Cour d'appel Bruxelles Arrêt - 18Fe chambre affaires civiles - Kennisplein
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Expédition Numéro du répertoire Délivrée à Délivrée à Délivrée à 2020 / Date du prononcé le le le 05 mars 2020 € € € CIV CIV CIV Numéro du rôle 2019/KR/60 Non communicable au receveur Cour d’appel Bruxelles Arrêt 18Fe chambre affaires civiles Présenté le Non enregistrable
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 2 1. l’ETAT BELGE, inscrit à la Banque carrefour des entreprises sous le numéro 0252.796.351 et représenté par le Ministre des Affaires étrangères, dont le cabinet est sis à 1000 Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15 ; 2. l’ETAT BELGE, inscrit à la Banque carrefour des entreprises sous le numéro 0252.796.351 et représenté par le Ministre de la Justice, dont le cabinet est sis à 1000 Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115 ; appelants, Représentés par Maître Alain VERRIEST, avocat à 1160 Bruxelles, avenue Tedesco, 7, contre 1. Madame H. S., née le 14 janvier 1996 en Belgique, de nationalité belge, actuellement détenue au camp de détention Al-Roj (Syrie) ; 2. Madame H. S., née le 14 janvier 1996 en Belgique, de nationalité belge, actuellement détenue au camp de détention Al-Roj (Syrie), agissant en qualité de représentante de ses enfants mineurs de nationalité belge, également détenus au camp Al-Roj : • Ha. S., né le 15 janvier 2017, en Syrie, • H.I. S., né le 22 octobre 2018 en Syrie, parties intimées, faisant élection de domicile au cabinet de leurs conseils pour les besoins de la présente procédure, représentées par Maître Nicolas Cohen et Christophe Deprez, avocats à 1000 Bruxelles, rue Marché au Charbon, 83.
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 3 Vu les pièces de procédure et notamment : • l’ordonnance contradictoire prononcée le 30 octobre 2019 par la Chambre des référés du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, signifiée le 22 novembre 2019 ; • la requête d’appel déposée le 6 décembre 2019 par l’ETAT BELGE au greffe de la cour ; • les conclusions additionnelles et de synthèse déposées le 7 février 2020 pour l’ETAT BELGE et le 20 février 2020 pour les parties intimées ; • les pièces déposées devant la cour. Entendu les plaidoiries des parties à l’audience du 20 février 2020 à laquelle la cause a été prise en délibéré. I. EXPOSE SUCCINCT DES FAITS ET ANTECEDENTS DE PROCEDURE 1. H. S., ci-après l’intimée, née en Belgique le 14 janvier 1996 et possédant la nationalité belge, relate qu’au début de l’année 2015, elle se rend en Syrie (elle est alors âgée de 19 ans) pour rejoindre l’EI, qu’elle y rencontre X avec lequel elle conçoit HA., né le 15 janvier 2017; qu’après le décès de X, elle vit maritalement avec un autre homme (également non désigné) avec qui elle aurait conçu H.I., qui naît le 22 octobre 2018, alors qu’elle est détenue dans le camp AL-ROJ depuis son arrestation le 22 janvier 2018. 2. L’intimée fait actuellement l’objet de poursuites pénales dans le cadre d’un dossier visant des faits de participation à une activité d’un groupe terroriste pour des faits de 2015 jusqu’à aujourd’hui (n° de notice FD35.98000071/2017). Le 16 mai 2018, un mandat d’arrêt international a par ailleurs été décerné. Le règlement de procédure était fixé le 6 septembre 2019 devant la chambre du conseil à Malines. 3. L’ETAT BELGE se reconnaît informé de la présence de l’intimée en Syrie, en février 2018. Il rappelle que trois camps sont actuellement contrôlés par des militaires kurdes sur le territoire Syrien, AL-l’OL, AL-ROJ et AIN ISSA.
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 4 Selon son exposé des faits et les pièces auxquelles il se réfère : « depuis le 8 octobre 2019, date du début de l’offensive turque sur les territoires syriens contrôlés par les autorités kurdes, la situation en SYRIE ne cesse de se dégrader et évolue de jour en jour. En effet, depuis le lancement de son offensive, la TURQUIE tente de créer une « zone tampon » de 32 km de large le long de sa frontière avec la SYRIE. Cette « zone tampon » est destinée, selon les autorités turques, à protéger sa frontière des territoires contrôlés par les Unités de protection du peuple kurdes (YPG), considérées par les autorités turques comme une organisation terroriste. Sur ce point, le journal LA LIBRE a mentionné dès le vendredi 11 octobre 2019 des offensives turques à hauteur des villes de RAS-AL-AIN et de TAL ABYAD. Le HAUT-COMMISSARIAT DE L’ONU POUR LES DROITS DE L’HOMME a fait état de frappes turques contre des infrastructures civiles : des stations de pompage d’eau, des barrages et des centrales électriques sis dans la région où se déroulent les combats. Un attentat à la voiture piégée a été commis à QAMICHLI (non loin du camp AL-ROJ). Deux voitures, dont l’une conduite par un kamikaze, ont explosé devant un restaurant de la ville, faisant divers morts et blessés. Cet attentat a été revendiqué par l’organisation terroriste qui se fait appeler « ETAT ISLAMIQUE » - DAECH. Le journal LA LIBRE indique encore que la TURQUIE tenait informés la FRANCE, les ETATS-UNIS et le ROYAUME-UNI des opérations en cours . Votre Cour notera également que des frappes turques sont intervenues à Q AMICHLI, soit une ville située non loin d’AL-ROJ (…). Il convient de noter à cet égard que la ville de QAMISHLI a servi de camp de base à la mission belge menée dans les camps kurdes en SYRIE au mois de juin 2019 et que dans l’état actuel des opérations menées par les différentes forces armées sur le terrain des opérations il est devenu impossible et extrêmement dangereux d’y mener des opérations à caractère purement civil (aides aux réfugies, etc.). Dans ce contexte, il faut noter que l’offensive menée par l’armée turque a pour conséquence un redéploiement vers le nord de la SYRIE de l’armée syrienne dite « régulière » afin de faire face à l’offensive de l’armée turque1. Cette intervention de l’armée syrienne ne fait qu’accroître les tensions existantes dans la région et amplifie les affrontements entre les forces armées turques et les combattants kurdes. Il convient encore de relever que les affrontements à la frontière turque ont pour conséquence un retrait immédiat de près de 1000 soldats américains encore présents dans le Nord de la Syrie, retrait acté le dimanche 13 octobre 2019 par les autorités américaines2. Mark ESPER, 1 https://www.lalibre.be/international/asie/damas-envoie-des-troupes-dans-le-nord-face-a-l-offensive-turque- 5da35eb49978e22374db726b (dernière consultation le 15.10.2019). 2 https://www.lalibre.be/international/asie/jusqu-a-1-000-soldats-americains-vont-quitter-le-nord-de-la-syrie- 5da3227cf20d5a2781766638(dernière consultation le 15.10.2019)
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 5 Ministre de la défense des Etats-Unis a annoncé avoir débuté le retrait complet des troupes américaines du nord de la Syrie3. Par ailleurs, les tensions existant dans la région proche des camps a également un impact sur la situation au sein des camps administrés par les kurdes : la LIBRE BELGIQUE du 11 octobre 2019 faisait état d’une attaque suivie d’une manifestation de la part de femmes djihadistes au sein du camp AL-HOL4 ». 4. Quant aux possibilités de rapatriement, l’ETAT BELGE les estime quasiment impossibles. Selon lui : « la situation en SYRIE est telle que le professeur Gerrit LOOTS de la VUB qui a participé à la mission menée au mois de juin dernier indiquait au VIF L’EXPRESS qu’en raison de l’offensive menée par la TURQUIE en SYRIE, il était devenu quasiment impossible de rapatrier les personnes présentes au sein des camps kurdes en SYRIE. L’article du VIF L’EXPRESS poursuit en indiquant que « Rapatrier est devenu quasiment impossible dans ce chaos. La seule solution que je vois, ce serait que les Kurdes emmènent les gens hors des camps, là où il n'y a pas de combats et où la Belgique et les autres pays européens pourraient les rapatrier au plus vite. C'est encore possible. Sinon, il faudrait mener des opérations militaires dans une zone de guerre et cela ne me semble pas envisageable », explique le professeur qui se trouvait sur place en juin dernier, accompagné notamment du délégué général aux Droits de l'enfant en Fédération Wallonie-Bruxelles Bernard De Vos. »5. Au titre d’informations plus récentes (les précédentes se référant à des évènements et déclarations d’octobre 2019), l’ETAT BELGE invite la cour à prendre connaissance d’analyses de l’OCAM des 24 décembre 2019, 10 et 23 janvier 2020 selon lesquelles le niveau de menace sur les territoires syriens et irakiens est 3, ou grave, c’est-à-dire « une menace à l’égard de la personne, du groupement ou de l’évènement possible et vraisemblable ». L’ETAT BELGE considère que l’envoi d’agents belges vers ces territoires est depuis de nombreuses semaines « très risqué ». Il soumet à la cour une pièce 21 contenant des rapports confidentiels au soutien du risque pour la sécurité du personnel consulaire en cas de mission en Irak et en Syrie. 3 https://www.lalibre.be/international/asie/le-pentagone-accuse-la-turquie-d-etre-responsable-de-la-liberation- de-detenus-dangereux-de-l-ei-5da55844f20d5a264d069bc4 (dernière consultation le 15.10.2019). 4 https://www.lalibre.be/international/asie/des-femmes-djihadistes-manifestent-a-l-interieur-du-principal-camp- tenu-par-les-kurdes-syriens-5da08b04f20d5a2781766529 (dernière consultation le 15.10.2019). 5 https://www.levif.be/actualite/belgique/enfant-de-djihadistes-rapatrier-est-devenu-quasi-impossible/article- news-1203121.html (dernière consultation le 16.10.2019)
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 6 5. Pour sa part, l’intimée décrit les conditions sanitaires et de vie dans le camp AL-ROJ en ces termes : le camp est « mobilisé par l’administration autonome kurde comme un véritable camp de détention. La sécurité de ce camp est assurée par les Forces démocratiques syriennes (« FDS »), une coalition militaire formée dans le cadre du conflit syrien, composée très majoritairement de combattants kurdes, qui a prêté allégeance à, et peut en synthèse être décrit comme le bras armé de, l’administration autonome kurde dans le Kurdistan syrien. Elle relève que dans un communiqué de presse du 19 mars 2019, le Délégué général aux droits de l’enfant rappelle utilement la situation extrêmement difficile pour les enfants mais a fortiori, également pour les adultes. Elle se réfère à de nombreux articles de presses relatif aux rapatriements qui soulignent leurs les enjeux humanitaires. 6. A propos du rapatriement des ressortissants non-syriens, l’intimée conteste l’impossibilité de rapatriement invoquée par l’ETAT BELGE car selon elle : « Il est pourtant bien établi que le rapatriement des ressortissants étrangers rencontre la vive volonté des autorités détentrices kurdes, pour qui la gestion de ces milliers de personnes est intenable et qui, de façon répétée, ont exprimé formellement leur souhait que les États européens prennent leurs responsabilités et organisent le retour de leurs ressortissants. Cette position tout à fait claire et officielle de l’administration autonome kurde de la Syrie du Nord a été exprimée notamment par son responsable des relations extérieures, M. Abdulkarim OMAR, et rapportée, parmi de nombreux médias européens, par Le Monde (pièce D.1). M. OMAR a également exprimé cette position en des termes clairs sur différents plateaux de télévision européens, ainsi qu’au départ de sa page Twitter Les autorités autonomes de la Syrie du Nord ont été jusqu’à organiser une conférence de presse à Bruxelles, spécifiquement consacrée à la sensibilisation des gouvernements européens sur ce sujet, le 31 octobre 2018 6. Le conseil des intimées était présent et a pu s’entretenir brièvement avec M. OMAR, qui a partagé sa carte de visite7 et confirmé la vive volonté des autorités détentrices de voir la Belgique et les autres États européens concernés se rapprocher d’eux pour organiser les rapatriements. 6 Conférence de sensibilisation des gouvernements européens 31 octobre 2018 7 Carte de visite de M. A. OMAR, responsable des relations extérieures de l’administration autonome kurde du Kurdistan syrien – non daté
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 7 Les Forces démocratiques syriennes – bras armé de l’administration kurde autonome – ont exprimé la même position par la voix de leur officier de presse8. Les autorités américaines, qui sont toujours présentes sur place, soutiennent largement et sont en contact permanent avec les Forces démocratiques syriennes, ont également appelé les Etats européens à prendre leurs responsabilités et à rapatrier d’urgence leurs ressortissants 9. Sauf la très heureuse mais trop modeste opération de rapatriement de six enfants à la mi-juin 2019, aucune suite n’a donc été réservée par la Belgique à ces appels aux rapatriements. D’autres États européens ont pourtant décidé de prendre leurs responsabilités et d’entamer, voire de compléter, un processus de rapatriement complet. C’est ainsi que, dès le 20 avril 2019, avec l’aide américaine, le Kosovo, État modeste s’il en est sur l’échiquier diplomatique international, avait rapatrié ses 110 ressortissants de Syrie. Il s’agirait de 4 combattants, de 32 femmes et de 74 enfants, dont 9 orphelins10. (…) De manière originale, l’Etat belge conclut son exposé factuel par les analyses de l’OCAM relatives à des déplacements de Belges vers la Syrie et l’Irak. Le poids donné à ce service est manifestement variable puisque l’Etat belge dépose également une pièce 8 de laquelle il ressort que l’OCAM est favorable aux rapatriements : « en début de semaine, le directeur de l’OCAM estimait que la meilleure option était de rapatrier les combattants belges pour le juger ici . Les intimés sont confrontées à des traitements inhumains et dégradants auxquels le gouvernement belge est le seul à pouvoir mettre un terme, en leur délivrant tous les documents administratifs nécessaires et en organisant, en intelligence avec les autorités kurdes, leur rapatriement vers la Belgique ». L’intimée prétend que des ONG, telle SAVE THE CHILDREN ou encore LA CROIX ROUGE, ont accès au camp et peuvent contribuer au rapatriement. 7. La cour constate qu’encore récemment, l’ETAT BELGE s’engage à rapatrier les enfants belges. Ainsi, selon un article du journal LA CROIX du 13 février 2020, produit par l’intimée, qui reprend les déclarations du Ministres actuel des Affaires étrangères, celui-ci déclare : « la Belgique travaille sur un retour groupé de tous les enfants belges de jihadistes retenus dans 8 Extrait du compte Twitter de Mustafa BALI, officier de presse des Forces démocratiques syriennes 9 20 minutes, 17 février 2019 ; RFI, 18 février 2019 ; Le Soir, 27 juin 2019 ; Le Soir 31 octobre 2019 10 Le Monde, 15 mars 2019.
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 8 des camps en Syrie, conditionné par l’accord de leur mère, et ouvert à une participation de la France pour ses propres enfants » et encore : « la Belgique en dialogue avec plusieurs ministres européens a établi la ligne de ne pas rapatrier d’adultes qui ont participé aux crimes terribles commis par Daech » mais « en 2017-2018, le gouvernement belge a pris la décision de pouvoir ramener tous les enfants». 8. Le 18 septembre 2019, les conseils de l’intimée s’adressent au SPF AFFAIRES ETRANGERES en ces termes : « Madame le Conseiller, Messieurs les Conseillers, Nous avons l’honneur de vous écrire à nouveau en notre qualité de conseil de (l’intimée), née le 14 janvier 1996 en Belgique, de nationalité belge, actuellement détenue au camp de détention Al-Roj (Syrie), et de ses enfants Monsieur Ha., né le 15 janvier 2017, en Syrie et Monsieur H.I., né le 22 octobre 2018 en Syrie. Les informations relatives aux conditions sanitaires dans ce camp sont alarmantes, elles ont encore été confirmées par une récente mission en juin menée notamment par le Pr Gerrit LOOTS et Child Focus. Le Dr CONIX, qui accompagnait cette mission a pu, rapidement, rencontrer notre cliente et a notamment déjà constaté que (l’intimée) présente encore de nombreuses traces de métal dans le corps. Ses enfants souffrent de diarrhée chroniques en raison de parasites intestinaux, qu’ils ont de nombreux poux et qu’ils souffrent de sous-alimentation. (L’intimée) en son nom propre et en celui de ses enfants sollicite l’assistance de la Belgique. Cette assistance se fonde sur droit consulaire et, évidemment, sur le droit humanitaire et sur la protection des droits de l’enfants auxquels nos clients peuvent prétendre. Le fait que (l’intimée) se soit sciemment rendue en Syrie n’ôte rien à ce corpus de règles qui protègent les citoyens belges en détresse à l’étranger. Dans nos précédents échanges au sujet d’autres situations similaires, vous avez toujours affirmé que la Belgique n’a pas de moyen d’actions dans cette zone du territoire syrien sous contrôle des autorités kurdes. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien. En effet, vous avez procédé au rapatriement de 5 enfants et d’une jeune fille majeure au mois de juin et Monsieur Didier REYNDERS s’est targué dans la presse des contacts diplomatiques pris à cet effet ainsi que d’un accord avec les autorités kurdes.
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 9 Il ne suffit donc plus de dire qu’il n’y a pas d’accord avec les autorités kurdes pour rapatrier les enfants avec leur mère. Il vous faut désormais prouver qu’un tel accord a été demandé et refusé. Par ailleurs, lors de ce rapatriement, des représentants belges se sont rendus jusqu’au QAMISHLI, au nord du camp d’Al Hol mais sur le territoire syrien. Et le retour a pu s’organiser par Erbil (Irak). Les conditions de vie et l’état de santé de nos clients réclament leur rapatriement avec une urgence croissante. Auriez-vous l’amabilité de nous faire connaître les intentions de Monsieur le Ministre quant à ce ? De manière plus pragmatique sachez que nous sommes très disposés à et serions heureux de vous rencontrer à votre meilleure convenance pour conférer plus librement de ceci. Nous vous remercions par avance des suites que vous pourrez réserver au présent et vous prions d'agréer, Madame le Conseiller, Messieurs les Conseillers, l'expression de notre très haute considération. ». 9. Le 27 septembre 2019, les services du SPF AFFAIRES ETRANGÈRES répondent : « Nous avons bien reçu votre courriel daté du 18 septembre 2019 relatif à la situation de (l’ intimée), détenue dans le camp de Al-Roj dans le Nord-Est de la Syrie, ainsi que de ses enfants Ha. et H.I.. Comme déjà indiqué précédemment, les autorités kurdes refusent de rapatrier des enfants dont les mères sont détenues dans les camps. Il n’appartient en outre pas aux autorités belges de soustraire l’un de ses ressortissants en détention dans un pays étranger à cette détention. Le SPF Affaires étrangères n’intervient en ce sens pour aucun autre ressortissant belge sous le coup d’une détention à l’étranger, pour des faits commis sur le territoire concerné. Par ailleurs, il n’existe aucun accord liant la Belgique et la Syrie (ou la Belgique et l’administration kurde locale) qui permettrait de solliciter l’extradition de (l’intimée) vers la Belgique. Vous évoquez le déplacement de deux de nos représentants dans la région, lors du rapatriement des 4 orphelins et des 2 victimes d’un enlèvement parental au mois de juin de cette année. Je me permets de souligner que ce déplacement a eu lieu à l’invitation et après autorisation des responsables kurdes, dans le cadre précis et limité des rapatriements des orphelins / enlèvements parentaux. Ce qui diffère d’une présence permanente sur place et qui pourrait permettre la mise en place d’une assistance consulaire « classique », telle que demandée par votre cliente. Par ailleurs, le déplacement des deux représentants belges était entièrement et strictement encadré par les milices kurdes. Ils n’étaient pas libres de leurs mouvements sur place.
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 10 Enfin, contrairement à ce que vous mentionnez, la loi du 1er juin 2018 relative à l’assistance consulaire prévoit que : “Art. 83. Ne peuvent pas prétendre à l’assistance consulaire dans le cadre des situations décrites à l’article 78, les Belges qui: 1° se sont rendus dans une région pour laquelle un avis de voyage du Service public fédéral Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement déconseille tout voyage ; 2° se sont rendus dans une région où sévit un conflit armé; 3° n’ont pas donné suite à l’appel du Service public fédéral Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au Développement de quitter la région où ils séjournent; 4° prennent des risques démesurés, sans s’assurer en conséquence. Soyez cependant assurée que la situation dans ces camps fait l’objet de nos préoccupations quotidiennes, dans l’objectif de trouver une solution durable à cette situation de fait, respectueuse de chacun et du cadre judicaire national et international. Nos services restent bien évidemment à votre disposition pour toute information complémentaire à ce sujet » (pièce 15 de l’ETAT BELGE). 10. Par une citation du 16 octobre 2019, l’intimée introduit une action en référé devant le premier juge. Elle demande , à titre principal d’ordonner à l’Etat belge d’apporter à l’intimée et les enfants Ha. et H.I., toute assistance consulaire et/ou humanitaire consistant à : • S’assurer, positivement et régulièrement, de leur intégrité physique et psychologique; • Leur fournir les documents administratifs, d’identité et de voyage nécessaires à un rapatriement, gouvernemental ou assuré par une ONG ; • Le cas échéant, faciliter la prise de prélèvement ADN pour l’identification certaine du lien de parenté entre l’intimée et les enfants prénommés ; • Faciliter leur rapatriement pour qu’ils reçoivent les soins nécessaires à leur état ; • Aux fins de mettre en œuvre leur rapatriement, entrer en contact avec : ➢ Les autorités locales en charge du camp où ils sont retenus ainsi qu’avec les autorités locales en charge et de la sécurité des territoires à traverser pour le rapatriement ; et/ou ➢ Les représentations consulaires – belges ou d’autres Etats européens – géographiquement proches du camp où ils sont détenus ; et/ou ➢ Une ou plusieurs ONG intervenant sur place. Ceci sous la triple astreinte de :
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 11 • 2 500,00 euros par jour si, après un délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, l’Etat belge n’a toujours pas effectué des démarches pour apporter à l’intimée et ses enfants une assistance consulaire et /ou humanitaire ; • 2 500,00 euros par jour si, après un délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, l’Etat belge n’a toujours pas émis les documents administratifs indispensables pour passer les frontières en vue d’un rapatriement ; • 2 500,00 euros par jour si, après un délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, l’Etat belge n’a pas mis en œuvre les mesures nécessaires et possibles en vue de rapatrier l’intimée et les enfants vers la Belgique et notamment, de manière non-exhaustive, en prenant contact, par exemple, avec : ➢ Les représentations consulaires — belges ou d'autres Etats européens — géographiquement proches du camp où l’intimée et les enfants sont détenus ; ➢ Les autorités locales en charge du camp et les autorités locales en charge et de la sécurité des territoires à traverser pour le rapatriement ; ➢ Une ou plusieurs ONG intervenant sur place et pouvant assurer le lien avec lesdites autorités ; ➢ Les autorités américaines ou d'autres partenaires internationaux intervenant sur place et pouvant assurer le lien avec lesdites autorités. Et de condamner l’Etat belge aux dépens, en ce compris l’indemnité de procédure majorée à 6 000,00 euros ; A titre subsidiaire, elle demande de réduire l’indemnité de procédure au minimum légal de 90 euros. 11. L’ordonnance entreprise du 30 octobre 2019 : • dit que l’intimée fait valoir des droits subjectifs tant dans son chef que dans celui des enfants, tels que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, le droit de ne pas être privé de sa liberté illégalement, le droit à un procès équitable mais également le droit à l’assistance consulaire constituent des droits subjectifs que l’intimée invoque ; • dit qu’il dispose du pouvoir de juridiction pour en connaître ; • constate l’urgence ; • dit la demande irrecevable dans le chef des enfants, l’intimée ne démontrant pas disposer de la qualité de représentante légale; • constate qu’aucune distinction n’est faite en termes de citation entre les demandes formées par l’intimée en son nom propre et les demandes formées par elle en sa
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 12 qualité de représentante des enfants et en conclut que l’ensemble des demandes sont formulées en ces deux qualités, la recevabilité des demandes formées par l’. SLITY en son nom personnel, n’étant pas contestée par l’ETAT BELGE ; • dit qu’il ne doit se fonder que sur des apparences de droit pour la filiation maternelle et que, compte tenu du contexte extrêmement difficile dans lequel l’intimée se trouve et de l’impossibilité pour elle de démontrer les éléments de preuve généralement requis pour constater l’existence d’un lien de filiation, elle peut apparaître prima facie comme la mère des enfants ; • constate l’urgence comme condition de fond du référé ; • dit que les mesures sollicitées n’excèdent pas les limites du provisoire dès lors que le juge des référés peut examiner les droits des parties et statuer prima facie sur ceux-ci, outre que l’Etat belge ne ferait pas valoir l’existence d’un préjudice irréparable ; • considère que, prima facie, les enfants semblent pouvoir être considérés comme des enfants nés à l’étranger d’un parent belge, né en Belgique, et être titulaires en conséquence, des droits qui sont attachés à la qualité de belge ; • constate que l’intimée, partie volontairement en zone de guerre dans laquelle l’Etat belge déconseillait tout voyage, ne dispose pas d’un droit subjectif à ce que l’Etat belge mette en œuvre l’assistance consulaire en sa faveur, compte tenu du libellé de l’article 83 du Code consulaire (tel qu’inséré par la loi du 9 mai 2018), à l’inverse des enfants qui se trouvent dans une situation de détresse extrême au sens de l’article 78, 6° du Code consulaire et dont les conditions de vie sont constitutives de traitement inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH en sorte qu’il dispose, prima facie, d’un droit subjectif à l’assistance consulaire ; • considère que, malgré le contexte conflictuel sévissant en Syrie, l’Etat belge dispose prima facie de capacités suffisantes pour mettre en œuvre son assistance consulaire et procéder aux rapatriements de ses nationaux se trouvant dans les camps, les autorités kurdes étant demandeuses de ces rapatriements et les autorités belges ne démontrant pas que la situation aurait changé sur ce point ; • constate que « si l’Etat belge a effectivement rapatrié six orphelins, il ne démontre pas, en l’état actuel, avoir entrepris la moindre action afin de faire bénéficier des ou similaires. Une telle attitude apparait, prima facie, constitutive d’une violation du droit à l’assistance consulaire» ; • observe qu’en décembre 2017, l’ETAT BELGE a en outre pris l’engagement de rapatrier les enfants belges en décembre 2017 ; • à l’égard l’intimée, constate que si ces éléments ne permettent pas, prima facie, de considérer que l’Etat belge disposerait d’un contrôle effectif sur la zone le rendant responsable des exactions qui y seraient commises, ils démontrent en revanche, prima
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 13 facie, que l’Etat belge dispose d’un certain contrôle/pouvoir sur la situation de l’intimée nonobstant les contraintes liées à toute intervention dans une zone de conflit. Dès lors, selon le premier juge, l’attitude de l’ETAT BELGE est constitutive de violation de l’article 3 de la CEDH et il lui appartient de prendre les mesures positives en son pouvoir et en conformité avec le droit international pour assurer à l’intimée et aux enfants la protection de leurs droits fondamentaux. Concernant les mesures à prendre, l’ordonnance dont appel estime qu’elles doivent être prises en conformité avec le droit international et qu’il serait prima facie, constitutif d’une violation des droits fondamentaux des enfants de les rapatrier en les séparant de leur mère. Une telle mesure serait contraire aux articles 22 et 22bis alinéa 4 de la Constitution, 3 et 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant et 8 de la CEDH, tandis que les autres intérêts en présence (et notamment la préservation de la sécurité nationale et de la société belge) n’apparaissent pas prima facie pouvoir prévaloir sur l’intérêt supérieur des enfants de ne pas être séparés de leur mère lors du rapatriement. Le premier juge enjoint à l’Etat belge de procéder aux rapatriements en mettant en œuvre les mesures qu’il estimera les plus appropriées et lui laisse un délai de 75 jours, avec une astreinte de 2000,00 € par jour à compter d’un délai de 75 jours à dater de la signification de l’ordonnance (le montant des astreintes étant plafonné à 750.000,00€) tant qu’elle n’a pas été exécutée. Il condamne l’Etat belge aux dépens et à l’indemnité de procédure fixée au montant de base (à savoir 1.440,00€) ainsi qu’à la contribution au fond budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne. II. DEMANDES FORMEES DEVANT LA COUR 12. L’ETAT BELGE, appelant au principal, ne conteste plus l’urgence, mais il sollicite de la cour de : « Acter le caractère confidentiel des deux avis de l’OCAM des 24 décembre 2019 et 10 janvier 2020 et de l’analyse de la Défense du 24 janvier 2020 (Tasking Kab MOD 24 Jan 2020), A titre principal, De déclarer l’appel de l’ETAT BELGE recevable et fondé et, dès lors, statuant à nouveau de : • mettre à néant l’ordonnance dont appel dans la mesure où elle dit pour droit : ➢ que le juge saisi dispose d’un pouvoir de juridiction pour statuer dans la présente cause ;
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 14 ➢ que la cause répond à la condition d’urgence (condition de fond et de compétence du juge des référés) ; ➢ que les demandes formulées par l’intimée en première instance ne dépassent pas les limites du provisoires et ne sont pas déclaratoires de droits ; ➢ qu’il convient de faire droit aux demandes de l’intimée et en conséquence de condamner l’ETAT BELGE à rapatrier l’intimée ainsi qu’l’aroun et l’aytem Ishaaq dans un délai maximal de 75 jours à dater de la signification de l’ordonnance après avoir mis en œuvre toutes les mesures qu’il estimera appropriées, ceci sous peine d’une astreinte de 2.000€ par jour de retard avec un maximum de 750.000€ les astreintes commençant à courir à compter de l’expiration du délai précité ; • dire pour droit que Votre Cour ne dispose d’aucun pouvoir de juridiction pour trancher la présente cause à défaut pour l’intimée d’invoquer des droits subjectifs pouvant être valablement revendiqués à l’égard de l’ETAT BELGE ; A titre subsidiaire, dire pour droit que les demandes originaires de l’intimée sont irrecevables et à tout le moins non fondées ; En conséquence réformer l’ordonnance dont appel en ce qu’elle condamne l’ETAT BELGE au paiement de l’indemnité de procédure, aux frais de citation et à la contribution au Fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne et condamner l’intimée au paiement des dépens de première instance et d’appel. En toute hypothèse, plafonner le montant des astreintes à 50.000,00 € maximum, ce montant étant mentionné sans aucune reconnaissance préjudiciable et sous réserve de tous les droits de l’appelant et accorder un délai de minimum 120 jours dans le chef de l’appelant au lieu de 75 jours à partir de la signification de l’arrêt à intervenir ». 13. Les intimés forment appel incident en ce que l’ordonnance entreprise dit l’action irrecevable en tant qu’elle est formée par l’intimée en sa qualité de représentante de Ha. et de Haitem Ishaaq et en tant qu’elle ne fait pas intégralement droit aux astreintes sollicitées et elle réitère à titre principal les demandes formées devant le premier juge. A titre subsidiaire, ils demandent la confirmation de l’ordonnance et plus subsidiairement, de fixer l’indemnité de procédure à 90 euros. III. DISCUSSION ET DECISION
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 15 III.1. Moyens de droit invoqués par les intimés 14. Par leur appel incident, les intimés demandent la réformation de l’ordonnance entreprise en ce qu’elle déclare irrecevable l’action introduite par l’intimée, en se prévalant de la qualité de représentante légale des enfants mineurs Ha. et H.I. et en ce qu’il décide que seul le tribunal de la famille est apte, sur la base des éléments qui lui seront fournis (test ADN ou possession d’état) à reconnaître un lien de filiation maternel entre l’intimée et les enfants précités. Quant à l’apparence des droits qui justifieraient les mesures sollicitées, les intimés invoquent : ▪ l’intérêt supérieur de l’enfant consacré par l’article 22bis, alinéa 1 er de la Constitution et l’article 3, §§1et 2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, lu avec l’article 16 de ladite Convention ; ▪ le droit au respect de l’intégrité physique et psychologique consacré par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 2 de la Convention contre la torture des Nations Unies, lu avec le principe de non-discrimination. ▪ le droit de rejoindre son propre pays prévu par l’article 3 (2) du Protocole 4 à la CEDH et l’article 12 (4) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 13 (2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. ▪ à titre personnel dans le chef de l’intimée, le droit de se défendre personnellement et d’assister à son procès pénal, consacré par les articles 152 et 185 du CIC et l’article 6 de la CEDH. ▪ un droit à la protection consulaire résultant du Code consulaire belge. III.2. Objections et moyens de l’ETAT BELGE 15. L’ETAT BELGE demande la confirmation de l’ordonnance quant à l’irrecevabilité des demandes formées au nom des enfants. Il conteste préalablement le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux pour le motif que ni l’intimée, ni les enfants, ne seraient titulaires de droits subjectifs dont l’ETAT BELGE leur serait redevable, que ce soit en vertu de conventions internationales ou du droit consulaire interne, ou d’un engagement unilatéral ayant force obligatoire. Il ajoute que les mesures ordonnées par le premier juge excèderaient les limites du provisoire et qu’une assistance consulaire serait en tout état de cause impraticable, de même
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 16 qu’un rapatriement que l’ETAT BELGE ne pourrait organiser qu’en coopération avec d’autres membres de la communauté internationale, à défaut de disposer de forces sur place. III.3. Décision III.3.1. Les demandes faites au nom de Ha. et H.I. A. Pouvoir de juridiction 16. L’ETAT BELGE reconnaît en conclusions mais également via la presse et la voix de son Ministre (voir n° 7) avoir pris, fin 2017, l’engagement de rapatrier les enfants belges de moins de 10 ans. Cependant, il dénie à cet engagement l’effet contraignant d’un engagement unilatéral, car selon lui, il ne s’agirait que d’un engagement « politique » ou « d’une déclaration d’intention unilatérale pris sur la scène internationale ». 17. Prima facie, cette analyse n’est pas justifiée. Tant en 2017 que plus récemment par voie de presse, les ministres des Affaires étrangères successifs ont confirmé la décision ou « ligne de conduite » de l’ETAT BELGE de rapatrier les enfants belges de moins de dix ans, soit orphelins, soit avec l’accord de la personne titulaire de l’autorité parentale. Ces déclarations traduisent et portent à la connaissance des intéressés, c’est-à-dire les enfants concernés, un engagement unilatéral de les rapatrier. Cet engagement crée un droit subjectif dans le chef des enfants concernés dont les cours et tribunaux ont le pouvoir de juridiction de connaître pour veiller à son exécution. A l’égard des enfants mineurs de moins de dix ans, aucune nouvelle balance des intérêts n’est justifiée pour que l’ETAT BELGE vérifie s’il y a lieu de les rapatrier ou non, au regard d’éventuelles considérations sécuritaires. En effet, l’ETAT BELGE a consenti l’engagement unilatéral précité en prenant déjà en considération les conditions dans lesquelles ces enfants sont nés et sont élevés, ce pourquoi il l’a limité aux enfants de moins de dix ans. 18. En deuxième lieu, ainsi qu’elle l’énonce dans l’arrêt prononcé le 9 janvier 2020, dans la cause 2019/KR/39, la cour persiste à considérer que prima facie la « possibilité » de rapatriement, sur décision du Ministre, en cas de situation de détresse extrême, c’est-à-dire dans la situation qui « implique d’être privé de logement ou dans l’incapacité de s’alimenter régulièrement et est constatée par le poste au cours d’un entretien avec le Belge concerné », et lorsqu’il apparaît de manière manifeste que la recherche de secours ou de protection par l’autorité locale ou d’associations de bienfaisance locales ne fournit pas de solutions, se mue
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 17 prima facie en une obligation au respect de laquelle les cours et tribunaux ont le pouvoir de juridiction de veiller lorsque la situation de détresse est celle d’un enfant. Nonobstant toutes les objections de l’ETAT BELGE, la cour estime qu’il y a lieu d’avoir égard à l’article 22 bis, alinéa 1er, de la Constitution, qui oblige l’ETAT BELGE à veiller à l’intégrité morale, physique psychique et sexuelle des enfants et à l’alinéa 4 de cette disposition constitutionnelle qui oblige les organes de l’ETAT BELGE à rendre en considération l’intérêt de l’enfant de manière primordiale dans toute décision qui le concerne. De même, l’article 3, §1er de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant porte également que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociales, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Dans son arrêt du 19 mars 2015, n° 38/2015, la Cour constitutionnelle rappelle « Tant l’article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l’article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l’enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l’intérêt de l’enfant dans les procédures le concernant. La Cour européenne des droits de l’homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l’enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, §§ 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, §§ 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119; 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63) ». L’ETAT BELGE doit donc prendre en considération de manière primordiale l’intérêt de l’enfant lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui réserve le Code consulaire belge et prima facie, cette obligation implique celle de veiller au rapatriement d’un enfant en situation de détresse si celui-ci ne peut y échapper qu’à cette condition. L’intérêt supérieur de l’enfant constitue donc une limite au pouvoir discrétionnaire d’appréciation que confèrent en principe le Code consulaire, son arrêté royal d’exécution du 22 avril 2019 et l’arrêté ministériel du 20 mai 2019 « portant diverses dispositions sur l’assistance consulaire ». Dès lors, prima facie, l’ETAT BELGE doit , dans la mesure où les autorités kurdes et les parents lui en laissent la possibilité, prendre toutes les dispositions nécessaires qui sont en son pouvoir dans la situation de guerre qui prévaut dans la région et compte tenu du pouvoir de décision final des autorités kurdes sur les camps, pour organiser le rapatriement des enfants mineurs de nationalité belge et ce, le plus rapidement possible, compte tenu de la situation dramatique qui prévaut sur place.
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 18 19. L’y condamner n’est pas susceptible d’excéder le caractère provisoire car il s’agirait de mettre fin dans l’urgence à une gravissime situation de détresse et à la méconnaissance manifeste d’une obligation. 20. Comme le rappelle l’ETAT BELGE, son engagement unilatéral ne concerne pas les mères, alors que, selon lui et les affirmations de l’intimée elle-même, les autorités kurdes ne consentiraient à libérer les enfants qu’avec leurs parents, ou mère présumée. Il n’est pas démontré à suffisance de droit prima facie que l’obligation de rapatriement des enfants implique nécessairement celui de leur mère. Dans son arrêt précité, la Cour constitutionnelle enseigne que l’intérêt de l’enfant n’est pas absolu et n’empêche pas la prise en compte d’autres intérêts en présence : « Si l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale, il n’a pas un caractère absolu. Dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l’intérêt de l’enfant occupe une place particulière du fait qu’il représente la partie faible dans la relation familiale. Il ne ressort pas de cette place particulière que les intérêts des autres parties en présence ne pourraient pas être pris en compte. B.5. La paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux, d’une part, et l’intérêt de l’enfant, d’autre part, constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte pour limiter les cas de contestation de la reconnaissance de paternité. A cet égard, il est pertinent de ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité socio-affective de la paternité ». Si l’exigence des autorités kurdes d’un rapatriement conjoint est encore d’actualité, ce que la cour ne peut déterminer à suffisance de droit, il reviendra à l’ETAT BELGE d’apprécier, sous le contrôle a posteriori des juridictions d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’une absence d’appréciation, si l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant requiert, ou non, dans les circonstances particulières de chaque cas, le rapatriement de leur mère également. Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux ne peut être contesté pour les demandes de rapatriement d’enfants mineurs retenus dans les camps en Syrie. C. Sur la recevabilité de l’action formée au nom des enfants
Cour d’appel Bruxelles – 2019/KR/60 – p. 19 21. Toutefois, en l’espèce, comme en a décidé le premier juge, Ha. et H.I. ne sont pas valablement représentés en justice par l’intimée (condition de recevabilité de leur action). Selon l’article 376 du Code civil, « Lorsque les père et mère exercent conjointement l'autorité sur la personne de l'enfant, ils administrent ensemble ses biens et le représentent ensemble. A l'égard des tiers de bonne foi, chacun des père et mère est réputé agir avec l'accord de l'autre quand il accomplit seul un acte de l'administration des biens de l'enfant, sous réserve des exceptions prévues par la loi. Lorsque les père et mère n'exercent pas conjointement l'autorité sur la personne de l'enfant, celui d'entre eux qui exerce cette autorité a seul le droit d'administrer les biens de l'enfant et de le représenter, sous réserve des exceptions prévues par la loi (…) ». En l’espèce, aucun père n’a reconnu les enfants. Quant à l’intimée, elle n’établit pas à ce jour son lien juridique de parenté maternelle avec les enfants, à défaut d’un acte de naissance mentionnant son nom comme mère (article 312 du Code civil). En effet, Ha. est né au sein de territoires occupés par l’EI, seul responsable de l’absence d’enregistrement des naissances, et H.I. est né dans le camp AL-ROJ où ni les autorités kurdes, ni la Belgique et aucun autre Etat n’a établi un bureau d’enregistrement des naissances et de déclarations de filiation. 22. L’exigence d’un pouvoir de représentation pour agir au nom d’enfants mineurs est considérée comme illégitime au nom de l’intérêt supérieur des enfants et de considérations d’équité. En effet, il est permis de considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant et l’équité commandent qu’un enfant soit représenté en justice par une personne qui est réellement son auteur et non par une personne qui invoquerait une filiation inexistante pour s’en prévaloir à des fins personnelles et solliciter des mesures en sa faveur. L’intimée a entrepris d’agir en reconnaissance d’état sur pied de l’article 314 du Code civil devant le tribunal de la famille afin de faire établir la filiation à l’égard des deux enfants. Il reviendra à la juridiction saisie de cette demande de veiller à et d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants dans le cadre de cette procédure. 23. Dans l’affaire Markovic c/Italie11, la Cour EDH rappelle que le droit d’accès à un tribunal est un élément inhérent aux garanties consacrées par l’article 6 en sorte que l’article 11 Markovic et autres c. Italie, n ° 1398/03, §54, CEDH 2006-XIV11) ;
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