Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire

La page est créée Alexandra Cousin
 
CONTINUER À LIRE
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Exposer son monde: Le paysage comme espace
                participatif

                        Mémoire

                    Stacy-Ann Oliver

         Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
                   Maître ès arts (M.A.)

                    Québec, Canada

                © Stacy-Ann Oliver, 2021
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Exposer son monde : le paysage comme espace
                participatif

                     Mémoire

                 Stacy-Ann Oliver

              Sous la direction de :

              Richard Baillargeon
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Résumé

L’essentiel de ce texte est une réflexion sur mon travail de création et les concepts
théoriques qui le construisent. J’aborde plusieurs thèmes dont en particulier le paysage
autour duquel je développe une réflexion sur l’habitation. Ma recherche est au confluent
de ces deux éléments qui concernent les relations entre le paysage, l’habitation et
l’appartenance. À travers ce projet de recherche-création, j’explore différentes facettes du
paysage et je m’approprie ce concept à travers une quête identitaire puisque j’utilise ma
ville natale, Lebel-sur-Quévillon, pour mener ma recherche. Les concepts mentionnés
seront développés en relation avec les œuvres produites tout au long de mon projet de
recherche-création.

                                            iii
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Tables des matières

Résumé .................................................................................................................. iii
Tables des matières .............................................................................................. iv
Liste des figures ..................................................................................................... v
Avant-propos ......................................................................................................... vi
Introduction ............................................................................................................ 1
Chapitre 1 : Comment s’est construite ma pratique ........................................... 4
Chapitre 2 : Éléments conceptuels ..................................................................... 10
      Le paysage et l’humain .............................................................................................. 11
      Le dispositif installatif : comment mettre ensemble ................................................... 13
Chapitre 3 : L’œuvre ............................................................................................. 20
      Mon Nord : approche et œuvres exploratoires .......................................................... 20
      L’image photographique ............................................................................................ 25
      La peinture ................................................................................................................. 25
      Le bricolage et le détournement ................................................................................ 26
      La présentation finale : Exposer son monde .............................................................. 28
          La Domtar ............................................................................................................................ 30
          La Saint-Jean ....................................................................................................................... 33
          L’éloignement ...................................................................................................................... 35
          Livres d’artiste et anecdotes ............................................................................................... 36

Conclusion ............................................................................................................ 39
Bibliographie ......................................................................................................... 40

                                                                      iv
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Liste des figures

Figure 1 : Didier Marcel, Sans titre, 2013, bois, ciment, plastique, collection Michel Rein,
    Paris…………………………………………………………………………………………….6
Figure 2 : Didier Marcel, Sans titre, 2002, Couchers de Soleil, 1999-2005, MAMCO,
    Geneva………………………………………………………………………………………....6
Figure 3 : Stacy-Ann Oliver, Entre l’arbre et l’écorce, 2012, Plâtre, bois, acrylique, 45 x 90
     x 20cm 2012…………………………………...………………...…………….…………..…7
Figure 4 : Stacy-Ann Oliver, Inventer des paysages, 2013, photographie, 50 x 76 cm….…8
Figure 5: Robert Smithson, Asphalt Run Down, 1969, Land Art…………………………..….9
Figure 6 : Stacy-Ann Oliver, Petits paysages, 2014, Photographies à partir de maquettes,
     2014……………………………...……………………………………………………….….10
Figure 7: Isabelle Demers, Paysages volcaniques 2, 2018, centre Atol, Victoriaville…….15
Figure 8: Anne-Marie Proulx, Les falaises se rapprochent, 2018, vue de l'installation,
     Galerie des arts visuels de l'université Laval, Québec ............................................... 16
Figure 9: Vicky Sabourin, Danse Macabre, Bob-cat, 2016, Œil de poisson, Québec. ....... 17
Figure 10: Diorama, Musée Canadien de l’histoire, Gatineau ……………………………… 18
Figure 11: Stacy-Ann Oliver, Bienvenue dans le vrai Nord, 2019, céramique, bois,
     photographie et autres matériaux divers, 15 x 30 x 30cm. ......................................... 19
Figure 12: Stacy-Ann Oliver, Tour de la principale, 2017, céramique, bois et matériaux
     divers, 15 x 100 x 100 cm…………………………………………………………………...20
Figure 13 : Photographie de la maison familiale de ma grand-mère à Chapais, fin des
     années 70, don de ma tante Bernadette Crépeault……………...……………………...22
Figure 14 : Stacy-Ann Oliver, Les apatrides, 2015, photographie…..…….…………..…….24
Figure 15 : Stacy-Ann Oliver, Les apatatrides, 2015, Céramique, bois,
      photographies, matériaux divers, 243 x 243cm au sol et 180 x 180cm au ..………..25
Figure 16 : Stacy-Ann Oliver, Sans titre, 2016, 243 x 121cm, photographie……...…….....26
Figure 17 : Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, 2019, vue de l’installation, Regart,
      Centre d’artistes en arts actuels, Lévis ……….....................................………….…..29
Figure18 : Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, 2019, vue de l’installation, Regart,
      Centre d’artistes en arts actuels, Lévis………………………………………………….30
Figure19 : Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, 2019, vue de l’installation, Regart,
      Centre d’artistes en arts actuels, Lévis………………………………………………….30
Figure 20 : Stacy-Ann Oliver, Domtar, 2015, Acrylique sur toile, 243 x 365 cm…………...31
Figure 21 : Stacy-Ann Oliver, Père Lebel, 2016, Collage, 15 x 10cm……..…………......…32
Figure 22 : Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, 2019, vue de l’installation, Regart,
      Centre d’artistes en arts actuels, Lévis………………………………………………….33
Figure 23 : Stacy-Ann Oliver, Usine 1, 2016, Collage,15 x 10cm…...………………………34
Figure 24 : Stacy-Ann Oliver, Usine 2, 2016, Collage,15 x 10cm...…………………………34
Figure 25: Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, 2019, vue de l’installation, Regart,
      Centre d’artistes en arts actuels, Lévis………………………...………………..……....35
Figure 26 : Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, 2019, vue de l’installation, Regart,
      Centre d’artistes en arts actuels, Lévis.………………………..……...............….…....36
Figure 27 : Stacy-Ann Oliver, Exposer son monde, T’es pas game, 2019, vue de
      l’installation, Regart, Centre d’artistes en arts actuels, Lévis....................................37
Figure 28 : Stacy-Ann Oliver, Née d’ailleurs, Livre d’artiste, 2016, page 7-8.....................38
Figure 29 : Stacy-Ann Oliver, Doré, estampe numérique, 2017……..................................39

                                                     v
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Avant-propos

Il existe une petite ville lointaine, au milieu de nulle part dans laquelle il se passe des
choses ordinaires. Tellement ordinaires que c’en est étrange. Juste pour dire, la ville est
jeune, tellement jeune qu’on commence à avoir des vieux.

Dans cette petite ville où tu trouves rien d’autre que ton ombre à 50 miles à la ronde, y’a
tellement rien à faire qu’on fait autre chose. Ce qui fait que ça rapproche, chez nous on
est proche, proche, proche, tellement proche que même si t’es pas ma cousine, tu l’es
pareil parce que y’avait rien qu’une garderie pis la famille élargie, c’est pratique pour
trouver des gardiennes pour la game de curling du jeudi soir.

Dans cette petite ville blottie sur un bras de terre au milieu d’un lac, on a nos propres
saisons. Ici, l’hiver est long, tellement long qu’il laisse pas de place au printemps. Quand
le lac calle pis que l’été pogne enfin, l’école est finie. L’été a même pas le temps de faire
pousser nos tomates que l’automne est déjà arrivé. C’est le retour en classe, les
premières neiges qui tombent et l’hiver qui recommence.

De cette petite ville, même si l’hiver est long pis qu’il fait frette en masse, il émane comme
une chaleur. Pas celle qui vient du poêle avec une odeur de boucane, une chaleur qui
vient du cœur. Des cœurs qui s’accordent pour construire un présent, un passé pis un
futur.

Vous viendrez nous voir,

On n’est pas gênant. 1

1
    OLIVER, Stacy-Ann, Il existe une petite ville, livre d’artiste 2017.

                                                               vi
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Introduction

Je suis une artiste d’origine jamésienne qui a migré en ville au début de sa vie d’adulte.
Venir de la Baie-James c’est comme venir d’un ailleurs, de l’imaginaire. Cette dichotomie
entre le réel et l’imaginaire teinte grandement mon travail de représentation et de
documentation du territoire et de l’habitation. Je suis arrivée à la maîtrise avec des
questionnements sur le territoire, mais aussi sur la notion de paysage et sur le rapport
nature-culture.

À travers mes recherches, j’ai aussi développé un intérêt pour les origines des gens, les
mouvements de population à travers le territoire et l’histoire des habitants. Je me suis
intéressée plus particulièrement aux régions-ressources et aux petites villes mono-
industrielles, parce qu’elles sont un bon exemple de l’exploitation de la nature par l’homme
dans le monde capitaliste moderne. La Jamésie est composée de plusieurs de ces petites
villes mono-industrielles. Avec le temps, plusieurs de celles-ci sont disparues à la suite de
la fermeture de l’industrie-mère. Ensuite, plus rien, que des grands trous.

Je me suis demandé comment on se sent quand on vient d’un endroit qui n’existe plus ?
Quand notre lieu d’appartenance est dissout ? Quand tout ce qui reste, ce sont les
souvenirs et les relations avec les autres ex-villageois ? Forcément, avec le temps, les
souvenirs s’effacent, les gens se dispersent et on oublie tranquillement. On ne peut que
revisiter les lieux à travers quelques photos conservées et quelques amitiés préservées.

Pour mon projet de maîtrise, tel un chercheur un peu fou, je tente de récolter le plus de
preuves, d’archives et de souvenirs de ma ville natale pour faire en sorte que si jamais elle
disparaît, on puisse s’en souvenir. Par une pratique en installation alliant photographies,
peintures et sculptures, je tente de documenter de manière poétique l’immensité du
territoire et ses particularités, autant humaines que géographiques.

Pour mon travail de recherche-création, le tout s’est joué au début de l’hiver 2016 lorsque
l’on commença par chez nous à organiser les festivités du 50e anniversaire de Lebel-sur-

                                             1
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Quévillon, ma ville natale. Je me sentais loin et un peu isolée alors que ma famille est une
pionnière de cette communauté, étant une des premières familles à s’y être installée. Je
voulais vraiment participer à ces festivités. Ça tombait pile, ma ville natale allait être le
sujet idéal pour explorer mes questionnements sur le territoire, le paysage et l’habitation.
J’ai donc décidé d’en faire le sujet principal de ma recherche. Le fait que j’ai grandi dans
cette ville, bien que j’en sois partie depuis un peu plus de 10 ans, me permet de voir ce
lieu de deux points de vue distincts : celui du natif et celui du visiteur. C’est avec ces deux
regards que j’ai exploré différentes pistes de recherche et construit les éléments
composants l’œuvre finale.

Pour cela, j’ai commencé à farfouiller dans les albums familiaux à la recherche d’images
illustrant différents évènements de la ville. Pour commémorer les 50 ans de la ville, un ami
a mis sur pied une page Facebook regroupant d’innombrables photos qui m’ont été très
utiles. De plus, à l’aide d’un comité de bénévoles, on a conçu un livre relatant les divers
évènements qui font l’histoire et la fierté des Quévillonnais. En plus, durant les deux
années de ma recherche, j’ai fait plusieurs voyages à Lebel-sur-Quévillon afin de
documenter et de participer aux activités de la communauté. C’est à partir de ces divers
matériaux que s’est constitué mon travail de création.

Ainsi, la mise en espace finale prend la forme d’une installation où plusieurs médiums se
côtoient et se confrontent. Elle dépeint diverses coutumes et évènements tantôt
importants, tantôt anodins, ainsi que des lieux qui forment l’identité de cette ville. C’est
dans les archives ainsi que dans les paysages des lieux que j’ai puisé pour créer des
œuvres qui oscillent entre la monstration et le souvenir. Par mes multiples façons de
traiter l’image et l’objet, j’essaie d’établir des liens entre les différentes façons de voir et de
vivre un lieu. Avec des documents appropriés et poétisés, je tente d’établir des récits non
linéaires qui laissent place à la rêverie et à l’interprétation.

Je montre le territoire en m’intéressant à la représentation et l’interprétation du paysage
qu’il porte. Je considère ce dernier non pas comme un objet de contemplation, mais
comme un témoin de l’évolution de l’humain et un objet culturel. Le paysage est là à
chaque époque, se modifiant avec le progrès et par son appropriation par les peuples. Il
est un excellent outil pour comprendre le monde.

                                                 2
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Ce texte d’accompagnement se divise en trois chapitres. Le premier abordera les origines
de ma recherche, mes intérêts et certains travaux antérieurs qui s’inscrivent dans une
démarche similaire. J’y présenterai également un portrait de la région de la Baie-James.
Dans le deuxième chapitre, je définirai les objets conceptuels de ma recherche, comment
dans ma pratique j’ouvre le terme paysage pour y inclure le territoire et le milieu de vie. Je
présenterai aussi dans ce chapitre l’utilisation des dispositifs muséologiques en arts
visuels. Dans le dernier chapitre, je présenterai les œuvres réalisées au cours des deux
dernières années ainsi que les composantes de l’installation et leur mise en espace.

                                              3
Exposer son monde: Le paysage comme espace participatif - Mémoire Stacy-Ann Oliver Maîtrise en arts visuels - avec mémoire
Chapitre 1 : Comment s’est construite ma pratique

Avec le temps et à travers les diverses expérimentations que j’ai menées, notamment durant les
trois années de mon baccalauréat, je me suis construit une pratique paysagère bien à moi.
Influencée par divers artistes et courants artistiques, j’ai acquis la maîtrise de plusieurs
médiums. J’utilise souvent la photographie pour documenter les paysages ; une fois à l’atelier,
les photographies deviendront des peintures, des sculptures, des livres où elles demeureront
photographies. Je m’attarde beaucoup à ce que chacun des médiums peut apporter à une
oeuvre. Chaque médium est donc choisi méticuleusement pour ses caractéristiques distinctives.
Puisque mon travail de création explore plusieurs aspects différents du territoire et du paysage,
l’utilisation simultanée de plusieurs médiums me permet de morceler l’idée du territoire pour y
inclure plusieurs autres concepts qui construisent cette idée.

Depuis longtemps, je m’intéresse aux notions de territoire et d’habitation. Comment habitons-
nous ces espaces ? Comment les vivons-nous en tant qu’humains ? Comment l’homme
s’approprie la nature, mais aussi comment celle-ci peut vite reprendre le dessus. Les
mouvements d’exode, de migration et d’immigration soulèvent aussi des questionnements dans
mon esprit. Comment cohabitons-nous ? Je m’interroge par ailleurs sur des sujets de nature
plus écologique, comme l’exploitation des ressources naturelles : la coupe forestière,
l’exploitation minière et les monocultures. Les rapports de domination et de coopération entre
l’humain et la nature sont fascinants. L’homme essaie toujours de tirer le plus possible des
ressources accessibles autant humaines que naturelles sans trop penser aux conséquences et
dommages collatéraux à plus ou moins long terme.

                                                4
Figure 2: Didier Marcel, Sans titre, 2013, bois, ciment, plastique, collection Michel
          Rein, Paris.

Guidée par ces questionnements et par les cours suivis au baccalauréat en arts visuels et
médiatiques, j’ai découvert de nombreux artistes et plusieurs techniques qui ont contribué à la
construction de ma pratique artistique. Je me suis intéressée à plusieurs pratiques artistiques

                                     Figure 1: Didier Marcel, Sans titre, 2002, Couchers de
                                     Soleil, 1999-2005, MAMCO, Geneva, 2005

                                                           5
autant bidimensionnelles que tridimensionnelles, qui m’ont menée sur des chemins d’exploration
très diversifiés. La plupart des travaux qui m’interpelaient alors et encore aujourd’hui sont des
pratiques qui utilisent ou représentent la nature. Je pense entre autres aux travaux de Didier
Marcel (voir figures 1 et 2), un artiste français, qui utilise surtout le moulage et la sculpture pour
reproduire les textures de la nature qui m’ont inspiré une série de sculptures alliant plâtre et
bois. Une œuvre de cette série exploratoire avait pour titre Entre l’arbre et l’écorce (voir figure 3)
et se voulait une représentation de la relation humain-nature. La bûche naturelle don l’espace

     Figure 3: Stacy-Ann Oliver, 2012, Entre l’arbre et l’écorce, Plâtre, bois, acrylique, 45 x 90 x 20 cm.

entre le tronc et l’écorce a été coulé en plâtre représentait ce besoin vital qu’a l’humain
d’exploiter la nature pour sa propre survie.

Vers la fin de mon baccalauréat, mes explorations étaient plutôt orientées vers la création de
paysages et d’espaces fictifs. Je m’intéressais alors aux ressemblances et dissemblances entre
la photographie et la peinture, deux médiums que l’on associe directement au paysage. C’est à
ce moment-là que la photographie a pris une place importante dans ma pratique. Je me suis
intéressée à la technique de projection d’images que l’artiste Branka Kopeki, comme bien
d’autres artistes, a utilisée pour la production de plusieurs de ses œuvres. Assez simple en soi,
la stratégie est de projeter une image photographique sur un tirage et de prendre le tout en
photo. L’acte de projeter une image par-dessus une autre plutôt que de les assembler
numériquement ou en chambre noire crée un effet de profondeur qu’on ne pourrait obtenir
autrement. Cela m’a amenée à produire une longue série d’images qui ont été présentées lors

                                                             6
de l’exposition de fin de baccalauréat intitulée Grand chose en mai 2014. Dans cette série
portant le titre Paysages inventés, (voir figure 4) on retrouve des tirages numériques grands
formats qui ont été construits par la superposition d’images peintes et de photographies. Une
fois assemblées, les deux images donnent une impression de paysage, d’espace avec une
perspective, qui déstabilise l’œil puisqu’elle est créée par l’addition de la perspective de la
photographie projetée sur la peinture ainsi que celle du cliché qui allie définitivement les deux
images.

    Figure 4: Stacy-Ann Oliver, Inventer des paysages, 2013, photographie, 50 x 76 cm.

Tout au long de la consolidation de mon travail de création, un autre type de pratique artistique a
grandement influencé ma production. En effet, les travaux des artistes du Land Art ont alimenté
mes réflexions sur le paysage, en particulier ceux du mouvement Earthwork de Robert Smithson
et son œuvre Asphalt Run Down (voir figure 5). Ce que je trouve fascinant de ce mouvement du
Land Art, c’est l’impact permanent qu’ont ces œuvres monumentales sur le paysage. Comme le
mentionne Florence de Mèredieu : « La nature entière et le paysage deviennent un matériau »2.
Tout comme l’exploitation des ressources naturelles, ces œuvres marquent le paysage pour un
temps dont nous ignorons la durée.

2
    DE MÈREDIEU, Florence, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, Paris, Bordas, 1994, page 403.

                                                               7
Figure 5: Robert Smithson, Asphalt Run Down, 1969, Land Art.

N’ayant pas les moyens financiers de Smithson, j’ai mené mes expériences à plus petite
échelle. J’ai construit une forêt sous forme d’une maquette avec de vraies plantes de différentes
origines (voir figure 6). Le choix et la répartition des plantes étaient basés sur des statistiques
d’immigration au Canada. Ainsi, chaque nationalité présente au Canada était représentée par
une plante originaire de son pays. Dans un même sol, j’ai planté des arbres et autres plantes en
respectant les ratios de chaque nationalité afin de voir si les différentes espèces pouvaient
survivre dans les mêmes conditions. Cela a donné des paysages un peu surréalistes et comme
je m’y attendais, seules les plantes d’un même type (cactus) ont survécu. L’interrogation sous-

                                                        8
jacente à cette expérimentation était une réflexion sur l’immigration et la culture. On ne peut
vraisemblablement pas changer une plante d’environnement, car elle n’est souvent pas capable
de s’adapter. Pourtant, on demande aux immigrants de s’adapter le plus vite possible, en leur
demandant souvent même d’oublier leur culture. Pour moi, il s’agit là d’un non-sens.

               Figure 6: Stacy-Ann Oliver, Petits paysages, 2014, Photographies à partir de
               maquettes.

Les trois artistes présentés dans ce chapitre et leurs travaux ne sont qu’une partie de mes
inspirations et influences. Avec le recul, je serais tentée de dire que ce n’est pas
particulièrement l’art et les artistes qui influencent et construisent ma pratique, mais plutôt tout le
contexte social et environnemental dans lequel nous évoluons. Bref, j’ai construit ma pratique
paysagère à partir d’un amalgame de pratiques qui explorent le paysage et les éléments qui le
composent.

Ces multiples explorations de médiums et de questionnements m’ont conduite à vouloir
approfondir le sujet par des études de maîtrise en arts visuels. Mon projet de recherche-création
Exposer son monde, qui regroupe tant des peintures de paysages typiques de la ville que des
photographies de lieux et des images d’archives, veut explorer plus loin les concepts et
questionnements autour du paysage, de l’habitation et de l’appartenance. Au prochain chapitre,
je définirai plus précisément ces concepts.

                                                          9
Chapitre 2 : Éléments conceptuels

Comme je le mentionnais dans l’introduction, je suis d’origine jamésienne, c’est ainsi que l’on
désigne les Blancs habitant le territoire de la Baie-James. Très tôt dans mon travail artistique, je
me suis intéressée au Nord, mon Nord. La population de cette région est constituée à parts
égales d’autochtones et de Blancs qui vivent parallèlement sans jamais trop se mélanger. Le
territoire autochtone porte le nom de Eeyou-Itshee que l’on pourrait traduire par «Terre
ancestrale». Bien que cette étrange cohabitation suscite beaucoup d’intérêt, j’ai cependant axé
ma recherche sur une communauté de travailleurs blancs et sur ma ville natale de Lebel-sur-
Quévillon.

Les premiers balbutiements de Lebel-sur-Quévillon se fond à la fin des années 50 lorsqu’un
grand entrepreneur M. Jean-Baptiste Lebel décide d’en faire son prochain site d’exploitation
forestière. Au début, ce n’est qu’un camp de travailleur pour les ouvriers de la Domtar. La ville
est officiellement inaugurée en 1966. Elle est construite sur la péninsule du lac Quévillon et est
composée essentiellement de maisons pré-fabriquées et de maison mobile3.

Pour mon projet de recherche et création Exposer son monde, je me suis intéressée au
mélange d’histoires, de coutumes, de souvenirs et d’anecdotes qui semblent définir les
Quévillonnais. Ces éléments sont tous en lien avec la situation géographique de la ville : petite,
dense avec une faible population, située au nord du 49ieme parallèle et à environ 90km de toute
autre ville.

Dans ce deuxième chapitre, j’aborderai les différents éléments conceptuels de ma recherche.
Dans un premier temps, je traiterai des théories qui m’ont aidée à construire ma propre définition
du paysage, de comment je le considère comme un espace participatif plutôt qu’un objet de
contemplation. Ensuite, j’aborderai le concept du Nord, mon Nord. Dans un dernier temps, je
parlerai des dispositifs qui inspirent la disposition des pièces de l’installation finale.

3 GAGNÉ, Marie et PELLETIER Stéphane, 50 ans d’histoire, Lebel-sur-Quévillon la fierté d’une ville du Nord !,

Rouyn-Noranda, L’ABC de l’édition, 2016, pages 24 et 25.
.

                                                       10
Le paysage et l’humain

Pour moi, les notions de paysage et de territoire se complètent, elles font partie intégrante l’une
de l’autre. Dans le langage courant, on associe souvent le territoire à différentes formes de
possession, puisque le territoire serait quelque chose dont on fait usage, a contrario le paysage
ne porte pas cette notion de possession.

C’est dans le recoupement de ces deux concepts que l’humain évolue, qu’il habite et qu’il se
déplace. « Bref, le paysage est une entité relative dynamique, où nature et société, regard et
environnement sont en constante interaction.»4 Ici, je me suis intéressée plus particulièrement
au Nord, qui est un territoire à la définition un peu floue.

Plusieurs auteurs, philosophes et géographes abondent dans le sens où l’humain participe au
paysage. Les trois auteurs qui ont particulièrement retenu mon attention sont Anne Cauquelin,
Augustin Berque, Alain Corbin. Cauquelin écrit dans son ouvrage Inventer le paysage que les
paysages sont «dépositaires d’une certaine mémoire, historique et culturelle». 5 Ces trois
auteurs, chacun à leur manière, soutiennent que le paysage n’est pas naturel, qu’il est
essentiellement une construction culturelle. Corbin ajoute que le paysage est une lecture
indissociable de la personne qui le contemple, il n’est donc aucunement objectif. Contempler un
paysage ne serait alors pas un acte passif, mais plutôt participatif. Contrairement à Cauquelin et
Corbin, Berque avance que le paysage est plutôt comme un système et qu’il est plus un espace
qu’un objet.

Dans sa définition du concept de paysage, Cauquelin avance que le paysage est une invention
prenant premièrement forme dans la peinture. Le paysage est l’objet-tableau, il est une icône de
la nature. Dans cette optique, le paysage et la nature se confondent et le paysage devient un
objet de contemplation créé par et pour l’humain. En d’autres mots, le paysage est l’image de
lui-même. Pour Corbin, le paysage demeure quelque chose que l’on regarde, il ne dépend pas
d’un cadre ou d’un support, c’est un lieu, l’espace est paysage. Pour lui, le paysage, bien qu’il
soit un objet de contemplation, n’existe pas seulement pour les yeux qui s’activent, mais aussi

4
 , Collectif, sous la direction de BERQUE, Augustin, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Mayenne,
Champ Vallon, 1994, page 6.
    CAUQUELIN, Anne, L’invention du paysage, Paris, Édition Quadrige, 2000, page 21.
5

                                                        11
pour tous les sens. Le paysage est quelque chose que l’on éprouve avec tout le corps et l’esprit.

Néanmoins, c’est avec le concept du paysage élaboré par Augustin Berque que j’entretiens plus
d’affinités. Berque a la volonté de mettre en relation tant les lieux que les objets et les êtres
vivants et aussi d’accepter qu’il n’y a rien de défini, que tout est en perpétuelle mouvance parce
que « dans l’écoumène, le lieu et la chose participent l’un de l’autre. »6. Il apporte aussi une
distinction dans la définition des lieux habités (les écoumènes), il emprunte deux mots du grec
ancien : Chôra et Topos. La Chôra renvoie plutôt au territoire relatif à la perception humaine,
culturelle et sociale et le Topos se rapporte, pour sa part, au territoire définissable par des
frontières géographiques.

Puisque ma recherche tient de ce désir que j’ai de témoigner de ma petite ville nordique,
l’application de la notion d’écoumènes à ce territoire et au rapport personnel que j’entretiens
avec le Nord est tout à fait appropriée. Le Nord serait ma Chôra ; la Baie-James, mon Topos. La
Chôra, contrairement au Topos, est englobante et mouvante, à la fois subjective et objective, ce
que Berque nommera trajectif : « cela veut dire qu’il chevauche le subjectif et l’objectif, et qu’il
excède son lieu matériel, tout en le supposant nécessairement. »7 Le discours de Berque nous
ramène au monde sensible dans lequel les organismes sont mouvants, en lien les uns avec les
autres. C’est aussi dans ce sens qu’il utilise la notion d’ontologie, qu’il conçoit dans une
perspective phénoménologique où l’objectif est double : d’une part, considérer l’être ou
l’« étant » simultanément en tant qu’être général et abstrait et, d’autre part, en tant qu’être
singulier et concret. C’est dans cette optique de tout insaisissable que je définis mon Nord.

En tant qu’« étant », le Nord a deux versants : d’un côté, il est un fait, comme le mentionne Mata
Bareiro, un lieu « objectif et mesurable en fonction d’un certain nombre de critères »8, et de
l’autre, il est un endroit mythique qui tire sa construction de la culture et des croyances
populaires.

Pour moi, le paysage est un peu tout cela à la fois. Comme Berque, ma conception du terme
paysage inclut le territoire. Le paysage est pour moi un lieu, que j’appelle espace participatif

6
  BERQUE, Augustin, Écoumènes, Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 1987, page 25.
7
  Ibid, page 148.
8
  MATA BAREIRO, Carmen, Québec, «ville du Nord», lieu de mémoire et d’oubli dans la littérature québécoise
actuelle dans Le lieu du Nord, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2015, page 47.

                                                   12
puisque tout le monde y participe dans sa construction autant culturelle, conceptuelle et visuelle
qu’historique. Néanmoins, en mes qualités de peintre et de photographe, j’utilise le paysage non
pas comme un sujet de contemplation, mais comme un objet identitaire. C’est dans cette
optique que je choisis les images qui constituent mes installations.

Le dispositif installatif : comment mettre ensemble

L’installation a donné bien des maux de tête aux théoriciens de l’art depuis son apparition.
Itzhak Goldberg la décrit comme étant un dispositif qui permet «la perméabilité entre les
catégories artistiques et non artistiques.»9 Pour ma part, ce qui m’attire dans ce médium est sa
capacité à tout mettre ensemble. J’ai testé plusieurs manières de « mettre ensemble » mon
travail qui se compose de pièces souvent hétéroclites. Mes inspirations pour mon travail
d’installation et de mise en espace des différentes pièces de mon exposition Exposer son
monde sont très diversifiées. Je me suis entre autre intéressée, entre autre, à la forme du
diorama et de la maquette. Ces dispositifs souvent associés à la muséologie ont été l’objet de
nombreuses réappropriations chez les artistes. Également, la forme du cabinet de curiosités,
ancêtre du musée d’histoire naturelle, influence aussi mes mises en espace. Davantage une
collection, un ensemble disparate et hétérogène, il apparaît dans sa forme originale au XVIe
siècle et a pour fonction «de rendre compte de la diversité du monde»10. L’utilisation de la forme
du cabinet de curiosités permet la création d’un environnement dans lequel ce n’est plus l’objet
individuel qui compte, mais son appartenance à un ensemble. L’hétérogénéité du cabinet de
curiosités permet l’apparition d’un système dynamique où histoire et imaginaire se côtoient.
C’est précisément cette dynamique qui m’intéresse et que je tente de reproduire dans mon
travail de création. Dans ce sens, trois jeunes artistes québécoises ont également retenu mon
attention tout au long de mon parcours, non pas dans le sujet, mais dans la forme que prend
leur travail respectif. Elles ne se réclament pas forcément d’une pratique de l’installation, mais
tout comme pour mon travail, leurs œuvres prennent toute leur ampleur dans la « mise
ensemble ».

9 GOLDBERG, Itzhak, Installations, Paris, Éditions CNRS, 2014, page 29.

10
  BÉLISLE, Julie, Du merveilleux, de l’insolite, de la contemplation : la résurgence de l’intérêt pour le cabinet de
curiosités. ETC, numéro 86, 2009, page 14.

                                                           13
Je me suis intéressée aux travaux d’Isabelle Demers (voir figure 7), d’abord parce qu’elle utilise
de vraies plantes, comme je l’ai déjà fait, mais aussi pour la diversité des médiums qu’elle
utilise et les petits mondes qu’elle crée sous forme de maquettes tridimensionnelles.

La seconde artiste qui a retenu mon attention pour la forme et l’ambiance de ses œuvres est
Anne-Marie Proulx. Travaillant également à partir du paysage (voir figure 8) cette artiste crée
des installations desquelles se dégage une ambiance de silence et de curiosité. On retrouve
dans son travail de grandes pièces photographiques accompagnées d’objets, souvent des
roches, des livres et d’autres images posées sur des tables ou des présentoirs. Bien que
chacune de ces pièces soit autonome, elles prennent tout leur sens lorsqu’elles sont ensemble.

  Figure 7: Isabelle Demers, Paysages volcaniques 2, 2018, centre Atol, Victoriaville.

                                                            14
5igure 8: Anne-Marie Proulx, Les falaises se rapprochent, 2018, vue de l’installation, Galerie des arts visuels de l’université
Laval, Québec.

                                                           15
La troisième artiste présente des installations qui sont plus souvent des décors ou des
vestiges de performances. Bien que mon travail n’ait rien à voir avec la performance, il
n’en reste pas moins que je m’intéresse beaucoup au travail de Vicky Sabourin. Ses
décors se calquent aussi sur les dispositifs des musées d’histoire naturelle comme les
dioramas, mais empruntent également les techniques scénographiques du théâtre,
comme par exemple mettre des photographies dans les fenêtres pour simuler un
extérieur (voir figure 9). Pour cette artiste, l’œuvre se déploie à la fois par une
judicieuse mise en espace et aussi par la déambulation du visiteur.

    Figure 9: Vicky Sabourin, Danse Macabre, Bob-cat, 2016, Œil de poisson, Québec.

Le diorama est généralement constitué d’un fond peint de manière réaliste avec, en avant-plan,
un sujet en trois dimensions. Il est utilisé par exemple pour montrer un animal dans son
environnement naturel (voir figure 10); nous retrouverons donc en arrière-plan l’habitat de
l’animal, des imitations des plantes et l’animal empaillé grandeur nature en premier plan.

                                                         16
Figure 10: Diorama, Musée Canadien de l’histoire, Gatineau.

Mon utilisation du diorama se conçoit sur le mode du modèle réduit : je crée des versions
miniatures de lieux et de scènes du quotidien. Je pense entre autres à deux dioramas contenus
dans de petites boîtes décoratives. L’un d’eux met en scène une veille de Saint-Jean-Baptiste,
et l’autre notre pancarte « Bienvenue dans le vrai Nord », que nous voyons chaque fois que
nous devons aller faire des achats à Val-d’Or (voir figure 11).

Un autre type de dispositif surtout utilisé en architecture, mais aussi par les musées d’histoire
naturelle, que j’aime incorporer à ma pratique est celui de la maquette. Habituellement, ces
maquettes respectent une échelle bien précise et elles sont accompagnées de fiches
explicatives qui décrivent la scène et situent les évènements dans un contexte sociohistorique.
Ce dispositif, contrairement au diorama, présente les scènes ou l’objet à échelle réduite. Cela
permet au spectateur de se représenter ce qui s’est réellement passé à ce moment de l’histoire.
Dans un sens, la maquette et le diorama des musées se veulent toujours le plus fidèles possible
en termes de scène et d’espace représentés. Comme je ne veux pas que mes scènes soient
perçues comme littérales, j’ai fabriqué des dioramas et des maquettes en supprimant la fiche
descriptive. Déjà, sans être rattachée à des mots, l’illustration suscite davantage l’imaginaire.

                                                              17
J’ai choisi de représenter des scènes plutôt anodines qui d’elles-mêmes parlent à

Figure 11: Stacy-Ann Oliver, Bienvenue dans le vrai Nord, 2019, céramique, bois, photographie et autres matériaux divers, 15
x 30 x 30cm.

l’imaginaire. Je pense ici à une petite maquette qui avait été présentée lors du Mars de la
maîtrise en mars 2017. C’était une maquette intitulée Le tour de la Principale (voir figure 12)
avec un petit panneau sur lequel on pouvait lire : « La Principale est la rue qui fait le tour du
centre-ville. Faire « Le tour de la Principale » est une activité très populaire chez les
Quévillonnais, car on y rencontre amis, famille et collègues et cela permet de se délier les
jambes. Le « tour de la Principale » est un parcours d’environ 2km. »

C’est à travers des mises en espaces éclectiques que mes œuvres se déploient. Cependant,
j’utilise d’autres dispositifs permettant la mise ensemble de mes œuvres, comme le livre
d’artiste. Dans l’esprit du cabinet de curiosités, le livre d’artiste est une autre manière pour moi
de mettre tout en relation. Mes livres sont à mi-chemin entre le livre d’images et le recueil de
poésie : ils sont formés d’images et de textes disposés de manière non linéaire dans le temps.
Les images proviennent, la plupart du temps, des mêmes sources que celles de mes mises en
espaces et j’écris l’intégralité des textes. L’idée même du livre, objet de connaissance et de

                                                            18
partage de cette même connaissance, nourrit le propos de mon travail qui est de diffuser un
savoir sensible de communautés méconnues ou oubliées.

.

Figure 12: Stacy-Ann Oliver, Tour de la principale, 2017, céramique, bois et matériaux divers, 15 x 100 x 100 cm.

                                                             19
Chapitre 3 : L’œuvre

Dans ce chapitre, je présenterai les principaux moyens et médiums que j’utilise et les différents
projets produits durant ma recherche-création. Pour terminer, je présenterai la forme de
l’exposition finale.

Mon Nord : approche et œuvres exploratoires

Le territoire de la Baie-James est une région quelque peu mythique commençant au 49e
parallèle et se termine au 55e pour faire place au Nunavik, la terre des Inuits et de quelques
communautés Cris. Immense et faiblement peuplée, ce territoire compte selon le recensement
de 2016 un peu plus de 31 000 habitants pour un territoire de quelque 300 000km carrés. Ce
territoire administratif redécoupé en 1987 est encore à la recherche de son identité. Les villes
implantées pour l’industrie minière et forestière sont encore jeunes, seulement 3 générations
d’individus en date d’aujourd’hui peuvent dire y être nées. De plus, depuis les dix dernières
années, les entreprises proposent des horaires de travail intensif où les employés travaillent par
exemple 14 jours consécutifs, puis bénéficient d’autant de jours de congé. Ils sont logés par
l’employeur, mais retournent au sud pour leurs congés : c’est ce qu’on appelle le fly-in/ fly-out.

Avec un tel régime d’emploi, peu de gens s’établissent définitivement au nord et beaucoup de
jeunes quittent la région pour s’installer ailleurs, souvent pour que leurs conjoints aient de
meilleures perspectives d’emploi ou encore pour que les enfants aient accès à une éducation
plus spécialisée. La population de ces petites villes est donc très changeante, ce qui a pour effet
de freiner chez les jeunes le développement d’une véritable identité jamésienne.

Du côté des Blancs, la Baie-James produit très peu sur le plan culturel. Comme la culture locale
ne se réactualise pas, par des films ou des romans par exemple, l’image que l’on garde des
Jamésiens et de cette région est celle de la conquête de l’hydroélectricité. À cause du manque
de culture produite localement, ces lieux sont comme figés dans le temps. Finalement, on
imagine cette région plus loin, plus froide et plus hostile qu’elle ne l’est. Ma mère m’a souvent
raconté une anecdote du temps où elle était aux études en banlieue de Montréal. Elle avait une
amie et collègue d’études qui était originaire de cette même banlieue. Un jour, ma mère lui a
montré une photographie de sa maison à Chapais (voir figure 13) et son amie s’est exclamée :
                                                20
«Hein, c’est comme chez nous !» Ma mère un peu surprise de sa réaction lui demande alors : «
Mais comment pensais-tu que c’était ?» Son amie lui répondit tout simplement : « Je ne sais
pas, différent. »

        Figure 13: Phototographie de la maison familiale de ma grand-mère à Chapais, fin des années 70, don de ma
        tante Bernadette Crépeault

Il n’y a pas que le territoire du Nord qui suscite la curiosité, ses habitants aussi sont intrigants.
Cela crée des situations cocasses et des questionnements sans bon sens du genre : «Y a-t-il
internet ? L’électricité ? Des routes ? Des Indiens ? Vous promenez-vous en ski-doo toute
l’année ? Vos maisons ressemblent à quoi ? »

À quoi on pourrait répondre : « Les barrages hydro-électriques, ça ne te dit rien ? L’électricité est
bien plus proche de chez nous que de chez vous ! Non, je ne vis pas dans un igloo. Non, on ne
se promène pas en chien de traîneau et je ne suis pas arrivée à Montréal en canot ! »

J’exagère? Pas tant que ça…

Les gens du sud de la province connaissent le Nord majoritairement par les récits qui en sont
rapportés et qui nourrissent l’imaginaire collectif, l’image d’une terre infinie peuplée par des
«sauvages» où l’hiver est éternel. Ces images poétiques sont entre autres véhiculées dans la
littérature, le cinéma et les chansons. Nous en sommes en partie fautifs, car Gilles Vigneault, ce

                                                           21
chanteur et poète de Natashquan sur la Basse-Côte-Nord, dit en parlant de la Côte-Nord :
« L’été cette année c’était un jeudi » ou encore Raoul Duguay, auteur-compositeur-interprète
originaire de Val-d’Or, nous chante « Moé j’viens d’un pays ousse’qu’il neige encore », paroles
qui enrichissent l’image des hivers interminables de ces régions septentrionales.

Il y a autre chose que l’on oublie trop souvent à propos de la Baie-James ce sont les
communautés minières et forestières disparues. Le phénomène n’est pas trop connu, mais il y
en a plusieurs qui ont subi ce sort après seulement quelques décennies d’existence. Je pense
ici à Comptois, Beatyville qui sont deux anciens villages qui entouraient Lebel-sur-Quévillon. Je
me rappelle, de ma mémoire d’enfant, quand ils ont déménagé les maisons de Comptois à
Quévillon, ils ont fait une nouvelle rue, un nouveau parc et il y avait de nouveaux amis à l’école.
À cause de cela, ils ont dû ouvrir une 4e classe de maternelle !

Malheureusement, dans ce grand territoire, il est facile d’effacer et de camoufler les
conséquences liées à l’exploitation des ressources naturelles. Ainsi, tout tombe dans l’oubli
parce qu’il y a peu d’individus pour s’indigner. Ensuite, on retire tranquillement les preuves, les
indications routières sont enlevées et les noms de villes comme Gagnon et Joutel disparaissent
des cartes.

L’histoire quelque peu austère de ma région laisse toujours au fond de moi cette crainte de
devoir dire un jour que je viens d’un endroit qui n’existe plus. Qu’on efface ma petite ville et
qu’immanquablement on l’oublie comme toutes les autres. Dans un sens, c’est ce qui m’anime
dans mon travail artistique : cette envie de partager cette connaissance sensible de l’étendue
d’un territoire et de sa diversité.

Le premier projet produit dans le cadre de ma maîtrise découle d’un voyage que j’ai fait en 2012
sur l’ancien site de la ville de Joutel, situé quelque part entre Amos et Matagami. J’ai pris en
photo le peu qui reste de cette ville qui, à son plus fort, a compté un peu plus de 1000 âmes et
qui a vu sa population décroître drastiquement après la fermeture de la mine qui mettait le pain
et le beurre sur la table des Joutellois. Ce qui m’a frappé lors de mon passage, c’était de voir
que la nature avait repris le dessus sur les infrastructures restantes et c’était aussi de constater
tous les efforts humains pour camoufler une erreur de gestion autant de la part du
gouvernement que celle de la minière. Toutes les maisons ont été revendues et déplacées, les
égouts enterrés. Personne n’a tenté de donner un second souffle à cette petite ville, on l’a tout

                                                22
simplement rasée à la fermeture de la mine. Pourtant il y avait des familles, une école, un
hôpital, un aréna… ce n’était pas qu’un simple camp de travailleurs.

Un de mes premiers questionnements en arrivant à la maîtrise était sur le sentiment
d’appartenance. Il est souvent dit que nous appartenons à des groupes d’individus, mais il est
plus rare de parler d’appartenance à des lieux. Je me suis alors posé la question « comment se
sent-on quand on vient d’un endroit qui n’existe plus ? » Pour ce projet, j’ai pris comme sujet la
ville maintenant disparue de Joutel (voir figure 14).

En décembre 2015, j’ai présenté l’œuvre Les apatrides dans le cadre de l’événement LAB 2 à la
Galerie des arts visuels de l’Université Laval. C’est avec ce projet que j’ai mis en place un
dispositif qui allait prendre de plus en plus de place dans ma pratique, la maquette. L’œuvre
présentée était constituée d’une maquette présentée au sol de 243cm par 243cm. On y
retrouvait des arbres, des maisons en bois et des figures en terre cuite représentant les
Joutellois. Au mur, il y avait une carte avec quelques-unes de mes photographies prises en
2012 et des images d’archives du temps où la ville battait son plein. L’œuvre, (voir figure 15) qui
fut présentée sur cinq jours était modifiée tous les matins avant l’ouverture pour illustrer chacune
des grandes étapes de l’édification depuis ses débuts jusqu’à sa fin.

         Figure 14: Stacy-Ann Oliver, Les apatrides, 2015, photograhie.

C’est à partir de la présentation de cette œuvre que j’ai commencé plus sérieusement à vouloir
faire quelque chose de similaire avec Lebel-sur-Quévillon. Pour étoffer le contenu de mes

                                                         23
Vous pouvez aussi lire