FESTIVAL D'AUTOMNE À PARIS - Festival d'Automne à Paris
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FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 9 septembre – 31 décembre | 44e édition DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE Service de presse : Christine Delterme, Carole Willemot Assistante : Mélodie Cholmé Tél : 01 53 45 17 13 | Fax : 01 53 45 17 01 c.delterme@festival-automne.com c.willemot@festival-automne.com assistant.presse@festival-automne.com Festival d’Automne à Paris | 156, rue de Rivoli – 75001 Paris Renseignements et réservations : 01 53 45 17 17 | www.festival-automne.com
THÉÂTRE Musique, théâtre, cinéma, danse, arts plastiques, performances. Tous ces arts sont présents au Festival d’Automne. Son ample ouverture aux artistes du monde a fondé sa singularité. Nous oeuvrons aujourd’hui à développer cet esprit pionnier. Demeurer épris de différences et fervent d’étrangeté, défier, bousculer les canons : si le Festival d’Automne reste fidèle à l’esprit de ses fondateurs, il sait aussi s’adapter aux conjonctures actuelles. Il ne s’agit jamais d’y fuir le monde, plutôt d’éprouver à travers l’art une autre vision, ouverte à des oeuvres ou à des expériences qui bousculent les normes. Le Festival réunit un ensemble de partenaires prêt à risquer l’aventure. Quarante lieux de Paris et de sa région sont associés à cette nouvelle édition, qui développe de nouvelles collaborations, avec le Théâtre Romain Rolland (Villejuif), le Théâtre Paul Éluard (Choisy-le-Roi), le Tarmac (Paris) ou avec des salles récemment ouvertes (la Philharmonie de Paris, l’Auditorium de Radio France). Le rôle fédérateur du Festival permet la présence dans toute l’Île-de-France d’artistes amenés à rencontrer de nouveaux publics. Un ensemble d’initiatives en direction des publics, qui s’appuie sur l’implication des artistes de toutes disciplines et origines, fait de notre programme un instrument au service de la transmission et de l’éducation artistique, favorisant la rencontre avec les oeuvres et la découverte de mondes étrangers ou familiers de la création. Avec plus de cinquante propositions venues du monde entier, nous nous réjouissons que le Festival réunisse cette année, aux côtés de nombre d’artistes français, d’autres créateurs venus de pays aussi différents que la Corée du Sud, le Maroc, les États-Unis, le Danemark, l’Autriche, la Côte d’Ivoire ou l’Égypte, présentant toutes les formes d’expression scéniques, musicales ou plastiques. Si le Festival d’Automne accompagne depuis toujours les plus grands artistes (auxquels il consacre des « portraits »), il est de son devoir d’y inviter aussi les nouvelles générations, de les soutenir et de les faire connaître, car plutôt que d’opposer les anciens aux modernes, nous souhaitons associer toujours mémoire et temps présent, et tourner avec passion notre regard vers le futur. Dans ce monde où les adversaires de la liberté voudraient clore les frontières, écraser les expressions libres, et parfois détruire les artistes et leurs oeuvres, un Festival comme celui d’Automne, avec ses missions et son esprit d’ouverture, est plus que jamais salutaire. Le Ministère de la Culture, la Mairie de Paris et le Conseil régional d’Île-de-France subventionnent le Festival d’Automne à Paris. Il bénéficie du généreux soutien des Amis du Festival d’Automne que préside Pierre Bergé. Sans eux, rien de cette singulière aventure ne pourrait être mené. Nous les remercions. Emmanuel Demarcy-Mota Directeur général DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 3
SOMMAIRE Robert Lepage / 887 Encyclopédie de la parole / Joris Lacoste / Suite n°2 Théâtre de la Ville – 9 au 17 septembre T2G − Théâtre de Gennevilliers – 1er au 11 octobre - Pages 7-10 - Pages 31-34 Daria Deflorian / Antonio Tagliarini tg STAN / De KOE / Dood Paard / Maatschappij Discordia Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni Onomatopée La Colline − théâtre national – 18 au 27 septembre L’apostrophe / Théâtre des Louvrais-Pontoise 6 au 8 octobre Reality La Scène Watteau, scène conventionnée de La Colline − théâtre national Nogent-sur-Marne 30 septembre au 11 octobre 14 et 15 octobre - Pages 11-15 Théâtre de la Bastille – 19 octobre au 6 novembre Julie Deliquet / Collectif In Vitro tg STAN / Le Cerisaie d’Anton Tchekhov Catherine et Christian (fin de partie) La Colline − théâtre national – 2 au 19 décembre Théâtre Gérard Philipe / Saint-Denis - Pages 35-39 24 septembre au 16 octobre Théâtre Romain Rolland / Villejuif 3 au 7 novembre Gisèle Vienne / Dennis Cooper / Puppentheater Halle La Ferme du Buisson – 21 et 22 novembre The Ventriloquists Convention Théâtre Paul Éluard / Choisy le roi – 27 novembre Centre Pompidou – 7 au 11 octobre - Pages 17-19 Nanterre-Amandiers – 27 novembre au 4 décembre - Pages 41-43 Jonathan Châtel / Andreas d’après la première partie du Chemin de Damas d’August Strindberg Federico León / Las Ideas La Commune Aubervilliers – 25 septembre au 15 octobre Théâtre de la Bastille – 7 au 16 octobre - Pages 21-24 - Pages 45-47 Vincent Thomasset Lucia Calamaro Lettres de non-motivation d’après le projet de Julien L’Origine del mondo. Ritratto di un interno Prévieux La Colline − théâtre national – 20 au 24 octobre Centre Pompidou – 30 septembre au 3 octobre - Pages 49-52 Théâtre de la Bastille – 10 au 21 novembre Pages Ahmed El Attar / The Last Supper La Suite (Sus à la Bibliothèque ! / Les Protragronistes / T2G − Théâtre de Gennevilliers – 9 au 15 novembre Médail Décor) L’apostrophe / Théâtre des Louvrais-Pontoise Centre Pompidou – 4 au 8 novembre 17 novembre - Pages 25-29 - Pages 53-56 DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 4
Talents Adami Paroles d’acteurs Jean-François Sivadier / Portrait de « famille » d’après Sophocle, Eschyle, Euripide Atelier de Paris-Carolyn Carlson – 10 au 14 novembre - Pages 57-60 Angélica Liddell / Primera carta de San Pablo a los Corintios. Cantata BWV 4, Christ lag in Todesbanden. Oh, Charles ! Odéon-Théâtre de l’Europe / Paris 6e – 10 au 15 novembre - Pages 61-64 Rodrigo García / 4 Nanterre-Amandiers – 12 au 22 novembre - Pages 65-68 Toshiki Okada / Super Premium Soft Double Vanilla Rich Maison de la culture du Japon à Paris – 18 au 21 novembre - Pages 69-71 portrait 2014-15 ROMEO CASTELLUCCI festival d’automne à paris Nicolas Bouchaud / Éric Didry Le Méridien d’après Paul Celan Le Portrait Romeo Castellucci fait l’objet d’un dossier de presse à part Théâtre du Rond-Point – 25 novembre au 27 décembre Romeo Castellucci / Ödipus der Tyrann - Pages 73-77 de Friedrich Hölderlin d’après Sophocle Théâtre de la Ville – 20 au 24 novembre Romeo Castellucci / Le Metope del Partenone Annie Dorsen / Yesterday Tomorrow Grande Halle de la Villette – 23 au 29 novembre T2G – Théâtre de Gennevilliers – 6 au 8 décembre - Pages 79-82 Romeo Castellucci / Orestie (une comédie organique ?) Odéon-Théâtre de l’Europe / Paris 6e – 2 au 20 décembre L’apostrophe / Théâtre des Louvrais-Pontoise – 8 et 9 janvier DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 5
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Après des mises en scène autrement spectaculaires (La ROBERT LEPAGE Trilogie des dragons, Jeux de cartes ou encore des collaborations avec le Cirque du Soleil), Robert Lepage renoue avec le “seul en scène” pour une exploration des 887 mécanismes de la mémoire. Convoquant des souvenirs Conception, mise en scène et interprétation, Robert Lepage personnels, 887 n’est pas pour autant un conte autobiographique. L’anecdote, toujours, s’emmêle de considérations historiques plus générales. Années 1960. Québec. Montréal, 887 rue Murray. Dans cet immeuble, Direction de création, Steve Blanchet miroir d’une société à l’aube de bouleversements Dramaturge, Peder Bjurman majeurs, le jeune Robert découvre le théâtre au détour Assistante à la mise en scène, Adèle Saint-Amand des jeux inventés avec sa sœur. En sourdine, les Musique originale et conception sonore, Jean-Sébastien Côté premières bombes du Front de libération du Québec Conception des éclairages, Laurent Routhier explosent. Conception des images, Félix Fradet-Faguy Collaboration à la conception du décor, Sylvain Décarie On entre dans ce bâtiment par la fenêtre, à la dérobée, Collaboration à la conception des accessoires, Ariane Sauvé comme on entrerait par effraction dans le cerveau d’un Collaboration à la conception des costumes, Jeanne Lapierre homme. La topographie scénique est autant mentale que géographique, et se métamorphose au rythme de mystérieuses connexions synaptiques. Robert Lepage est un conteur passe-muraille. Il travaille un théâtre de l’ubiquité qui se moque bien des frontières spatiales ou temporelles. Une seule distance à garder, celle du recul THEATRE DE LA VILLE tendrement ironique que permettent les années. 887 Mercredi 9 au jeudi 17 septembre, lundi au samedi 20h30 n’est une pièce intime qu’en ce qu’elle laisse en suspens. Relâche dimanche Une ode qui s’adresse moins à la mère-patrie et à sa 26€ et 35€ // Abonnement 26€ Durée estimée : 2h devise – “je me souviens” – qu’aux silences du père. Et à ce métier de comédien dont la mémoire est la pierre angulaire. Production Ex Machina, créée à l’initiative du programme artistique et culturel des Jeux Pan Am et Parapan AM de TORONTO 2015 // Coproduction le lieu unique, Nantes ; La Comète – Scène nationale de Châlons-en- Champagne ; Edinburgh International Festival ; Théâtre de la Ville-Paris Romaeuropa Festival 2015 ; Bonlieu Scène nationale d’Annecy CélestinsThéâtre de Lyon ; Le Théâtre français du Centre national des Arts d’Ottawa ; Le Théâtre du Nouveau Monde, Montréal // Production déléguée Europe, Japon, Epidemic – Richard Castelli // Producteur pour Ex Machina, Michel Bernatchez // Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris // Avec le concours du Centre culturel canadien à Paris En partenariat avec France Inter Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre de la Ville Jacqueline Magnier 01 48 87 84 61 DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 7
ENTRETIEN ROBERT LEPAGE Vous avez toujours lié vos pièces à des chiffres, des dates, Robert Lepage : Le débat actuel vient en écho à celui des des éléments numériques. Est-ce que 887 signifie autre années 1960. Mais à l’époque, il était beaucoup plus axé chose que votre adresse d’enfance ? sur les questions de lutte de classe, de rapports sociaux. Robert Lepage : Quand on commence un spectacle, on Aujourd’hui finalement, tout le monde est très bour- travaille dans le vide. Les idées de départ n’ont pas de geois au Québec. Les francophones comme les anglo- structure, alors on cherche un squelette, un échafaudage phones ont à peu près les mêmes opportunités. Il y a pour pouvoir les accrocher et souvent l’adoption d’un cinquante ans ce n’était pas le cas. C’était vraiment la système mathématique aide. Les chiffres nous permet- lutte de classes entre une population francophone qui tent de sortir du chaos. Dans Lipsynch, on travaillait sur était pauvre et une population anglophone. Les grandes le chiffre 9, dans Les Sept branches de la rivière Ota, le 7, luttes du Québec dans les années 1960 ressemblaient dans La Trilogie des dragons, le 3. 887 est une vraie plus à ce qui se passait en Europe, où commençait la dé- adresse et je ne peux pas dire exactement ce que le chif- colonisation, avec ces pays qui essayaient de s’affranchir fre signifie, sinon qu’il me fait penser à 8 1/2. Fellini avait du joug impérialiste. Dans 887, j’essaie de ramener ça, choisi ce titre pour son neuvième film, parce qu’il s’esti- mais vu à travers les yeux d’un enfant. mait à mi-parcours. Ici, le troisième chiffre, le 7, est presque comme un demi. C’est là que vous en venez au poème de Michèle Lalonde, Speak White, qui condense ces questions. Comment s’est effectué le tri mémoriel entre ce qui devait Robert Lepage : Le poème a été écrit en 1968 mais a été ou pouvait passer à la scène et ce qui ne pouvait pas ? lu et enregistré en 1970. Il a été la cristallisation du mou- Robert Lepage : Avec un thème comme la mémoire on vement d’insatisfaction des québécois francophones. Il glisse très rapidement vers des textes scientifiques et ça fait la synthèse de cette lutte de classes, de ce rapport à nous amène à de premières recherches médicales. Mais, la langue et de ce rapport à l’identité. Peu de temps après très vite, on s’enlise. Aussi intéressants soient-ils, ces pro- la lecture du poème à cette fameuse nuit de la poésie, il pos ne tiennent pas le coup si on ne peut pas y accrocher y a eu la crise d’octobre 70, avec mort d’homme. Les des éléments profondément personnels. Tout mon récit forces de l’ordre à Montréal et à Québec se sont mon- est articulé par un travail de retour en arrière vers les an- trées féroces. On a vécu une répression qui s’apparentait nées 1960, celles de mon enfance. J’ai dû faire un tri im- – en moins grave – à celles du Chili ou d’Argentine et qui portant dans mes souvenirs de l’âge de deux ans et demi avait les couleurs du fascisme. Ce poème a été détermi- jusqu’à douze ans et demi. Plein de choses sont réappa- nant. Je m’en sers comme colonne vertébrale du specta- rues en essayant de retrouver la grande histoire autant cle. Je me joue moi-même lorsque je suis invité à célébrer que la petite histoire. Car j’ai essayé, comme dans la plu- le 40ème anniversaire de sa lecture publique et que je part de mes spectacles de croiser ces deux niveaux et de me rends compte que j’ai un problème de mémoire. Je m’interroger sur ce qu’était le Québec dans les années viens du monde de l’improvisation et les improvisations 1960. finissent par s’écrire, ce qui est différent de l’apprentis- sage du texte d’un autre. Qu’est-ce que le théâtre si ce Pourquoi est-ce aussi vital aujourd’hui de faire revivre n’est un sport de la mémoire ? Et quand on arrive à une cette période du Québec ? bonne cinquantaine, la mémoire n’est pas au rendez- Robert Lepage : C’est vraiment un problème de mémoire. vous. Ca, c’est le prétexte du spectacle. Il m’amène à des Sur les plaques d’immatriculation des voitures au Qué- allers-retours dans mon passé pour trouver des éléments bec il est écrit : “Je me souviens”. Quand vous interrogez auxquels me raccrocher. autour de vous sur l’origine de ce slogan, rares sont ceux qui peuvent répondre. Personne ne se souvient de ce que Quel est la place de l’autofiction dans votre travail ? veut dire “Je me souviens”. Or c’est très important. C’est Robert Lepage : A peu près tout est vrai. Les histoires, les tiré d’un poème écrit au tournant du siècle qui dit : “Je personnages, les contextes, les situations sont tous vrais. me souviens d’être né sous le lys – sous les Français – et Certes, le conteur ou le poète se doit d’enjoliver les de croître sous la rose”, donc je me développe et m’épa- choses. La licence poétique permet de mentir un peu ou nouis sous le régime anglais. Voilà ce que dit ”Je me sou- d’exagérer certains liens pour que la pièce soit ce “men- viens”. C’est quand même très lourd. J’insiste là-dessus songe qui dit la vérité”, comme disait Cocteau. parce qu’aujourd’hui quand on débat d’une option sou- verainiste ou fédéraliste, donc quand on parle politique Avez-vous dû ajuster certains souvenirs à cause de la mise – surtout avec les nouveaux arrivants et les jeunes – com- en scène ? ment faire si on n’a pas de mémoire vive de ça et de ce Robert Lepage : Oui, je l’ai fait, et délibérément. Il y a des qui s’est passé dans les années 1960 ? choses dont je n’ai pas voulu parler non par pudeur mais parce que cela risquait d’être trop touffu pour le specta- Ce n’est donc pas seulement pour vous-même, pour votre teur. J’occulte certains éléments de mon enfance qui propre mémoire, que vous revenez sur l’époque, mais étaient intéressants mais n’auraient pas supporté la aussi pour la mémoire collective du Québec ? scène. Il faut aussi que ça demeure léger, même si le DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 8
thème est grave. Parce qu’on passe d’une révolution compromis, à la prise en compte des problèmes d’ego, si “tranquille” à une histoire très mouvementée. Je com- on veut que le projet aboutisse. Les spectacles solo me mence sur le ton de la conférence, sans effets, et on permettent de faire les choses comme je le sens, c’est une entre peu à peu dans des situations, des décors, des soupape, ça me permet de jouer et de parler sans com- images où je me retrouve à jouer moi-même certaines promis. scènes et où, lentement, le théâtre s’impose. Qui est-ce qui vous dirige quand vous êtes en scène ? N’y a-t-il pas une dimension de réconciliation avec votre Robert Lepage : Je me dirige moi-même. Mes spectacles propre histoire et avec l’histoire du Québec ? solos ne sont jamais vraiment des spectacles solos. Dans Robert Lepage : C’est exactement ça, c’est le bon terme, la salle de répétition il y a beaucoup de monde. Des amis se réconcilier avec son propre passé. Au Québec, il y a dramaturges viennent m’aider, des concepteurs sont là des gens qui votent pour des projets du futur et des gens dès le premier jour, des techniciens de scène donnent qui votent pour essayer de régler le passé. On ne peut du feedback, je ne me sens jamais abandonné. Mais une pas régler le passé. On peut se réconcilier avec le passé, fois que le spectacle est commencé c’est moi qui défends on peut le revisiter mais on ne peut pas le changer. Oui, ma peau seul en scène. on veut changer le monde, oui, on veut une meilleure société pour tout le monde, mais il ne faut pas oublier Au générique, vous êtes crédité de la mise en scène et de le passé. Il faut le visiter mais on ne peut pas le régler. Il l’interprétation et Steve Blanchet de la “direction de créa- faut s’en souvenir pour ce qu’il était. tion et idéation”. Qu’est-ce que ces fonctions recouvrent exactement ? Et la réconciliation avec votre famille, avec votre père ? Robert Lepage : Steve est celui qui “met la table”. Je lui Robert Lepage : C’est devenu un spectacle où mon père dis : j’aimerais qu’on parle de ça ou ça et lui, il revient occupe une place importante. J’avoue que je ne pensais avec des options, des choix, des trucs qu’il a trouvés, des pas du tout que ça tournerait autant autour de mon père, opinions, des personnes. Il fait un travail dramaturgique cela m’a étonné. Cet homme était comme tous les qui n’est pas uniquement basé sur l’écriture dramatur- hommes au Québec à l’époque, pas riche, sans instruc- gique. Il va m’amener des éléments parfois scénogra- tion, il ne parlait pas. D’un coup il est devenu représen- phiques, parfois des thèmes ou des sous-thèmes. tatif du Québécois moyen et il est passé au centre du Chez-nous on dit “mettre la table”. Il rend possibles mes spectacle. Je reviens beaucoup sur cette redécouverte de idées. mon père. Ce doit être votre dixième pièce présentée au Festival Il y a un double angle, votre père en tant que père et en d’Automne. Que représente-t-il pour vous et que repré- tant que représentant de la classe moyenne québécoise. sente le fait d’être joué à Paris ? Robert Lepage : Oui, c’est ça. Il faisait partie de ceux qui Robert Lepage : Pour moi comme pour beaucoup de étaient un peu partagés. Il avait été au service de Sa Ma- Québécois, Paris est un peu le centre du monde. Non jesté, dans l’armée canadienne, et tout d’un coup on lui parce que c’est le centre de la francophonie mais parce disait si tu veux sortir de ton marasme, pense à cette op- que c’est un carrefour ouvert. Les courants y passent, se tion de la souveraineté, pense au rapport de classes qui frôlent parfois, s’évitent, se marient. Le Festival d’Au- n’est pas juste avec les anglos. Alors, il se posait la ques- tomne marque le début de la saison à Paris, et tout ce tion : qu’est-ce qu’il avait défendu pendant la guerre ? Il qui se fait d’intéressant dans le monde va se côtoyer. Je y a eu beaucoup de contradictions de ce type entre ceux me souviens de l’année où on jouait Les Sept branches de qui s’identifiaient au nouveau mouvement et ceux qui la rivière Ota à un endroit pendant qu’on donnait un étaient réticents à cause de notre rapport avec la cou- grand kabuki dans un autre. Ni Londres, ni New York, qui ronne d’Angleterre. C’est une chose difficile à expliquer sont de grands centres, ne peuvent prétendre à ce point aux Français parce qu’on est francophones et franco- être le centre du monde. Leurs programmateurs sont fri- philes, on est très proches de la France dans notre cul- leux, ils n’ont pas cette dynamique. Paris est casse- ture, mais on était des citoyens britanniques. Le gueule, Paris vous oblige à vous mettre en danger. J’aime spectacle montre cette contradiction, cette difficulté de ça. réconcilier les deux dimensions. Propos recueillis par Jean-Louis Perrier Les pièces où vous êtes seul en scène, comme Les Aiguilles et l’opium (1991) - que vous avez repris récemment - ponc- tuent régulièrement votre théâtrographie. A quoi corres- pond ce besoin de remonter régulièrement seul en scène ? Robert Lepage : Je travaille beaucoup en création collec- tive. Je suis alors comme le capitaine du bateau, c’est moi qui prends les décisions mais la dynamique conduit aux DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 9
BIOGRAPHIE ROBERT LEPAGE Artiste multidisciplinaire, Robert Lepage exerce avec une Sa renommée lui vaut plusieurs invitations qui lui per- égale maîtrise les métiers d’auteur dramatique, de met- mettent d’appliquer sa démarche artistique à d’autres dis- teur en scène, d’acteur et de réalisateur. Salué par la cri- ciplines. En 1993, il signe la mise en scène de la tournée tique internationale, il crée et porte à la scène des mondiale du spectacle de Peter Gabriel, The Secret World œuvres originales qui bouleversent les standards en ma- Tour. En 2000, il participe à l’exposition Métissages au tière d’écriture scénique, notamment par l’utilisation de Musée de la civilisation de Québec. En 2002, il fait à nou- nouvelles technologies. Il puise son inspiration dans veau équipe avec Peter Gabriel pour le spectacle Growing l’histoire contemporaine et son œuvre, moderne et in- Up Tour. Il collabore avec le Cirque du Soleil en assu- solite, transcende les frontières. mant la conception et la mise en scène de KÀ (2005), un Robert Lepage est né à Québec en 1957. Très tôt, il se dé- spectacle permanent à Las Vegas, et TOTEM (2010), un couvre une passion pour la géographie, et attiré par spectacle sous grand chapiteau qui effectuera une tour- toutes les formes d’art, il en vient à s’intéresser au théâ- née mondiale. Dans le cadre des festivités entourant le tre. A 17 ans, il entre au Conservatoire d’art dramatique 400e anniversaire de la ville de Québec en 2008, Robert de Québec. Il effectue un stage à Paris en 1978 et à son Lepage et Ex Machina créent la plus grande projection retour, il participe à plusieurs créations dans lesquelles architecturale jamais réalisée : Le Moulin à images. En il cumule les rôles de comédien, d’auteur et de metteur 2009, Aurora Borealis, un éclairage permanent qui s’ins- en scène. Deux ans plus tard, il se joint au Théâtre Re- pire des véritables couleurs des aurores boréales a été père. En 1984, il crée la pièce Circulations qui sera pré- créé sur le même site. sentée partout au Canada et qui recevra le prix de la Robert Lepage fait une entrée remarquée dans le monde meilleure production canadienne, lors de la Quinzaine de l’opéra alors qu’il met en scène avec succès le pro- internationale de théâtre de Québec. C’est l’année sui- gramme double Le Château de Barbe-Bleue et Erwartung vante qu’il crée La Trilogie des dragons, spectacle qui lui (1993). Sa présence sur la scène lyrique se poursuit avec vaudra une reconnaissance internationale. Viennent en- La Damnation de Faust présenté pour la première fois suite Vinci (1986), Le Polygraphe (1987) et Les Plaques tec- au Festival Saito Kinen de Matsumoto au Japon (1999), toniques (1988). En 1988, il fonde sa propre société de puis à l’Opéra national de Paris et au MET à New York. Il gestion professionnelle, Robert Lepage inc. (RLI). compte parmi ses réalisations à l’opéra : 1984 basé sur le De 1989 à 1993, il occupe le poste de directeur artistique roman de Georges Orwell et dont Maestro Lorin Maazel du Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa. assure la direction musicale (2005), The Rake’s Progress Parallèlement à cette nouvelle fonction, il poursuit sa (2007) et Le Rossignol et autres fables présenté à la Cana- démarche artistique en présentant Les Aiguilles et dian Opera Company (2009), au Festival d’Aix-en-Pro- l’opium (1991-1993 et 1994-1996), Coriolan, Macbeth, La Tem- vence et à l’Opéra de Lyon en 2010. Das Rheingold, pête (1992-1994) et Le Songe d’une nuit d’été (1992), qui lui prologue du Ring de Wagner, a été créé en septembre permet de devenir le premier nord-américain à diriger 2010 au MET (le cycle a été présenté sur les saisons 2010- une pièce de Shakespeare au Royal National Theatre de 11 et 2011-12). Londres. Rappelons que l’œuvre de Robert Lepage est couronnée L’année 1994 marque une étape importante dans la car- de nombreux prix. Parmi les plus prestigieux, il reçoit en rière de Robert Lepage avec la fondation d’une compa- 2000, le Prix de La SORIQ (La Société des relations inter- gnie de création multidisciplinaire, Ex Machina, dont il nationales de Québec) pour le rayonnement de ses créa- assume la direction artistique. Cette nouvelle équipe pré- tions hors Québec. En 2002, la France lui rend hommage sentera Les Sept Branches de la Rivière Ota (1994), Le en lui octroyant la Légion d’honneur. En 2003, il reçoit Songe d’une nuit d’été (1995) ainsi que le spectacle solo le prix Denise-Pelletier, la plus haute distinction accor- Elseneur (1995). Toujours en 1994, il aborde le cinéma en dée par le gouvernement du Québec dans le domaine des scénarisant et réalisant le long-métrage Le Confessionnal, arts de la scène. présenté l’année suivante à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes. Par la suite, il réalise Le Poly- Robert Lepage au Festival d’Automne à Paris : graphe (1996), Nô (1997), Possible Worlds (2000) premier 2005 La Trilogie des dragons long-métrage anglais et enfin, il réalise en 2003 l’adapta- (Theatre National de Chaillot) tion de sa pièce La Face cachée de la Lune. Le Projet Andersen (Maison des Arts Creteil) C’est sous son impulsion que le centre de production 1999 Zulu Time (Maison des Arts-Créteil) pluridisciplinaire la Caserne voit le jour en juin 1997, à 1998 La Géométrie des miracles Québec. Dans ces nouveaux locaux, Robert Lepage et son (Maison des Arts-Créteil) équipe créent et produisent La Géométrie des Miracles 1996 Les Sept Branches de la rivière Ota (1998), Zulu Time (1999), La Face cachée de la lune (2000), (Maison des Arts- Creteil) La Casa Azul (2001), une nouvelle version de La Trilogie 1992 Macbeth, Coriolan, La Tempête de William Sha- des dragons avec de nouveaux acteurs (2003), The Bus- kespeare, Les Aiguilles et l’opium ker’s Opera (2004), Le Projet Andersen (2005), Lipsynch (Centre Pompidou) (2007), Le Dragon bleu (2008) et Éonnagata (2009). Le Polygraphe de Marie Brassard et Robert Lepage (Théâtre du Rond-Point) DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 10
DARIA DEFLORIAN DARIA DEFLORIAN ANTONIO TAGLIARINI ANTONIO TAGLIARINI Ce ne andiamo per non darvi altre Reality preoccupazioni (Réalité) (Nous partons pour ne plus vous donner de soucis) Un spectacle de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, inspiré par Un spectacle de et avec Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, à partir une image du roman de Pétros Márkaris Le Justicier d’Athènes du reportage de Mariusz Szczygieł Reality, traduit par Marzena Borejc- Avec Daria Deflorian, Monica Piseddu, Antonio Tagliarini, zuk // Lumière, Gianni Staropoli // Consultants pour la langue polo- Valentino Villa naise, Stefano Deflorian, Marzena Borejczuk, Agnieszka Kurzeya // Collaboration au projet, Monica Piseddu, Valentino Villa Collaboration au projet, Marzena Borejczuk Lumière, Gianni Staropoli Décor, Marina Haas la colline – théâtre national la colline – théâtre national Vendredi 18 au dimanche 27 septembre, Mercredi 30 septembre au dimanche 11 octobre, Mardi 19h, mercredi au samedi 20h, Mercredi au samedi 19h, dimanche 18h30, relâche lundu et mardi Dim. 16h, sam. 26 septembre 16h et 20h, dim. 27 septembre 16h et 14€ à 29€ // Abonnement 9€ à 15€ 18h, relâche lundi. Durée : 1h 14€ à 29€ // Abonnement 9€ à 15€ Durée : 1h Spectacle en italien surtitré en français Spectacle en italien surtitré en français –, s chose d’une morale à saisir, comme dans les fables. Production A.D ; Festival Inequilibrio/Armunia ; ZTL-Pro En collaboration avec la Fondation Romaeuropa et Teatro di Roma Production A.D. // Coproduction Teatro di Roma ; Festival Romaeuropa ; 369 Coréalisation La Colline – théâtre national ; Festival d’Automne à Paris gradi // Avec la collaboration du Festival Castel dei Mondi // Résidence artis- Résidences de création, Festival Inequilibrio/Armunia ; Ruota Libera/Centrale tique Centrale Fies, Olinda, Angelo Mai Altrove Occupato, Percorsi Rialto Preneste Teatro ; Dom Kultury Podgórze // Avec le soutien de l’Institut Polonais Teatro, Furio Camillo, Carrozzerie n.o.t // Coréalisation La Colline – théâtre de Rome, Nottetempo, Kataklisma/Nuovo Critico, l’Institut Culturel italien national ; Festival d’Automne à Paris // Spectacle créé en novembre 2013 au de Cracovie, Dom Kultury Podgórze // Spectacle créé en juin 2012 au Festival Festival Romaeuropa Inequilibrio/Armunia Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 La Colline - théâtre national Nathalie Godard 01 44 62 52 25 DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 11
Avec Reality (Réalité) et Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni (Nous partons pour ne plus vous donner de soucis), Daria Deflorian et Antonio Tagliarini composent deux séries de variations graves et enjouées sur des vies minuscules broyées par des systèmes socio-politiques hostiles. Pour les unes, ils ont puisé dans la litanie de faits collectés sur des carnets d’écolier durant cinquante ans par la Polonaise Janina Turek ; pour les autres, dans la lettre d’adieu à la société et au monde de quatre retraitées grecques inventées par le romancier Pétros Márkaris. Dans leur élan généreux, les metteurs en scène-auteurs-acteurs ne donnent à entendre les faits – réels et fictifs – que parce qu’ils rétablissent les humbles dans leur dignité. La soi- disant grande Histoire – celle de la Pologne communiste ou de la Grèce ruinée –, sort éclairée par leur geste, par l’écriture de leur propre vie et la signature de leur propre mort. Daria Deflorian et Antonio Tagliarini pratiquent avec Janina Turek et les quatre retraitées grecques une forme de dialogue parlé-dansé sans cesse remis à jour, un jeu ouvert où le personnage n’est pas contenu dans un seul corps, mais dans les fragments des récits qui le des- sinent. Ils offrent ainsi à l’histoire les rebondissements physiques et narratifs incessants, propres à éveiller avec le plaisir, l’idée qu’il y a là quelque chose d’une morale à saisir, comme dans les fables. DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 12
ENTRETIEN DARIA DEFLORIAN ET ANTONIO TAGLIARINI Qu’est-ce qui unit vos deux pièces : Reality et Ce ne an- quotidien, sur scène nous privilégions une certaine sé- diamo per non darvi altre preoccupazioni ? cheresse dans la façon de parler. Nos affinités nous ont Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Les questions po- aidées à nous reconnaitre mutuellement sans entamer sées par les deux pièces ont été très proches. Comment nos individualités respectives. être en scène ici et maintenant, avec le spectateur, et en même temps agir dans l’espace indispensable de l’abs- Quelle est la part de chacun dans le choix des textes ou traction, de l’imagination, en somme – ailleurs? Com- des arguments ? Dans la mise en scène ? ment être fortement personnels tout en rejetant Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : La tension entre la l’autobiographie dans le sens strict du terme? Comment dimension plus abstraite et liée à la danse (Antonio Ta- satisfaire notre conviction dans les vertus de l’enquête gliarini) et celle plus littéraire qui émerge de la recherche et en même temps ambitionner non pas un travail frag- biographique et auto-biographique (Daria Deflorian) vi- mentaire, mais une œuvre ? Les deux pièces manifestent vifie le travail, mais il ne s’agit jamais de domaines sépa- notre curiosité, voire notre sympathie, envers des figures rés. Chacun de nous se mesure constamment à la totalité marginales, vulnérables, mais, pour nous, extraordi- du projet. De longues discussions précèdent des choix naires. Quoique profondément différentes, Janina Turek communs. Et à la fin, si on entreprend quelque chose dans Reality et les quatre retraitées imaginées par l’écri- c’est que chacun est convaincu de sa nécessité. Nous uti- vain grec Petros Markaris dans Ce ne andiamo… repré- lisons un instrument que nous appelons “restitution” : sentent une humanité qui échappe à la mémoire il s’agit de répéter ce que l’autre a inventé, de l’habiter collective, à l’Histoire majuscule. de sa propre sensibilité tout en respectant la “partition” physique et les mots choisis. Cet exercice nous permet Qu’est-ce qui différencie les deux pièces ? d’être moins attachés à ce qui serait “mien” ou “tien”. Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Avant tout le fait Pendant les périodes de répétitions, chacun de nous, à que, pour la première fois, dans Ce ne andiamo…, nous tour de rôle, sort. C’est le moment où les différences avons partagé le travail de création avec deux autres per- s’amenuisent. Le montage du spectacle, habituellement, formeurs, Monica Piseddu et Valentino Villa. Ca n’a pas arrive seulement à la fin du parcours. Et il ne s’agit pas été simple au commencement, car notre façon de travail- d’assembler les matériaux qu’on a recueillis, mais d’une ler ne prévoit ni de longs projets ni une écriture qui pré- invention tout à fait nouvelle, autonome, par laquelle cède les répétitions. Une symétrie a été rompue et une commence le véritable travail pour le spectateur. C’est autre l’a remplacée. Une autre différence entre Reality et un moment extrêmement délicat où il faut décider soit Ce andiamo… est de l’ordre du regard envers l’objet. Dans de changer soit de maintenir ses propres choix. Il nous le cas de Reality, le théâtre était appelé à respecter un est arrivé – avec Reality – de tout recommencer peu de pacte avec la rigueur et le secret des vicissitudes vérita- jours avant la première. bles de Janina Turek. Alors que dans Ce ne andiamo… il s’agissait avant tout de respecter l’image du départ, celle Y-a-t-il une part “féminine” et une part “masculine” dans du suicide des quatre retraitées grecques, mais sans votre dramaturgie ? adhérer pleinement à leur choix. On devait “croire” à Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : On a envie de re- cette image, mais sans épouser le suicide en tant que pondre non. Quand l’un sent plus d’attrait pour la sur- choix idéologique. Ce qui nous a reporté à Albert Camus face des faits alors que l’autre veut plonger dans le et à son interrogation: existe-t-il un suicide altruiste? On questionnement, nous disons que cela a un rapport avec a peut-être découvert qu’il y a différentes façons de dire le masculin et le féminin. Mais il y a une profondeur “non”. même dans le regard de surface, et la plongée dans “l’in- térieur” n’exclut jamais les plis contradictoires du visible. Qu’est-ce qui, dans vos parcours individuels précédents, Certes, dans Reality et dans Ce ne andiamo… les figures vous a conduits à vous rencontrer pour faire œuvres com- sont féminines. Mais ça n’a jamais posé de problème munes ? d’invention ni d’interprétation. Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Nous nous sommes connus en travaillant sur Attemps on her life, de Martin A quel moment estimez-vous une pièce finie ? Crimp, mise en scène par Fabrizio Arcuri. Nous alter- Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Il n’y a pas de règle nions alors périodes de solitude créative et collaboration fixée. Nous ne nous arrêtons que quand le matériau est à des projets réalisés par d’autres. Cela nous a permis de tout à fait stabilisé, quand on arrive à une image qui ne nous rencontrer avec l’attention et la patience requises. peut être modifiée ultérieurement. Cela signifie, à nos On n’a pas pensé tout de suite à une création commune, yeux, que cette image est vraie. Le public joue un rôle, mais au plaisir de travailler ensemble. Le premier senti- ses “retours” sont importants. Mais notre état intérieur ment a été l’amitié, la curiosité envers l’autre, l’amuse- demeure le baromètre le plus sincère. Le consensus ne ment. Il y avait notre commun amour pour Pina Bausch, suffit pas, il nous faut la conscience que, même avec ses à laquelle est dédiée notre première création Rewind. limites, ses défauts ou ses excès, la “question” a cette Hommage à Café Muller. Si nous adorons bavarder au forme-là. C’est alors que la perfection devient, comme DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 13
dit le proverbe, ennemie du bien. Rien à ajouter, on s’ar- Souhaitez-vous faire naître un sursaut chez les specta- rête. Il faut avoir le courage de s’arrêter. teurs, les aider à dire “non !” avec vous ? Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : L’espace scénique Comment travaillez-vous l’”effet de distanciation” entre finit avec le dernier rang des fauteuils des spectateurs. le personnage éventuel et le spectateur bien sûr, mais C’est à eux et avec eux que nous parlons. Surtout dans aussi entre vous-mêmes et le personnage? Ce ne andiamo... La question de l’excès de positivité dont Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Nous citerons parle le philosophe Byung-Chul Han dans sa Société de l’écrivain Lorenzo Pavolini, qui nous a ainsi décrits, dans la fatigue est centrale dans le spectacle. Le frémissement la revue Nuovi Argomenti : “Ce sont deux amis qui pren- que nous avons éprouvé en nous rendant compte du nent un fait et le font germer dans une série de perspec- piège qui consiste à se soumettre au commandement tives arbitraires (…) la nécessité de se dédoubler dans un d’être à tout prix positif et d’accepter tout ce qui arrive dialogue est pareille à la necessité pour une graine de est, croyons-nous, celui qu’éprouve le public au cours du fleurir. L’autre est une trappe. Quand l’obession méta- spectacle. Mais on ne pouvait pas le théoriser. Il nous physique du singulier amène à établir des relations et à fallait avant tout le mettre en jeu. faire pression sur l’autre s’ouvre un gouffre profond.” C’est sûrement ce qui arrive avec Reality. Janina nous ap- Quelle est la question de vos références finales aux parait au-devant et au dedans de nous-mêmes par mo- danses et théâtres orientaux (la danse à Bali dans Rea- ments. On passe abruptement d’une description à la lity, ou les montreurs de Bunraku dans Ce ne andiam…)? troisième personne à une autre à la première personne. Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : C’est une question Les deux formes se mélangent sans volonté de progres- assez surprenante pour nous, car il s’agit d’une compa- ser dans l’identification. On peut comparer tout cela au raison à laquelle nous n’avons jamais pensé. Il est vrai rapport entre deux personnes qui, à force de se fréquen- que pas mal de connexions, plus ou moins souterraines, ter assidûment, finissent par se ressembler, reprenant les nous lient à la culture du théâtre oriental. Des lectures, mots, les inflexions de l’autre. Dans le cas des retraitées avant tout, mais aussi des rencontres avec des maîtres grecques, c’était différent. On n’avait pas leurs données de la danse butô, la passion pour certains cinéastes. Le personnelles. Il a fallu les imaginer, les penser, les dessi- principe de soustraction qui est à la base de notre travail, ner au dedans et sur nous-mêmes. Même si notre his- le choix de partir toujours d’un espace vide, représentent toire n’est pas la leur. d’autres éléments de contact avec l’Orient. S’agit-il pour vous de contribuer sur le mode théâtre aux Dans le renouveau de l’écriture dramaturgique en Italie, témoignages sur la “misère du monde”(pour reprendre vous reconnaissez-vous dans un courant particulier ou le titre des enquêtes de Bourdieu)? dans une communauté particulière ? Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Oui, sans doute. Il Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Nous nous recon- n’ y aurait aucun sens à s’entêter dans notre travail si on naissons plus dans une communauté que dans un cou- n’éspérait pas acquérir un peu de responsabilité face aux rant. Nous travaillons avec d’autres artistes, nous histoires qu’on raconte. Mais c’est une autre chose de partageons des projets collectifs (c’est dans un de ces pro- savoir s’il ne s’agit là que d’une illusion ou, pire, une pré- jets, d’ailleurs, qu’est né le noyau de Ce ne andiamo…), et tention. nous sommes partie prenante d’un espace de pensée et d’action, dont l’unité s’explique par le fait que pendant Les comportements individuels hors-normes sont- longtemps il a été maintenu dans l’ombre du courant do- ils les meilleurs révélateurs d’une société ou d’un sys- minant le théâtre italien. tème social ? Daria Deflorian et Antoni Tagliarni : Il y a quelque chose Propos recueillis par Jean-Louis Perrier dans le marginal, dans l’extravagant, dans l’anti-héroïque, qui parait éclairer de plus vastes questions. Dans Survi- vance des lucioles, Georges Didi-Huberman soutient que dans l’intermittence de ces fragiles lumières qui volti- gent dans le noir se manifeste une question apocalyp- tique. Y-a-t-il un monde humain qui risque l’éclipse face aux puissants spots des stéréotypes sociaux, que Pasolini ap- pelait “homologation” et Debord “societé du spectacle”? Hommes-lucioles,paroles-lucioles,images-lucioles, savoirs-lucioles, sont ils en danger? D’après Didi-Huber- man, non, ils résistent. Les lucioles n’ont pas disparu. DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 14
BIOGRAPHIES DARIA DEFLORIAN ANTONIO TAGLIARINI Daria Deflorian est comédienne, auteur et metteur en Né en 1965, Antonio Tagliarini est comédien, performeur, scène de théâtre; ses dernières productions : Manovre metteur en scène et chorégraphe. Il étudie à l’Emilia Ro- di volo (2001) de Daniele Del Giudice en collaboration magna Theatre School de 1996 à 1997 avec comme ensei- avec Leonardo Filastò, Torpignattara (2004) de Pasolini, gnants Marco Baliani, Marco Martinelli, Cesare Lievi, Corpo a Corpo (2007) de Dorothy Porter en collaboration Giorgio Barbero Corsetti, Renata Molinari, ainsi avec Alessandra Cristiani, Bianco (2008), texte d’Azzurra qu’au TEE (Teatro Stabile delle Marche) et au Polverigi D’Agostino en collaboration avec ArgheTeatro. Theatre and Dance School en 1997. Il a également étudié le théâtre et la danse avec Danio Manfredini, Thierry Sal- Parmi ses projets comme actrice, on peut citer ses col- mon, Raffaella Giordano, Giorgio Rossi, Damiano Da- laborations avec entre autres Marcello Sambati, Fabrizio miani. Il a travaillé comme danseur et comédien pour de Crisafulli, Remondi et Caporossi, Mario Martone, Martha nombreux metteurs en scène et chorégraphes comme Clarke (New York), et l’Accademia degli Artefatti. Elle ob- Miguel Pereira, Raffaella Giordano, Giorgio Rossi, Ales- tient deux fois le Prix Ubu de la meilleure actrice. Elle a sandro Certini... également été assistante à la mise en scène pour Mario Martone, Pippo Delbono et pour Eimuntas Nekrosius sur Ses créations : Freezy (2003 /première Rialto sant’Ambro- la pièce Anna Karenine. gio), Temporary title: Untitled (2005 /première Enzimi www.dariadeflorian.it Festival), A viagem (2005), APAP (2007), Show (2007 /pre- mière Teatro India of Roma), Sites of Immagination (2008), L’ottavo giorno (2008 /première Festival Esterni), Point to Point (2009), Royal Dance (2009 /première La Fundicion, Bilbao), Antonio e Miguel (2010 /première Cul- turgest, Lisbonne) créé avec Miguel Pereira. www.theatrede- lusine.ch DARIA DEFLORIAN ET ANTONIO TAGLIARINI Daria Deflorian et Antonio Tagliarini commencent en 2008 à travailler ensemble sur plusieurs créations dont ils sont à la fois les auteurs et les interprètes. Provenant du monde de la performance, ils expérimentent d’autres modes de production de la représentation et explorent des formes alternatives d’alliance entre la scène et le public. Rewind, homage to Café Müller by Pina Bausch (Festival Short Theatre de Rome, Festival VIE de Modène, Festival Automne Italien de Berlin), Blackbird, lecture scénique du texte de David Harrower (Festival Trend, Rome), From a to d and back again librement inspiré de l’ouvrage From a to b d’Andy Warhol, Reality et rzeczy/cose (2012), et enfin We decided to go because we don’t want to be a burden to you (2014) sont leurs dernières collaborations. DOSSIER DE PRESSE THÉÂTRE – FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS 2015 – PAGE 15
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