Hakanone Un après-midi de juin avec Kurosawa - Camille Gueymard - Érudit
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Document généré le 13 juil. 2022 16:16 24 images Rencontres Hakanone Un après-midi de juin avec Kurosawa Camille Gueymard Numéro 26, automne 1985 URI : https://id.erudit.org/iderudit/21961ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) 24/30 I/S ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Gueymard, C. (1985). Hakanone : un après-midi de juin avec Kurosawa. 24 images, (26), 28–30. Tous droits réservés © 24 images inc., 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
À propos de Ran, film dont la réali- gens étaient vraiment libres... Évi- Dans l'œuvre de Kurosawa, Ran sation a demandé à Kurosawa dix demment, ils étaient presque tou- semble être le film qui pour la pre- années d'efforts soutenus, bien des jours impliqués dans une guerre ou mière fois montre des préoccupa- questions furent soulevées tant au une autre, mais s'ils avaient la force tions au niveau de la religion ou niveau du financement que sur les de se battre, alors ils pouvaient faire d'une présence divine. Dans la scène plans esthétique et thématique. quelque chose de leur vie. Si par finale, Tsurumaru se retrouve seul, Kurosawa expliqua d'abord que Ran exemple un paysan voulait s'appro- aveugle, au bord d'une falaise où il n'est pas une adaptation à la lettre du prier un domaine, il pouvait le laisse tomber une image de Bouddha King Lear de Shakespeare mais plu- faire... Il existe plusieurs histoires à qui devait le protéger pendant l'ab- tôt que le point de départ du film est ce sujet. À cette époque, les gens sence de sa sœur qui ne reviendra pas un conte traditionnel japonais. avaient la possibilité d'exprimer leur puisqu'on l'a tuée. Ces préoccupa- L'histoire se situe au Moyen-Age: un personnalité bien plus que de nos tions ne s'expriment pas seulement guerrier du nom de Mori Motanami jours.» au niveau du récit mais aussi sur le (qui devient Ichimonji Hidetora plan formel: d'innombrables plans, dans le film) a trois fils courageux. Les trois fils, défiant la volonté du en contreplongée, du ciel qui se cou- Ceux-ci sont très bons pour lui; aussi père, forment un premier niveau de vre, qui se referme sur lui-même, de le royaume de Mori peut-il s'étendre personnages qui contribuent à la la tempête qui se prépare, font écho et devenir très puissant. Prise isolé- «perte des valeurs», thème principal aux plans d'ensemble en plongée des ment, une flèche peut aisément être du film. Un deuxième niveau de per- scènes de bataille. Kurosawa expli- rompue; par contre, trois flèches sonnages vient s'ajouter: il s'agit de qua qu'il perçoit ce film non pas liées ensemble peuvent difficilement Dame Kaede, de Dame Sue (femmes comme un film désespéré mais plutôt être brisées. De la même façon, de deux des fils) et de son frère Tsu- comme «un avertissement pour un ensemble, les trois fils formaient une rumaru. Tandis que Tsurumaru évo- avenir plus heureux et pour la paix». force quasi invincible. C'est en se lue en marge de la trame narrative, Comme dans King Lear, Kurosawa posant la question «Mais que serait- plutôt en tant que personnage souligne que nous devons cesser de il arrivé au guerrier Mori si ses fils symbole de tragédie qui dans sa soli- compter sur Dieu ou sur Bouddha n'avaient pas été bons?» que Kuro- tude absolue représente, aux yeux de mais plutôt compter sur nous- sawa commença à entrevoir le scéna- Kurosawa, l'essence de l'humanité mêmes. «De toute façon, ajoutait-il, rio de Ran. Aux personnages du telle qu'elle est devenue, Dame nous sommes allés trop loin, Boud- conte, Mori et ses trois fils, vinrent Keade, elle, semble orchestrer le dha ne peut plus nous aider.» ensuite se greffer les grandes lignes chaos, la décrépitude du royaume. thématiques de King Lear. Parlant de Dame Kaede, Kurosawa On reconnaît dans l'œuvre de Kuro- dit d'abord que «derrière tout sawa un très grand souci esthétique, La carrière cinématographique de homme de pouvoir il y a une femme qu'il s'agisse de la composition plas- Kurosawa se partage entre les deux qui le manipule». Il précise que pour tique de l'image ou encore du mou- principaux courants du cinéma japo- lui, Dame Kaede n'incarne pas un vement créé par un montage vigou- nais: d'une part le Gendai-Geki mauvais esprit, mais plutôt que reux de plans. La structure narrative (films à sujets contemporains situés d'après son histoire personnelle, son de Ran s'appuie beaucoup sur l'al- dans le Japon moderne, comme par propre point de vue, elle a toutes les ternance de plans statiques et de exemple Ikiru, Le Chien de paille ou raisons d'agir comme elle le fait et de mouvement: on pense par exemple Dodes'Kaden), et d'autre part, le vouloir exercer la vengeance sur le aux plans où graduellement le ciel se Jidai-Geki (films «d'époque», dont royaume de Ichimonji. Dame Sue a couvre par rapport aux scènes de Les Sept Samouraïs, Rashomon et elle aussi sa propre histoire, mais réa- bataille; les plans immobiles forment Kagemusha). Pour Kurosawa, le git différemment aux événements. un contraste qui vient renforcer l'im- sujet du film dicte en quelque sorte Kurosawa poursuit en soulignant pact des scènes d'action. l'époque où évolueront les personna- que ses personnages féminins, qui, ges. À propos des plans remarquables de soit dit en passant, sont toujours formation des nuages, Kurosawa Dans le cas de Ran, dont le sens se minoritaires dans ses films, ne sont expliqua qu'il n'a nullement compté traduit sûrement le mieux par le mot pas une personnification du mal, en sur des trucages, et qu'il dut attendre «chaos», Kurosawa choisit le XVI e tous cas pas plus que leur contrepar- que le «bon ciel» se présente. «Dans siècle. «À cette époque, dit-il, les tie masculine. ma jeunesse, j'étais peintre, je sais 29
KUROSAWA Kurosawa Akira et Catherine Cadou (interprète) quel type d'images je veux obtenir, réaliser Ran, c'est qu'il trouva bien que pour lui Ran corresponde en c'est dans ma tête... Alors j'attends peu de support financier au Japon quelque sorte à l'apogée de sa car- que ça vienne dans la nature.» Et si la pour un film qui ne présente pas de rière cinématographique, il com- nature ne se prête pas ou ne peut plus happy end. Avec un coût de produc- mence à songer à un autre projet. l'offrir, alors Kurosawa le compose. tion de 12 millions U.S., Ran est Kurosawa a maintenant 75 ans. Il a devenu le film à plus gros budget réalisé quelque 27 films depuis le Comme les couleurs auxquelles il jamais réalisé au Japon. C'est grâce début de sa carrière cinématographi- pensait pour les costumes ne pou- à l'aide du producteur français Serge que en 1943. Ces quelques heures que vaient pas être traduites par les fibres Silberman, que Kurosawa put réali- nous avons pu passer avec lui nous et les teintures modernes, il en entre- ser Ran sans compromettre la scène ont laissé l'impression d'un homme prit la confection suivant les métho- finale. «Maintenant que Ran est sur très attachant, pour qui le cinéma est des de tissage et de teinture de l'épo- le grand écran, poursuivit-il, j'ai un moyen de communiquer tout à que. C'est le même souci de réalisme déjà reçu des offres de producteurs fait privilégié, puisque chaque spec- qui le poussa à faire construire le japonais pour un nouveau film.» château du XVI e siècle qui est réduit tateur établit un rapport particulier en cendres au point culminant du avec le film et y lit ce qu'il est prêt à Sur la question d'un prochain film, recevoir. récit. Kurosawa devait demeurer très énig- S'il fallut dix ans à Kurosawa pour matique, laissant entrevoir que bien 30
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