Approches systémiques - Texte provisoire - Diffusion interdite 2018 ...

 
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Texte provisoire – Diffusion interdite

                        Approches systémiques

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                                   I
            Concepts et évolution de l’approche systémique

   De façon plus générale, le fonctionnement de tout système vivant ne peut être correctement
appréhendé que dans son contexte, dans une dynamique temporelle et en prenant en compte
l’ensemble des variables qui le définit.
   En particulier, le fonctionnement d’un individu ne peut être correctement appréhendé que
dans la perspective des relations de cet individu avec son entourage (contexte), dans la durée
(dynamique temporelle) et dans sa globalité (son corps, ses émotions, ses croyances, ses
groupes d’appartenance, son histoire, etc).
   L’histoire des idées qui conduit à la pensée systémique est passionnante. Mais l’espace
nous manque pour la retracer. Nous allons donc essayer de relever l’impossible défi de
retracer en quelques lignes comment on est passé de la pensée analytique (fondée sur les
notions de causalité linéaire, de prévisibilité, de stabilité et d’une réalité objectivable) à la
pensée systémique actuelle (fondée sur les notions de causalité circulaire, d’imprévisibilité,
d’instabilité et d’une réalité construite par « l’observateur »).

    1. Émergence de la pensée systémique

   Vignette clique introductive - Véronique & Léon

    Véronique téléphone pour un R.V. parce qu’elle est dépressive. J’invite le mari à la séance. Léon, le mari,
est d’accord de venir. En séance, Véronique explique que son mari n’est pas assez proche. Il travaille 9h/jour et
passe le plus clair de ses loisirs en salle de sport ou avec ses copains. Léon explique qu’il a besoin de ces
activités « pour détresser ».
    Le couple est marié depuis 15 ans. Ils ont un fils de 12 ans et une fille de 7 ans. Léon vient d’une famille
nombreuse où il était le cadet. Son père est décédé alors qu’il avait 4 ans. Il décrit sa mère comme fusionnelle et
envahissante. Véronique vient aussi d’une famille nombreuse. Elle est la seconde d’une fratrie qui compte un
frère aîné et deus frères cadets. Elle décrit sa mère comme une femme courageuse, mais dépressive et son père
comme absent. Elle pense qu’elle a hérité des gènes de sa mère, ce que son médecin traitant confirme.

   De la pensée analytique à la pensée systémique

   À l’époque de DESCARTES et de NEWTON, le monde (et la vision que l’on en a) est
avant tout régi par les lois de la mécanique. Le modèle cosmologique de NEWTON permet
de prévoir la position à venir d’une planète dès lors que sa position passée est connue. En
d’autres termes, le passé détermine le présent et le futur, et le monde est parfaitement
prévisible. En outre, DESCARTES se propose de démontrer que le corps et l’esprit sont deux
substances indépendantes. Il jette également les fondements de la méthode scientifique.
Cette méthode est analytique au sens où il s’agit de décomposer ce que nous appelons
aujourd’hui un « système » en ses parties afin d’étudier celles-ci de manière séparée de
l’ensemble. Enfin, la réalité existe comme une donnée (d’essence divine, pour certains)
indépendante de l’esprit et celui-ci peut connaître le corps et la matière. Dans cette vision du
monde, les choses demeurent telles quelles aussi longtemps que rien ne vient les modifier. Il
s’agit d’univers statique où le changement et le désordre paraissent des exceptions
mystérieuses.

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   MORIN (1990) nous montre comment ces modes de pensée relève d’un paradigme de la
simplicité, par opposition au paradigme de la complexité qui s’imposera par la suite. Le
paradigme de la simplicité vise à mettre de l’ordre dans l’univers, à séparer ce qui est lié
(Disjonction) ou à unifier ce qui est divers (réduction). Par exemple, l’homme est un être
biologique, mais aussi culturel. Il est à la fois chimique, langage et conscience. L’un ne peut
exister sans l’autre et pourtant, encore aujourd’hui la science traite l’un en oubliant ou
minimisant l’autre. Autre exemple : le cerveau. Il est à la fois une réalité biochimique et
organique, mais aussi pensée.

                La poule et l’œuf ou comment se méprendre à propos des causalités
   Il y a plusieurs manières de se tromper à propos de la vraie cause d'un effet. Voici quelques
exemples :

   Tirée de : http://www.inquisition.ca/fr/philo/artic/oeufs_coque.htm

   Avec la biologie, la mécanique quantique et la thermodynamique, tout cela va changer.
Tout d’abord, on constate que les lois de la mécanique ne s’appliquent pas aux phénomènes
relevant de ces nouvelles disciplines.
   Les lois de la thermodynamique introduisent la notion d’irréversibilité et d’entropie dans
les processus physiques et chimiques.
   VON BERTALANFFY, biologiste, présente, dès 1937, avec les conférences Macy,
annonciatrices de la "Théorie générale des systèmes", une nouvelle façon d’envisager la
complexité en prenant le contre-pied d’un DESCARTES. Il s’agit ici d’envisager le système
dans son ensemble sans plus isoler ses parties. L’étude des systèmes permet alors de mettre
en évidence des processus inaperçus lorsqu’on s’obstine à appliquer une démarche analytique.
Des propriétés, dites «émergentes », résultent des interactions entre les composantes du
système. On comprend ainsi que la démarche analytique, qui consiste à isoler les parties du
système, annihile l’objet même qu’elle prétendait connaître puisqu’elle suspend les
interactions. On découvre aussi que les interactions – et donc les causalités - sont circulaires.
Une interaction est circulaire dès lors qu’elle s’oriente selon des processus bidirectionnels,
voire multidirectionnels.
    La cybernétique (WIENER, 1944) permet d’expliquer à partir des concepts de
rétroactions. Certaines boucles dites négatives tendent à maintenir le système en équilibre
(homéostasie). Le système devient alors sa meilleure explication au détriment de son histoire
qui perd ici en importance. La systémique permet de comprendre comment un système reste
en équilibre.
   PRIGOGINE va à nouveau bousculer les mentalités en montrant que les systèmes loin de
l’équilibre (PRIGOGINE et STENGERS, 1970) ne se comportent pas comme les systèmes
« classiques ». Or, les systèmes vivants oscillent constamment entre un état loin de

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l’équilibre et l’équilibre. Donc, dans un système vivant, la régularité et l’absence de
changement est le résultat d’une activité et non un état statique.
   Ceci change notre conception de la maladie mentale. Classiquement, santé et maladie sont
vues comme deux états stables et statiques, dont l’un est souhaitable. Dans la nouvelle
perspective, la santé n’est plus un état stable et statique, mais le résultat d’un processus, d’un
ensemble d’activités que le sujet exerce pour y demeurer : prendre soin de son corps, manger
sainement, entretenir des relations sociales et affectives satisfaisante, subvenir à ses besoins,
se divertir, explorer, exercer son intelligence, imaginer, créer etc. Si une personne suspend ce
processus, son état mental se dégrade vers un trouble anxio-dépressif. La santé résulte donc
d’un processus créatif et dynamique.

    MATURANA (1984) et VARELA (1979) ont donné à ces processus d’auto-création et
d’auto-conservation le nom d’autopoiesis1. Dans cette perspective, la distinction entre
observateur et situation observée ne va plus de soi.
    On conçoit que ces considérations ne sont pas sans effet sur la psychothérapie qui se
présente précisément comme une science (ou un art ?) du changement. MORIN (1990) défend
l’idée d’un paradigme de la complexité. Mais qu’est-ce que la complexité ? D’une part, ce
concept renvoie à l’idée d’une extrême quantité d’interactions et d’interférences entre un très
grand nombre d’unités et qui défient nos capacités de calcul. Plus fondamentalement, la
complexité recèle les idées d’incertitude, d’indétermination et d’aléatoire. Les phénomènes
météorologiques constituent une illustration intéressante : la trajectoire d’une tornade ou
même d’un anticyclone peuvent, pour un temps, se conformer à certaines prévisions et en
d’autres temps adopter un comportement imprévisible. En effet, d’infimes perturbations
peuvent engendrer des conséquences importantes. Ceci s’explique par le fait que les systèmes
complexes sont sensibles aux conditions initiales (Théories du Chaos & illustration page
suivante).
    Ceci est particulièrement vrai en certains points du système et à certains moments du
processus. On parle de points de bifurcation. En ces points ou moments, des changements de
le système qui jusqu’alors se comportait de manière prévisible adopte soudainement un
comportement nouveau et imprévus.
    Le fait de se référer peut aider à repenser certains phénomènes humains. Une situation
traumatique constitue un point de bifurcation, mais on peut aussi considérer que certaines
situations conduisant à la résilience constituent elles aussi des points de bifurcation. De
même, des événements singuliers peuvent se produire au cours d’une psychothérapie qui
permettent de débloquer une situation que pouvait paraître inextricable.
    Le théorème de GÖDEL, par exemple, démontre que, dans un système formalisé, il est au
moins une proposition qui est indécidable. Et si cette proposition peut être démontré dans un
méta-système, celui-ci comportera lui-même une autre proposition indécidable. Ce qui vaut
en mathématique vaut a fortiori dans des sciences informelles telles que les sciences
humaines. En un mot, l’incertitude n’est plus une imperfection théorique, elle fait partie de
l’objet même d’étude.

1
    autos : soi-même et poièsis : œuvre, production.

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   D’après La%20théorie%20du%20chaos.webarchive

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   Le paradigme de la complexité recèle une autre idée encore. Il y a un lien consubstantiel
entre désorganisation et organisation. L’une se nourrit de l’autre, chacune coopérant avec
l’autre pour organiser, en le complexifiant, l’univers. Les cellules de Bénard (voir ci-
dessous), les phénomènes météorologiques et bien d’autres exemples encore montrent
comment d’un processus qui produit du désordre, peut naître un ordre nouveau. La vie, qui
est organisation (et donc ordre), s’oppose à la loi d’entropie (qui énonce que tout système tend
vers sa désorganisation et donc le désordre).
   Or, la vie n’est possible que s’il y a « mort », parce qu’elle est organisation et que dans ce
dessein, elle doit déconstruire du plus simple pour construire du plus complexe. Les cellules
de notre corps se renouvellent et se différencient en remplaçant des cellules plus anciennes ou
moins évoluées.
   Actuellement, on distingue deux périodes dans l’évolution des théories systémiques : l’âge
de la première cybernétique et l’âge de la seconde. Schématiquement, le premier ensemble
théorique (environ de 1940 aux années 80) s’intéresse aux systèmes dits proches de
l’équilibre et suppose la possibilité d’une observation « objective » alors que le second
ensemble (années 80 à maintenant) se penche davantage sur les systèmes dits loin de
l’équilibre et implique l’impossibilité de dissocier l’observateur du phénomène observé.
Certaines théories (constructivisme) vont jusqu’à affirmer qu’il n’y a rien à observer en-
dehors de la présence d’un observateur.

Des questions initiales

   Véronique & Léon (suite)

    Lorsque j’interroge le couple sur les dépressions de madame, je découvre que monsieur souffre lui-même car
il pense qu’il est trop minutieux, ce qui l’oblige à faire des heures supplémentaires pour être certain que son
travail est bien fait. Il rentre à la maison épuisé et anxieux. Le sport l’aide à oublier ses soucis. Il n’est donc pas
le seul à avoir des symptômes. Mais pourquoi alors est-ce Véronique qui se plaint et pas Léon ?

   Le « malade mental » est-il la source unique de son mal ? Telle est, comme nous le
rappelle ELKAIM (2003), la question à laquelle les thérapeutes familiaux se sont efforcés de
répondre. Cette interrogation résulte d’une série d’observations récurrentes : ainsi comment
expliquer que l’amélioration d’un membre d’une famille soit parfois suivie d’une
détérioration d’un autre membre ? Ou au contraire, comment expliquer des améliorations en
chaîne dans une famille ? Ou encore, comment expliquer que bon nombre de pathologies
mentales éclatent au moment où un membre « entre » dans une famille (naissance, mariage)
ou lorsqu’un membre en « sort » (émancipation des jeunes adultes, mariage, décès) ?
Comment expliquer ces anomalies ?
   Ou encore, il est constant que le comportement, l’attitude ou encore les opinions d’une
personne dépendent du contexte dans laquelle on l’observe. Exemple : tel chef de service,
tyrannique sur son lieu de travail, devient doux et soumis dans son foyer (certains officiers
nazis ont laissé cette image, frappante à cause de l’horreur de leurs méfaits, alors que cette
observation est courante chez monsieur « tout le monde »). Les psychologues sociaux ont
montré depuis longtemps que les opinions variaient en fonction du moment et du lieu où la
personne était interrogée. Ainsi, les opinions religieuses se radicalisent le dimanche, à la
sortie de la messe alors que la même personne, interrogée dans un contexte plus neutre, prend
des positions plus nuancées. Beaucoup de parents s’étonnent lorsque d’autres adultes
décrivent le comportement de leur enfant, tantôt plus dociles, tantôt plus affirmé en dehors de
la famille. Les patients psychotiques « chroniques » adoptent fréquemment des
comportements passifs et dépendants en institution psychiatrique. Placés dans des

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circonstances imprévues, certains font preuves de « compétences » étonnantes et inattendues.
Tel adolescent, placé en institution et faisant preuve de comportements opposants, devient
soudainement pondéré et responsable dès lors qu’on lui assigne un rôle de tuteur à l’égard des
plus jeunes. Etc.
   Il faut donc admettre que l’« malade mental » n’est pas la source unique de son mal !
L’évolution de la « maladie mentale » dépend aussi pour une bonne part des avatars des
relations familiales. Mais comment expliquer ce lien ? Caricaturalement, deux grands
courants vont rapidement émerger en tentant de répondre à cette question.

Deux grands courants – Côte Est – Côte Ouest

   Sur la côte est, largement ouverte aux influences et aux flux migratoires de l’Europe, la
tradition psychanalytique2 tout d’abord, qui va laisser son empreinte en léguant l’idée
d’historicité comme facteur explicatif essentiel de la « maladie mentale » : le présent
s’explique par le passé et se transmet de génération en génération un peu comme les
mythes, les rituels et les traditions dans les cultures traditionnelles. Dans ce contexte de
brassage culturel qui mélange le nouveau à l’ancien, Nathan ACKERMANN fait figure de
pionnier. Mais ces dimensions sont réinterrogées non plus tant au niveau de la trace qu’elles
laissent dans le psychisme que dans ce qui relie les membres d’une famille entre eux et
comment chacun influence les autres. Un NAGY par exemple tente d’expliquer ce lien par
une balance qui légitime les actions du présent au nom d’une éthique relationnelle qui s’est
forgée sur base des fautes et des mérites, des legs et des transmissions du passé. De son côté,
un BOWEN insistera sur les processus de différenciation du Soi.
   Sur la côte ouest, davantage tournée vers de nouveaux horizons intellectuels et les
croisements transdisciplinaires, l’apport de théories nouvelles comme la théorie des systèmes
de von BERTALANFFY, la cybernétique, etc. fécondent les travaux de l’école de Palo Alto
et du MRI en Californie. L’interaction dans l’ici et maintenant prend alors le pas sur
l’histoire et troque le concept d’influence du passé avec celui d’homéostasie. Dans cette
perspective, le symptôme d’un individu n’est plus tant l’expression d’une perturbation
intrapsychique mais bien davantage le témoin d’une perturbation au sein de la famille. Dès,
lors il importe moins de comprendre le sens du symptôme que sa fonction dans le système.
Si le symptôme garantit l’homéostasie du système, alors il est fort à craindre que, devenu
indispensable, il persiste assez longtemps.
   Avec Paul WATZLAWICK, Don D. JACKSON ou John WEAKLAND, un pas
supplémentaire est franchi dans la mesure où ces auteurs vont montrer comment le symptôme,
voire la maladie mentale, peut se comprendre comme l’aboutissement d’actes de
communication et comment l’observation et la modification des interactions peuvent parfois
suffire à produire des changements décisifs.
   Plus tard, la cybernétique de second ordre avec les travaux de von FOERSTER bouleverse
à nouveau la donne. Une première idée-clé réside sans doute dans le principe que
l’observateur (et donc, a fortiori, un thérapeute) ne peut être dissocié du système
observé. Et si le thérapeute participe à ce qu’il observe, on peut alors se demander s’il ne
contribue pas à stabiliser ou même à provoquer le phénomène qu’il observe. Une seconde
idée-clé, peut s’énoncer comme suit : il n’y a d’autre réalité que celle construite par
l’observateur. Dans cette perspective, la notion de “ réalité objective ” cède le pas aux
concepts de “cartes” (KORZYBSKI, 2001) et plus tard de “vision du monde” du client.
   Thérapie familiale

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  Faut-il rappeler la fuite d’un grand nombre de psychanalystes chassés par le nazisme qui considérait FREUD
et ses disciples comme les porteurs d’une pensée juive dégénérée. Le creuset américain, pétri de soif d’efficacité
et de pragmatisme, influera sur la pratique psychanalytique elle-même.

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    Parmi les diverses formes de psychothérapie, certaines s’intéressent non plus seulement
l’individu mais à celui-ci en tant que membre d’un groupe d’individus : couple, famille,
groupes. Si le rôle de la famille dans le décours des principaux troubles psychopathologiques
n’a pas échappé à l’attention de certains psychanalystes ou de quelques comportementalistes,
c’est au courant systémique que l’on doit la réflexion, selon nous, la plus aboutie concernant
la famille.
    Deux notions nous paraissent particulièrement essentielles si l’on souhaite penser – et
panser - la famille en tant que totalité : le système et la circularité. D’une part, la notion de
système aide le praticien à se rappeler que l’individu doit être sans cesse situé dans un
contexte interindividuel plus large : la famille, mais aussi l’entourage de la famille ainsi que le
contexte social et culturel. Par exemple, la problématique d’un adolescent délinquant ne peut
être uniquement pensée en termes de conflits intrapsychiques. Il importe aussi, et peut-être
davantage, de réfléchir au contexte, c’est-à-dire aux personnes qui l’entourent – parents, amis,
école, travailleurs sociaux, juge de la jeunesse, etc … - et aux enjeux que ce contexte sous-
tend. Dans ces conditions, la notion d’interaction entre les divers protagonistes devient
fondamentale. Comme lorsqu’on regarde un match de football, la compréhension du jeu
change du tout au tout selon qu’on se focalise sur un seul joueur ou que l’on envisage
l’ensemble des sportifs évoluant sur le terrain. Dans cette perspective, les problèmes humains
n’ont pas seulement un sens, mais aussi une fonction dans un contexte. En tant que théorie,
elle tente d’aborder la famille comme un tout, comme une organisation dont le maître mot est
l’interdépendance de ses membres.
    D’autre part, puisque les interactions deviennent essentielles, il importe de cerner leur
caractère circulaire, et donc non causaliste au sens classique de ce terme. Ceci signifie que
dans un système, chaque individu façonne, sculpte littéralement les croyances et les
comportements des autres. Pour reprendre la métaphore du football, un but résulte de la
combinaison complexe des interventions de nombreux joueurs de chaque camp.
    Dans cette perspective, la thérapie familiale se focalise principalement sur la modification
des interactions entre ou parmi les membres de la famille. La famille en tant que totalité, plus
que l’individu, devient donc la porte d’entrée de l’intervention.
    En résumé, lorsque j’aborde un client, je me pose toujours d’emblée deux questions : dans
quels systèmes est-il impliqué actuellement et avec qui « interagit-t-il » le problème qui le
conduit à me consulter ?

                                               II
                                         Les pionniers

    1. Les travaux de Nathan Ackerman (1908-1971)

   Nathan Ackerman est né le 22 novembre 1908 en Roumanie. Ses parents ont émigré aux
Etats-Unis en 1912.
   Après avoir suivi une formation de psychiatre, il occupe différents postes dans des
institutions psychiatriques dont la célèbre Menninger Child Guidance Clinic. Il est très vite
frappé par l'impact des facteurs environnementaux sur la santé mentale et par l’importance du
fonctionnement familial. En 1944, il devient professeur à la Columbia University.

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   Dès 1938, Ackerman publie « The Unity of the Family and Family Diagnosis: An
Approach to the Preschool Child », ouvrage fondateur de la thérapie familiale. Il y souligne
que la famille doit être vue comme une unité. Son livre le plus célèbre demeure néanmoins
« The Psychodynamics of Family Life », publié en 1958. Il y montre comment la famille
façonne ses membres de telle sorte que ceux-ci puissent remplir les rôles et fonctions qu’elle
compte lui assigner.
   Il fonde la Family Mental Health Clinic en En 1957 et le Family Institute en 1960 à New
York. L’Institut perpétue encore aujourd’hui ses enseignements34. Il est aussi un des
fondateurs de la revue Family Process.
   On peut résumer la position d’Ackerman par la citation suivante : « (1) la schizophrénie
peut être conçue comme un trouble séparé et distinct qui touche l’organisme individuel ;
l’environnement familial, perçu comme un facteur périphérique, influence le cours de la
maladie, mais affecte principalement les manifestations secondaires ; ou (2) l’environnement
familial peut être conçu, non comme extérieur mais plutôt comme appartenant au coeur même
du processus morbide. Selon ce deuxième point de vue, les relations continues du patient et de
la famille sont d’une essence identique ; elles sont congruentes à chaque étape de la
vulnérabilité de la personnalité prémorbide, sur le début de la psychose manifeste, sur son
cours et ses conséquences. L’interaction familiale affecte ainsi les manifestations primaires
autant que les manifestations secondaires. Étant donné ce schéma théorique, l’hérédité peut
dicter sa loi sur le degré de susceptibilité, mais c’est l’influence émotionnelle de la vie sociale
et familiale qui transforme une fragilité dormante en une maladie psychotique manifeste. La
maladie est alors un symptôme de la défaillance familiale, qui peut seulement être comprise
au travers de trois ou quatre générations. Il me semble que c’est cette dernière perspective qui
est la plus prometteuse »5.
   Comme le souligne Miermont (2004), de nos jours, cette approche doit être fortement
nuancée, du moins en ce qui concerne la schizophrénie. Les fondements n’en sont pas moins
là puisque Ackerman introduit la notion de fonctionnement familial comme facteur explicatif
de la santé mentale. Son influence sera essentielle sur des cliniciens comme Salvador
Minuchin ou Boszormenyi-Nagy ou Murray Bowen.

3
    http://www.ackerman.org/
4
    http://av.vimeo.com/07427/322/37684427.mp4?token=1306999523_d473401ea464466419b6297b10784647
5
    in Ackerman (1966), p. 238.

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    2. Les travaux de BATESON

   Il est impossible de résumer la pensée de BATESON, tant celle-ci est riche et complexe.
Un certain nombre de concepts se dégagent néanmoins et nous nous proposons d’en explorer
quelques-uns parce qu’ils sont utiles pour une bonne compréhension des phénomènes de
communication.
   Après une formation en biologie et zoologie, BATESON étudie l’anthropologie à
Cambridge où il se frotte au modèle d’anthropologie fonctionnaliste (MALINOWSKI). Ce
parcours initial donne le ton pour la suite puisque les fils conducteurs de la pensée du
chercheur sont la transdisciplinarité et la quête de la « structure qui relie ».
   Ses contributions, nombreuses et originales, vont de l’anthropologie à la psychopathologie
en passant par la communication chez les schizophrènes ou chez les dauphins (BATESON &
RUESCH (1951), BATESON et al (1958), BATESON (1972, 1979)

Schismogenèse

   Il part en Nouvelle-Guinée pour étudier les Iatmuls et les Balinais. En observant un rituel
(cérémonie dite du Naven). En analysant un film, il observa l’interaction entre une mère et
son enfant. Il observa la même interaction se répétant encore et encore : la mère attire
l’enfant par la parole, et le repousse par le geste.

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   Cette observation le conduit à élaborer le concept de schismogenèse qui décrit la genèse
d’un schisme au sein d’un système social. Il distingue une schismogenèse « symétrique » (où
les participants se répondent selon le principe de « œil pour œil, dent pour dent » et
schismogenèse « complémentaire » où les participants se positionnent dans des rôles
complémentaires (domination/soumission). Dans l’un et l’autre cas, l’exagération du
processus peut aboutir à un déséquilibre du système social.

Cybernétique

    BATESON participe aux conférences MACY dès 1942. Il y rencontre des personnages
tels que WIENER (cybernétique), von NEUMANNN (théorie des jeux), McCULLOCH
(théorie de la communication) et, par la suite, Heinz von FOERSTER (constructivisme). Pour
BATESON (1972), la cybernétique, et en particulier le concept de feed-back, est comme une
illumination.
    Le terme cybernétique - du grec ancien κυϐερνητική, kybernêtikê (« art de piloter, art de
gouverner ») - fut introduit en 1947 par le mathématicien Norbert Wiener. La cybernétique est
une science du contrôle des systèmes, vivants ou non-vivants.
    Le concept « Cybernétique » a été introduit par WEINER (1944) afin de décrire les
systèmes qui sont régulés par des boucles de rétroaction. Un thermostat constitue un bon
exemple de ce type de régulation. Ce processus permet qu’un équilibre homéostatique soit
maintenu. Le concept d’homéostasie décrit la tendance qu’ont les systèmes à se maintenir
dans un état d’équilibre

   Dans le monde vivant, on peut observer un phénomène similaire entre la population de
renards et celle des lemmings. Lorsque la population des rongeurs augmente, celle des
renards augmente également. Toutefois, au bout d’un certain temps, soit que les ressources
en nourriture disponibles pour les lemmings deviennent insuffisantes, soit que la
surpopulation chez ceux-ci aboutit à une épidémie, toujours est-il que la population chute. Du
coup, le stock de « viande » des renards diminue. De plus, Comme les renards sont
nombreux, la population de lemmings chute encore. Les renards meurent de faim et leur
population chute à leur tour. Ceci jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre s’établisse autour de
faibles populations dans les deux espèces. Les ressources en nourriture augment à nouveau
pour les lemmings et ceux-ci recommencent à se multiplier. Ceci d’autant plus que la
population des renards a chuté. Et ainsi de suite.

Théorie des types logiques

   BATESON introduit la théorie des types logiques dans son cadre de réflexion dès les
années 50. L'approche est fondée sur la théorie des types logiques de RUSSEL.
   Un premier postulat de cette théorie implique qu’il existe, en logique, une discontinuité
entre la classe et ses membres. Une classe ne peut être membre d’elle-même : la classe des

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chats n’est pas un chat. L’erreur qui consiste à classer ensemble le nom avec la chose
nommée équivaut à manger la carte à la place du menu.
   Un second postulat implique qu’il n’est pas correct de classer ensemble une classe et les
éléments qui sont ses non-membres. D’une part, il y a la classe des chaises. D’autre part, les
tables et les armoires font partie de la classe « non-chaise». Mais on commet une erreur en
comptant la classe des chaises – qui n’est pas une chaise en vertu du premier postulat – au
nombre des éléments qui constitue la classe de « non-chaise ».
   Le non-respect de ces postulats dans le discours formel risque d’aboutir à des paradoxes.

    Par contre, dans le monde réel, une nouvelle variable entre en ligne de compte : le temps.
En quoi ce genre de considération est utile en psychologie ? BATESON propose l’exemple
suivant.
    1° La fréquence d’un comportement est gouvernée par les lois du renforcement.
    2° L’« exploration » est une classe de comportement.
    3° L’« exploration » est-elle gouvernée par les lois du renforcement ?
    Qu’observe-t-on cher les rats ? Le but de l’« exploration » est obtenir des informations sur
les objets à approcher et ceux qui sont à éviter. Découvrir qu’un objet est dangereux – par
exemple, parce qu’il constitue un stimulus aversif (par exemple, une décharge électrique) –
constitue néanmoins un « succès » puisque le but est atteint. Ce succès (via une expérience
aversive) ne découragera pas le rat d’explorer par la suite (variable temps) d’autres objets
insolites.
    Par conséquent, l’« exploration » n’est pas gouvernée par les lois du renforcement. Ceci
suggère que les lois du comportement et celle des classes de comportements ne sont pas
identiques. Ce qui implique que les méthodes d’étude sont également différentes.
    En réalité, les lois qui régissent les classes de comportements relèvent plutôt des
phénomènes de communication (information).
    Dans le domaine des communications humaines, la discontinuité entre classe et membre
est constamment battue en brèche, ce qui provoque des manifestations pathologiques, des
symptômes dont les traits formels sont identiques aux symptômes schizophréniques. En effet,
la communication humaine implique une multiplicité de types logiques. Par exemple, le jeu,
les sacrements, les métaphores, l'humour, la falsification de l’information, l'apprentissage.
    Ainsi, même chez les mammifères, on observe des échanges de signaux qui permettent aux
partenaires de déterminer si un comportement doit être considéré comme un comportement de
"jeu" ou pas. Des chatons qui se battent émettent des signaux situés à deux niveaux logiques
distincts: au premier niveau, il s'agit de comportements apparemment agressifs (mordre,
souffler) ; alors qu'au second niveau, ils émettent des signaux qui signifient que ces
comportements agressifs (premier niveau) ne le sont pas réellement et qu'il s'agit de
simulacres. Le premier niveau est une information alors que le second est une information sur
l’information.
    On observe également ces deux niveaux dans la falsification de l’information. Un méta-
message structure la façon dont il faut comprendre les messages situés au niveau inférieur. Le
destinataire de ces messages n'est pas sensé avoir accès aux méta-messages. Par exemple,

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Texte provisoire – Diffusion interdite

certains oiseaux utilisent ce principe comme technique de leurre. L’oiseau choisit un point
d'envol éloigné de son nid, ce qui induit les prédateurs potentiels en erreur. Lorsque l’oiseau
prend son envol, le prédateur confond le point d'envol avec le nid parce qu’il n’a accès qu’à
un seul niveau d’information 6.
   Les mêmes tactiques ont été utilisées dans le cadre de stratégies militaires7 ou
commerciales.
   Chez l'homme, le langage joue évidemment un rôle particulier. Notamment, la
communication verbale s'articule en permanence dans un jeu entre le sens concret et le sens
métaphorique. Ces deux axes peuvent constituer deux niveaux logiques distincts dans la
chaîne signifiante. Ce qui semble caractériser le schizophrène, c’est sa difficulté à distinguer
ces deux niveaux.
   Si on considère que la schizophrénie est essentiellement le résultat d'une interaction
familiale, on devrait alors pouvoir observer des séquences d'expérience aboutissant à de tels
symptômes. Par conséquent, il n'y a pas lieu de rechercher quelque expérience traumatique
spécifique dans l'étiologie, mais bien de se concentrer, dans l’ici et maintenant, sur des
séquences d'interaction caractéristiques où les niveaux sont perpétuellement brouillés.
   Ainsi, tout message véhicule une information et une information sur l’information (par
exemple, la position sociale respective de chaque informateur).
   Autrement dit : "Le schizophrène doit vivre dans un univers où les séquences des
événements sont telles que ses habitudes non conventionnelles de communication y sont, dans
une certaine mesure, appropriées"8. En guise d’exemple, voici un extrait d’une conversation
entre une mère et son fils « schizophrène » que nous avons eu l’occasion d’observer est qui
corrobore les exemples relevés par BATESON.

    Vignette – Le pouvoir de définir la relation

       Patient :            As-tu apporté mes vêtements ?
       Mère :               Comment te sens-tu ?
       Patient :            As-tu apporté mes vêtements ?
       Mère :               Tu n’as pas l’air bien.
       Patient :            Mais si je vais bien (sur un ton irrité)
       Mère :               Pourquoi te mets-tu en colère contre moi ?
       Patient :            Mais non ! (mais sur un ton de colère).
       Mère :               (gémissante) Pourquoi me traites-tu aussi mal ? Tu devrais avoir plus de respect
                            pour ta mère.
       Patient :            Mais c’est toi qui …
       Mère :               (s’effondre en larmes)
       Intervenant :        Votre mère a raison. Vous devriez vous calmer.
       Patient :            … propos incompréhensibles.
       Mère :               Je vois bien qu’il n’a pas pris son traitement.
       Patient :            … quitte la pièce en claquant la porte.

   Cet échange est d’une extrême densité communicationnelle ! En quelques mots, le trois
protagonistes définissent la relation avec la mère en position haute et le fils et l’institution en
position basse !
   Il y a deux niveaux dans cet échange. Le niveau 1 concerne un échange d’informations
utilitaires - la lessive - alors que le niveau 2 porte sur la question de savoir qui a le pouvoir de
décider du sujet de la conversation, l’état psychique de l’autre et ce qui est bon pour lui. Si le
6
  Notez que ceci n’implique aucune intention (et donc une cause ou un sens) mais implique une «conséquence»
(induire les prédateurs potentiels en erreur) et donc la fonction du comportement.
7
  L’opération Fortitude est le nom donné aux manœuvres de désinformation des Alliés durant la Seconde Guerre
mondiale et destinées à tromper les Nazis sur le lieu et le moment du débarquement.
8
  BATESON, 1972, p.14

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Texte provisoire – Diffusion interdite

patient répond au niveau 2, il admet implicitement que c’est sa mère qui décide de ce dont il
faut parler.
   Il admet dans la foulée que ses propres préoccupations n’ont pas d’importance. Mais si le
patient persiste au niveau 1, alors il montre qu’il est un mauvais fils. Face au refus de
répondre, la mère suggère alors subtilement que l’absence de réponse à sa question est un
signe de « folie ». Ce qui ne peut qu’être irritant, mais en se montrant irrité, le patient
confirme qu’il est émotionnellement fragile, donc « fou » dans ce contexte. Dans le contexte
psychiatrique, dire à un fils schizophrène qu’il a l’air triste ou en colère équivaut à lui
rappeler qu’il est malade et donc à contrôler. En résumé, plus le patient résiste au contrôle,
plus il confirme qu’il a besoin d’être contrôlé.

   Il y a là de quoi se mettre en colère. Mais se mettre en colère en psychiatrie équivaut aussi
à confirmer que l’on est « fou » et ainsi de suite. L’intervention moralisante et éducative de la
référente n’a évidemment rien arrangé puisqu’elle souligne un consensus entre « les gens
normaux ». La conclusion de la mère est que son fils est bien fou - il a besoin d’un traitement
- et, dans la foulée, elle disqualifie l’institution - qui n’a pas fait son travail à ses yeux. Elle
rappelle que l’institution est un lieu où l’on doit donner des médicaments au lieu de discuter
avec un « dingue ».        La mère et le référent indiquent également au patient qu’ils le
contrôlent ! Enfin, la mère semble traiter le personnel comme des auxiliaires de sa volonté.
Dès lors, l’institution a perdu sa position de tiers par rapport à la relation mère-fils !

     La relation carte-territoire

    Ce constat est à mettre en rapport avec la relation carte-territoire (KORZYBSKI, 2001)9.
La carte n’est pas le territoire et, en même temps, s’y réfère point par point. Ainsi, le langage
entretient avec les objets qu’il désigne le même rapport que la carte entretient avec le
territoire. Le jeu est un phénomène où les actions du « jeu » sont liées à (ou dénotent)
d’autres actions de « non jeu ».
    La menace, la parade ou la tromperie sont des phénomènes qui ressemblent au jeu et qui
manifestent une différenciation primitive entre la carte et le territoire : le poing serré n’est pas
encore le coup de poing.
    Cependant, la carte et le territoire peuvent entretenir des rapports plus complexes dans les
rituels, les fantasmes, l’art, la magie ou la religion. On assiste parfois à une tentative de déni
de la différence entre carte et territoire : le drapeau qu’on sauve au prix de sa vie, le
sacrement, les peintures en trompe-l’œil jouent de ce déni.
    Ce constat permet de cerner deux particularités du jeu : primo, les messages échangés au
cours d’un jeu sont « faux » et, secundo, ce qui est dénoté par ces signaux peut ne pas exister.
C’est ainsi que les producteurs hollywoodiens peuvent, selon BATESON, librement
présenter, à un public puritain, une gamme très large de fantasmes pseudo-sexuels. Ainsi le
thème de l’homosexualité n’est ni montré, ni même dénoté par un signe mais simplement
9
    Mais dont les écrits datent de la première moitié du XXe siècle

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suggéré à partir d’indices qui ne désignent pas l’homosexualité mais certaines idées pour
lesquelles l’homosexualité est un symbole approprié.

   La théorie du double lien de Bateson

   C’est probablement à MEAD, son épouse anthropologue, que l’on doit l’ébauche du
concept de double contrainte. Celle-ci avait constaté que le petit Balinais semblait soumis à
un régime de « douche froide » : la mère incite continuellement son enfant à montrer son
émotion mais pour s’en détourner aussitôt une fois que celui-ci s’exprime. Ce type
d’interaction conduit l’enfant, au bout de quelques années, à adopter une position de repli et à
développer une forme d’insensibilité émotionnelle persistante. Cette thèse est étayée par des
documents photographiques et filmés, ce qui laisse peu de place à des interprétations
douteuses. BATESON et al. (1958) vont reprendre cette idée lorsqu’ils observeront les
familles de schizophrènes. Et qu’observent-ils ?
   On est en situation de double contrainte lorsque deux personnes ou plus font l'expérience
suivante de manière répétée : une injonction négative primaire est énoncée puis est suivie
d'une injonction secondaire qui vient contredire la première à un niveau plus abstrait. Enfin,
une injonction négative tertiaire interdit à la victime d'échapper à la situation.
   La non-obéissance à l'une ou l'autre des injonctions est toujours assortie d'une menace
pouvant signifier la perte de l'amour, l'abandon, l'éclatement de la cellule familiale. Par
contre, l'obéissance à ces injonctions signifie toujours la perte d'autonomie, l'arrêt des
processus de différenciation.
   De plus, il n'est pas possible d’obéir à l'injonction primaire sans désobéir à l’injonction
secondaire et inversement. Il en résulte que la « victime » ne peut jamais répondre
adéquatement dans ce genre de situation et est toujours confrontée aux deux types de menaces
que nous venons d'évoquer.

   En outre, on dira que l’injonction secondaire se situe à un niveau plus abstrait dans la
mesure où celle-ci constitue un commentaire (un méta-message) sur l’injonction primaire.
Elle est en même temps masquée du fait qu’elle est communiquée dans un registre non-
verbal, plus inconscient, plus difficile à détecter et, dès lors, à commenter.
   Il va de soi que cette situation est pathogène lorsqu'elle s'inscrit de façon durable dans le
cadre de relations qui ont une importance vitale pour la survie psychique (et physique) des
protagonistes.
   Quant à l'injonction tertiaire - l'impossibilité d'échapper au contexte de double contrainte -
celle-ci résulte soit de l'immaturité de la "victime" (enfants, adolescents, handicapés, etc.) ,
soit d'une impossibilité psychologique (loyauté invisible trop puissante, secret de famille à
protéger, angoisse de perte insupportable, etc.) soit, dans les stades très avancés de la

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pathologie, d’une impossibilité matérielle10 (rupture avec les parents, parents décédés,
familles éparpillées dans le monde, famille au bout du rouleau).
   Ajoutons que, lorsque cette expérience s'est répétée pendant suffisamment longtemps, il
n'est plus nécessaire que ces éléments se trouvent réunis au complet pour que la double
contrainte reste agissante. En effet, la "victime" a alors appris à percevoir son univers sous la
forme de doubles contraintes. Dès lors, un seul ou quelques-uns des éléments cités ci-avant
suffisent à provoquer des mouvements de panique, de rage et de régression chez le sujet.

    L'exposé qui précède reste cependant dans une perspective trop linéaire. Mais ce n'est
qu'une apparence qui est liée au souci d'exposer la situation de façon claire. En réalité, les
choses sont bien plus complexes et surtout circulaires. En effet, dans ce type de situation, tout
le monde est "victime", tout le monde est l'"otage" des autres. Par exemple, le patient détient
un pouvoir extraordinaire sur sa famille. Il sait que, pour celle-ci, il est inconcevable de
l'abandonner, surtout dans cet état. Les parents sont condamnés – du moins avant d’être
épuisés - à ne pas divorcer ; la fratrie est confrontée à l'exemple de ce qui arrive lorsqu'on
tente de se différencier, etc. C’est pourquoi BATESON apportera ensuite une correction
importante à la théorie du double lien en précisant le caractère à la fois réciproque du double
lien (la mère et l’enfant sont à la fois « victimes » et « bourreaux », agent et patient du
processus) et contextuel (ainsi, la mère balinaise reproduit inconsciemment un schéma qui lui
est prescrit par sa culture). C’est pourquoi ne faut pas penser en termes de « double contrainte
au sein de la famille » mais bien de « famille au sein de la double contrainte ».
    Soulignons enfin que BATESON n’a jamais voulu construire une théorie
psychopathologique mais bien une théorie générale de la communication. C’est sur ce point
qu’il va prendre des distances avec Don JACKSON lorsque ce dernier fonde le MRI (infra).

     Véronique & Léon (suite)

   Véronique et Léon ont eux aussi des attitudes paradoxales qui fonctionnent comme des doubles liens. Par
exemple, Léon apprécie le côté maternant de Véronique. C’est même pour cette raison qu’il l’a choisie. Il dit :
« La première fois que je l’ai vue, j’ai tout de suite compris qu’elle était douce et gentille. Cela lui a rappelé sa
mère. Mais une fois en couple, sa peur d’être envahi l’a poussé à être souvent à l’extérieur.
   De même, Véronique voudrait plus de proximité avec Léon. Mais si ce dernier changeait brusquement et
devenait plus proche, il est probable qu’elle perdrait le contrôle. Est-ce supportable.
   Ainsi, on observe le pattern interactionnel ou interaction suivant : lorsque Léon donne plus de proximité à
Véronique, celle-ci devient plus distante. Et lorsque Véronique se rapproche de Léon, celui-ci s’éloigne pour ne
pas être envahi. Donc, quand l’un répond à l’attente de l’autre, ce dernier change d’attitude et prend une attitude
inverse à celle qu’il adoptait auparavant.

10
    Ce qui n’empêche pas – bien au contraire - le jeu de se poursuivre dans le registre imaginaire, dans les délires
et les hallucinations.

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Texte provisoire – Diffusion interdite

    Dans ces séquences, chacun communique à l’autre, par son comportement s’il doit être proche ou éloigné,
sous contrôle ou hors contrôle, etc. Par conséquent, la façon dont l’un et l’autre communiquent produit un effet
(pragmatique) sur le comportement du conjoint.

      Les prémisses de la communication sont généralement auto-justificatrices

   BATESON (1981) définit quant à lui les contextes pathogènes comme suit. En premier
lieu, les prémisses de la communication sont généralement auto-justificatrices et produisent
des distorsions de l'apprentissage. Par leur fonctionnement même, elles peuvent créer le
consensus qui semblera les justifier. BATESON donne l’exemple de la personne qui croit
que tout le monde est son ami ou son ennemi. Cette personne émettra alors des messages et
agira significativement en fonction de sa prémisse. Le monde qui l’entoure aura alors
tendance à confirmer sa conviction.
   Dès lors, il n'est pas souvent nécessaire de remonter dans le passé pour étudier l’étiologie.
« Les prémisses sont auto-justificatrices dans le présent et, par conséquent, celui qui a l'esprit
« dérangé », comme celui qui est normal, crée continuellement autour de lui l'environnement
qui fournit l'étiologie typique de ses habitudes communicationnelles—de ses symptômes. De
fait, pour BATESON, il est possible et fructueux d'étudier le fonctionnement d'un hôpital
psychiatrique classique pour y découvrir des indices de la raison pour laquelle les patients
sont mentalement malades.
   Il en résulte deux sortes de résultats psychopathologiques : l'apprentissage d'une erreur
particulière, et la rupture ou distorsion du processus d'apprentissage lui-même. Le second
semble le plus important dans la mesure où « il s'agit d'un type de résultat pathologique plus
abstrait, plus insaisissable, et plus difficile à corriger par quelque pratique thérapeutique,
puisque tout apprentissage lors de cette expérience passera par le processus d'ores et déjà
déformé.»
   C’est sans doute ce qui rend le patient psychotique et sa famille si difficiles à traiter. De
plus, la plupart des prémisses pathologiques sont inscrites dans le contexte et sont dès lors
plus difficilement identifiables tant par leur caractère implicite sur le plan synchronique que
par leur déploiement diachronique, ainsi que le soulignent WATZLAWICK et STIERLIN.
   Mais une des idées les plus originales de Bateson fut de songer à la théorie des systèmes
comme modèle susceptible d’expliquer ses observations des familles de schizophrènes. Cette
théorie, née dans les années 40 des échanges entre des mathématiciens, des physiciens mais
aussi des anthropologues constitue un des tournants majeurs de la pensée du XXème siècle.

       3. La théorie des systèmes

   WATZLAWICK, BEAVIN et JACKSON (1972) reprennent la définition de HALL et
FAGEN : « Un ensemble d’objets et les relations entre ces objets et entre leurs attributs ».
   Dans cette définition, les objets sont les éléments composant le système, les attributs sont
leurs propriétés et les relations sont « ce qui fait tenir ensemble le système11». Dans le cas où
les objets sont des êtres humains, WATZLAWICK et ses collaborateurs considèrent que les
« attributs qui permettent de les identifier dans le système sont leurs comportements de
communication ». Ils poursuivent que la meilleure manière de décrire des objets appartenant à
un système en interaction est de les décrire non pas comme des individus, mais comme des
« personnes-en-communication-avec-d’autres-personnes ».

11
     op. cit, p.120

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