Pourquoi l'initiative pour des multinationales responsables est-elle nécessaire ?
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Factsheet IV | 1 Pourquoi l’initiative pour des multinationales responsables est-elle nécessaire ? Allégations par secteur1 A l’instar des activités de Shell au Nigeria, de Dow Chemical à Bhopal ou encore des marques de la mode dans des pays à bas salaires, d’innombrables cas illustrent de- puis des décennies les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement commises par des multinationales. Les sociétés suisses ne font pas exception. C’est ce que démontre une étude récente à partir des données du Centre de Ressources sur les Entreprises & les Droits de l’Homme2. Depuis une dizaine d’années, ce centre documente sur son site (business-humanrights.org) les dénonciations de violations des droits humains et offre la possibilité aux entreprises de réagir. Il s’agit de la base de données de ce genre la plus large au monde. Elle ne couvre pourtant qu’une par- tie des incidents, puisqu’elle présente uniquement les cas portés à l’attention du Matières premières : 29 % Informatique : 16 % public par des individus, des ONG ou des médias. Un coup d’œil sur les filières les Biens de consommation plus touchées permet d’observer qu’une part importante des dénonciations concer- (y compris le textile) : 15 % ne des secteurs où les entreprises suisses sont fortement représentées, en particu- Services financiers: 10 % lier celui des matières premières. Aliments/boissons : 8 % Infrastructures: 8 % La Suisse est la 20e puissance économique mondiale. Toutefois, elle se situe à la 9e Constructions mécaniques place pour le nombre de cas documentés par pays. Elle se hisse même au 5e rang si lourdes : 6 % Pharma/chimie : 5 % l’on rapporte ces cas au PIB. Plusieurs exemples emblématiques illustrent cette Autres : 3 % situation. Glencore au Congo : Le géant suisse de matières premières Glencore pollue des rivières dans le cadre des rivières polluées activités de ses usines en République Démocratique du Congo. L’analyse des échan- tillons provenant du canal Albert et de la rivière Pingiri a montré que ces cours d’eau ont des concentrations de cuivre et de cobalt élevées. Ces concentrations sont nette- ment plus élevées que les limites admissibles établies par la loi et l’Organisation mondiale de la santé. En effet, la concentration en cuivre y est jusqu’à six fois supé- rieure aux limites et celle en cobalt même jusqu’à 53 fois. Les mesures insatisfai- santes prises par Glencore laissent place à des conséquences désastreuses. Dans la rivière Luilu, il n’y a pas plus de poissons et les anciennes zones de pâturage le long de la rivière ressemblent à de la «terre brûlée». Les résidents en aval ne peuvent plus utiliser l’eau pour leurs besoins quotidiens ni pour l’arrosage des champs. En outre, une mine de Glencore (Mutanda Mining en Basse-Kando) est située dans une réserve de chasse, où la loi interdit expressément toute activité minière. Néan- moins, Mutanda Mining a reçu une concession et exploite le projet sans clarifier cette contradiction. Les eaux usées de la mine ont par ailleurs contaminé plusieurs champs de petits agriculteurs dans la réserve naturelle et pollué la rivière Kando, qui sert d’habitat à des hippopotames. Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? L’initiative aurait pour effet d’obliger Glencore à mener une analyse des risques de toutes ses activités au Congo. Si Glencore avait pris au sérieux sa diligence, elle au- rait mis en service une station d’épuration efficace à Luilu afin d’empêcher complè- tement la pollution. À Mutanda, elle aurait installé des bassins de rétention afin d’empêcher que les eaux usées polluées soient rejetées dans la réserve naturelle. Plus d’informations : www.brotfueralle.ch/glencore
Factsheet IV | 2 Valcambi au Burkina Faso : travail La Suisse figure parmi les plus grands importateurs d’or au monde. Les entreprises des enfants dans les mines d’or basées en Suisse importent chaque année l’équivalent de 70 % de la production d’or mondiale. Un rapport publié par Public Eye en septembre 2015 s’est intéressé à la transformation de huit tonnes d’or en provenance du Togo par la raffinerie tessi- noise Valcambi. Seul problème : le Togo ne fait pas partie des producteurs d’or connus. Le précieux métal était en réalité importé d’un pays voisin, le Burkina Faso, où des mineurs extraient l’or dans des conditions déplorables. Parmi eux, 30 à 50 % d’enfants travaillent des journées ou des nuits de douze heures sans interruption. L’or a été acheminé illégalement au Togo par des réseaux de contrebande, entraî- nant d’importantes pertes de recettes pour le Burkina Faso. Il a ensuite été exporté vers Genève, pour être enfin raffiné au Tessin. La raffinerie Valcambi affirme appli- quer les standards les plus stricts lors de l’examen de l’origine du métal précieux, tels que « Les Principes de l’OCDE pour des chaînes d’approvisionnement respon- sables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque ». Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? Photo: Pep Bonet Si l’initiative était déjà en vigueur, Valcambi et les autres raffineries suisses auraient eu l’obligation légale de connaître l’origine précise de l’or, et Valcambi aurait rapide- ment identifié sa provenance problématique. Le simple fait que l’or ne puisse pas venir du Togo, puisqu’aucun or n’y est extrait, aurait dû éveiller leurs soupçons. Plus d’informations : www.publiceye.ch Travail des enfants abusif dans les Alors que la domination de quelques multinationales sur la chaîne d’approvisionne- plantations de cacao ment de l’industrie du chocolat ne cesse de se renforcer, les producteurs de cacao d’Afrique de l’Ouest vivent dans une pauvreté croissante. En Côte d’Ivoire, le princi- pal pays de production du cacao, une famille vivant de sa culture devrait gagner quatre fois plus pour atteindre le seuil de pauvreté officiel fixé à 2 dollars par jour. De si faibles revenus entraînent des violations des droits humains : rien qu’au Gha- na et en Côte d’Ivoire, plus de 2 millions d’enfants sont contraints de travailler, de manière abusive, dans de petites plantations de cacao plutôt que d’aller à l’école, leurs parents n’ayant pas les moyens d’engager la main-d’œuvre nécessaire. Non seulement la Suisse est le deuxième consommateur de chocolat par habitant au monde après l’Allemagne, avec environ 11 kilos par personne et par an, mais cette douceur figure aussi parmi ses produits d’exportation les plus connus et ap- préciés. Cinq des principaux producteurs, transformateurs et distributeurs de cho- Photo: Kim Naylor colat au monde ont leur siège en Suisse : Nestlé à Vevey, Mondelēz (anciennement Kraft Foods) à Zurich (siège européen), Lindt&Sprüngli à Kilchberg, Barry Callebaut à Zürich et ECOM Agroindustrial à Pully. Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? L’adoption et la mise en œuvre de l’initiative imposeraient des conditions sem- blables à toutes ces sociétés. Elles auraient le devoir de mettre en place des procé- dures de diligence raisonnable afin d’empêcher le travail abusif des enfants. Ces firmes devraient, par exemple, renforcer la transparence de la chaîne de production, garantir une amélioration des conditions de travail et de vie dans les exploitations de cacao, et veiller enfin à ce que les familles de cacaoculteurs perçoivent un revenu de subsistance. Les entreprises suisses productrices ou transformatrices de choco- lat devraient agir pour une meilleure traçabilité des fèves de cacao et de leurs condi- tions de production. Plus d’infos : www.publiceye.ch
Factsheet IV | 3 Du carburant sale pour l’Afrique La pollution de l’air dans les villes africaines est devenue un problème de santé pu- blique majeur. Les gaz d’échappement sont responsables d’une part importante des émissions de particules fines. Ces émissions polluantes sont très élevées car les car- burants vendus et utilisés présentent une forte teneur en soufre, ce qui endommage les catalyseurs et les filtres à particules des véhicules. Les résultats des échantillons prélevés à la pompe par Public Eye dans huit pays africains sont choquants : les carburants analysés présentent jusqu’à 378 fois plus de soufre que la teneur autori- sée en Europe. Ils contiennent par ailleurs d’autres substances très nocives à des Photo: Carl De Keyzer – Magnum niveaux également interdits par les normes européennes. Les conséquences sur la santé des populations dans les régions concernées sont désastreuses. Si rien n’est fait pour réduire la teneur en soufre dans les carburants, on estime que la pollution de l’air liée au trafic routier causera la mort prématurée de 31’000 personnes en 2030 en Afrique, soit trois fois plus qu’en Europe, aux Etats- Unis et au Japon réunis. De plus, de nombreuses personnes souffriront de maladies respiratoires ou cardiaques et de cancers. Les négociants suisses en matières premières jouent un rôle central dans le com- merce de carburants à haute teneur en soufre en Afrique. Vitol, Trafigura et le Groupe Addax&Oryx possèdent leurs propres réseaux de stations-service ou en dé- tiennent des parts. Par ailleurs, les firmes suisses Glencore, Mercuria, Gunvor et Li- tasco livrent du diesel et de l’essence aux importateurs africains. Les sociétés suisses ne se contentent pas de fournir ces carburants de piètre qualité, appelée « qualité africaine » par l’industrie, elles les produisent également. Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? Dans une grande partie de l’Afrique, les normes sur les carburants sont nettement plus faibles qu’en Europe. La vente de « Dirty Diesel » y est donc légale. Si les négo- ciants en matières premières étaient tenus de mettre en œuvre des procédures de diligence raisonnable, comme le demande l’initiative pour des multinationales res- ponsables, ils devraient reconnaître les risques de violation du droit à la santé dé- coulant de l’utilisation de ces carburants toxiques et de prendre des mesures pour y remédier. Ils auraient par conséquent l’obligation de fournir des produits plus propres. Ceci pourrait s’effectuer sans difficulté ni coût additionnel majeur puisque ces firmes livrent aujourd’hui déjà des carburants à faible teneur en soufre en Eu- rope et aux Etats-Unis. Plus d’infos : www.publiceye.ch Du benzène mortel dans la Le benzène – une substance hautement toxique – est utilisé dans la production de production de téléphones portables téléphones portables et autres appareils informatiques – avec des conséquences fa- tales. En Chine, jusqu’à ce jour, environ 100’000 personnes sont mortes des suites d’un empoisonnement au benzène. Cette substance est utilisée notamment dans les der- nières étapes de la production de téléphones portables. Les travailleurs ne sont pas ou peu protégés et insuffisamment informés des risques pour leur santé lorsqu’ils travaillent avec cette substance. Résultat: toutes les cinq heures, un travailleur en Chine est intoxiqué par le benzène. Les quatre plus grands détaillants de téléphones mobiles en Suisse (Swisscom, Sun- rise, Salt, Mobilezone) n’assument pas assez leur responsabilité à l’égard du ben- zène: ils ne disposent pas de directives explicites pour l’utilisation du benzène au- près de leurs fournisseurs. En octobre 2016, seul Swisscom reconnaît le problème et
Factsheet IV | 4 prend en considération certaines mesures. Sunrise hésite. Salt et Mobilezone font la sourde oreille et nient toute responsabilité. Cette interprétation de la diligence rai- sonnable est contraire aux Principes Directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains. Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? L’initiative aurait pour effet d’obliger les revendeurs de téléphones portables à conduire une analyse (diligence raisonnable) tout le long de leur chaîne d’approvi- sionnement. Une telle diligence impliquerait l’élaboration d’une stratégie pour ban- nir l’utilisation du benzène de la production. En outre, des pourparlers avec les pro- ducteurs de téléphones ainsi que des audits dans les usines de production seraient conduits. Des alternatives au benzène existent. Elles sont moins dangereuses pour la santé et coûtent moins d’un franc supplémentaire par téléphone. Plus d’infos : www.sehen-und-handeln.ch/benzol Credit Suisse finance la construc- Depuis le printemps 2017, du pétrole est acheminé à travers le North Dakota Access tion d’un oléoduc au milieu d’une Pipeline (DAPL) aux Etats-Unis – au mépris de protestations massives par les auto- réserve amérindienne chtones concernés et des activistes, qui ont reçu un soutien du monde entier. Le projet menace l’approvisionnement principal en eau potable de la population locale des Sioux de Standing Rock et autres 17 millions de personnes en aval de la rivière. En outre, des sites culturels importants ont été détruits par la construction de l’oléoduc. Aucune étude pertinente d’impact sur l’environnement n’a été effectuée, et la population autochtone n’a pas été consultée sur le projet conformément à la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. Pour ces raisons, des représentants de l’ONU ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement améri- cain de cesser le projet. Des voix se sont élevées à l’international pour exiger des bailleurs des entreprises de construction de cesser leur financement. Suite à cela, divers instituts financiers se sont retirés entièrement ou partiellement du projet, ou l’ont critiqué publiquement. Ce n’est pas le cas du Credit Suisse : malgré les nombreuses critiques et une prise de conscience croissante des violations de droits humains liées au projet, la banque a poursuivi voir intensifié ses relations d’affaires avec les entreprises responsables de la construction de l’oléoduc (Sunoco, ETE et ETP, souvent renommés l’« Energy Transfer Family »). La banque a établi des lignes de crédit, occupé des fonctions consultatives et administratives, facilité des transactions et géré des actions. La banque, qui avait pourtant classifié l’oléoduc comme projet à haut risque, a fait fi de ses lignes directrices internes qui lui interdisent de soutenir des entreprises dont les projets pétroliers ou gaziers violent les droits humains. Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? Si l’initiative pour des multinationales responsables avait déjà été en vigueur, le Credit Suisse aurait été obligé d’appliquer un devoir de diligence. Elle aurait ainsi dû identifier les risques relatifs aux droits humains, comme la violation du droit au consentement libre et informé de la population autochtone ou la violation du droit au territoire ancestral et à un environnement propre. Le Credit Suisse aurait ensuite dû exiger le respect de ces droits auprès des entreprises de construction et, éven- tuellement, interrompre les relations d’affaires ou pousser à arrêter le projet si la situation ne s’était pas améliorée malgré son intervention. De plus, le Credit Suisse aurait dû communiquer de manière transparente sur les risques et les mesures prises. Plus d’infos : www.gfbv.ch
Factsheet IV | 5 Syngenta: herbicide mortel Syngenta vend du Paraquat dans plusieurs pays en développement, alors même qu’elle sait que ce pesticide controversé ne peut pas y être utilisé d’une manière adéquate. La multinationale bâloise se rend ainsi coresponsable de milliers de cas d’empoisonnement et de décès par an. Le Paraquat – interdit en Suisse depuis 1989 à cause de sa toxicité élevée – est considéré comme l’herbicide le plus mortel du monde. On estime à plus d’un million par an le nombre d’empoisonnements dans le monde dus à des pesticides. Des dizaines de milliers de cas conduisent à la mort. Une part non négligeable de ces intoxications provient de l’usage du Paraquat. Les causes d’accident les plus fréquentes sont le manque de vêtements de protection appropriés ainsi que l’emploi de pulvérisateurs défectueux. Dans de nombreux cas, les paysans n’ont pas les moyens d’acheter les équipements adéquats. Ailleurs, le climat tropical rend difficile le port de vêtements de protection. Depuis des années, Syngenta réagit aux critiques avec les mêmes arguments: le pro- duit est sans danger si on l’utilise correctement, et des millions d’utilisateurs ont déjà bénéficié de programmes de formation. La multinationale ignore ainsi que les programmes de formation ne changent rien au fait qu’un usage approprié du Para- quat est illusoire dans de nombreux pays. Que changerait l’initiative pour des multinationales responsables ? Si Syngenta exerçait une diligence raisonnable correcte, l’entreprise remarquerait que les conditions pour une utilisation sans danger du Paraquat ne sont pas réunies. Syngenta devrait de ce fait s’abstenir de vendre ce produit et le remplacer par un herbicide moins toxique. Plus d’infos : www.publiceye.ch 1 Source: Kamminga 2015, basées sur 1877 reproches entre 2005 et 2014 sur business-humanrights.org 2 Menno T. Kamminga, Utrecht University, Company Responses to Human Rights Reports: An Empirical Analysis, 2015. Les chiffres par pays d’origine ont été enrichis par les données de la Banque Mondiale sur le PIB. Plus d’informations : www.initiative-multinationales.ch
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