The system - FIAN Belgium

 
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Le magazine des luttes pour la souveraineté alimentaire

                                                           SYSTÈMES ALIMENTAIRES,
                                                               NUTRITION ET SANTÉ
                                                                        Reprendre en main notre alimentation !

                                  PRISE DE POUVOIR DES MULTINATIONALES:
                              Comment contrer la mainmise des entreprises sur les espaces
                              démocratiques
  UN SYSTÈME EN DÉROUTE                            ENJEUX EN BELGIQUE                            PERSPECTIVES
                                                                                               INTERNATIONALES
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QUI EST FIAN BELGIUM?

               FIAN International est l’organisation internationale des qui consacre son travail
  à la lutte pour la réalisation du droit à l’alimentation. FIAN Belgium soutient cette lutte tant
  au niveau international, en partenariat avec les autres sections de FIAN, qu’ici en Belgique,
 où elle travaille avec les mouvements paysans, les associations d’aide aux démunis et tous
les mouvements sociaux réclamant une transition vers des systèmes alimentaires durables
                                                            respectueux du droit à l’alimentation.

                             FIAN Belgium développe son action pour la réalisation du droit
                                      à l’alimentation à travers 4 axes d’action principaux :
 le plaidoyer - éducation et mobilisation citoyenne - soutien aux luttes des communautés
                       - renforcement et appui à la participation des mouvements sociaux

                                            Envie d’en savoir plus? De soutenir notre action?
                                      De rejoindre un de nos groupes d’actions? www.fian.be

                                     Beet the system! est la nouvelle revue de FIAN Belgium,
                                     qui s’inscrit dans la continuité du FIAN Echo Hors Série.
                                  Cette revue veut offrir un espace d’expression pour les voix
                                   multiples actives dans le mouvement pour la souveraineté
                                           alimentaire: fianistas, agriculteur·rice·s, expert·e·s,
                                                            militant·e·s de la société civile, etc.

                                              Beet the system! souhaite participer à stimuler
                                      les échanges et réflexions et à renforcer les rencontres
                                             entre acteur·rice·s des luttes pour des systèmes
                                                                  agroalimentaires alternatifs.
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SOMMAIRE

   PARTIE 1 : SYSTÈMES ALIMENTAIRES, NUTRITION ET SANTÉ : UN SYSTÈME EN DÉROUTE
   Introduction
   > Margot Vermeylen                                                                                                     > 06

   1. Les impacts de nos systèmes alimentaires sur la santé : défis systémiques et réponses holistiques
   > Chantal Clément                                                                                                      > 08

   2. Obésité, sous-nutrition et changement climatique : causes et solutions communes
   > Dr. Stefanie Vandevijvere                                                                                            > 14

   3. « Se nourrir lorsqu’on est pauvre » : low cost et politiques de courte
   > Olivier De Schutter                                                                                                  > 20

   PARTIE 2 : DROIT À L’ALIMENTATION ET À LA NUTRITION EN BELGIQUE : ENJEUX ET DÉFIS À L’HEURE DU COVID-19
   4. Le Droit à l’alimentation et à la nutrition en Belgique :
   rapport de FIAN devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations-Unies
   > Manuel Eggen                                                                                                         > 27

   5. Alimentation et inégalités sociales de santé : l’accès à une alimentation de qualité en question.
   > Martin Biernaux                                                                                                      > 32

   6. Une crise sanitaire qui souligne les tensions sociales : Le cas de l’Aide alimentaire en Belgique
   > Romane Quintin                                                                                                       > 37

   7. Nourrir les pauvres avec les déchets du système capitaliste
   > Anne Leclercq                                                                                                        > 43

   8. Accès à l’alimentation en temps de pandémie : une perspective féministe
   > Louise Donnet                                                                                                        > 48

   9. Les GASAP, un prix juste contre la précarité des agriculteur·rice·s
   > Laurence Lewalle                                                                                                     > 54

   10. Mauvaise nutrition et obésité en Belgique : comment améliorer la situation ?
   > Jonathan Peuch                                                                                                       > 58

   11. Alimentation durable pour tou·te·s : multiplions les innovations !
   > Catherine Closson                                                                                                    > 63

   PARTIE 3 : PERSPECTIVES INTERNATIONALES
   12. Des millions de personnes forcées de choisir entre la faim ou le Covid-19
   > GRAIN                                                                                                                > 67

   13. Politiques publiques pour une alimentation scolaire en Colombie : le vaccin idéal contre les pandémies à venir ?
   > Hernando Salcedo Fidalgo et Ingrid Paola Romero Nino                                                                 > 72

   14. La médicalisation de la faim : l’UNICEF, le Plumpy’nut et le marché des compléments alimentaires
   > Jasper Thys                                                                                                          > 76

   15. Les Directives du Comité de la sécurité alimentaire mondiale sur les systèmes alimentaires et la nutrition :
   un regard sur le processus
   > Isa Álvarez Vispo                                                                                                    > 80

   16. Restez chez vous mais pas en silence : la pandémie de COVID-19 et ses impacts sur le secteur agricole en Europe
   > Ivan Mammana                                                                                                         > 84
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FIAN International

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AVERTISSEMENT

Les articles présents dans cette publication ont été écrits en juin et juillet 2020. La situation liée à la pandémie
de Covid-19 évoluant rapidement, il est possible que certaines données reprises dans les articles soient main-
tenant obsolètes.

Révision des chiffres de la faim dans le monde, mais nous sommes toujours loin de réaliser l’objectif
« Zéro Faim » d’ici à 2030.

Le dernier rapport sur « l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde » (SOFI) a été publié le
13 juillet passé, conjointement par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et
d’autres agences des Nations Unies. Le rapport confirme la tendance alarmante à l’augmentation du nombre
de personnes globalement touchées par la faim et toutes les formes de malnutrition1.

Trois points importants sont à retenir de ce rapport. Premièrement, des mises à jour dans les données, notam­­ment
sur les estimations de la sous-alimentation en Chine, ont permis de réviser à la baisse les chiffres de la faim
dans le monde. Deuxièmement, malgré cette révision à la baisse, le nombre de personnes touchées par la
faim dans le monde reste en augmentation depuis 20142. Il est estimé qu’en 2019 près de 690 millions de
personnes dans le monde souffraient de la faim, soit 8,9 % de la population mondiale. De plus, près de 750
millions de personnes, soit près d’une personne sur dix dans le monde, étaient exposées à l’insécurité alimen-
taire grave. Enfin, une estimation préliminaire donne à penser que la pandémie de Covid-19 pourrait ajouter,
en fonction du scénario de croissance économique, entre 83 et 132 millions de personnes au nombre total de
personnes sous-alimentées dans le monde en 2020. Le rapport est donc clair : « le monde n’est pas en voie
d’atteindre l’objectif de développement durable « Zéro Faim » d’ici à 2030. Si les tendances récentes se pour-
suivent, le nombre de personnes touchées par la faim dépassera les 840 millions d’ici à 2030. »

Suite à la sortie du rapport SOFI 2020, nous avons fait le choix d’actualiser tous les chiffres de cette publication,
afin d’être les plus à jour possible. Concrètement, les chiffres du rapport SOFI 2019, qui avaient été repris dans
plusieurs articles lors de leur rédaction – plus particulièrement celui faisant état de 821 millions de personnes
souffrant de la faim dans le monde – , ont été remplacés par les chiffres du dernier rapport SOFI.

1 FIAN International, Press Release : Le Rapport SOFI reconnaît le besoin urgent de transformation des systèmes alimentaires, 16
juillet 2020. https://www.fian.org/fr/press-release/article/le-rapport-sofi-reconnait-le-besoin-urgent-de-transformation-des-syste-
mes-alimentaires-2531
2 FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2020. Résumé de L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2020. Transformer
les systèmes alimentaires pour une alimentation saine et abordable. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/ca9699fr

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INTRODUCTION

                                                              Par Margot Vermeylen, économiste et chercheuse indépendante,
                                                                et Manuel Eggen, chargé de recherche et plaidoyer chez FIAN

Cette année, notre revue Beet the         ant tant la sous-alimentation que la       même système industriel, ont été les
System ! se penche sur les liens qui      « malbouffe » et l’obésité. L’insécurité   premiers facteurs de comorbidité liés
existent entre nos systèmes alimen-       financière n’en est pas la seule cause.    aux formes graves d’infection au vi-
taires, la nutrition, et notre santé.     Le marketing agressif de l’industrie       rus. La pandémie a également révélé
L’alimentation est en effet un besoin     alimentaire, l’environnement alimen-       le manque de résilience d’un modèle
et un droit fondamental qui doit nous     taire, le niveau d’éducation et le con-    de production et de consommation
permettre un épanouissement phy-          texte psycho-social sont également         basé sur des chaînes mondialisées
sique et psychologique pour mener         des éléments déterminants à prendre        de plus en plus longues. Il sera néces-
une vie digne et en bonne santé. Or, la   en compte.                                 saire de tirer les enseignements de la
globalisation du modèle agroalimen-                                                  crise pour transformer nos systèmes
taire industriel s’est accompagnée et     LIEN AVEC L’ACTUALITE                      alimentaires.
s’accompagne de plus en plus d’im-
pacts négatifs sur notre santé : ré-      L’année 2020 aura été frappée par la       STRUCTURE
gimes alimentaires déséquilibrés et       pandémie de Covid-19 et ses nom-
ultra-transformés favorisant l’obésité    breuses répercussions, et tout porte       Dans la première partie de la revue,
et les maladies non-transmissi-           à croire que nos sociétés en seront        trois expert·e·s nous expliquent l’in-
bles ; aliments contaminés et prop-       profondément marquées pendant              terconnexion des défis que représen-
agation des épidémies ; expositions       plusieurs années encore. Alors que la      tent les systèmes alimentaires, la
aux pollutions de l’environnement ;       pandémie a mis en lumière la fragi­        nut­ rition et la santé pour nos so-
mauvaises conditions de travail des       lité de nos systèmes de santé, elle a      ciétés. Dans la deuxième partie, nous
paysan·ne·s et travailleur·euse·s du      également exacerbé les défaillances        nous pencherons sur le cas de la Bel-
secteur agroalimentaire engendrant        du système agroalimentaire indust­         gique et nous analyserons les enjeux
des problèmes de santé ; etc.             riel. D’une part, le système agroa­        et défis pour la réalisation du droit à
                                          limentaire industriel est l’une des        l’alimentation et à la nutrition à l’heu-
Par ailleurs le système agroalimen-       principales causes de la destruction       re du Covid-19. Après un aperçu de la
taire industriel est profondément         des éco-systèmes, dont il est prou-        situation du droit à l’alimentation dans
marqué par les inégalités. Les popu-      vé qu’elle favorise l’émergence et         le pays au niveau social et légal, plu-
lations les plus marginalisées et pré-    la propagation des maladies zoo-           sieurs articles analysent les enjeux et
carisées sont affectées de manière        notiques (maladies venant du monde         défis auxquels est confrontée l’aide
disproportionnées par la malnutri-        animal). D’autre part, l’obésité et les    alimentaire en ces temps de crise.
tion sous toutes ses formes – inclu-      maladies cardio-vasculaires liées au       Un article approfondit ensuite le cas

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Starglide
belge sous une perspective fémin-          VERS UNE TRANSITION                       tre que de nombreux·ses individu·e·s
iste. Les trois derniers articles de       DES SYSTEMES ALIMENTAIRES                 sont prêt·e·s à lutter pour leur droit
cette deuxième partie posent la ques-                                                à l’alimentation et à la nutrition et à
tion cruciale : « comment améliorer        Les trois sujets que cette revue a        enta­mer une transformation en pro-
la situation en Belgique ? ». Enfin,       choisi d’aborder – systèmes alimen-       fondeur de nos sociétés. Cette trans-
la troisième partie élargit le champ       taires, nutrition et santé – sont plus    formation se fera au travers de poli-
d’analyse au niveau international. Le      que jamais d’actualité au vu des cri-     tiques fortes et solidaires, par et pour
premier article se penche sur la sit-      ses sanitaire, sociale et économique      les citoyen·ne·s. Avec ce numéro du
uation des travailleur·euse·s pauvres      engendrées par la pandémie de             Beet the System !, nous rassemblons
du secteur informel de par le monde,       Covid-19. Cependant, le secteur de        différentes voix qui appellent à des
forcé·e·s de choisir entre la faim ou le   la santé et de l’agroalimentaire n’ont    politiques intégrées pour des sys-
Covid-19. Nous y étudierons ensuite        pas attendu la pandémie pour être en      tèmes alimentaires sains et durables,
le cas des cantines scolaires en Co-       crise, et celle-ci a permis une nou-      selon les principes de l’agroécologie,
lombie, le marché des compléments          velle mise en lumière des problèmes       et qui permettent tant une rémunéra-
alimentaires et la médicalisation          structurels liés à nos sociétés indus-    tion juste aux agriculteur·rice·s
croissante de la faim, le processus        trielles. Les défis peuvent sembler       qu’une alimentation saine, adéquate
d’élaboration de Directives sur les        colossaux. Mais nous pouvons y faire      et accessible à tou·te·s. Car il est
systèmes alimentaires et la nutrition,     face: la multitude d’initiatives citoy-   temps de reprendre en main notre
et la situation des agriculteur·rice·s     ennes de solidarité qui ont émergé        alimentation !
au niveau européen.                        suite à la crise du Covid-19 démon-

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PARTIE 1 : SYSTÈMES ALIMENTAIRES, NUTRITION & SANTÉ : UN SYSTÈME EN DÉROUTE

               1. Les impacts de nos systèmes alimentaires
         sur la santé : défis systémiques et réponses holistiques

                                                                             par Chantal Clément, Directrice-Adjointe d’IPES-Food

Les systèmes alimentaires im-            sous-jacents des systèmes alimen-                Notre rapport a également mis en lu-
pactent la santé humaine de plu-         taires mondiaux en ce qui concerne               mière que les plus graves impacts des
sieurs manières. Basé sur un             la santé humaine, animale et envi-               systèmes alimentaires sur la santé
rapport du Panel international d’ex-     ronnementale.                                    publique proviennent, en majorité,
perts sur les systèmes alimentaires                                                       de pratiques agricoles et agroali-
durables (IPES-Food), cet article        En 2017, IPES-Food a publié un rap-              mentaires industrielles, comprises
détaille 5 axes principaux à travers     port1 visant à décrypter le lien entre           ici comme un ensemble de pratiques
lesquels les systèmes alimentaires       systèmes alimentaires et santé publique,         basées sur l’uniformisation de l’offre
industriels affectent notre santé et     et nous avons déduit que les sys-                alimentaire, l’élevage intensif, la forte
                                         tèmes alimentaires actuels affectent             utilisation d’intrants chimiques, et la
propose des solutions holistiques
                                         notre santé à partir de 5 axes prin-             production et la commercialisation de
pour y faire face.
                                         cipaux :                                         masse d’aliments ultra-transformés.
                                                                                          Trois ans plus tard, ces recherches
Quand nous pensons aux impacts de
                                         1. des mauvaises conditions de                   sont plus pertinentes que jamais, et
nos systèmes alimentaires sur notre
                                            travail dans le secteur                       nous montrent la voie à suivre pour
santé, nous pensons sans doute en
                                            agroalimentaire ;                             aller vers des systèmes alimentaires
premier lieu à nos régimes alimen-
                                         2. une exposition à des polluants               plus sains et durables.
taires. Pourtant, nos systèmes ali-
                                            dans l’eau, l’air et le sol ;
mentaires ont des retombées sur la
                                         3. des aliments contaminées,
santé humaine qui vont bien au-delà
                                            dangereux ou transformés ;                    LE LIEN ALIMENTATION-SANTÉ :
de leurs effets sur nos régimes. Ces                                                      5 AXES PRINCIPAUX
                                         4. des régimes alimentaires
systèmes engendrent non seulement
                                            déséquilibrés, et ;
de nombreux risques pour la santé                                                         Combien nous coûte véritablement
                                         5. un manque d’accès à une ali-
publique, mais également de graves                                                        notre alimentation ? Notre nourriture
                                            mentation saine et de qualité.
coûts environnementaux et sociaux.                                                        peut sembler bon marché, mais en
Ces impacts n’ont jamais été aussi       1 IPES-Food (2017). “Alimentation et santé :
                                                                                          réalité, nous payons les conséquenc-
clairs qu’à travers la crise sanitaire   Décryptage. Un examen des pratiques, de
                                         l’économie politique et des rapports de force   es de nos systèmes alimentaires sur
qui ravage actuellement le monde         pour construire des systèmes alimentaires       notre santé plusieurs fois.
entier. En l’espace de quelques mois,    plus sains.” Global Alliance for the Future of
le COVID-19 a mis en lumière les ris-    Food et IPES-Food. URL http://www.ipes-food.
                                         org/_img/upload/files/FoodHealthNexus_Report_
ques, les fragilités et les inégalités   French%281%29.pdf

                                                               8
The system - FIAN Belgium
1. Les agriculteur·rice·s et travail-                2. La pollution environnementale                    3. La distribution d’aliments con-
   leur·euse·s de la chaîne agroa­                      est devenue un des plus grands                      taminés est sans doute le lien
   limentaire sont souvent les                          impacts des systèmes alimen-                        alimentation-santé le mieux
   premiers à être exposé·e·s aux                       taires sur la santé, découlant                     documenté. Les maladies d’ori­
   impacts néfastes de nos sys-                         principalement d’une pollution                      gine alimentaire découlent de la
   tèmes alimentaires. Le risque                        des sols, de l’air et de l’eau. De                  présence de bactéries, de virus,
   de blessure, de maladie ou de                        nombreuses pratiques du sec-                        d’agent chimiques, de parasites
   décès dans l’exercice de son ac-                     teur de l’élevage intensif ont été                  ou de toxines dans nos aliments
   tivité professionnelle est beau-                     étroitement associées à la pollu-                  (par ex. salmonelles, hépatite A).
   coup plus élevé dans les secteurs                    tion de l’eau et l’air et aux impacts               Aujourd’hui 63 % des espèces
   agricole, de la pêche, de la sylvi-                  en résultant sur la santé, comme                   pathogènes actuelles et 75 %
   culture et de la transformation                      l’E.Coli, une concentration ex-                     des maladies émergentes sont
   alimentaire (par ex. abattoirs,                      cessive de nitrate dans l’eau en-                   d’origine zoonotique4, provenant
   transformateurs de viande) que                       gendrant des risques accrus de                      donc de la consommation de
   dans la plupart des autres sec-                      cancers, ou encore une pollution                    vian­de, de volaille et de produits
   teurs2. Ces risques se traduisent                    aux métaux lourds. L’agriculture,                   animaux comme les œufs et les
   concrètement à travers : l’expo-                     par exemple, est elle-seule res­                    produits laitiers. De nombreux
   sition aux intrants chimiques et                     ponsable de quelque 90 % des                        polluants       environnementaux
   aux substances en suspension                         émissions d’ammoniac de l’UE –                      évoqués ci-dessus se retrouvent
   dans l’air (pesticides, engrais,                     un contributeur majeur à la pol-                    également dans nos aliments par
   poussière, pollen, déchets ani-                      lution de l’air qui tue 400.000 Eu-                 les résidus de pesticides ou par
   maux) ; l’exposition aux zoono-                      ropéen∙ne∙s chaque année3. Nos                      bioaccumulation (par ex. mercu-
   ses et aux antimicrobiens ; et aux                   systèmes alimentaires actuels                       re et plomb dans les poissons).
   risques inhérents à l’utilisation                    représentent également 21 à 37%                     Cependant, une contamination
   d’équipements mécaniques pen-                        des gaz à effet de serre totaux et                  alimentaire peut également avoir
   dant de longues heures. De plus,                     sont au cœur de la perte de bio-                    lieu suite à la transformation de
   nos systèmes sont basés sur une                      diversité, source essentielle dont                  produits : la résistance aux an-
   faible rémunération de la main                       bénéficient nos écosystèmes,                        timicrobiens et l’exposition aux
   d’œuvre, qui se traduit par des                      nos sociétés et notre économie.                     perturbateurs endocriniens (par
   faibles salaires et une protection                                                                       ex. à travers les aliments traités
   inadéquate des travailleur·euse·s,                                                                       avec des pesticides, emballages
   faisant de l’alimentation et                                                                             alimentaires) peut entraîner des
   de l’agriculture les secteurs                                                                            réactions allergène, obésogène,
   économiques les plus précaires.                                                                          reprotoxique, et cancérogène5.

                                                                                                         4 Jones, B.A., Grace, D., Kock, R., Alonso, S.,
                                                                                                         Rushton, J., Said, M.Y. (2013). “Zoonosis emer-
                                                                                                         gence linked to agricultural intensification and
                                                                                                         environmental change.” PNAS 110.
                                                                                                         5 IPES-Food (2017). “Alimentation et santé:
                                                                                                         Décryptage. Un examen des pratiques, de
2 FAO (2018). Regulating labour and safety           3 EEA (2017). “Air Quality in Europe.” URL          l’économie politique et des rapports de force
standards in the agriculture, forestry and fisher-   https://www.eea.europa.eu/publications/air-quali-   pour construire des systèmes alimentaires
ies sectors.                                         ty-in-europe-2017/at_download/file                  plus sains.” Global Alliance for the Future of

                                                                            9
The system - FIAN Belgium
4. Au cours des dernières décen-                      cardiaques chez les adultes7. En                    mentation suffisante, sûre, nutri-
   nies, la tendance vers l’indus-                    outre, les régimes alimentaires                     tive et culturellement acceptable.
   trialisation de nos systèmes                       malsains sont responsables de                       L’insécurité alimentaire engen-
   alimentaires a entraîné une aug-                   49% des maladies cardiovas-                         dre des maladies occasionnées
   mentation croissante de régimes                    culaires8, la principale cause de                   par un manque d’accès perma-
   alimentaires nuisibles à la santé.                 décès dans l’UE. Les maladies                       nent à une alimentation adéquate
   Cette tendance, caractérisée par                   chroniques – très souvent liées                     (par ex. faim ou carences en
   une forte consommation d’ali-                      à l’alimentation – représentent                     micronutriments). Aujourd’hui,
   ments riches en sucre ajouté, en                   70% à 80% des coûts de santé                        un∙e Européen∙ne sur quatre est
   sodium, en acide gras trans, et                    publique dans l’UE9. Ces impacts                    menacé∙e de pauvreté ou d’ex-
   par une pauvre consommation                        nous affectent directement à                       clusion sociale, et près de 10 %
                                                                                                          de la population de l’UE n’a pas
   en fruits, légumes, légumineu-                     travers nos habitudes alimen-
                                                                                                          les moyens de s’offrir un repas
   ses et céréales complètes, a en                    taires, elles-mêmes façonnées
                                                                                                          de qualité tous les deux jours10
   partie généré une augmentation                     par l’environnement alimen-
                                                                                                          [pour le cas de la Belgique, voir
   des taux de surpoids, d’obésité                    taire dans lequel nous évoluons.                    article n°4, par Manuel Eggen]
   et de maladies non transmissi-
   bles. Une mauvaise alimentation               5. L’accessibilité     physique      et             SYSTÈMES ALIMENTAIRES
   est le principal facteur de risque               économique de l’offre alimen-                    ET COVID-19
   de maladie et de mortalité dans                  taire, ainsi que la qualité de l’of-
   l’Union Européenne (UE). Nos sys-                fre elle-même, a donc une forte                  Nos systèmes alimentaires actuels
   tèmes alimentaires sont mainte-                  influence sur nos choix a­limen-                 sont donc au cœur d’un grand
   nant responsables d’une popula-                  taires et notre sécurité alimen-                 nombre de défis de santé publique.
   tion européenne 50% en surpoids                  taire. Mais une alimentation saine               Alors que le monde entier débat de
   et plus de 20% en obésité, fac-                  et suffisante reste hors de portée               la solution la plus viable pour mieux
                                                    pour des millions de personnes.                  se préparer, répondre et récupérer
   teurs principaux dans le dévelop-
                                                    L’insécurité alimentaire demeure                 durablement suite au Covid-19, de
   pement de maladies non-trans-
                                                    le dernier canal par lequel nos                  nouvelles recherches n’ont fait que
   missibles (MNT) comme les
                                                    systèmes alimentaires peuvent                    démontrer le lien entre les impacts de
   maladies        cardiovasculaires,               nuire à notre santé. Il s’agit ici
   cérébrovasculaires et plusieurs                                                                   nos systèmes alimentaires décrits ci-
                                                    d’impacts provoqués par un accès                 dessus, notre santé et notre capacité
   types de cancer6. Par exemple,                   insuffisant ou précaire à une ali-
   l’obésité a été identifiée comme                                                                  à être résilients face aux chocs.
   la principale cause dans plus de              7 Brandt, L. et Erixon, F. (2013) “The Preva-
   80% des cas de diabète de type                lence and Growth of Obesity and Obesity-related
                                                 illnesses in Europe” (Brussels: ECIPE). URL
   2 dans l’UE, 55% des maladies                 http://ecipe.org/wp-content/uploads/2014/12/
   hypertensives et 35% de maladies              Think_piece_obesity_final.pdf
                                                 8 EHN (2017). “Transforming European
                                                 food and drink policies for cardiovascular
                                                 health.” URL http://www.ehnheart.org/publica-
Food et IPES-Food. URL http://www.ipes-food.     tions-and-papers/publications/1093:transform-
org/_img/upload/files/FoodHealthNexus_Report_    ing-european-food-and-drinks-policies-for-cardio-   10 Eurostat (2017). “Europe 2020 indicators
French%281%29.pdf                                vascular-health.html                                - poverty and social exclusion.” URL http://ec.eu-
6 OMS (2018). Data and Statistics. URL http://   9 Seychell, M. (2016) “Towards better pre-          ropa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/
www.euro.who.int/en/health-topics/noncommuni-    vention and management of chronic diseases”         Europe_2020_indicators_-_poverty_and_social_ex-
cable-diseases/obesity/data-and-statistics       Health-EU Newsletter 169.                           clusion

                                                                        10
11
     UNEP
Premièrement, un nombre croissant                 Enfin, le COVID-19 met également           adaptée à leur environnement local.
d’études démontrent que l’obésité                 en exergue la précarité des                Elle ne dépend pas des produits
et les MNT liées à l’alimentation                 travailleur·euse·s      du      secteur    chimiques, mais mise sur les
augmentent non seulement le                       agroalimentaire. Les          conditions   synergies naturelles et la diversité
risque d’insuffisance respiratoire                déplorables exposées dans le secteur       des espèces. L’agroécologie peut
pour les personnes souffrant de                   de la viande aux États-Unis ou des         offrir des moyens de subsistance
COVID-19, mais peuvent également                  travailleur·euse·s     saisonnier·ère·s    résilients, basés sur la coopération
contribuer à une escalade rapide                  démontrent le manque de protection         et la solidarité, et sur des circuits
de ses symptômes. En France, 83 %                 des travailleur·euse·s et l’absence des    courts qui engendrent des revenus
des patients en réanimation suite au              pratiques d’hygiènes et de sécurité        plus justes pour les travailleur·euse·s
COVID-19 depuis début avril étaient               convenables dans ces secteurs. Ces         agricoles.
en surpoids ou obèses11.                          risques s’ajoutent aux conditions
                                                  généralement médiocres et à la faible     Au niveau de la santé publique,
Deuxièmement, l’agriculture industri-             rémunération des travailleur·euse·s.       l’approche « Un monde, une santé »
elle a été confirmée comme l’une des                                                         de l’OMS nous permettrait d’avancer
causes principales de l’accroisse-                QUE FAIRE ? DÉFIS ET SOLUTIONS             vers des systèmes agricoles et
ment des risques d’émergence et de                                                           alimentaires mieux adaptés aux défis
propagation de maladies d’origine                 Les systèmes alimentaires affec­           auxquels nous sommes confrontés.
zoonotique. L’interaction plus étroi-             tent non seulement la santé humaine       Cette     approche     multisectorielle
te entre l’être humain et la faune est            mais également la santé animale et         s’applique à la conception et la mise en
renforcée par la destruction d’ha­                environnementale au travers de mul-        œuvre de programmes, de politiques,
bitats naturels et la perte de biodi-             tiples mécanismes interconnectés.          législations et de recherches
versité à cause de l’agriculture, de             Bien que cela puisse paraître com-         permettant à plusieurs secteurs de
l’urbanisation accélérée et de l’acca-            plexe, nous sommes désormais suf-          communiquer et collaborer en vue
parement des terres et des ressour­               fisamment informé∙e∙s pour agir :          d’améliorer la santé publique. En
ces12. De plus, l’élevage intensif, com-          pour résoudre des problèmes inter-         temps qu’approche intégrée, elle met
biné à la faible diversité génétique            connectés, il nous faut des réponses       l’accent sur les interactions entre
caractéristique des systèmes indus-               holistiques.                               les animaux, les humains et nos
triels, augmente considérablement le                                                         écosystèmes dans le but d’atteindre
risque d’apparition et de propagation             Au niveau systémique, une alternative      une santé optimale pour tou·te·s.
de zoonoses.                                      à l’agriculture et aux systèmes
                                                  industriels gagne en notoriété :           Il devient évident que ce n’est
                                                  l’agroécologie. Il s’agit d’une approche   qu’à travers de telles approches
                                                  holistique au développement des            intégrées que nous transformerons
11 Cabut, S. (2020). ”Coronavirus : les per-      systèmes agricoles et alimentaires.        en profondeur la manière dont
sonnes obèses représentent une proportion         L’agroécologie est une façon de            nous produisons et consommons.
très élevée des patients en réanimation en        cultiver avec la nature, et non pas        Il devient impératif de baser nos
France.” Le Monde, 7 avril. URL https://www.
lemonde.fr/planete/article/2020/04/07/les-per-    contre elle. Elle renforce la résilience   systèmes alimentaires sur un autre
sonnes-obeses-sont-plus-fragilisees-par-le-vi-    aux changements climatiques et aux         ensemble de principes que ceux de
rus_6035831_3244.html                             épidémies, en associant différentes        l’agriculture industrielle, qui jusqu’à
12 IPES-Food (2020). ”Le COVID-19 et              plantes et animaux sur la base             présent a entraîné un bilan d’impacts
la crise dans les systèmes alimentaires :
Symptômes, causes et solutions potentielles.”     des connaissances propres aux              plus négatifs que positifs. Il devient
URL http://www.ipes-food.org/_img/upload/files/   agriculteur·rice·s, et de manière          urgent de combler les lacunes dans
COVID19%20COMMUNICATION_FR.pdf

                                                                    12
nos politiques publiques, dans nos
systèmes économiques et dans nos
sociétés pour lutter en faveur de
systèmes alimentaires durables,
résilients et solidaires.

                                          Polycart

                                     13
2. Obésité, sous-nutrition et changement climatique :
                            causes et solutions communes

    Par Dr. Stefanie Vandevijvere, chercheuse senior en nutrition et santé chez Sciensano (Institut scientifique de santé publique),
   co-autrice du rapport « The Global Syndemic of Obesity, Undernutrition, and Climate Change » publié dans The Lancet en 2019.

Les trois pandémies – obésité,                        La malnutrition sous toutes ses                             Dans un avenir proche, les effets
sous-nutrition et changement cli-                     formes, incluant tant la sous-nutrition                     du changement climatique sur
matique – affectent la majeure par-                   que l’obésité et les autres risques                         la    santé     aggraveront  encore
tie de la population, dans tous les                   nutritionnels associés aux maladies                         considérablement l’impact de ces
pays et régions du monde. Les me-                     chroniques, est de loin la principale                       maladies. Tout comme l’obésité et
                                                      cause de mauvaise santé et de décès                         la sous-nutrition, le changement
sures politiques prises par les gou-
                                                      prématurés dans le monde (19 % de                           climatique peut également être
vernements nationaux au cours des                     la morbidité totale dans le monde ;                         considéré comme une pandémie
dernières décennies pour faire face                   figure 1)2.                                                 (c’est-à-dire une épidémie mondiale),
à ces pandémies séparément ont                                                                                    en raison de son impact majeur sur la
été lentes et insuffisantes. Des ac-                                                                              santé de la planète.
tions « à effet double » ou « à effet
triple » visant à réorienter les sys-                           Figure 1 : Charge internationale due à la malnutrition sous toutes ses formes
tèmes alimentaires et agricoles, les                                 (par rapport à la charge des trois principaux contributeurs suivants).
systèmes de transport et l’utilisa-                           Echelle : % (0, 5, 10, 15, 20, 25) en espérance de vie corrigée de l’incapacité (EVCI)A
tion des terres seront nécessaires
au niveau local, national et interna-
tional pour faire face à la syndémie1
des pandémies.

1 Note : la syndémie est un concept utilisé en
santé publique, dans les sciences sociales de la
santé et par les chercheur·euse·s médicaux·ales
pour parler de l’interaction dangereuse de deux                  A     Note : l’espérance de vie corrigée de l’incapacité (EVCI) est un mode d’évaluation du coût
                                                                      des maladies mesurant l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire en soustrayant
ou de plusieurs maladies au sein d’une popula-
                                                                     à l’espérance de vie le nombre d’années « perdues » à cause de la maladie, du handicap
tion et qui cause des effets encore plus néfastes                                                      ou d’une mort précoce.
pour la santé. Il s’agit de la fusion du mot « syn-
ergie » (soit l’interaction ou la coopération de
deux ou plusieurs entités) et du suffixe « -émie »    2 Toutes les données de cet article sont tirées
(un terme de la santé publique qui signifie « te-     du rapport suivant : Swinburn et al (2019). The
neur dans le sang »). Source : Merrill Singer, les    Global Syndemic of Obesity, Undernutrition, and
syndémies et la santé, juin 2020, https://defining-   Climate Change: The Lancet Commission Report.
momentscanada.ca                                      393(10173):791-846.

                                                                               14
LES EFFETS DE L’OBÉSITÉ, DE LA            Les coûts sociaux de la syndémie des               LES FACTEURS COMMUNS DE
SOUS-NUTRITION ET DU CHANGE-              trois pandémies sont considérables                 L’OBÉSITÉ, DE LA SOUS-NUTRITION
MENT CLIMATIQUE SUR LA SANTÉ              et touchent davantage les populations              ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
ET L’ENVIRONNEMENT                        et les pays les plus pauvres.
                                                                                             La figure 2 montre les moteurs
Les trois pandémies – obésité, sous-      1. Obésité : La surcharge pondérale                communs de la syndémie des
nutrition et changement climatique           touche plus de 2 milliards de                   pandémies.      Par      exemple,     le
– affectent la majeure partie de la          personnes dans le monde et                      changement climatique augmentera
population, dans tous les pays et            est responsable d’environ 4                     la sous-nutrition en raison d’une
régions du monde. Se produisant              millions de décès par an. Le coût               augmentation        de      l’insécurité
en même temps et en même lieu,               économique actuel de l’obésité                  alimentaire, de conditions climatiques
et ayant des causes communes,                est estimé à environ 2,8 % du                   extrêmes, de sécheresses et de
on peut parler d’une syndémie de             produit intérieur brut mondial.                 bouleversements dans l’agriculture.
ces pandémies. Par exemple, nos                                                              En outre, on sait que la sous-nutrition
systèmes alimentaires actuels ne          2. Sous-nutrition : En Asie et en                  des fœtus et des nourrissons
sont pas seulement responsables              Afrique, la sous-nutrition coûte                augmente le risque d’obésité chez les
de la sous-nutrition et de l’obésité         de 4 à 11 % du produit intérieur                adultes. Les effets du changement
résultant de l’augmentation de               brut. En 2017, 155 millions                     climatique sur l’obésité, et vice versa,
la commercialisation et de la                d’enfants étaient trop petits pour              sont pour l’instant incertains. Des
consommation d’aliments ultra-               leur âge et 52 millions avaient                 actions qui recentrent les systèmes
transformés ; ils génèrent également         un poids trop faible pour leur                  sous-jacents (comme l’alimentation,
entre 21 et 37 % des émissions de            taille. En outre, deux milliards                les transports, l’affectation des
gaz à effet de serre (GES), l’élevage        de personnes souffrent de                       terres, l’aménagement du territoire),
représentant plus de la moitié de            carences en micronutriments                     seront nécessaires pour faire face
ces émissions3. Autre exemple, les           et 690 millions de personnes                    à la syndémie des pandémies,
moyens de transport, dominés par             étaient            chroniquement                par exemple en promouvant des
la voiture, qui favorisent l’inactivité      sous-alimentées      en     20194.              politiques agricoles ayant pour
physique et un mode de vie                                                                   objectifs la santé et la durabilité.
largement sédentaire, alors même          3. Changement climatique : On
qu’ils génèrent entre 14 et 25 % des         estime que les coûts économiques
émissions de GES. Les causes sous-           futurs du changement climatique
jacentes de la syndémie entre ces            représenteront 5 à 10 % du
pandémies sont la faiblesse des              produit intérieur brut mondial ;
systèmes politiques, la quête de la          les coûts dans les pays à faible
croissance du produit intérieur brut         revenu dépasseront 10 % de leur
– théorie économique incontestée             produit intérieur brut.
– et la puissante incitation à la
surconsommation par le secteur
privé.
                                          4 FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS. 2020.
                                          Résumé de L’État de la sécurité alimentaire et
                                          de la nutrition dans lemonde 2020. Transformer
                                          les systèmes alimentaires pour une alimenta-
                                          tion saine et abordable. Rome, FAO. https://doi.
3   GIEC 2019                             org/10.4060/ca9699fr

                                                                15
Figure. 2 : Syndémie des trois pandémies: obésité, sous-nutrition et changement climatique
                                                                                               temps. Ces actions, visant à recentrer
                                                                                               les systèmes alimentaires et
                                                                                               agricoles, les systèmes de transport
                                                                                               et l’affectation des terres, devraient
                                                                                               idéalement avoir lieu aux niveaux
                                                                                               local, national et international.
                                                                                               Quelques exemples sont donnés dans
                                                                                               le tableau 1.

                                                                                               Les actions qui responsabilisent
                                                                                               l’individu·e par des programmes
                                                                                               de promotion de la santé ou des
                                                                                               services de soins de santé sont plus
                                                                                               faciles à mettre en œuvre que des
                                                                                               politiques ou des actions répondant
                                                                                               aux causes profondes, or ces
                                                                                               dernières sont essentielles à une
                                                                                               transformation systémique. Outre
                                                                                               les autorités nationales et locales, la
                                                                                               société civile, les bailleurs de fonds
                                                                                               et les organisations internationales
                                                                                               peuvent prendre diverses mesures
                                               aucun pays n’a été en mesure                    pour faire face à la syndémie des
DES ACTIONS POLITIQUES À EFFET                 d’inverser son épidémie d’obésité               pandémies (tableau 2).
DOUBLE ET TRIPLE                               et les actions politiques globales
                                               pour lutter contre le changement
Les mesures politiques prises par les          climatique ont à peine commencé.
gouvernements nationaux au cours
des dernières décennies pour lutter            Des     actions     s’attaquant     aux
séparément contre l’obésité, la sous-          facteurs sociaux, politiques, socio-
nutrition ou le changement climatique          économiques        et     commerciaux
ont été lentes et inadéquates. Cette           sous-jacents de la syndémie des
inertie politique a plusieurs causes et        trois pandémies sont nécessaires.
découle, entre autres, de la réticence         Nombre       des    recommandations
des décideur·euse·s politiques à               internationales actuelles visant à
mettre en œuvre des politiques                 réduire l’obésité et la sous-nutrition
efficaces, de la forte opposition              sont également bénéfiques pour
exercée par les intérêts commerciaux           l’atténuation     du       changement
et de l’insuffisance de la demande de          climatique et l’adaptation à celui-ci,
changement de la part du public et             et vice versa. Ces actions sont alors
de la société civile. La sous-nutrition        appelées « à effet double » ou « à effet
diminue beaucoup trop lentement                triple » car elles peuvent influencer
pour atteindre les objectifs mondiaux,         plusieurs pandémies en même

                                                                    16
TABLEAU 1 :
             Actions « à effet double » et « à effet triple » pour faire face à la syndémie des trois pandémies

   ACTION POLITIQUE                  SOUS-NUTRITION                             OBÉSITÉ                 CHANGEMENT CLIMATIQUE

Réduction de la consomma-                                               Des régimes alimentaires           Réduction des émission
                                      Plus de terres pour
tion de viande (via des taxes,                                          plus sains pour prévenir           de gaz à effet de serre
                                    une agriculture efficace
l’étiquetage, des campagnes                                             le cancer et les maladies              de l’agriculture
                                          et durable
    de sensibilisation, etc.)                                               cardiovasculaires

Élaboration et mise en œuvre       Augmentation du nombre                 Promotion de produits
 de recommandations pour            de femmes qui allaitent,            alimentaires plus sains et       Diminution de la demande
  des régimes alimentaires        facilitation de l’accès à une          dissuasion à l’égard des        d’aliments moins durables
      sains et durables                alimentation saine                   produits malsains

                                                                           Restrictions sur la              Respect des droits de
      Législation sur le             Sécurité alimentaire              commercialisation d’aliments          l’enfant ; inclusion
    « droit au bien-être »              pour tou·te·s                   malsains et des substituts         des générations futures
                                                                            du lait maternel                   dans la politique

 Limitation des influences du                                           Réduction de l’opposition aux
                                                                                                          Réduction de l’opposition aux
secteur marchand sur l’élabo-     Réduction de la corruption                 mesures politiques
                                                                                                        mesures politiques recommandées
                                                                         recommandées pour créer
 ration des politiques (limita-       et de la pauvreté                                                    pour réduire les émissions
                                                                        un environnement alimentaire
  tion des conflits d’intérêts)                                                                              de gaz à effet de serre
                                                                                  plus sain

     Rendre durables les          Des transports moins chers,
                                                                                                          Réduction des émissions
 systèmes de transport (via         un meilleur accès à une              Plus d’activité physique,
                                                                                                         de gaz à effet de serre dues
les infrastructures, les taxes,   alimentation saine pour les             moins de sédentarité
                                                                                                               aux transports
     les campagnes, etc.)             groupes vulnérables

                                                                  17
TABLEAU 2 :
            Actions des différents acteurs pour faire face à la syndémie des trois pandémies

                        • Réduire la pauvreté et les inégalités au niveau national pour diminuer le tribut de la
                        syndémie des pandémies, qui pèse de façon disproportionnée sur les personnes les plus
                        vulnérables et les pays pauvres. La mise en œuvre de l’objectif 1 (ODD1) des objectifs de
                        développement durable est cruciale à cet égard.
                        • Mettre pleinement en œuvre les conventions relatives aux droits humains afin de
                        protéger les populations vulnérables, et développer des actions visant à créer un envi-
                        ronnement sain et actif pour tou·te·s. Intégrer les droits reconnus en droit international,
                        y compris le droit à la santé et le droit à l’alimentation, les droits culturels, les droits de
                        l’enfant et le droit implicite à un environnement sain, dans les constitutions nationales
                        sous le concept unificateur de « droit au bien-être » [pour le cas de la Belgique, voir arti-
                        cle n°4, par Manuel Eggen].
                        • Réduire l’influence des intérêts commerciaux dans l’élaboration des actions politiques
AUTORITÉS LOCALES       afin de permettre aux gouvernements de mettre en œuvre des politiques dans l’intérêt de
  ET NATIONALES         la santé publique, de l’égalité et de la durabilité de la planète.
                        • Éliminer les subventions pour les produits qui contribuent à la syndémie des pan-
                        démies (par exemple, les subventions gouvernementales existantes pour le bœuf, les
                        produits laitiers, le sucre, le maïs, le riz et le blé ; les subventions pour les combustibles
                        fossiles) et les réorienter vers l’agriculture et l’énergie durables, les moyens de transport
                        durables et les produits alimentaires sains.
                        • Fournir aux consommateur·rice·s des informations claires sur l’impact des produits
                        alimentaires sur la santé et l’environnement afin de leur permettre de faire des choix
                        éclairés.
                        • Imputer directement les coûts des dommages causés à la santé et à l’environnement
                        par les processus commerciaux et les produits au lieu de les répercuter sur les con-
                        tribuables ou les générations futures.

                                                     18
• Établir des coalitions civiles pour défendre des politiques spécifiques, par exemple :
                    une alimentation saine dans les écoles [pour le cas de la Colombie, voir article n°13, par
                    Hernando Salcedo Fidalgo et Ingrid Paola Romero Nino], des infrastructures de transport
LA SOCIÉTÉ CIVILE   public, la limitation des influences commerciales sur l’élaboration des politiques et l’in-
                    clusion claire des droits humains dans la législation.
                    • Un suivi et une cartographie clairs des actions des différents acteurs pour stimuler
                    de nouvelles actions.

                    • Utilisation de l’aide au développement et des prêts comme mécanisme pour
                    encourager les actions « à effet double » ou « à effet triple ».
 LES BAILLEURS      • Développement d’un « Fonds alimentaire » mondial pour soutenir les efforts des
                    organisations de la société civile afin d’accroître la pression pour créer des systèmes
    DE FOND
                    alimentaires sains, durables et équitables.
                    • Création d’un « Fonds des sept générations » basé sur le concept iroquois afin que les
                    connaissances des peuples indigènes puissent être prises en compte dans l’élaboration
                    des politiques de promotion de la santé, de l’égalité et de la durabilité environnementale.

                    • Établir une convention-cadre sur les systèmes alimentaires en tant que cadre
                    juridique complet pour encourager les gouvernements nationaux à créer des systèmes
 ORGANISATIONS      alimentaires qui favorisent la santé, l’équité et la durabilité environnementale [pour le
INTERNATIONALES     cas des Directives sur les systèmes alimentaires et la nutrition, voir article n°15, par Isa
                    Álvarez Vispo]. Une telle convention devrait s’attaquer aux conflits d’intérêts des grandes
                    entreprises alimentaires, à l’instar de la Convention contre le tabagisme (Framework
                    Convention on Tobacco Control).

                                                19
3. Se nourrir lorsqu’on est pauvre :
                          « low cost » et politiques de courte vue

                     Par Olivier De Schutter, professeur à l’Université catholique de Louvain. Ancien Rapporteur spécial de l’ONU
            sur le droit à l’alimentation (2008-2014) et Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains
             depuis mai 2020. Il co-préside le Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food).

Alors que la Belgique et les Etats         LIENS ENTRE PAUVRETÉ                        pour un couple avec deux enfants,
membres de l’UE se sont engagés à          ET MALNUTRITION                             et un quart des ménages belges (et
réduire le nombre de personnes en                                                      38 % à Bruxelles ou en Wallonie)
risque de pauvreté pour 2020, les          En 2010, au moment de lancer la             ne pourraient faire face à une
chiffres de la pauvreté diminuent          stratégie « Europe 2020 » pour « une        dépense imprévue. Les chiffres sont
                                           croissance intelligente, durable et         particulièrement élevés à Bruxelles,
peu. Or, c’est d’abord sur les a­chats
                                           inclusive », les Etats membres de           où plus d’un ménage sur cinq est en
alimentaires que les ménages les           l’Union européenne (UE) s’étaient           situation de « privation matérielle et
plus précaires tentent d’écono-            engagés à réduire de 20 millions le         sociale » – c’est-à-dire doit renoncer
miser. Ces familles subissent alors        nombre de personnes en risque de            à    certaines    dépenses      jugées
une « double peine » : les produits        pauvreté pour 2020. A l’arrivée, nous       essentielles à une vie décente – 1.
les moins sains étant les moins            sommes loin du compte: selon les
chers, elles n’ont accès qu’à des          dernières statistiques disponibles de       Or, c’est d’abord sur les achats
produits de mauvaise qualité nu-           l’agence européenne de statistiques         alimentaires, seul poste du budget du
tritionnelle, et, parallèlement, souf-     Eurostat, portant sur l’année 2018,         ménage relativement compressible,
frent de ne pas pouvoir suivre les         110 millions de personnes étaient           que les ménages les plus précaires
                                           encore en risque de pauvreté ou             tentent d’économiser. Et quand
recommandations nutritionnelles
                                           d’exclusion sociale dans l’UE des           même cela ne suffit plus, ils se
bonnes pour leur santé. Face à ce          28 (incluant le Royaume-Uni), une           tournent en dernier recours vers les
constat, il est temps de remettre en       diminution d’à peine 8 millions             organisations caritatives. Dans toute
question l’alimentation « low cost »       par rapport à l’année 2010 qui,             l’Europe, l’on s’habitue à ce que les
et de replacer l’alimentation comme        pourtant, se situait au pic de la           banques alimentaires fassent partie
élément central de notre culture.          crise économique et financière de           du paysage de la protection sociale :
                                           2008-2010. Plus d’un cinquième de           en Belgique même, le recours à
                                           la population européenne (21,8 %)           l’aide alimentaire a augmenté de
                                           est donc vulnérable, à peine 2 % de         17,3% entre 2013 et 20162, et ce sont
                                           moins qu’au moment où la stratégie          aujourd’hui 450.000 personnes qui y
                                           « Europe 2020 » était inaugurée. En         ont recours.
                                           Belgique, une personne sur sept vit
                                           en-dessous du seuil de pauvreté, fixé       1 Les chiffres sont de 21,5% à Bruxelles, de
                                           à 1.139 euros nets par mois pour            15,3% en Wallonie et de 6,6% en Flandre.
                                                                                       2 http://www.luttepauvrete.be/chiffres_ban-
                                           une personne seule et 2.392 euros           ques_alimentaires.htm

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