Entreprises sponsors de la COP26 : une barrière à une juste transition écologique

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Entreprises sponsors de la COP26 :
une barrière à une juste transition écologique

[Voici un texte qui nous provient d’ami-es luttant au Royaume-Uni auprès du collectif Earth
Strike ! (« grève de la Terre ! ») pour une justice sociale et climatique. Au mois de novembre 2021
se tenait à Glasgow la COP26, au cours de laquelle de nombreux collectifs britanniques et
européens ont convergé pour participer à un contre sommet, dénonçant la malhonnêteté des
gouvernements et des entreprises partenaires de l’événement. Cet article, détaillé et renseigné, vise
à révéler les affaires écocidaires que ces partenaires mènent en parallèle d’événements comme
celui de la COP, qui sert avant tout de greenwash aux pays et aux multinationales y participant que
d’organisation contre le changement climatique. Vous pouvez trouver l’article original ici (ainsi
que d’autres articles du collectif sur le même site) : https://earth-strike.co.uk/cop26-corporate-
sponsors-a-barrier-to-a-just-transition/ ]

Au mois de novembre de l’an passé, des chefs d’État et représentants de la plupart des
gouvernement mondiaux se sont rencontrés à Glasgow pour discuter des réponses pouvant être
apportées à la crise climatique, espérant déboucher sur un accord qui nous sauverait toutes et tous
des effets les plus dévastateurs du changement climatique. Ils ont échoué. Tandis que la conférence
s’est clôturée sur un accord, celui-ci n’était en rien suffisant pour empêcher un réchauffement de la
température globale au-delà de 1,5 °C.

La COP26 était soutenue par un large panel d’importantes multinationales dont l’engagement, s’il
n’est pas directement responsable de l’échec de la conférence, a du moins donné un aperçu de la
démarche profondément défectueuse portée par les personnes au pouvoir qui a finalement abouti à
ce que la COP26 (et toutes les autres conférences sur le climat avant elle) se termine de manière si
catastrophique.

Vingt-trois entreprises sont répertoriées en tant que sponsors ou soutiens de la conférence, soit
comme partenaires principaux (Principal Partners), partenaires (Partners), ou prestataires
(Providers)1. Ces entreprises partenaires fournissent un soutien financier ainsi que des services sous
forme de dons. Bien qu’il soit difficile de savoir combien chacune de ces entreprises ont pu donner,
nous savons que leurs contributions ont été largement récompensées.

En échange, elles ont perçu des bénéfices sous forme de publicités et d’avantages relationnels et
commerciaux. C’est en particulier visible pour les onze partenaires principaux, dont les logos sont
répertoriés sur le site internet de la COP26, et apparaissent sur la plupart des pages du site. Et tout
cela s’ajoute aux contenus de marketing et de promotion qu’ils se sont créés pour eux-mêmes.

Les partenaires principaux ont également eu accès à un espace d’exposition à l’intérieur de la
« zone verte », une partie des locaux de la conférence qui était accessible au public, et ont
également eu l’opportunité d’organiser des événements intégrés au programme officiel de la zone
verte.

L’intérêt commercial du statut de sponsor pour la COP est clair et n’a pas grand-chose à voir avec la
volonté d’un changement réel et significatif. Sponsoriser la COP26 représentait l’opportunité pour
ces entreprises de démontrer leur conscience environnementale (en adoucissant leur image et en
gagnant la confiance des consommateurs soucieux de l’environnement), tout en s’arrogeant le droit
de s’immiscer dans la politique climatique et environnementale pour s’assurer qu’elle leur soit
profitable.

1   https://ukcop26.org/uk-presidency/partnerships-and-support/
Malgré leur engagement dans la COP26 et leur désir apparent de faire face à la crise climatique, ces
entreprises continuent de produire une quantité monstrueuse de dioxyde de carbone. Une recherche
récente menée par Ferret, un média écossais coopératif indépendant, a révélé que les onze
partenaires principaux à eux seuls sont responsables de l’émission de 350 millions de tonnes de C02
en 20202, c’est-à-dire plus que le total des émissions produites par le Royaume-Uni cette même
année ; en réaction, ces entreprises ont déclaré que certaines de ces émissions auraient pu être
comptabilisées plus d’une fois.

Les sponsors affirment avoir mis en place de programmes de décarbonisation. Ils ont également mis
en avant la réduction des émissions de C02 qu’ils avaient déjà effectuée, bien que cette réduction ne
sont pas toujours ce qu’elles semblent être.

Prenons l’exemple de l’entreprise Scottish Power. Elle a fièrement déclaré que l’ensemble de
l’énergie générée par la structure provenait de l’énergie éolienne, bien qu’elle l’obtienne en vendant
des investissements dans les combustibles fossiles à Drax 3, qui exploite la centrale à biomasse très
polluante du Yorkshire, pour un gain de £702 millions de livres sterling en 2018. Et en effet,
Scottish Power échoue non seulement à réduire son taux global d’émissions de carbone, mais la
perpétuation de ces émissions profitent à l’entreprise.

Le fait que la destruction de l’environnement puisse être dissimulé par la vente d’actifs de
combustibles fossiles d’une entreprise à une autre nous prouve qu’il n’est pas possible d’isoler les
sponsors du tout dans lequel ils se trouvent. Ils sont tous rattachés à un réseau capitaliste s’auto-
alimentant et se renforçant de lui-même. Même si nous décidons de croire Scottish Power quand
l’entreprise affirme produire uniquement de l’énergie renouvelable, nous devrions nous rappeler
que cette structure est une filiale du groupe espagnol Iberdrola, qui a construit quatre nouvelle
centrale électrique à gaz au Mexique depuis 20194.

De la même manière, Microsoft s’est engagé à avoir un « bilan carbone négatif » d’ici 20305, ce qui
signifie qu’il éliminerait de l’atmosphère plus de dioxyde de carbone qu’il n’en émet. Cet
engagement est fortement discrédité par les services que l’entreprise fournit à l’industrie minière et
pétrolière. En 2019, Microsoft s’est associé avec le géant pétrolier ExxonMobil 6 afin de lui
concevoir des logiciels permettant d’améliorer l’efficacité de ses opérations dans la région
pétrolifère du Bassin permien. Il a été estimé que les services de Microsoft pourraient permettre à
ExxonMobil d’extraire 50 000 barrels de pétrole de plus par jour d’ici 2025.

DLA Piper, un cabinet juridique multinational et prestataire auprès de la COP26, aime se vanter de
son soutien aux initiatives environnementales des entreprises, à la décarbonisation et au secteur des
énergies renouvelables. Mais il assure un soutien direct et concret aux industries pétrolières,
minières et de l’essence, à travers des cabinets-d’expertise-conseil et une représentation légale.
DLA Piper permet l’exploration, l’extraction et le transport du pétrole et des combustibles fossiles
en soutenant les offres de licences, le financement, l’acquisition d’actifs, l’arbitrage et la résolution
de conflits au sein de l’industrie.

Les multinationales opèrent au sein d’un réseau complexe de capitaux, liées entre elles par la
propriété, le commerce et des conseils. Bien qu’à première chacun de ces groupes puisse paraître

2   https://theferret.scot/cop26-sponsors-350m-tonnes-climate-pollution/
3   https://www.independent.co.uk/climate-change/news/scottish-power-wind-energy-renewable-drax-gas-station-
    climate-change-a8585961.html
4   https://theferret.scot/cop26-scottishpower-parent-firm-gas-plants-mexico/
5   https://blogs.microsoft.com/blog/2020/01/16/microsoft-will-be-carbon-negative-by-2030/
6   https://news.microsoft.com/2019/02/22/exxonmobil-to-increase-permian-profitability-through-digital-partnership-
    with-microsoft/&sa=D&source=docs&ust=1644968840601384&usg=AOvVaw2qiXZpRJ1phe6hknr76eRz
inoffensif, il reste que chaque partie joue un rôle dans la perpétuation du processus capitaliste en
cours.

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Étant donné la responsabilité de ces entreprises dans la destruction de l’environnement et les
émissions de carbone, leur partenariat à la COP26 et leurs revendications d’action climatique
prennent la forme d’un greenwashing flagrant, ce qui est non seulement malhonnête, mais ce qui a
également des conséquences dangereuses et réelles sur l’action climatique. Le greenwashing met en
avant de fausses solutions pour faire face à la crise, et suggère que des progrès sont fait là où en
réalité rien ne change, nous éloignant d’une véritablement action pour le climat.

La priorité donnée à la visibilité et à la publicité plutôt qu’à l’action climatique est particulièrement
bien illustrée par Reckitt (propriétaire de marques telles que Dettol), qui a accueilli un événement
de la COP26 sur un nouveau projet promouvant l’hygiène personnelle chez les jeunes (dont le lien
avec la crise climatique était peu perceptible), tandis que des présentations réellement liées au sujet
du changement climatique ont dû être annulées car aucun lieu n’avait été trouvé pour les y
organiser7.

Le partenaire principal de la COP26 Unilever a été félicité à de nombreuses reprises pour son
engagement tant social qu’environnemental pour le développement durable. S’il est considéré
comme un pionnier dans les pratiques durables à plusieurs niveaux, la raison première de son
apparent succès est que l’entreprise a participé à établir la définition même du développement
durable8. Unilever est le plus grand acheteur d’huile de palme « durable », bien que cette huile soit
produite à partir de pratiques qui sont loin d’être durables sur des terres qui étaient autrefois de
denses forêts tropicales. Et en plus de ses émissions carbone, de la destruction d’écosystèmes
entiers, et des violations des droits de l’homme, Unilever fait également usage de 600 000 tonnes
métriques de plastique chaque année9.

La crise climatique ne peut pas être séparée des autres luttes pour la justice. En plus de causer des
dommages environnementaux massifs, les partenaires de la COP26 sont responsables de la
suppression des droits des travailleur-ses et d’autres violations des droits de l’homme. Les syndicats
représentent l’outil le plus puissant dont les travailleur-ses peuvent se saisir pour se protéger et se
battre pour améliorer leurs lieux de travail et leurs communautés. Les syndicats ont un rôle essentiel
à jouer dans la construction d’un transition réellement juste.

Il s’agit d’un autre domaine dans lequel DLA Piper provoque de nombreux désastre. Le groupe agit
au nom d’autres entreprises pour contrer toute action syndicale à laquelle il pourrait être confronté.
L’entreprise a également un service dédié à la gestion et à l’interruption des activités syndicales
internationales10. Il propose ainsi des lobbys, des conseils, des stratégies médiatiques et une
représentation légale aux multinationales qui souhaitent empêcher leurs travailleurs de s’organiser
internationalement afin d’améliorer leurs conditions de travail et de contrebalancer le pouvoir de
l’entreprise.

En 2018, Ikea, partenaire de la COP26, a été accusé d’utiliser des tactiques d’intimidation à
l’encontre des organisations syndicales dans certains de ses magasins en Irlande, aux États-Unis et

7  https://twitter.com/GarethSimkins/status/1449018337409830920?s=20&t=kmwmGlOfeH2AU8mH85HlNg
8  https://newint.org/features/web-exclusive/2017/04/13/inside-unilever-sustainability-myth
9  https://www.greenpeace.org/static/planet4-netherlands-stateless/2019/03/b4d9ed80-factsheet-unilever-
   greenpeace.pdf
10 https://www.dlapiper.com/en/us/services/employment/strategic-union-campaigns/?tab=capabilities
au Portugal, allant même jusqu’à engager des cabinets de consultants juridiques notoirement connus
pour leurs actions antisyndicales11.

Ces sponsors promeuvent donc non seulement des activités qui détruisent notre environnement,
mais ils s’organisent également pour détruire les mécanismes que nous avons pu mettre en place en
tant que travailleur-ses pour nous battre pour nos droits au travail, dans nos communautés, et pour la
justice climatique.

À la lumière de cette responsabilité dans la destruction de l’environnement et dans la répression
sociale, nous devons nous demander : qu’est-ce qui amène ces entreprises à agir si dangereusement
devant l’effondrement climatique ? La réponse en est que la seule motivation de ces groupes est la
poursuite du profit et l’accumulation de richesses. Ils laisseront toujours des personnes mourir et le
monde brûler tant que cela leur procurera des bénéfices.

L’exemple le plus frappant de ce choix peut être illustré par GSK, une multinationale
pharmaceutique. Ce groupe s’est toujours battu pour faire respecter un contrôle strict des droits de
propriété intellectuelle sur les médicaments, empêchant de ce fait les peuples du Sud global de
produire leur propres vaccins ou d’autres substances médicamenteuses nécessaires à la survie. Au
cours de la pandémie de Covid-19, GSK s’est opposé à un projet de l’Organisation mondiale de la
santé visant à ouvrir les droits des brevet et les données de pharmacovigilance des vaccins contre le
Covid12. GSK autorise de ce fait des centaines de milliers de morts évitables et la prolifération d’un
virus mortel plutôt que de risquer perdre des profits.

GSK affirme que les brevets sont avant tout nécessaire pour pousser le secteur privé à investir dans
le développement de produit pharmaceutiques, car ils constituent un moyen de défendre les recettes
et donc de récupérer les coûts de la recherche et, en fin de compte, de réaliser des bénéfices 13. Sous
notre modèle économique actuel, cela peut être vrai, mais c’est bien là que se situe le problème. Les
entreprises sont guidées par la poursuite du profit avant toutes autres considérations.

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Une transition écologique juste nécessite une réel engagement pour une justice sociale et
climatique, et non pas une esthétisation de la justice permettant d’optimiser les perspectives de
vente. Elle nécessite également une décarbonisation rapide, une restructuration de l’économie
mondiale et un accueil de celles et ceux qui se trouvent en première ligne de la catastrophe
climatique. Elle doit être menée par celles et ceux qui souffrent déjà aujourd’hui des conséquences
du changement climatique, et celles et ceux qui feront réellement la différence.

Il est évident que ces entreprises n’offrent en rien des solutions réelles pour faire face à cette crise,
et les solutions qu’elles nous présentent sont bien souvent des lieux communs ou des demi-mesure.
Cela ne les empêchent pas de prendre des décisions destructrices pour la planète en parallèle. Les
sponsors de la COP26 nous prouvent que les gouvernement ne cherchent qu’à perpétuer les intérêts
de ces entreprises, quel qu’en soit le coût. De ce fait, nous ne pouvons compter sur eux pour
légiférer autour de la sortie de cette crise (si les 25 dernières COP ne nous l’avaient pas déjà assez
bien montré).

11 https://www.businessinsider.com/ikea-accused-of-anti-union-tactics-2018-10?r%3DUS%26IR
   %3DT&sa=D&source=docs&ust=1644968840623121&usg=AOvVaw3rNg72e3qMu8UDmmuBgbVO&r=US&IR
   =T
12 https://www.telegraph.co.uk/global-health/science-and-disease/patent-pool-potential-covid-19-products-nonsense-
   pharma-leaders/
13 https://www.gsk.com/media/2958/ip-atm-developing-countries-
   policy.pdf&sa=D&source=docs&ust=1644968840613460&usg=AOvVaw1sG6Yrba2qWEyyzoxd1EFQ
Mais alors que la COP26 ne pouvait être qu’un inévitable échec, au-delà des palissades des
périmètres de sécurité du centre de conférence, il y a eu de nombreux succès. Tandis qu’un nombre
écrasant de policiers harcelaient et intimidaient le public dans une tentative de contrôle des
manifestations14, des militant-es se sont rassemblé-es pour construire le réel changement. De
nouvelles relations se sont formées entre des personnes et des mouvements à travers toute la
planète ; des savoirs, des idées et de stratégies ont été partagés ; de puissantes manifestations ont
attiré l’attention sur le greenwashing de ces entreprises et sur les oppressions néo-coloniales
qu’elles perpétuent, et des militant-es présent-es sur le terrain se sont emparé-es de l’action directe
pour bâtir un monde meilleur à partir de rien.

Nous devons réaliser des changements importants dans toutes les facettes de notre vie, et nous
avons besoin de tout un panel de stratégies et de tactiques pour nous battre et réaliser ces
changements, y compris des grèves et d’autres formes d’actions industrielles qui forceront le
changement dans nos lieux de travail et dans la société toute entière. Allez jeter un coup d’oeil à
notre campagne Empower the Unions15 pour voir la manière dont les actions sur les lieux de travail
peuvent faire la différence et ce qu’il nous reste à faire pour rendre ce type de tactiques plus
efficace. Alors rejoins nous et organise toi !

14 https://netpol.org/2021/12/16/respect-or-repression-an-independent-report-of-the-cop26-conference-in-glasgow/
15 https://earth-strike.co.uk/campaigns/empower-the-unions-2/
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