Un peu d'histoire - Culture, le magazine culturel de l'Université de Liège

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Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

Super héros aux super potentiels cinématographiques

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ce qui sépare le reboot de Spiderman du dernier volet des aventures de Batman dans Dark Knight Rises.
Plus que jamais, les super héros ont la cote au cinéma, non seulement en tant qu'incarnation de la culture
américaine devenue mondiale mais aussi parce que les moyens techniques rendent enfin possibles leurs
aventures sur grand écran. Mais les super héros d'aujourd'hui ont-ils toujours leur charme d'antan ?

Un peu d'histoire
Au début était le comic book, autrement dit un périodique de bande dessinée composé de plusieurs
pages (ce qui le différencie du comic strip) où les super héros vont apparaître sous diverses formes dès le
début des années 30 : il s'agit de Tarzan (1930), Flash Gordon (1933), Mandrake le magicien (1934), The
Phantom (1936) sans oublier Prince Valiant (1937).

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préfigurent, en quelque sorte, deux héros majeurs qui vont façonner le monde des super héros dans les
comics : Jerry Siegel et Joe Shuster créent Superman en 1938 tandis que Bob Kane invente Batman en
1939. Ces deux héros en collants inaugurent une ère qui va durer plus de 20 ans où vont apparaître toutes
les grandes figures du genre : Flash (1940), Captain America (1941), Wonder Woman (1944) jusqu'à
Spiderman (1962) créé par l'un des grands noms du comic de super héros : Stan Lee. Il faut toutefois
souligner, car ce n'est pas anodin ni un fait du hasard, que ces grands héros sont nés dans une période très
particulière de l'Histoire américaine, à la veille de la seconde guerre mondiale, à peine à la sortie de la crise
économique : les héros, déjà, servaient autant la propagande (Captain America) que l'espoir d'un peuple
apeuré, en quête d'un protecteur.

Débuts de Batman et Spiderman

Très rapidement, le cinéma a su voir en ces comic books un public facilement identifiable (les adolescents
en majorité) et s'est par conséquent empressé de donner chair à ces héros de papier : dès les années 40
et pour toute la décennie, des serials voient ainsi le jour, relatant les exploits de Captain Marvel, Batman,
The Phantom, Captain America et Superman. Parce qu'ils proviennent de comic books, et sont donc aux
yeux des adultes forcément enfantins, les super héros restent cantonnés aux séries télévisées, comme
Superman, voire sont carrément tournés en dérision à l'instar du malheureux Batman qui aura droit, en
1966, à une adaptation en long métrage devenu depuis une référence majeure du kitsch et de la ringardise.
Les années 70 vont accélérer les choses : entre deux crises économiques dues aux chocs pétroliers (1973
et 1979), la fin d'une guerre du Vietnam traumatisante et une montée de la violence dans le pays, les super
héros symbolisent un retour à la norme, un sentiment de sécurité, bref un recours imparable pour un retour

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à la vie normale. Ce sont Spiderman, Wonder Woman et Hulk qui connaissent ainsi de grands succès
télévisés, mais c'est surtout le Superman de Richard Donner, production à gros budget, qui va faire des
super héros des super potentiels économiques dans les années 80.

                                      Version cinéma de Batman (1966)

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Des films en phase avec leurs temps

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l'instauration d'une esthétique du film de super héros avec ses deux adaptations de Batman : dorénavant,
les univers dépeints dans ces films n'auront plus rien de réaliste, au contraire ils devront symboliser des
mondes qui ne ressemblent pas au nôtre afin de permettre au spectateur de s'évader. Bien sûr, Tim
Burton fait un peu bande à part avec son style néo-gothique, mais des films comme Les Tortues Ninjas
et surtout Darkman n'ont rien de honteux. De manière plus audacieuse, Hollywood commence à s'écarter
du répertoire classique et propose, avec Spawn ou Blade, des films bien plus violents et sombres que les
autres films du genre. En fait, Hollywood ne fait que s'adapter à la génération des années 90, la rebelle,
celle qui désire s'affranchir de ses parents et leur culture pour imposer la leur, à venir, de l'internet et du
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monde vidéoludique : un film de super héros est désormais visuellement élaboré, ayant plusieurs fois
recours aux points de vue subjectifs et, surtout, privilégiant davantage l'action à la réflexion.

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À l'aube des années 2000, Marvel, une des principales maisons d'édition de comics, ouvre la boîte de
Pandore en se lançant, à son tour, dans le cinéma, fort de son catalogue de super héros. Pendant près
d'une décennie, les salles de cinéma vont être régulièrement envahies par des adaptations, fidèles ou
non, aux qualités très variables (des estimables X-Men de Bryan Synger aux affligeants Daredevil, Quatre
Fantastiques, Punisher ou Ghost Rider). Mais plus que tout, ces films répondent à un besoin cathartique
du public américain : seuls des super héros peuvent soigner le spectre du 11 septembre. Que ce soit
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Spiderman, les Quatre Fantastiques ou le très emblématique (et peu subtil) Superman Returns , New York
possède son gardien envers et contre tout. Est-ce un hasard si, dans ces films comme dans Iron Man et
plus encore dans The Avengers, la menace vient du ciel ?

La fin des années 2000 voit toutefois se télescoper deux tendances majeures du film, dont nous
subissons toujours les effets : la normalisation, d'une part, et la crise économique d'autre part. Par
normalisation il faut entendre la désacralisation des super héros : Hancock illustre par exemple un

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super héros ringard, alcoolique, plus catastrophique qu'héroïque en la personne de Will Smith .

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Thurman joue une Wonder Woman moderne usant de ses pouvoirs pour se venger de son copain l'ayant
plaquée. De manière bien plus sérieuse, Watchmen démontre comment des héros (humains, sans pouvoirs,
sauf un) provoquent l'Apocalypse pour sauver l'humanité. Plus récemment est apparu un sous-genre, en
plein développement : le film « geek » où les héros, désormais, sont des adolescents un peu spéciaux mais
aux problèmes très réels (notamment les relations amoureuses : ce sont les excellents Kick Ass et Scott
Pilgrim). Ces « héros » ont en commun qu'ils ne sont plus appréciés par la population, qui les ignore dans
le meilleur des cas, les répudie le plus souvent. Dernièrement, Chronicle met en scène des adolescents
se découvrant subitement des super pouvoirs, avec tout ce que ça peut impliquer de fun mais aussi de
catastrophique lorsque l'un d'eux en abuse négativement. Toutefois, l'un des exemples les plus marquants
est sans conteste Dark Knight, version très réaliste de Batman (où Gotham City ressemble plus à Chicago
qu'à une ville fictive) où le héros n'a de justicier que les apparences, et où ses actions héroïques ne peuvent
masquer une profonde torture psychologique quant à son rôle de « héros ». La crise économique est depuis
passée par là et n'a fait qu'accentuer cette impression : il est loin le temps désormais où la société pouvait
se reposer sur un héros costumé pour la sauver. Aujourd'hui, plus rien ne semble pouvoir sauver le monde
de son délabrement. Rien, sauf l'entraide.

En 1932, Frank Capra réalise La Ruée, dont le principe est simple : en pleine Dépression économique,
menacée de faillite suite à une rumeur, une banque ne doit son salut qu'au soutien indéfectible de plusieurs
clients, unis pour dissuader les autres de retirer leur argent de leurs comptes. 80 ans plus tard, la recette
est réemployée, plus subtilement (mais de peu), par Hollywood : si Dark Knight annonce malgré lui cet
état d'esprit avec son climax final (des citoyens échappant à la mort car faisant confiance aux autres), c'est
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devenu aujourd'hui un trait caractéristique du cinéma de super héros : Captain America lui-même n'est-
il pas aidé dans sa mission par un groupe de commandos ? Stark ne doit-il pas être épaulé de son ami
(militaire) lors de la bataille finale d'Iron Man 2 ? Et que dire de The Avengers, dont le principe même est

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celui de l'association de plusieurs super héros pour vaincre un seul ennemi ? Oui, un être seul ne peut
changer la face du monde, mais uni dans l'adversité, le peuple pourra s'en sortir. Un credo qui rappelle bien
des messages issus des gouvernements et du FMI…

1
 Ce n'est pas un hasard si, plus que tout autre, les films de super héros connaissent d'innombrables
adaptations et variations en jeux vidéo.
2
  La séquence la plus éloquente est, sans conteste, celle du sauvetage d'avion : alors que ce dernier est
sur le point de s'écraser en plein cœur de la Big Apple, Superman intervient et sauve à la fois l'avion, ses
passagers mais aussi les habitants de New York d'une catastrophe aérienne sans nom… Pour l'anecdote,
on notera que la mère de Superman n'est autre, en ces temps de conflits religieux, qu'une actrice au nom
prédestiné : Eva Marie Saint…
3
 Le super héros noir ou issu d'une minorité ethnique aux USA est également une nouveauté dans le
genre ; ils n'avaient, auparavant, que des seconds rôles dans des groupes de héros (X-Men par exemple).
Les comics en font également leur nouveau credo, le nouveau Spiderman étant par exemple latino.
4
  Ultime symbole de la relecture contemporaine des héros : Captain America, initialement créé dans un but
de propagande pendant la guerre, n'hésite pas à critiquer lui-même ce procédé au détour d'une séquence
pleine de dérision.

Amazing Spiderman et Dark Knight Rises : deux films symptomatiques
Très (trop) conventionnel, Amazing Spiderman n'en est pas moins éloquent lui aussi quant aux traits
thématiques évoqués. Peter Parker symbolise dans ce nouveau film (le premier Spiderman de Sam Raimi
date d'il y a à peine dix ans) une sorte d'Américain moyen, ignoré par l'élite, un ado un peu asocial, mais
qui à force de travail parvient à sortir du lot. Ce n'est pas tant sa mutation génétique qui rend Parker
extraordinaire que sa connaissance exemplaire des sciences. Oui, toi aussi, ado rejeté, tu peux séduire
la bimbo de la classe si tu maîtrises la biogénétique. Mais plus que tout, Spiderman est l'incarnation de
l'Américain de la Crise : s'il a donné les moyens au méchant de devenir ce qu'il est, c'est à lui qu'il revient
de le détruire et d'assumer ses responsabilités. À moins que de confier le mauvais rôle à un scientifique,
qui aborde des questions qui fâchent encore (les manipulations génétiques), ne soit un autre message.
Dans tous les cas, Spiderman pourra compter sur l'aide de chacun pour sauver ses concitoyens, comme
l'illustre cette scène, hollywoodienne jusqu'au trognon, où des dizaines d'ouvriers aident Spiderman à se
déplacer dans la ville. Notre héros ne doit-il pas, dans son affrontement final contre le Lézard, son salut
à l'intervention inopinée d'un membre de la police ? Non, les héros solitaires n'ont plus la cote : s'ils sont
réellement aussi humains qu'ils prétendent l'être, ils ne peuvent réussir l'impossible seuls. On est bien loin
de l'image du super héros dessinée dans les comics d'origine.

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                   Dark Knight Rises et Amazing Spiderman : héros solitaires et détestés

Dark Knight Rises possède ce statut, rare, de succès annoncé : même sans l'avoir vu, tout le monde
sait qu'il fera un carton au box-office. Pourquoi ? Ce n'est ni pour son réalisateur (Christopher Nolan,
rare auteur à s'être correctement installé à Hollywood) ou son casting (qui, hormis Christian Bale, ne
contient pas de vedette réellement bankable). Ce n'est sans doute pas pour son histoire, peu éloignée
de celle de Dark Knight ou de tout film de super héros (le super méchant veut détruire la ville, le super
héros doit l'en empêcher super vite). Sans compter que Dark Knight Rises n'est pas de ces productions
clinquantes et pétaradantes de Michael Bay ou Roland Emmerich, la psychologie ayant au moins (si pas
plus) d'importance que l'action (cfr Dark Knight, finalement assez maigre sur ce dernier point).

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Rises est un film sur son époque, une époque sombre, où les héros n'existent plus, où la violence engendre
la violence et où seule la collaboration peut permettre de faire évoluer les choses (dans cet épisode,
Batman peut compter sur 2 soutiens supplémentaires avec Catwoman et John Blake). Parce que Dark
Knight Rises évoque, sans fausse pudeur, un anticapitalisme prégnant, où la colère vient de la « classe d'en
bas » et où le méchant, Bane, crie à la révolution populaire, au soulèvement des pauvres contre la Bourse,
contre les riches, se faisant l'écho d'une classe sociale que ne connaît pas Batman/Bruce Wayne, même
ruiné. Et sans doute, et peut-être surtout, parce que Dark Knight Rises est la représentation la plus sombre
du non-héros ne transcendant jamais son statut. Le film de Nolan n'est-il pas annoncé comme « la fin d'un
héros » ?

Concluons toutefois sur une note plus joyeuse : vu l'argent que ces deux films vont rapporter dans
les semaines à venir, les studios ne devraient pas trop ressentir la crise en cette année 2012, et les
producteurs de devenir à leur tour nos super héros modernes : cordialement détestables, aux traits
profondément humains et qui, pourtant, parviennent toujours à nous faire rêver avec leurs super pouvoirs
cinématographiques. Merci, Hollywood Men !

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                                                                                                 Juillet 2012

Bastien Martin est journaliste indépendant. Il mène aussi des recherches doctorales en cinéma.

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