Concurrences Revue des droits de la concurrence

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Concurrences
Revue des droits de la concurrence
Competition Law Journal

La procédure d’amicus curiae :
Bilan en demi-teinte de la pratique
européenne et française

Doctrines l Concurrences N° 4-2012 – pp. 38-55

Emmanuelle Claudel
emmanuelle.claudel@gmail.com
l Professeur, Université Paris Ouest Nanterre la Défense
l Membre du CEDCACE, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique
@ Voir également : L. Idot , “Réflexions sur la convergence des droits de la concurrence” ;

         Doctrines                                                    M. Barennes, P. Hecker, “Strategic and efficient brief writing before the General Court of the EU”
                                                                      sur concurrences.com

                      Emmanuelle Claudel
                                                                      La procédure d’amicus

                                                                                                                                                                                      Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
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                               emmanuelle.claudel@gmail.com
                   Professeur, Université Paris Ouest
                                 Nanterre la Défense                  curiae : Bilan en demi-teinte
                               Membre du CEDCACE
                   Centre de droit civil des affaires et
                           du contentieux économique
                                                                      de la pratique européenne
                                                                      et française

                                           Abstract                   I. Introduction
    Today, the judge is invited to fully play its role in disputes    1. Définition. L’amicus curiae est ainsi défini par le vocabulaire juridique de
      involving anticompetitive practices, particularly in order      G. Cornu : “qualité de consultant extraordinaire et d’informateur bénévole en laquelle
        to ensure compensation of the victims of such practices.
    Though he may be a specialised judge, he may find himself
                                                                      la juridiction saisie invite une personnalité à venir à l’audience afin de fournir en
     powerless when faced with the complexity of the analyses         présence de tous les intéressés, toutes les observations propres à éclairer le juge.”
     involved in competition law matters or with the difficulty
           of gathering evidence. The European Commission, as
         well as the national competition authorities, can assist
                                                                      À l’évidence, le contentieux judiciaire des pratiques anticoncurrentielles se prête
     him as amici curiae. Pursuant to article 15 of Regulation        bien à ce type d’intervention. En effet, il a été relevé que “[le] droit des pratiques
 1/2003, the competition authorities may give their opinion or        anticoncurrentielles est un droit spécifique, de caractère technique, qui requiert
  submit observations. Surprisingly, some of these procedures         une capacité d’expertise des tribunaux. L’expertise en analyse économique du
     are seldom used. This may have something to do with the
   ambiguity of the role of the amicus curiae : the competition       fonctionnement des marchés est en effet atypique par rapport aux grands blocs de
 authority, which on the one hand assists the judge but on the        légalité (droit commercial et droit civil) qui font le quotidien des juridictions”1. Il arrive
                      other hand protects the competition order,      que cette expertise fasse défaut au juge, nonobstant son éventuelle spécialisation2.
                                    is not a disinterested friend.

                                                                      Une autorité de concurrence semble le meilleur sachant pour l’éclairer. On ne
L  e juge est aujourd’hui invité à prendre toute sa place dans le     s’étonne donc pas que la qualité d’amicus curiae ait été reconnue à la Commission
contentieux des pratiques anticoncurrentielles, afin notamment        européenne et aux autorités nationales, particulièrement dans un contexte favorable
    d’assurer réparation aux victimes. Même spécialisé, il peut       au développement des actions en dommages et intérêts. Cette institution puise dans
        cependant être démuni face à la complexité des analyses
      requises ou à la difficulté de rassembler certaines preuves.
                                                                      les principes posés dans les traités constitutifs.
    Les autorités de concurrence, européenne et nationales, sont
     là pour lui apporter leur concours en tant qu’amici curiae.      2. Fondements théoriques et textuels à l’intervention de l’amicus curiae. L’article 4
       Des procédures d’avis ou de dépôts d’observations ont en
      effet été mises en place, sous l’impulsion de l’article 15 du
                                                                      TFUE (ex-art. 10 CE) énonce un principe de coopération loyale entre l’Union et
  règlement (CE) n°1/2003. Curieusement, ces procédures sont          les États membres. Les juridictions européennes en ont déduit que la Commission
       pour certaines peu mobilisées. L’ambiguité de la fonction      a la charge d’assister les juridictions nationales lorsqu’elles appliquent le droit
         impartie à l’amicus curiae n’est peut-être pas étrangère
                                                                      européen3. Cette fonction d’amicus curiae impartie à la Commission de concurrence
         à ce constat : soutien du juge, mais gardienne de l’ordre
                        concurrentiel, l’autorité de la concurrence   a été formalisée par le règlement (CE) no 1/2003 du 16 décembre 2002, à travers un
                         n’est pas un ami totalement désintéressé.    article 15, qui lui confère trois prérogatives. Les deux premières sont à l’initiative des
                                                                      juges, la troisième à celle de la Commission.

                                                                      g transmettre aux juridictions qui la solliciteraient des informations en sa possession
                                                                      (art. 15 § 1)

                                                                      g leur donner un avis au sujet de questions relatives à l’application des règles
                                                                      communautaires de concurrence (art. 15 § 1).

                                                                      g leur soumettre spontanément des observations, écrites ou orales, cette dernière
                                                                      hypothèse étant cependant subordonnée à l’accord de la juridiction concernée
                                                                      (art. 15 § 3). La même prérogative est reconnue par le texte aux autorités nationales
                                                                      de concurrence.

                                                                      1   Avis du 21 septembre 2006 relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques
                                                                          anticoncurrentielles, point 43.
                                                                      2   On sait, en effet, que le contentieux des pratiques anticoncurrentielles est aujourd’hui confié en France
                                                                          à des juridictions spécialisées (art. L. 420-7 et R. 420-3 à 5 du code de commerce). Cette spécialisation
                                                                          peine cependant à trouver sa place.
                                                                      3   V. not. arrêts CJCE, 28 février 1991, Delimitis, aff. C-234/89, point 53, Rec. 1991, p. I-935 et TPICE
                                                                          18 septembre 1996, Potsbank, aff. T-353/94, Rec. 1996 II - 00921, point 64.

                                          Concurrences N° 4-2012 I Doctrines I E. Claudel,    38    Amicus curiae : Bilan en demi-teinte de la pratique européenne et française
L’article 15 du règlement (CE) no 1/2003 a été utilement                                Il a par ailleurs été relevé que l’obligation de confidentialité

                                                                                                                                                                             Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
                                                                                                                                                                             (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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complété par la Communication no 2004-C 101 du 27 avril                                 qui s’attache aux arbitres rendrait bien difficile la
2004 sur la coopération entre la Commission et les                                      participation à une procédure de coopération “qui suppose
juridictions nationales pour l’application des articles 81 et 82                        que toute procédure soit connue des autorités nationales et
CE, à laquelle il sera fait d’amples références4.                                       européennes responsables du respect des règles du droit de la
                                                                                        concurrence”10. La question n’est assurément pas close11, et
3. Les principes guidant l’intervention de la Commission :                              n’appelle sans doute pas une réponse uniforme selon que
neutralité et objectivité. Si les contentieux objectifs et subjectifs                   l’on s’interroge sur la possibilité pour l’arbitre d’interroger la
sont clairement distincts, ils ne sont pas parfaitement étanches.                       Commission12 ou une autorité nationale – ce qui ne semble
La procédure d’amicus curiae tend à dessiner des passerelles                            pas totalement exclu –, ou sur la possibilité pour ces autorités
entre eux. Ces passerelles ne doivent pas sonner le glas de                             d’intervenir spontanément dans un contentieux arbitral,
l’indépendance des juges, pas plus qu’obscurcir la distinction                          hypothèse, quant à elle, sévèrement réfutée13.
entre les deux contentieux, qui poursuivent des objectifs
différents. C’est pourquoi la Commission a précisé que                                  En revanche, le juge est entendu comme englobant non
“quelle que soit la forme de la coopération avec les juridictions                       seulement les juridictions de droit commun ou spécialisées,
nationales, [elle] respectera leur indépendance”5 et qu’“[en]”                          appelées à trancher des litiges entre particuliers, mais
remplissant son devoir d’assistance aux juridictions nationales                         également les juridictions en charge du contrôle juridictionnel,
dans l’application des règles de concurrence communautaires                             telles que la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ou
(…) [elle] doit rester neutre et objective. En effet, l’assistance                      encore, de façon plus discutable14, les juridictions intervenant
apportée par la Commission aux juridictions nationales relève                           exceptionnellement comme autorités de concurrence.
de son devoir de défense de l’intérêt public. Elle n’est donc pas
destinée à servir les intérêts privés des parties en cause dans                         Si l’on s’intéresse enfin aux débiteurs de cette procédure,
l’affaire pendante devant la juridiction nationale”.                                    on ne peut que constater qu’ils sont peu nombreux.
                                                                                        Le juge intéressé ne pourra rechercher le soutien que de
4. Un champ d’intervention intuitu materiae et intuitu                                  la Commission européenne ou de l’autorité nationale de
personae circonscrit. L’intervention des autorités de                                   concurrence de l’État membre dont il relève, sans pouvoir
concurrence est limitée dans les textes aux hypothèses où                               solliciter l’aide d’autres autorités de concurrence, le juge
les juges nationaux sont appelés à statuer sur le droit des                             n’étant pas membre du réseau d’autorités de concurrence15.
pratiques anticoncurrentielles. Il n’existe aucune disposition
autorisant explicitement ces autorités à intervenir en droit
des concentrations6 ou en droit des aides d’État7.

Par ailleurs, à l’exclusion de l’arbitre, seul le juge bénéficie de
cet amical soutien. L’article 15 du règlement (CE) no 1/2003
ne fait référence qu’aux juridictions, au sens étroit du terme8.
Ainsi que le rappelle Laurence Idot, “la coopération entre la
Commission et les juridictions nationales des États membres
trouve son fondement dans le principe de coopération loyale
(…), lequel ne s’applique pas aux arbitres qui n’ont pas de for9.”
                                                                                        10   Y. Derains, L’arbitre, la Commission et la Cour : Questions de procédure,
                                                                                             Gaz. Pal. 20 mai 2003, no 149, p. 45.
4   Cette communication reprend pour partie les termes de la communication
                                                                                        11   V. sur cette question l’intéressante et nuancée contribution de
    du 13 février 1993 sur cette même coopération, qui elle-même s’inscrivait
                                                                                             C. Nourissat, La place de l’arbitrage dans le nouveau paysage
    dans les termes de l’arrêt Delimitis du 28 février 1991, aff. C-234/89, Rec.
                                                                                             communautaire de la concurrence, in Le nouveau règlement d’application
    p. I-935.
                                                                                             du droit communautaire de la concurrence : un défi pour les juridictions
5   Communication du 27 avril 2004, point 19.                                                françaises, Dalloz 2004, Thèmes et commentaires, p. 51.
6   Nous verrons cependant que le Conseil d’État français n’a pas hésité                12   De nombreux auteurs estiment ce cas de figure envisageable, même s’il
    à saisir le Conseil de la concurrence pour avis. Cf. infra, no 21 in fine.               n’est pas prévu par les textes. En ce sens, Y. Derains, article précité ;
    En revanche, la cour d’appel de Paris a refusé, quant à elle, de sortir du               C. Nourissat, article précité ; L Idot, Le nouveau système communautaire
    cadre de l’article L. 462-3 du code de commerce (Paris, 18 juin 2008,                    de mise en œuvre des articles 81 et 82, Bruylant, série concurrence, 2004,
    no 07/17715, sur TGI Paris no 18/09.2007, Canal + Fr c/ P).                              no 171 et s. Interrogée sur ce point en 2003 , la DG concurrence a répondu
                                                                                             qu’elle apporterait dans toute la mesure du possible son concours à
7   Mais une communication publiée le 25 février 2009 relative à l’application
                                                                                             l’arbitre, mais que cette position ne pouvait rester que confidentielle au
    des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (JOUE
                                                                                             risque d’être débordée. Elle ajoutait que les juridictions seraient quoiqu’il
    no C85 du 9 avril 2009, p. 1) révèle une volonté manifeste de la Commission
                                                                                             en soit prioritaires : V. H. Lesguillons, La solitude pondérée de l’arbitre
    de renforcer la coopération avec les juridictions nationales, même si
                                                                                             face au droit de la concurrence, Gaz. Pal. 29 mai 2003, p. 1495, sp. 1498.
    aucune procédure d’amicus curiae n’existe en ce domaine. V. J. Derenne,
    Concurrences no 2-2009, pp.149-150.                                                 13   En ce sens, v. notamment G. Canivet, La mise en œuvre du droit de
                                                                                             la concurrence par les juridictions arbitrales, in L’application en France
8   La Cour de justice a considéré que l’arbitre n’était pas une juridiction
                                                                                             du droit des pratiques anticoncurrentielles, LGD, coll. Dr. Aff., 2008,
    et ne pouvait la saisir d’une question préjudicielle (not. CJCE, 23 mars
                                                                                             no 885 et s.
    1982, Nordsee, aff. 102/81, Rec. p. 1095). En France, en revanche, de
    nombreux auteurs considèrent que le terme “juridiction” mentionné à                 14   En ce sens, L. Idot, Le nouveau système communautaire de mise en œuvre
    l’article L. 470-5 du code de commerce peut être entendu au sens large et                des articles 81 et 82 CE, Bruylant 2004, no 170, qui juge “regrettable” ce
    viser les arbitres. En ce sens, L. Idot, note sous CA Paris, 28 avril 1998,              dédoublement fonctionnel. Du même auteur, V. La coopération entre
    Rev. arb. 1989, p. 304 et J.-H. Moitry, Arbitrage international et droit                 la Commission européenne et les juridictions nationales en droit de la
    de la concurrence : vers un ordre public de la Lex Mercatoria, Rev. arb.                 concurrence, Rev. Aff. europ. 2009/2010 n°1 pp.59-72.
    1989, p. 3.
                                                                                        15 J. Riffault-Silk, participation au colloque « Droit et économie de la
9   L. Idot, arbitrage et droit de la concurrence, Concurrences no 4-2010,                 concurrence », Cour de cassation 17 octobre 2005, Le point de vue des
    no 44194.                                                                              magistrats.

                           Concurrences N° 4-2012 I Doctrines I E. Claudel,        39   Amicus curiae : Bilan en demi-teinte de la pratique européenne et française
5. Un statut juridique incertain. Ni les textes européens ni les
                                                                                       I. Un ami curieusement peu

                                                                                                                                                                             Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
                                                                                                                                                                             (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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textes nationaux ne précisent le statut de l’amicus curiae16. Il est
souvent assimilé à un expert17, mais d’aucuns considèrent                              sollicité : Les procédures d’avis
qu’il est plus que cela. Un auteur estime qu’“[à] la différence
d’un expert, l’autorité de la concurrence dispose d’une légitimité
                                                                                       rarement mobilisées
qui l’autorise à formuler un avis en droit sur le type d’analyse                       7. L’article 15 § 1 du règlement (CE) n° 1/2003 autorise les
économique qu’appelle l’interprétation de la règle, un avis sur                        juridictions nationales appliquant les articles 81 et 82 CE
la qualification des faits ou encore un avis sur les qualifications                    (devenus 101 et 102 TFUE) à saisir la Commission d’une
qui lui paraissent acceptables. Le domaine de l’avis est donc                          demande d’informations lorsqu’ils appliquent les articles 81
plus large que celui de l’expertise”18.                                                et 82 (devenus 101 et 102 TFUE) ou d’une demande d’avis
                                                                                       au sujet de questions relatives à l’application des règles
6. Ambivalence de la fonction impartie à l’amicus curiae :                             communautaires de concurrence (1.). Cette dernière
un soutien du private enforcement mais conformément à sa                               possibilité, qui sera seule étudiée, est d’un grand intérêt
mission de public enforcement. On sait aujourd’hui que                                 pour le juge, mal armé face à certaines questions complexes.
les actions en dommages et intérêts sont espérées plus                                 Elle a un pendant en droit national, l’article L. 462-3 du
nombreuses afin de rendre plus effective la pénétration des                            code de commerce autorisant ces mêmes juridictions à saisir
règles concurrentielles et plus dissuasive encore la sanction                          l’Autorité de la concurrence pour avis (2.).
de leur irrespect19. On comprend dès lors que le juge fasse
l’objet de l’amicale attention des autorités de concurrence.
Il doit pouvoir appliquer les règles de concurrence sans                               1. La saisine la Commission européenne
que la technicité de celles-ci ou la complexité des analyses                           à l’initiative des juges : Une aide
économiques requises le freine dans sa mission. S’il le
souhaite, l’Autorité de concurrence est donc à sa disposition                          marquée du sceau de la neutralité
pour suppléer son éventuelle carence.
                                                                                       8. Après avoir exposé la procédure d’avis telle qu’elle
                                                                                       a été conçue dans les textes et précisée par les juridictions
Mais le juge doit agir sans porter atteinte à la qualité et à
                                                                                       de contrôle (1.1.), nous examinerons la façon dont elle est
l’uniformité du droit de la concurrence. L’amicus curiae a dès
                                                                                       pratiquée par la Commission (1.2.).
lors cette autre fonction, qui n’est évidemment pas clairement
distincte de la précédente, qui est d’assurer l’application
cohérente et effective des dispositions du droit européen de                           1.1. La procédure d’avis dans les textes et sous
la concurrence. L’intervention de l’Autorité de concurrence                            le contrôle des juridictions européennes
peut dès lors se faire plus autoritaire, ou à tout le moins
plus spontanée. Cet aspect de la mission de l’amicus curiae                            9. Objet des avis susceptibles d’être sollicités : avis
trouble la distinction entre contentieux objectif et subjectif et                      sur des questions économiques, factuelles ou juridiques.
autorise une immixtion du premier dans le second.                                      Les juridictions appelées à statuer sur le fondement des
                                                                                       articles 101 et 102 ne sont pas démunies : elles peuvent
Cette réserve n’empêche pas de considérer que les passerelles                          puiser dans les nombreux arrêts et décisions rendues par
ainsi organisées sont précieuses. L’on peut donc s’étonner de                          les instances européennes, ou dans les lignes directrices et
constater que certaines de ces procédures sont peu mobilisées.                         communications diverses publiées par la Commission. Il peut
C’est le cas de la procédure d’avis, à l’initiative des juges                          arriver cependant qu’elles soient confrontées à un problème
(I.). Le dépôt d’observations à l’initiative des autorités de                          d’interprétation de ces sources, ou aient besoin d’un éclairage
concurrence est une pratique plus vigoureuse, mais exercée                             plus spécifique au secteur qu’elles étudient, ou encore soient
dans des conditions très différentes par la Commission et par                          confrontées à une opération dont la réalisation leur semble
l’autorité française (II.).                                                            excéder leur compétence ou supposant des informations hors
                                                                                       de leur portée. C’est tout l’intérêt de la procédure d’avis, qui
                                                                                       va leur permettre d’obtenir les informations factuelles ou la
                                                                                       clarification en matière économique ou juridique dont elles
16   À noter cependant : un décret du 22 février 2010 relatif aux compétences
     et au fonctionnement des juridictions administratives a organisé la               ont besoin. Ce faisant, les avis peuvent utilement compléter
     procédure d’amicus curiae devant ces tribunaux (nouvel article R. 625-3           le mécanisme de questions préjudicielles20 et constituent une
     du CJA).                                                                          aide à la preuve bienvenue. Ils peuvent d’ailleurs contribuer à
17   Pour exemples, C. Lucas de Leyssac, Rapport de synthèse, La sanction              rétablir l’égalité des parties dans la charge de la preuve21.
     judiciaire des pratiques anticoncurrentielles, LPA 20 janvier 2005,
     p. 65 ; D. Dumont, Application du droit de la concurrence aux activités
     publiques, Juris. adm. Fasc. 292, point 63 ; G. Clamour et S. Destours,
                                                                                       20   La Cour de justice n’interviendra que pour régler un problème
     Droit public de la concurrence , Juris‑Class. Collectivités territoriales,
                                                                                            d’interprétation du droit de la concurrence. La Commission sera davantage
     Fasc. 724-20. Contra Paris 21 et 6 juin. 1998 qui considère (mais sans
                                                                                            appelée à intervenir sur des questions factuelles et économiques, tout en
     viser l’autorité de concurrence) que l’amicus curiae “n’est ni un témoin,
                                                                                            étant également appelée à interpréter la règle. Les deux institutions sont
     ni un expert et il n’est pas soumis aux règles de la récusation”, cité par
                                                                                            donc des compétences concurrentes sur ce dernier chef, mais leur analyse
     G. Canivet, L’amicus curiae en France et aux États-Unis, RJCom.
                                                                                            n’a évidemment pas la même portée. Par ailleurs, l’avis de la Commission
     1er mars 2005, regards, pp. 99-113.
                                                                                            ne porte pas préjudice à la possibilité de saisir la Cour d’une question
18   A.-L. Sibony, Le juge et le raisonnement économique en droit de la                     préjudicielle : point 27 de la communication no 2004 C 101-04.
     concurrence, LGDJ, coll. Droit & Économie, 2008, no 962. Dans le même
                                                                                       21   J. Vialens, Les garanties d’une application uniforme et cohérente du droit
     sens, G. Canivet, cité supra.
                                                                                            communautaire des pratiques anticoncurrentielles par les juridictions de droit
19   V. not. le livre blanc de la Commission européenne sur les actions en                  commun, in L’application en France du droit des pratiques anticoncurrentielles
     dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les                 par M.-C. Boutard Labarde, G. Canivet, E. Claudel, V. Michel Amsellem et
     ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final.                       J. Vialens, LGDJ 2008, coll. Dr. des aff., pp. 717 et s.

                           Concurrences N° 4-2012 I Doctrines I E. Claudel,       40   Amicus curiae : Bilan en demi-teinte de la pratique européenne et française
La Commission ne se substitue cependant pas aux                                        saisissante, sachant qu’il lui est loisible de lui demander des

                                                                                                                                                                              Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
                                                                                                                                                                              (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
                                                                                                                                                                              constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
juridictions dans la résolution du litige. La communication                            informations complémentaires27. Elle ne procède en revanche
du 27 avril 2004 prend soin de préciser que la Commission ne                           à aucune mesure d’instruction, et ce trait distingue nettement
se prononce pas sur le fond de l’affaire22.                                            la procédure européenne de la procédure française. Elle rend
                                                                                       la procédure d’avis moins lourde pour la Commission,
10. Cadre procédural des avis : l’organisation du contradictoire.                      en même temps qu’elle peut affaiblir la qualité et la pertinence
Dans sa fiche de présentation de cette procédure23, la                                 des réponses apportées. Par ailleurs, conformément au
Commission indique que la juridiction qui la saisit doit                               principe de neutralité qu’elle a défini, elle n’entend pas les
brièvement présenter le contentieux à l’origine de la saisine,                         parties28.
les raisons qui la conduisent à s’adresser à elle et, le cas
échéant, un résumé des principaux arguments des parties.                               12. Délai et portée des avis transmis. La communication de la
Elle recommande également la plus grande concision et la                               Commission énonce que celle-ci s’efforcera de communiquer
plus grande clarté dans la présentation de la saisine. Mais là                         l’avis sollicité dans le délai de quatre mois, sauf si des
s’arrêtent les indications, le règlement (CE) no 1/2003 ne                             demandes d’informations complémentaires sont formulées.
prévoyant aucun cadre procédural pour ces demandes d’avis
et la communication du 7 avril 2004 se contentant de renvoyer                          Il faut enfin noter une différence essentielle entre un avis et un
aux droits nationaux.                                                                  arrêt en interprétation préjudiciel : l’avis de la Commission
                                                                                       ne lie pas la juridiction. Ce point est commandé par leur
Ce sont donc les dispositions du code de commerce qui vont                             indépendance. Cependant, “rarissimes sont les litiges pour le
là encore trouver application, et celles-ci ont été précisées par                      règlement desquels les juges nationaux osent se démarquer de
le décret no 2005-1668 du 27 décembre 200524, qui insère un                            l’opinion exprimée par la Commission, sans quoi la démarche
article R. 470-3 dans le code de commerce.                                             entreprise se révélerait finalement sans aucun intérêt”29.
                                                                                       Mais c’est déjà aborder la procédure telle qu’elle s’est
La juridiction qui entend saisir la Commission pour avis doit                          développée en pratique.
en aviser les parties, et les inviter à produire des observations
sur la question soulevée dans la demande dans un délai qu’elle
fixe. Ces observations seront jointes à la demande d’avis. Il s’agit                   1.2. Les demandes d’informations et d’avis en pratique
d’une bonne précaution susceptible d’éviter que la Commission
européenne soit otage d’une question mal posée ou trop à charge                        13. Cinq avis seulement ayant été publiés30, il est difficile d’en
pour une des parties, sachant que la Commission se refuse à                            dresser un bilan exhaustif, et même pertinent. Par ailleurs,
entendre les protagonistes. La demande d’avis à la Commission                          les langues de publication peuvent les rendre inaccessibles.
n’est en revanche pas susceptible de recours25. Elle a pour effet                      Nous tenterons néanmoins l’exercice.
de suspendre la procédure jusqu’à la réception de l’avis ou
jusqu’à un délai que le juge fixe.
                                                                                       1.2.1. Bilan statistique : Une procédure peu mobilisée
Une fois l’avis rendu par la Commission européenne, cet                                14. À notre connaissance31, vingt-quatre avis ont été délivrés.
avis est à nouveau soumis à la contradiction26. Il s’agit                              Le pays le plus demandeur est l’Espagne avec douze avis
d’un dispositif essentiel compte tenu de l’autorité morale                             sollicités, suivi par la Belgique, avec six avis sollicités, puis la
considérable qui s’y attache et qui peut être de nature à                              Lituanie (trois avis) et la Suède (deux avis). Aucune juridiction
emporter facilement la conviction du juge.                                             française n’a sollicité la Commission. Cette inertie française
                                                                                       tend à accréditer l’idée d’une certaine acculturation de notre
11. Les documents fondant l’analyse de la Commission                                   pays vis-à-vis de la procédure d’amicus curiae. Mais c’est un
européenne : l’absence d’investigation. La Commission fonde                            constat global qui s’impose : la coopération à l’initiative des
son avis sur les documents que lui communique la juridiction                           juges est un relatif échec.

22   Point 29 de la communication no 2004-C 101-04 du 27 avril 2004.
     V.également l’avis adressé à la Cour suprême suédoise le 1er mars 2007,           27   Communication no 2004-C 101-04 du 27 avril 2004, point 28.
     aff. T. 2808/05.
                                                                                       28   La communication du 27 avril 2004 précise que “[s]i la Commission a été
23   http://ec.europa.eu/competition/court/antitrust_requests.html.                         contactée par l’une quelconque des parties à l’affaire en instance devant la
                                                                                            juridiction nationale sur des points soulevés devant cette juridiction, elle en
24   Décret portant modification du décret no 2002-689 du 30 avril 2002,
                                                                                            informe cette dernière ( ) » (point 19).
     JO no 302 du 29 décembre 2005, p. 2021. Ce même décret organise
     également la communication d’informations par la Commission au                    29   J. Vialens, La coopération entre autorités spécialisées et juridictions des
     bénéfice des juridictions, en application de l’article 15 § 1 du règlement             différents États membres au service de la création du droit communautaire
     no 1/2003 (art. R. 470-4 du code de commerce) ainsi que la notification à              de la concurrence, LPA 28 janvier 2008, no 20, p. 5.
     la Commission des décisions rendues sur le fondement des articles 101 et
                                                                                       30   Avis Laurent Emond c/ Brasserie Haacht, Sabam c/ Productions and
     102 TFUE (art. R. 470-2).
                                                                                            Marketting, Wallonie Expo SA c/ Febiac asbl, tous trois rendus le
25   Il en est de même de la demande tendant à la communication                             2 février 2005 au bénéfice de la CA de Bruxelles ; avis Danska Staten
     d’informations. Il faut donc comprendre que ces actes sont à la discrétion             genom BornohlmsTrafiken v. Ystad Hamm Logistik Aktiebolag, rendu le
     du juge.                                                                               16 février 2007 au bénéfice du Hogsta Domstolen (en langue originale) ;
                                                                                            et enfin avis UAB Schneidersöhne Baltija/UAB Libra Vitalis, rendu le
26   Il a été relevé que cette procédure était très proche de celle prévue
                                                                                            20 juillet 2008 au bénéfice de la Cour suprême de Lituanie (en version
     aux articles 1031-1 à 1031-7 du nouveau code de procédure civile.
                                                                                            bilingue, seuls certains éléments étant traduits en français).
     En ce sens, G. Canivet et C. Champalaune, La décentralisation du
     droit communautaire de la concurrence et le rôle du juge national, in             31   Les informations délivrées par la Commission dans ses rapports annuels
     Le nouveau droit communautaire de la concurrence, pp. 477 à 515, spéc.                 ne sont pas d’une totale limpidité et rendent difficile l’établissement de
     no 1099 et s.                                                                          statistiques fiables.

                           Concurrences N° 4-2012 I Doctrines I E. Claudel,       41   Amicus curiae : Bilan en demi-teinte de la pratique européenne et française
On peut avancer plusieurs explications32. La première tient sans                             Dans l’affaire Wallonie Expo SA/Febiac asbl38, la Commission

                                                                                                                                                                           Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
                                                                                                                                                                           (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
                                                                                                                                                                           constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
doute à la rareté des actions civiles elles-mêmes, souvent relevée                           était appelée à donner un avis sur l’applicabilité du droit
et déplorée, et à la faveur pour les procédures d’arbitrage ou                               communautaire (la réponse est neutre et fondée sur les textes
de médiation. D’autres explications, pour certaines moins                                    et la jurisprudence pertinente), sur l’application de l’article 81
avouables, peuvent être avancées : méconnaissance de cette                                   § 1 CE à un règlement organisant l’exposition de véhicules
procédure, réflexe de repli, crainte ou trop grande révérence vis-                           lors d’un salon et contenant une clause de non-concurrence
à-vis de l’institution européenne, crainte d’un ralentissement                               (les effets de forclusion sont listés par la Commission qui
des procédures dans un contexte d’engorgement qui oblige à                                   invite cependant le juge à se livrer à une analyse économique
aller vite pour réduire le stock des affaires en instance, ou, de                            des effets potentiels ou réels sur le marché), sur l’application
façon plus gênante, perméabilité et sensibilité insuffisante au                              du § 3 du même article (une ébauche d’application des quatre
droit européen de la concurrence33. Il est certain en tout cas                               conditions requises est esquissée dans le cas d’espèce) et
que les parties ont quelquefois sollicité une saisine pour avis                              enfin sur l’application de l’article 82. À l’issue de cet avis, la
qui leur a été refusée34, le juge étant libre de requérir ou non                             conviction du juge, si elle ne peut être directement emportée,
l’assistance qui lui est proposée.                                                           paraît plus facile à établir.

1.2.2. Bilan des secteurs explorés et des questions posées                                   Dans l’avis UAB Schneidersöhne Baltija/UAB Libra Vitalis39,
                                                                                             la Commission était enfin appelée à se prononcer sur la
15. Si l’on s’arrête aux avis publiés35, on constate que la                                  compatibilité avec l’article 81 d’une entente d’échange
Commission a été saisie pour avis – en même temps qu’il                                      d’informations entre concurrents sur le marché de la vente
lui était demandé de communiquer à la juridiction toute                                      en gros de papier en Lituanie. Une des questions portait sur
information utile – sur des questions très diverses.                                         le fait que la démonstration d’un marché oligopolistique
                                                                                             fortement concentré était requise. La Commission a répondu
Dans l’avis Sabam c/ Productions and Marketting36, la                                        en s’appuyant sur l’arrêt John Deere tout en livrant une
Commission était interrogée sur le fait qu’une société de gestion                            lecture assez personnelle des critères requis pour apprécier la
collective de droits d’auteurs puisse être en position dominante,                            licéité des échanges d’informations, selon que la pratique peut
sur le fait que sa politique de rabais puisse constituer des abus                            être considérée comme anticoncurrentielle par objet ou par
de position dominante et sur le caractère anticoncurrentiel                                  effet, et selon que celui-ci est actuel ou potentiel. Elle refuse
d’une période d’essai. La lecture de cet avis montre que, sans                               cependant de se prononcer sur le caractère anticoncurrentiel
se prononcer explicitement sur le caractère anticoncurrentiel                                du cas soumis à son analyse. Dans cet avis, la Commission
des pratiques concernées, la Commission livre une grille de                                  a répondu précisément aux questions posées, mais en s’en
lecture assez précise et factuelle au juge, qui se trouve ensuite                            tenant à une analyse strictement juridique qui prend appui
bien armé pour en tirer les conclusions qui s’imposent.                                      sur des précédents jurisprudentiels. La généralité de certaines
                                                                                             réponses en même temps que leur précision, l’éclairage
Dans l’avis Laurent Emond c/ Brasserie Haacht37, la                                          qu’ils apportent, font de cet avis un texte utile au-delà du
Commission était interrogée sur la licéité au regard de                                      cas d’espèce, et fait d’autant plus regretter le caractère non
l’article 81 § 1, d’un accord d’achat exclusif portant sur                                   systématique des publication
des boissons (la réponse est neutre et fondée sur les textes
et la jurisprudence pertinente), l’éventuelle application de
l’article 81 § 3 (l’approche de la Commission est ici plus                                   1.2.3. Bilan qualitatif
concrète concernant l’applicabilité éventuelle des règlements
                                                                                             16. Il est difficile de savoir si le délai de quatre mois prévu
d’exemption qui se sont succédé), et la portée d’une éventuelle
                                                                                             par les textes est toujours respecté, compte tenu de la rareté
nullité (une liste des arrêts pertinents est dressée).
                                                                                             des publications. Le fait que la Commission se prononce
                                                                                             au vu des éléments qui lui sont fournis sans procéder à des
32   On écartera l’explication, improbable, qui consisterait à déduire la
     rareté de cette procédure de son inutilité au motif que les juges seraient              investigations supplémentaires semble favoriser le respect de
     parfaitement rompus aux subtilités de l’analyse concurrentielle.                        cette discipline.
33   On sait que l’article 3 du règlement (CE) no 1/2003 oblige pourtant les
     juridictions nationales à appliquer le droit européen de la concurrence                 Les avis publiés sont globalement assez brefs et pédagogiques
     lorsque les pratiques qu’elles examinent sont susceptibles d’affecter le
     commerce entre États membres.                                                           en ce qu’ils proposent tous au juge une grille de lecture pour
34   V. not. TGI Strasbourg (2e ch. Com.), 4 février 2005, Brasseries                        l’aider à la résolution de son cas. Ils présentent néanmoins
     Kronembourg c/ SARL JBEG.                                                               un intérêt immédiat inégal pour la juridiction requérante,
35   Il est cependant possible d’avoir un bref aperçu de certains des avis non               selon que la Commission se contente de présenter des textes,
     publiés grâce aux rapports annuels de la Commission. Elle s’est ainsi                   arrêts et décisions pertinents pour la résolution du cas (ce qui
     prononcée :
     – sur l’applicabilité du règlement no 26/62 sur l’application de certaines              présente déjà une utilité indéniable), ou selon qu’elle intègre
     règles de concurrence aux produits agricoles dans une affaire concernant des            à son analyse des éléments factuels, empruntés au cas qui lui
     attributions de quotas en matière de larves de moules aux Pays-Bas (2006) ;             est soumis.
     – sur la conformité à l’article 82 des conditions générales figurant dans
     un contrat de pilotage contenant une clause de non-concurrence et une
     clause d’indemnisation (Belgique 2006) ;                                                Les avis rendus par l’autorité française, qui n’est pas astreinte
     – sur la compatibilité d’un accord d’achat exclusif de produits pétroliers
     (Espagne 2005) ;
                                                                                             à la même neutralité, sont plus directement mobilisables.
     – sur la licéité au regard des articles 82 et 26 de l’octroi d’un droit exclusif
     dans le secteur de la gestion des déchets (Lituanie 2005).
36   Précitée, note 30.                                                                      38   Id.
37   Précitée, note 30.                                                                      39   Id.

                             Concurrences N° 4-2012 I Doctrines I E. Claudel,           42   Amicus curiae : Bilan en demi-teinte de la pratique européenne et française
2. La saisine de l’Autorité                                                           En effet, l’avis de l’Autorité ne lie pas le juge, qui garde son

                                                                                                                                                                             Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
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                                                                                      indépendance44. En pratique cependant, l’autorité morale
de la concurrence à l’initiative des juges                                            attachée à l’avis et la logique même de la consultation, qui
                                                                                      suppose que le juge se soit estimé démuni ou insuffisamment
17. La possibilité de saisir l’autorité française pour avis
                                                                                      informé, expliquent que les avis soient généralement suivis45.
est ancienne puisqu’elle a été introduite dès 1986, à travers
                                                                                      Il arrive cependant que la juridiction saisissante s’en
l’article 26 de l’ordonnance du 1er décembre, qui prévoyait la
                                                                                      démarque46.
possibilité de saisir le Conseil de la concurrence pour avis sur
des pratiques anticoncurrentielles définies dans l’ordonnance.
Elle a été étendue en 200440 aux pratiques contraires aux
                                                                                      2.1.2. L’organisation du contradictoire (art. R. 462-3
articles 81 et 82 CE (101 et 102 TFUE). Elle est aujourd’hui
                                                                                      du code de commerce)
consacrée à l’article L. 462-3 du code de commerce, qu’il est
question de compléter par une possibilité – que l’on comprend                         19. L’article L. 462-3 du code de commerce prévoit que l’avis
plus informelle – d’inviter l’autorité à éclairer une juridiction                     ne peut être donné qu’après une procédure contradictoire,
sur une question relative aux pratiques anticoncurrentielles                          laquelle est organisée par l’article R 462-3 : un rapport est
(art. 462-III II à créer).                                                            notifié par le rapporteur général aux parties en cause devant
                                                                                      la juridiction, au commissaire du gouvernement auprès de
                                                                                      l’Autorité de la concurrence et, le cas échéant, aux autres
2.1. La procédure d’avis dans les textes                                              personnes dont les agissements ont été examinés. Il est prévu
                                                                                      que le rapporteur général fixe aux destinataires un délai de
2.1.1. Objet et force des avis sollicités de l’Autorité                               réponse, qui ne peut être inférieur à un mois à compter de la
de la concurrence                                                                     notification du rapport, pour consulter le dossier et présenter
                                                                                      des observations écrites.
18. L’article L. 462-3 prévoit que l’Autorité peut être
consultée par les juridictions, sans distinction, sur les                             L’article L. 462-3 précise cependant que ce contradictoire
pratiques anticoncurrentielles définies aux articles L. 420-1                         exigeant peut ne pas être respecté si l’Autorité dispose
et suivants du code de commerce, ainsi qu’aux articles 101 et                         d’informations déjà recueillies au cours d’une procédure
102 TFUE, ce qui évite au juge d’éventuellement diviser sa                            antérieure47.
saisine entre la Commission et l’autorité nationale41.
                                                                                      L’avis de l’Autorité de la concurrence rendu à la juridiction
La référence faite par le texte aux “pratiques                                        qui l’a consultée est communiqué aux personnes auquel le
anticoncurrentielles” ne fait pas obstacle à ce que l’Autorité                        rapport a été notifié et cet avis pourra être publié après le
soit interrogée uniquement sur la délimitation d’un marché                            non-lieu ou le jugement (art. L. 462-3, al. 3). Nous verrons
pertinent et la détermination de la position économique                               que cette exigence peut de facto compromettre la publication.
d’un opérateur42. S’inspirant de la pratique des questions
préjudicielles, l’autorité française considère ne pas être
contrainte “de se saisir d’une question non posée par la                              2.2. Les demandes d’avis en pratique
juridiction saisissante ou de reformuler les questions transmises
par elle, celle‑ci étant seule juge de la pertinence des questions
                                                                                      2.2.1. Bilan statistique : Une procédure également
soumises à l’avis du Conseil”43.
                                                                                      peu mobilisée
Lorsqu’elle formule un avis, l’Autorité de la concurrence peut                        20. Les chiffres sont éloquents : depuis 1987, soit depuis
qualifier les faits (sans évidemment préconiser de sanction),                         35 ans, le Conseil de la concurrence puis l’Autorité de la
ce qui constitue une différence notable avec l’avis délivré par                       concurrence n’ont été, à notre connaissance, saisis pour avis
la Commission européenne. Ce trait fait de la procédure
d’avis française un outil plus directement utile pour le juge,
qui trouve une réponse immédiate à l’interrogation qu’il
formule, même s’il garde toute liberté pour adopter un point
de vue contraire.
                                                                                      44   D’une façon générale, les avis délivrés par les autorités administratives
                                                                                           indépendantes ne peuvent lier les autorités juridictionnelles : V. Cons.
                                                                                           const. 11 janvier 1990, déc. no 89-271 DC, qui considère, en application
                                                                                           de l’article 64 de la Constitution, “que l’indépendance des juridictions est
                                                                                           garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne
                                                                                           peuvent empiéter ni le législateur, ni le Gouvernement, non plus qu’aucune
                                                                                           autorité administrative”
                                                                                      45   Cette affirmation doit être nuancée par le fait qu’il n’existe pas de suivi
                                                                                           systématique des avis rendus, même si l’Autorité de concurrence tend
40   Ordonnance no 2004-117 du 4 novembre 2004.
                                                                                           aujourd’hui à en faire mention.
41   En ce sens, J. Vialens, in L’application en France du droit des pratiques
                                                                                      46   V. les trois arrêts rendus par le Conseil d’État le 10 décembre 2007,
     anticoncurrentielles, précité, no 845, p. 742.
                                                                                           no 289012, Powéo, qui se démarquent sur plusieurs points de l’analyse
42   Avis n 05-A-20 du 5 novembre 2005, Luk Lamellen, points 22 et s.
           o
                                                                                           du Conseil, et plus encore l’arrêt du Conseil d’État du 16 juin 2004,
                                                                                           nos 235-176, 238290, 238291, Mutuelle générale des services publics, AJDA
43   Notons cependant que, dans un avis no 92-A-10 du 24 novembre 1992
                                                                                           2004, no 28, p. 1509, note N. Charbit.
     relatif aux questions posées par le tribunal de grande instance de
     Clermont-Ferrand, le Conseil avait légèrement reformulé la question              47   L’expérience de l’ancienne commission de la concurrence a en effet
     posée.                                                                                montré qu’il existait des saisines répétitives.

                           Concurrences N° 4-2012 I Doctrines I E. Claudel,      43   Amicus curiae : Bilan en demi-teinte de la pratique européenne et française
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