuées, si bien que leur disponibilité a énormément
amélioré la qualité (et donc accru la lecture et
l’investissement dans l’édition) des articles de Wikipédia sur
les joueurs de baseball de cette époque.

Vous pouvez vous soucier ou non de certains joueurs de
baseball des années 60, mais cette situation se répète encore
et encore dans différents secteurs. Au nom de la préservation
des profits pour une poignée d’ayants droit, notre histoire
culturelle part en miettes dans un flou artistique légal qui
nous est imposé.
Un domaine public réduit à la portion congrue ne nous vole pas
seulement les œuvres passées, mais aussi nos œuvres futures
qui pourraient se baser sur un domaine public élargi. Les
ayants droit ont le pouvoir de bloquer des œuvres dérivées
simplement en refusant d’accorder la licence pour ces œuvres.
Et si on ne peut pas retrouver la trace ou confirmer
l’identité des ayants droit, ce qui est tout à fait possible
quand on discute d’œuvres qui ont presque un siècle, la
difficulté d’obtenir une licence peut stopper tout simplement
la production.

Ironiquement, cela cause du tort aussi à ces mêmes studios qui
ont initialement fait du lobbying en faveur de la loi pour
l’extension du copyright. Adapter des œuvres célèbres est un
moyen puissant d’atteindre un public déjà familiarisé avec les
personnages et l’histoire ; un vaste public est le terreau
fertile pour de nouvelles œuvres. Par exemple, les premiers
films de Disney exploitaient librement le domaine public pour
proposer des versions des contes de fées classiques, mais son
lobbying pour toujours plus de restrictions sur le droit
d’auteur a privé les autres (et le public) des mêmes
possibilités.

Le réalisateur de Gatsby, Baz Luhrmann, a lui-même tiré
avantage du domaine public avec son film « Roméo+Juliette » en
1996. Le film était, bien sûr, une version très modernisée et
adaptée de la pièce classique de Shakespeare, exactement le
genre de chose qu’un ayant droit pourrait interdire en raison
d’une « intégrité artistique », s’il existait une entreprise
commerciale « Shakespeare » aussi douée pour le lobbying que
Disney ou la MPAA.

Mais le film a aussi été un succès populaire et critique,
rapportant presque 150 millions de dollars de recettes au box
office, et le monde du cinéma se serait appauvri sans lui. Il
devrait être évident pour Hollywood que le domaine public joue
un rôle important en faveur d’une culture prospère, aussi bien
sur le plan artistique que sur le plan économique. Augmenter
la portée du copyright peut avoir paru un bon moyen de
garantir les profits annuels, mais finalement le prix à payer
est fort élevé aussi bien pour Hollywood que pour l’intérêt
général.

Crédit photo : Bill Mc Intyre – licence CC BY-NC-SA 2.0
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