Panorama des mesures réglementaires prises en matière sociale et du travail par le gouvernement canadien - CIELO laboral

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Panorama des mesures réglementaires prises
en matière sociale et du travail par le
gouvernement canadien
Urwana Coiquaud & Jeanne Pérès

Introduction

Il y a un an, le gouvernement canadien adoptait la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID-
19 et mettait en place des règles pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens, pour soutenir la
population et les entreprises canadiennes et assurer ainsi une certaine stabilité de l’économie
durement touchée par la pandémie. Parmi ces mesures, la Prestation Canadienne d’Urgence (la
PCU) et la Subvention Salariale d’Urgence du Canada (SSUC) se sont avérées deux mesures phares
sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.

Dans ce bref exposé, l’accent sera mis sur les initiatives fédérales dont plusieurs ont eu un
retentissement sur l’ensemble du pays en raison du partage constitutionnel des compétences qui
accorde une compétence exclusive à la législature fédérale en matière d’assurance-emploi. La
législation provinciale, celle du Québec, sera évoquée là où sa compétence s’exerce notamment
dans la détermination de conditions de travail de certains travailleurs de la santé et des services
sociaux et des règles juridiques en matière de conciliation travail-famille.

1. Le marché du travail et de l’emploi et le télétravail

Le marché du travail a été profondément bouleversé par la mise en place de mesures destinées à
protéger la santé publique à la suite de l’instauration d’un confinement national, de la fermeture des
commerces jugés non essentiels et de l’adoption de mesures d’urgence. Le taux de chômage au
Canada est passé de 5,6% avant la pandémie à un taux de 13,7% en mai 2020 pour se contracter à
8,8 % en décembre dernier. L'emploi a reculé dans les secteurs plus sévèrement touchés par les
nouvelles mesures de santé publique, notamment les services d’hébergement et la restauration (-
8,2 %), le commerce de détail (-7,4 %) et de l'information, la culture et les loisirs (-2,4 %). D’autres
secteurs en revanche ont profité d’une légère hausse d’emploi tels que la construction (+2,8 %), les
soins de santé et l'assistance sociale (+0,7 %).

Temps de travail et conciliation de la vie professionnelle et familiale

Dans ce contexte, le travail à distance a été privilégié, propulsant 39 % des Canadiens et
Canadiennes à faire du télétravail comparativement à 17 % avant la pandémie. Les employeurs
canadiens ont modifié temporairement et unilatéralement les conditions de travail de leurs salariés
afin de permettre et d’encourager le télétravail, lorsque la nature de l’emploi le permettait. Les
gouvernements fédéral et provinciaux ont d’ailleurs adopté des mesures afin de refléter les diverses

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dépenses auxquelles ont dû faire face les employés, en permettant une déduction d’impôt au fédéral
et au provincial pour celles relatives au télétravail engagées durant la pandémie de COVID-19.

Malgré les nombreuses questions juridiques spécifiques soulevées par le télétravail, dont les
questions de santé et sécurité au travail, de gestion du temps de travail, de déconnexion ou de
gestion de la performance, de surveillance et de contrôle du salarié, aucun cadre législatif ou
réglementaire spécifique n’existait avant la pandémie. Pourtant, dès septembre 2019, alors que la
COVID était encore absente du paysage national, entraient en vigueur de nouvelles dispositions du
Code canadien du travail, fruit d’une réforme destinée à offrir un meilleur équilibre travail-vie
personnelle aux employés de compétence fédérale sans que la question du télétravail y soit abordée
directement. Par contre cette réforme, en plus de permettre un assouplissement des conditions de
travail, notamment à l’égard du nombre d’heures travaillées, des horaires, du lieu de travail, permet
au salarié de bénéficier d’un préavis d’horaires et de changements de quart ou encore le droit de
refuser des heures supplémentaires. Bien que cette modification au Code ait facilité la transition des
milieux de travail dans un contexte de pandémie, elle ne répond pas spécifiquement aux enjeux du
télétravail dans un tel contexte. Le gouvernement fédéral y est allé d’un geste moins ambitieux en
ajustant une directive sur le télétravail au contexte. Si ce geste semble modeste, le rapport
commandé à un Comité d’experts portant sur 4 enjeux destinés à réformer le Code canadien du
travail l’est beaucoup moins. Bien qu’aucune des recommandations n’ait vu le jour en raison de la
COVID, plusieurs réformes sont porteuses d’espoirs, notsamment celle concernant la
« Déconnexion des communications électroniques liées au travail en dehors des heures de travail ».

Au Québec, dès octobre 2020, un avis sur le télétravail a été remis au ministre du Travail qui en
avait fait la demande au Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre, un organisme paritaire
regroupant les associations patronales et syndicales. Il en ressort que le cadre juridique actuel est
satisfaisant aux yeux des acteurs. Par contre, il recommande aux milieux de travail d’élaborer une
politique ou une entente-cadre sur le télétravail plutôt que d’actionner le levier législatif. D’aucuns
estiment cette suggestion nettement insuffisante. D’autres voix déplorent que la grande réforme des
lois en matière de santé et sécurité en cours (Projet de loi no59, Loi modernisant le régime de santé
et de sécurité du travail) ne soit pas l’occasion d’inclure des dispositions pour répondre plus
spécifiquement aux enjeux fixés par le télétravail, en matière de santé et de sécurité des employés,
d’accidents de travail et de maladies professionnelles, ou d’y insérer un droit à la déconnexion.
Sur ce dernier volet, alors qu’un premier projet de loi avait déjà été présenté à l’Assemblée
nationale sans succès en 2018, un accueil différent a été réservé au projet de loi no492 sur le droit à
la déconnexion présenté en juin 2020 et approuvé à l’unanimité.
Si le cadre actuel peut être adapté et la jurisprudence prépandémique en matière de télétravail servir
de guide aux parties, les occasions de moderniser nos réglementations ont été peu saisies jusqu’à ce
jour.

Conditions de travail des infirmières et des travailleurs dits essentiels

Les travailleurs de la santé et ceux dits essentiels ont fait l’objet de mesures spécifiques pour
endiguer en première ligne les effets de la COVID 19. Ainsi, dès le 21 mars 2020, le gouvernement
du Québec édicte l’arrêté ministériel numéro 2020-007, lequel permet aux employeurs du réseau de
la santé de suspendre certaines dispositions des conventions collectives, relativement aux vacances,
aux horaires de travail, à la mobilité de la main-d’œuvre, aux congés, et à l’embauche de personnel
additionnel (souvent non qualifié). Malgré les protestations des organisations syndicales et
l’essoufflement des professionnels de la santé et les vagues de démission, l’arrêté demeure en
vigueur.

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Finalement, à l’égard des travailleurs essentiels, un Programme Incitatif pour leur rétention (PIRTE)
a été mis en place entre le 15 mars et le 4 juillet 2020, mais ce programme a été abandonné lorsque
la province s’est orientée vers la relance économique.

Congés, mise à pied et cessation d’emploi

En ce qui concerne les congés, la Loi modifie le Code canadien du travail afin de créer un nouveau
régime de congés lié à la COVID-19. Entré en vigueur le 1er octobre 2020, il comprend un droit à
un congé pour raisons médicales d’au plus 16 semaines en raison d’une mise en quarantaine (art.
239) et un droit à un congé d’au plus vingt-six semaines de l’employé affecté par la COVID-19 (art.
239.01). À ces mesures, s’ajoute le pouvoir de ministre de l’Emploi et du Développement Social de
modifier par arrêtés provisoires la Loi sur l’assurance-emploi afin d’atténuer les répercussions
économiques découlant de la COVID-19.
Par ailleurs, les employeurs peuvent procéder à une suspension temporaire du contrat de travail
pour alléger temporairement leurs charges sociales. Contrairement à de nombreux congés, la mise à
pied peut donner ouverture à l’assurance-emploi. À cet égard, l’article 30 du Règlement du Canada
sur les normes du travail a été modifié temporairement au bénéfice des employeurs dans le secteur
privé non syndiqué sous réglementation fédérale, en prolongeant le délai de rappel des salariés mis
à pied avant le 31 décembre 2020.

Finalement, le gouvernement a apporté des modifications temporaires à son régime d’assurance-
emploi afin de soutenir financièrement davantage de Canadiens. Ces changements sont en vigueur
jusqu’au 25 septembre 2021. Afin de faciliter la transition de la PCU (dont nous traiterons plus loin)
vers les prestations régulières de l’assurance-emploi, le gouvernement a mis sur pied une mesure
temporaire laquelle allège certains critères d’admissibilité (en fonction d’un taux de chômage
minimum de 13,1% appliqué à toutes les régions économiques au Canada) et en réduit la période de
carence.
En lien avec l’assurance-emploi, le gouvernement canadien a créé un programme d'ajustement, le
« Travail partagé », dont le but est d’éviter les mises à pied liées à une diminution temporaire du
niveau d'activité normale de l'entreprise, lorsque celle-ci est indépendante de la volonté de
l'employeur. Ce faisant, le programme soutient les employés admissibles aux prestations
d'assurance-emploi qui réduisent temporairement leur semaine de travail pendant la période de
redressement de l’entreprise.

Quant à savoir si la pandémie pourra être considérée comme une force majeure afin de justifier
certains licenciements, les tribunaux nous enseignent qu’il s’agira d’une analyse au cas par cas, liée
au contexte et aux faits pertinents. Cependant, après un an de pandémie, il apparait plus difficile de
l’invoquer; les milieux ayant eu le temps de s’adapter.

2. Mesures prises pour protéger l’emploi et les revenus

En réponse à l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement canadien a adopté deux types d’aides.
Destinée aux entreprises, la première offrait une subvention de 75% pour une durée d’au plus 12
semaines à celles dont les revenus bruts ont diminué de 30%. Cette Subvention Salariale d’Urgence
du Canada (SSUC) permet aux entreprises touchées par la pandémie de garder ou de réembaucher
des employés.
Dès le 25 mars 2020, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) a été instaurée pour les travailleurs.
Cette prestation imposable offrait un soutien financier à hauteur de 2000 $ par mois aux employés
et aux travailleurs autonomes dont la perte de revenus a été occasionnée par COVID-19, pour un
maximum de 7 mois (mars 2020 – octobre 2020) que ce soit en raison de la perte d’emploi ou
d’activité de travailleurs autonomes, ou en raison d’isolement préventif ou curatif dû à la COVID

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dans la mesure où dans ces deux derniers cas la personne n’était pas ou n’était plus admissible à la
prestation-emploi maladie (prestation préexistante à la pandémie). La valeur totale des versements
de la PCU a totalisé 74,08 milliards de dollars.

En septembre 2020, le gouvernement a remplacé la PCU par de nouveaux programmes destinés à
favoriser la relance économique. Ainsi, la Prestation Canadienne de la Relance Économique pour
Proches Aidants (PCREPA) vise les salariés et les travailleurs indépendants canadiens qui sont dans
l'impossibilité de travailler pendant au moins 50 % de la semaine parce qu'ils doivent prendre soin
d'un enfant ou d'un proche dont l'école, le service de garde ou l'établissement de soins est fermé en
raison de la COVID-19 ou encore parce que l'enfant ou le proche est malade, en quarantaine ou à
risque de développer de graves complications s'il contracte le virus. Administrée par l'Agence du
revenu du Canada (ARC), la PCREPA peut être demandée jusqu'à un maximum de 26 semaines
entre le 27/09/2020 et le 25/09/2021, à raison de 500 $ (450 $ après les retenues d'impôt) pour
chaque semaine. À ce jour, 2 673 850 demandes ont été approuvées pour une valeur brute totale de
1,34 milliard de dollars.

Le gouvernement a également mis en place la Prestation Canadienne de Maladie pour la Relance
Économique (PCMRE). Il s’agit d’une aide financière pour les salariés et les travailleurs
indépendants incapables de travailler pendant au moins 50% de la semaine car ils ont contracté le
virus ou en raison de leur isolement obligatoire ou encore à cause de certaines conditions de santé
qui les rendent plus vulnérables à la COVID-19. Administrée par l’ARC, la PCMRE peut être
demandée pour 2 semaines (500$/semaine) entre le 27/09/2020 et le 25 /09/2021.

La Prestation Canadienne de la Relance Économique (PCRE) soutient, quant à elle, les salariés et
les travailleurs indépendants canadiens ayant cessé de travailler ou dont le revenu a été réduit d’au
moins 50% en raison de la COVID-19, et ce, pendant un maximum de 26 semaines à raison de 500$
par semaine. En date du 7 février 2021, la PCRE a approuvé 9 603 480 demandes pour une valeur
brute totale de 9,60 milliards de dollars.

Finalement, le gouvernement canadien a également mis en place le Programme d’Aide pour
l’Isolement Obligatoire des Travailleurs Étrangers Temporaires (PAIOTET) visant à protéger les
travailleurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire au Canada dans les secteurs de
l'agriculture, de la pêche ainsi que de la production et de la transformation des aliments. Une
subvention de 84,4 millions de dollars a été accordée à ce programme. Il cherche à répondre à la
préoccupation des employeurs dont les salariés, provenant de l’étranger, sont soumis à une période
d’isolement obligatoire de 14 jours dès leur arrivée au Canada, suivant la Loi sur la mise en
quarantaine. Une somme de 1500$ est versée à l’employeur pour chaque travailleur étranger
temporaire afin de l’aider à acquitter les frais que représente leur isolement.

Conclusion

De nombreuses mesures ont été adoptées par les gouvernements aux paliers provinciaux et fédéral
afin d’appuyer et de soutenir les travailleurs canadiens et les entreprises. Plusieurs secteurs
durement touchés ont bénéficié d’aides (culture, patrimoine et sport, agriculture et agroalimentaire,
aquaculture et pêches, énergie). Outre la Subvention Salariale d’Urgence du Canada (SSUC), ont
été instaurés des prêts sans intérêt du Compte d’Urgence pour les Entreprises Canadiennes (CUEC),
une subvention d’urgence du Canada pour le loyer (SUCL), un programme de crédit pour les
secteurs durement touchés (PCSDT), le développement d’un programme de prêts conjoints pour les
petites et moyennes entreprises et un programme de financement pour les moyennes entreprises.

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Plusieurs mesures, bien que temporaires, ont amélioré l’accessibilité de ces régimes et ont élargi
leur champ de protection préexistant à la COVID 19. Elles ont été adaptées au gré des
développements et des répercussions de la pandémie sur la population canadienne. Sans conteste, la
pandémie aura eu des effets irrémédiables sur le paysage canadien en replaçant l’État au cœur de
l’action, en améliorant la visibilité de nombreux travailleurs précaires, en révélant l’étroite
imbrication et interdépendance de la santé des travailleurs et de celle de leurs proches, et finalement
en donnant une impulsion au télétravail. De toutes ces mesures, si plusieurs demeurent à ce jour
temporaires et évolutives, parions qu’elles serviront de base à une réflexion pour repenser en
profondeur les politiques gouvernementales contemporaines et d’en prioriser leur objet.

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                                                                                Professeure agrégée - droit du travail
                                             HEC MONTRÉAL - Département de gestion des ressources humaines
                    Co-chercheure Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT)

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                                                                                       LL.B. Université de Montréal

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