Virginie Gautier N'Dah-Sékou, La résistance armée au franquisme (1936-1952). Espaces, représentations, mémoire - OpenEdition Journals

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Virginie Gautier N’Dah-Sékou, La résistance armée au
franquisme (1936-1952). Espaces, représentations,
mémoire
Marie-Aimée Romieux

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/lectures/40750
ISSN : 2116-5289

Éditeur
Centre Max Weber

Référence électronique
Marie-Aimée Romieux, « Virginie Gautier N’Dah-Sékou, La résistance armée au franquisme (1936-1952).
Espaces, représentations, mémoire », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2020, mis en ligne le 28
avril 2020, consulté le 28 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/lectures/40750

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Virginie Gautier N’Dah-Sékou, La résistance armée au franquisme (1936-1952). ...   1

    Virginie Gautier N’Dah-Sékou, La
    résistance armée au franquisme
    (1936-1952). Espaces, représentations,
    mémoire
    Marie-Aimée Romieux

1   Cet ouvrage est issu de la thèse de doctorat en Études Hispaniques de Virginie Gautier
    N’Dah-Sékou, réalisée sous la direction de Pilar Martinez-Vasseur et soutenue en 2012 à
    l’université de Nantes. L’auteure propose une réflexion approfondie sur la question de
    la résistance armée au franquisme de 1936 à 1952. Mis en place à partir de 1936, le
    régime franquiste, fondé par le général Francisco Franco, s’appuie sur une idéologie
    conservatrice et nationale-catholique. Il n’a pris fin qu’en 1975 avec le décès de Franco
    et la mise en place de la transition démocratique. L’opposition à la dictature de Franco
    n’a pas d’existence légale, il s’agit avant de groupes de résistants engagés dans une
    guérilla. Ce travail comble un manque important dans l’historiographie, présenté dans
    l’introduction, puisque très peu d’études se sont intéressées à cette thématique
    pourtant cruciale de la période franquiste. Les premières études consacrées à la guérilla
    antifranquiste ont été publiées par ses adversaires et ont reçu l’aval du régime
    franquiste. Deux discours contradictoires coexistent alors : d’une part les guérilleros
    sont présentés comme des bandits dont la lutte est dénuée de sens politique ou moral
    et, d’autre part, ils sont présentés comme des bandits qui suivent une idéologie dite
    criminelle, le communisme. De façon plus générale, le sujet reste peu exploré par les
    historiens. Il faut attendre le début des années 1990 pour qu’apparaissent de nouvelles
    études sur la résistance au franquisme, fondées sur des enquêtes. De nombreuses
    monographies locales et régionales sont publiées. Elles associent deux types de
    sources : les archives, notamment celles du PCE (Parti Communiste Espagnol), ainsi que
    des témoignages oraux désormais valorisés dans un contexte de développement de
    l’histoire oral. Mais c’est dans les années 2000 qu’intervient le tournant majeur dans
    l’étude de la lutte armée au franquisme : une équipe d’historiens de l’université de
    Tarragone, dirigée par Josep Sánchez Cervelló, établit pour la première fois une

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    typologie précise des actions de la guérilla et analyse les mécanismes de la répression 1.
    Cette présentation de l’historiographie est indispensable pour comprendre l’absence
    des résistants dans le récit historique officiel et dans la mémoire espagnole officielle. Le
    renouveau historiographique dans lequel l’auteure s’inscrit se situe à la croisée de
    publications sur la résistance armée aux dictatures2 et des études comparées des
    résistances franco-espagnoles3. Dans cette perspective, l’originalité de la thèse de
    Virginie Gautier N’Dah-Sekou repose principalement sur la prise en compte de la
    dimension spatiale de la résistance armée, qui constitue l’épine dorsale de cette étude.
    L’ouvrage est structuré en trois parties.
2   La première partie est consacrée à l’étude des acteurs, des stratégies spatiales et des
    représentations de la lutte armée contre le franquisme. L’auteure définit la lutte armée
    à partir des travaux de l’historien Jorge Marco qui a mis en évidence la double
    dimension de la résistance, mouvement social et action collective à caractère politique.
    Il s’agit d’une mobilisation générée par des groupes spontanément formés par des
    militants individuels, héritiers de plusieurs décennies de luttes. L’auteure présente
    ensuite les étapes de la résistance armée en distinguant quatre phases, ce qui permet
    l’identification de cycle de mobilisation. Le phénomène apparaît rapidement, dès
    l’été 1936 en Galicie et dans le León, et atteint son paroxysme l’année 1947 avant de
    disparaître dans les années 1950. Lors de la première phase (1936-1939), les résistants
    ne sont au départ pas appuyés par les républicains dans des zones contrôlées par les
    insurgés nationalistes. Le mouvement est rapidement réprimé, c’est pourquoi ses
    membres décident de se réfugier dans les zones montagneuses difficiles d’accès,
    devenant ainsi huidos (fugitif). Leur technique est alors essentiellement défensive et
    leurs préoccupations sont centrées sur les moyens de leur survie. La deuxième phase
    (1939-1944) est marquée par la fondation de la première organisation de l’après-guerre,
    la Federación de Guerrillas de Leon-Galicia, entre 1940 et 1941. Les résistants cherchent par
    la suite à se regrouper autour de chefs charismatiques et à s’appuyer sur des réseaux
    d’agents de liaison. La résistance armée s’étend entre 1944 et 1947 car elle est
    étroitement liée à la Résistance française : en 1944, des maquisards espagnols qui s’y
    sont distingués tentent de pénétrer en Espagne. Ces derniers se confrontent néanmoins
    au manque de soutien matériel et moral de la population, auquel s’ajoute l’indifférence
    du Parti Communiste Espagnol.
3   Virginie Gautier N’Dah-Sekou montre que l’entrée en résistance est à la fois le fruit de
    motivations basées sur des convictions idéologiques, mais également de facteurs plus
    circonstanciels comme l’insertion dans des réseaux de solidarité. C’est l’étude du
    rapport à l’espace qui est particulièrement innovant : non seulement l’auteure
    répertorie un grand nombre de lieux de résistance, mais, surtout, elle analyse la
    symbolique politique et mémorielle de l’occupation du territoire et des affrontements
    avec la Garde civile. Les guérilleros s’approprient l’espace par leur mobilité : ils doivent
    être capables de lire le paysage de nuit, de connaître le terrain afin de pouvoir
    emprunter les chemins secondaires si nécessaire. Face à l’organisation de la résistance
    armée au franquisme, l’auteure n’oublie pas la réponse du régime, à savoir une
    répression systématique et méticuleuse. Les acteurs de la lutte contre la résistance
    armée sont nombreux, même si la Garde civile est le protagoniste principal en raison de
    son expérience dans la lutte contre le banditisme.
4   La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux mémoires de la République, de la
    guerre civile et du franquisme. L’évolution des politiques mémorielles en Espagne est

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    tributaire du changement des régimes politiques. Le silence est imposé aux vaincus
    durant le franquisme puis durant la Transition démocratique. La mémoire des vaincus
    revient sur la scène publique espagnole dans les années 2000 grâce au travail des petits-
    enfants des résistants. Il s’en suit une phase dite de « récupération de la mémoire
    historique » avec la loi de 2007 qui reconnaît l’injustice des peines imposées aux
    opposants politiques. L’auteure explore ensuite les dimensions spatiales de ces
    politiques mémorielles. Elle montre par exemple qu’une partie controversée de la loi
    adoptée en 2007 concerne le retrait des symboles franquistes de l’espace public
    (plaques, statues…) qui incombe aux autorités locales. Souvent marginalisé dans
    l’enseignement des mémoires de la guerre civile, le rapport à l’espace est pourtant au
    cœur des revendications des vétérans. Cela est particulièrement visible dans le cas des
    nombreuses exhumations de victimes du franquisme4. L’espace est également une
    ressource pour les vétérans dans leur défense d’une mémoire de la résistance armée,
    comme le montre l’exemple Jésus de Cos Borbolla « commandante Pablo ». Né en 1928
    en Cantabrie au sein d’une famille républicaine, il est agent de liaison à 15 ans puis
    s’engage en 1945 dans la Brigada Machado. Il se réfugie ensuite en France en 1947 où il
    continue de militer contre le franquisme. L’espace est une dimension fondamentale de
    son témoignage : il réhabilite la mémoire des guerilleros de Cantabrie en faisant élever
    de plusieurs monuments en leur hommage. L’auteure analyse ainsi comment se
    construit la mémoire des lieux, la mémoire par les lieux mais aussi ce que disent de la
    résistance armée les représentations des lieux.
5   La troisième partie de l’ouvrage porte exclusivement sur les espaces de la mémoire.
    Virginie Gautier N’Dah-Sékou montre qu’il existe une forte diversité des espaces de la
    mémoire, diversité qui se décline, au-delà du critère géographique, en fonction des
    formes d’appropriation de l’espace et des objectifs politiques visés. On trouve par
    exemple un ensemble de lieux (La Colladiella, Santa Cruz de la Moya, Ocera…) où des
    stèles en l’honneur de guerilleros ont été érigées pour pallier l’absence de traces de
    combats. Se dessine alors une géographie imaginaire de la lutte armée antifranquiste ;
    l’ensemble du territoire espagnol ayant été investi par cette question encore taboue
    mais fondamentale dans la mémoire espagnole contemporaine.
6   Malgré quelques longueurs, l’auteure a su remettre au cœur du débat la question de
    l’héritage de la guerre civile espagnole et du franquisme (1936-1975). En interrogeant
    les liens entre mémoire et territoires, Virginie Gautier N’Dah-Sékou donne à voir une
    identité espagnole multiple, constituée avant tout d’un imaginaire d’abord interdit,
    oublié, refoulé et aujourd’hui sur le devant de la scène politique et sociale.

    NOTES
    1. Josep Sánchez Cervelló (dir.), Maquis : el puño que golpeó al franquismo. La Agrupación
    Guerrillera de Levante y Aragón, Barcelona, Flor de Viento, 2003.
    2. Par exemple, la revue latino-américaine Polis a consacré son numéro de 2019 aux
    résistances et émotions dans des contextes répressifs. Voir : Alice Poma, Juan Pablo

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Paredes, Tommaso Gravante (dir.), « Resistencias y emociones en contextos
represivos », Polis, n° 53, 2019, disponible en ligne : https://journals.openedition.org/
polis/17345.
3. Par exemple, Mario Martín Gijón innove avec son ouvrage La resistencia franco-
española (1936-1950), dans lequel il propose une réflexion sur la périodisation historique
dans un cadre multinational (Mario Martín Gijón, La resistencia franco-española
(1936-1950), Badajoz, Departamento de Publicaciones de la Diputación de Badajoz, 2014).
4. Voir le documentaire Les chemins de la mémoire, dirigé par José Luis Peñafuerte (2009).

AUTEUR
MARIE-AIMÉE ROMIEUX
Enseignante en histoire-géographie, section euro-espagnol (95).

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