Un outil de représentation et d'analyse : la frontière des possibilités de production
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Un outil de représentation et d’analyse : la frontière des possibilités de production On introduit ici un outil de représentation et d’analyse, la frontière des possibilités de production, qui permet d’illustrer plusieurs concepts clefs de l’analyse économique. La frontière de possibilités de production représente l’ensemble des combinaisons de quantités de biens qu’une entité économique (une entreprise, un pays…) est capable de produire dans des conditions de plein emploi efficace de l’ensemble des ressources disponibles. Pour rendre possible une représentation graphique dans le plan, nous supposerons qu’il n’y a que deux types de produits. Pour illustrer le propos, nous considérons le cas d’une raffinerie de pétrole qui ne produit que du fioul industriel et de l’essence. Nous supposons que, sur la période d’étude, le potentiel de production de la raffinerie est donné et invariant. Ce potentiel est déterminé par les dotations en travail et en équipement, la technologie de raffinage utilisable et les quantités disponibles de pétrole brut et d’autres inputs. Le potentiel disponible peut être utilisé pour produire du fioul industriel ou de l’essence ou toute combinaison des deux produits. Le tableau ci-dessous donne un ensemble de combinaisons possibles de production (en milliards de litres). On voit ainsi que, sur la période d’étude, la raffinerie a une capacité lui permettant de produire 125 milliards de litres d’essence si elle concentre tous ses moyens disponibles sur ce produit (point E). Symétriquement, en ne produisant que du fioul lourd, elle peut produire 100 milliards de litres de ce produit (point F). Entre ces deux situations extrêmes, une infinité de combinaisons sont possibles. Le tableau en donne quelques unes. Ces combinaisons sont représentées dans le graphique qui accompagne le tableau. Chaque combinaison du tableau est matérialisée par un point ayant pour abscisse la quantité produite de fioul industriel et pour ordonnée la quantité produite d’essence. Toute combinaison située dans la zone en-deçà de la frontière (telle B dans la zone colorée) est inefficace ; on peut s’en écarter en augmentant une production sans réduire l’autre. Toute combinaison au-delà de la frontière (telle C) est inaccessible compte tenu du potentiel disponible. 1
Dans le plan des quantités produites, la frontière des possibilités de production est décroissante. Cela résulte de l’hypothèse de plein-emploi de toutes les ressources disponibles. En effet, dans ces conditions, on ne peut pas augmenter la production d’un bien à partir d’une combinaison de la frontière sans réduire la production de l’autre bien. Puisque la combinaison de départ correspond à une production efficace pour les deux biens, l’augmentation d’une des productions exige qu’on y consacre des moyens supplémentaires et comme on fait une hypothèse de plein emploi, la seule façon de trouver ces moyens supplémentaires, c’est de les prendre dans l’autre activité dont la production doit donc diminuer. Sur le graphique, la frontière formée en reliant les combinaisons de production apparaît concave par rapport à l’origine. Cette forme n’est pas la seule envisageable, mais elle se retrouve souvent dans les tracés de frontières de possibilités de production en économie. La concavité de la frontière peut en effet se relier à un ensemble plus large d’hypothèses sur les conditions de production et elle permet des conclusions générales en évitant certaines situations particulières nécessitant un traitement spécifique. A ce stade de présentation des concepts et principes d’analyse, nous accepterons l’hypothèse de concavité sans expliciter ses fondements théoriques. Il est néanmoins possible de comprendre l’idée sous-jacente à cette forme de la frontière. L’exemple de la raffinerie peut nous y aider. Le pétrole brut est un mélange complexe d’hydrocarbures et, pour dire les choses simplement, le raffinage a pour objectif de décomposer ce mélange en produits pétroliers correspondant à des catégories d’hydrocarbures bien identifiés. Si on réalise un raffinage simple à partir d’un pétrole brut donné, on obtient une décomposition en produits (fioul et essence pour notre exemple) correspondant aux caractéristiques naturelles du pétrole brut traité. Supposons que cette combinaison est représentée par le point A sur le graphique. Diverses opérations complémentaires peuvent être réalisées pour modifier le partage de la production finale. On peut comprendre intuitivement que plus on veut s’éloigner de la répartition naturelle pour aller vers une production renforcée de l’un des deux produits et plus les opérations complémentaires seront difficiles et coûteuses. Ainsi à mesure que l’ on se déplace vers des combinaisons contenant plus de fioul qu’en A (déplacement vers F), il faut mettre en œuvre de plus en plus de moyens supplémentaires pris sur la production d’essence qui diminue donc de plus en plus fortement. Symétriquement, si l’on cherche à obtenir plus d’essence que dans la combinaison naturelle, cette production supplémentaire d’essence devient de plus en plus exigeante en moyens nécessairement pris sur la production de fioul. Ainsi, quand on se déplace de A vers E, on observe une diminution progressive du supplément d’essence associé à des réductions identiques de la production de fioul. La frontière des possibilités de production va maintenant nous permettre d’illustrer le concept de coût d’opportunité. Comme nous venons de le voir, les combinaisons qui forment la frontière des possibilités de production correspondent à une production efficace. A partir d’une de ces combinaisons, il est impossible d’augmenter la production de l’un des biens sans diminuer celle de l’autre. Ainsi toute production supplémentaire de fioul exige de renoncer à la production d’une certaine quantité d’essence. Cette production à laquelle on renonce constitue le coût d’opportunité de la production nouvelle. Pour mesurer le coût d’opportunité associé à un déplacement sur la frontière des possibilités de production, on définit le taux marginal de transformation (TMT). Ce TMT se calcule ici comme le rapport de la variation de production d’essence sur la variation de production de fioul lorsque l’on se déplace sur la frontière. Pour obtenir une mesure positive, on retient en fait l’opposé du rapport. On a donc : Le tableau qui suit complète le tableau initial en y intégrant les calculs de TMT. Ainsi, à titre d’exemple, on peut calculer le TMT associé à un changement de combinaison produite 2
correspondant au passage de A à A’ sur le graphique. Ce changement se caractérise par une augmentation de la production de fioul de 10 (de 30 à 40 milliards de litres) et une diminution de la production d’essence de 9,5 (de 108,5 à 99 milliards de litres). Autrement dit, les 10 unités supplémentaires de fioul ont un coût de 9,5 en termes de production d’essence abandonnée. Le coût d’opportunité du fioul en termes d’essence entre A et A’ est de 0,95. Sur le graphique, cette valeur est donnée par la pente, en valeur absolue, du segment AA’ (ou corde AA’ si on considère la frontière comme une courbe continue). Compte tenu de la non-linéarité de la frontière des possibilités de production, le TMT ou coût d’opportunité varie le long de la frontière. Plus précisément, comme l’illustrent le tableau et le graphique ci-dessous, avec une hypothèse de concavité de la frontière, le TMT augmente avec la production de fioul. Ainsi, lors du passage de B à B’, pour une augmentation de la production de fioul de 10 (comme lors du passage de A à A’), la baisse de production d’essence est de 19,5 (soit plus du double de celle observée lors du passage de A à A’). En d’autres termes, l’accroissement de la production de fioul s’accompagne d’une hausse de son coût d’opportunité en termes d’essence. On dit que la production se fait à coûts d’opportunité croissants. Dans ce qui précède, nous avons raisonné sur des changements de combinaisons produites correspondant à des variations de 10 unités de la production de fioul. Les calculs de coûts d’opportunité ont donc été effectués sur des intervalles de cette amplitude et les valeurs de TMT obtenues doivent se comprendre comme une forme d’évaluation moyenne du coût d’opportunité de la production du fioul dans cet intervalle de production. Compte tenu de la croissance des coûts d’opportunité le long de la frontière, on doit considérer que le coût d’opportunité d’une unité de fioul est inférieur à cette évaluation moyenne pour la borne inférieure de l’intervalle et qu’il lui est supérieur pour la borne supérieure. Dans nos exemples le coût d’opportunité du fioul qui est de 0,95 entre A et A’, doit être respectivement inférieur et supérieur à cette valeur en A et A’ ; similairement, le coût d’opportunité doit être inférieur et supérieur à 1,95 en B et B’, respectivement. Le calcul de coût d’opportunité peut être affiné si l’on suppose une parfaite divisibilité des quantités produites. Cette hypothèse ne pose guère problème dans notre exemple où la mesure des quantités de liquide, donnée ici en milliards de litres, pourrait être détaillée en litres, voire en centilitres, millilitres etc. La divisibilité est une hypothèse moins réaliste pour d’autres types de 3
production (dans la pratique par exemple, les productions de voitures se mesurent nécessairement en nombres entiers). Néanmoins, pour permettre une formalisation mathématique plus aisée, on fera souvent l’hypothèse de parfaite divisibilité des biens. Cette hypothèse permet de raisonner sur des fonctions continues et de recourir au calcul de dérivée (nous y reviendrons). Nous allons reprendre notre exemple en considérant connues toutes les combinaisons efficaces associées à des productions de fioul allant de 0 à 100. On obtient ainsi une courbe complète pour représenter la frontière des possibilités de production. Seul un extrait du tableau des valeurs est reproduit à côté du graphique. Comme précédemment, on peut procéder au calcul du TMT pour chaque intervalle entre les combinaisons de production. Comme ici les combinaisons sont données pour des variations unitaires de la production de fioul, l’adéquation avec le raisonnement à la marge est formellement plus grande que précédemment. Le TMT mesure bien le coût d’opportunité en termes d’essence de la dernière unité de fioul produite. Prenons par exemple comme combinaison de départ une production de 22 unités de fioul et 114,66 unités d’essence. Le tableau nous indique que la production d’une unité supplémentaire de fioul (passage de 22 à 23) implique une baisse de la production d’essence de 0,70 unité (passage de 114,66 à 113,96). La 23ème unité de fioul coûte donc 0,70 en termes de renonciation à de la production d’essence. Compte tenu de l’échelle du graphique, il ne nous est pas possible de visualiser l’intervalle correspondant au changement des productions. On peut néanmoins comprendre, par analogie de raisonnement avec le cas précédent, que le coût d’opportunité représenté par la valeur absolue de la pente du segment AA’ dans le schéma avec des intervalles plus larges est ici donné par la pente d’une corde tracée entre les deux points de la courbe pour des productions de fioul de 50 et 51. En première approximation, cette pente peut être assimilée à la pente de la tangente à la frontière des possibilités de production entre ces deux points. Nous avons pu visualiser l’ensemble des combinaisons efficaces de production, mais nous ne savons pas encore comment choisir entre ces combinaisons. De fait, en l’absence d’informations 4
complémentaires, toutes ces combinaisons sont équivalentes. La connaissance de prix supposés donnés de façon exogène va nous permettre de lever l’indétermination. Supposons que les prix hors taxes des deux produits pétroliers s’établissent comme suit : Fioul industriel : 0,51 € par litre Essence : 0,68 € par litre Ainsi lorsque le raffineur vend un litre de fioul, sa recette est équivalente à celle obtenue en vendant 0,75 litre d’essence (0,75 = 0,51/0,68). Le comportement rationnel du raffineur consiste à comparer la recette en équivalent fioul tirée d’une unité d’essence supplémentaire (0,75) au coût en équivalent fioul de cette unité d’essence supplémentaire. Reportons nous au tableau des valeurs de TMT (ou coût d’opportunité). On voit dans ce tableau que le coût d’opportunité de la 25ème unité est de 0,74 et celui de la 26 unité de 0,76. Cela signifie que la 25ème unité de production de fioul coûte l’équivalent de 0,74 ème unité d’essence. Comme cette unité de fioul équivaut à la vente à 0,75 unité d’essence, il apparaît avantageux de produire 25 unités de fioul. Pour produire une 26ème unité de fioul, il faudrait renoncer à 0,76 unité d’essence, ce qui ne serait pas compensé par une recette équivalente puisque, à la vente, l’unité de fioul équivaut à 0,75 unité d’essence. La production optimale est donc de 25 unités de fioul industriel et 112,5 unités d’essence. Si nous revenons sur l’idée de divisibilité du produit, en acceptant l’idée d’une frontière continue, nous obtenons un résultat essentiel et de portée générale : sur la base d’une comparaison des avantages et des coûts associés à des variations infinitésimales successives de position, l’optimum pour le décideur économique est atteint lorsque l’avantage marginal est égal au coût marginal. 5
Eléments de formalisation mathématique En supposant la parfaite divisibilité des quantités produites, on peut exprimer l’équation de la frontière des possibilités de production. Dans notre exemple de la raffinerie, la courbe a été construite en retenant l’équation suivante : où E et F désignent les quantités produites d’essence et de fioul, respectivement. Dans ce cadre formalisé, en raisonnant à la marge avec des accroissements infinitésimaux aussi petit que l’on veut, le TMT qui mesure la variation de production d’essence associée à une augmentation de celle de fioul, peut être donné par la dérivée de E par rapport à F (ou plus exactement l’opposé de cette dérivée pour obtenir une mesure positive). Soit : On remarque que ce TMT est une fonction croissante de F, ce qui correspond bien à une croissance des coûts d’opportunité et peut être directement relié à la concavité de la courbe puisque : La combinaison optimale de production est celle qui permet de maximiser les recettes sous contrainte des possibilités de production. On peut donc écrire cette optimisation comme suit : où PE et PF désignent respectivement les prix de l’essence et du fioul, prix donnés exogènes et constants. En restant sous la forme la plus générale, la maximisation conduit à écrire : Conditions de 1er ordre : Soit : On retrouve ici l’égalité du rapport des prix et du TMT, c’est-à-dire du gain unitaire procuré par le fioul et évalué en termes de l’autre bien et du coût d’opportunité d’un accroissement de la production. Conditions du 2ème ordre : 6
La réalisation de cette condition est assurée par l’hypothèse de concavité de la frontière des possibilités de production. En effectuant l’application à notre exemple, les conditions du 1er ordre de la maximisation donnent : En reportant dans l’équation de la frontière des possibilités de production, on retrouve bien la combinaison dégagée par le raisonnement économique : 7
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