George Cukor et la critique - Réal La Rochelle - Érudit

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George Cukor et la critique - Réal La Rochelle - Érudit
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Séquences
La revue de cinéma

George Cukor et la critique
Réal La Rochelle

Le cinéma imaginaire II
Number 55, December 1968

URI: https://id.erudit.org/iderudit/51632ac

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Publisher(s)
La revue Séquences Inc.

ISSN
0037-2412 (print)
1923-5100 (digital)

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La Rochelle, R. (1968). George Cukor et la critique. Séquences, (55), 57–60.

Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1968                           This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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George Cukor et la critique - Réal La Rochelle - Érudit
\-jeorae       K^ukor        et   la    critit u e

      Los Angeles, 28 juin 1968.        voir au travail aux studios de la
Monsieur Gilbert Maggi,                 Fox, où il prépare actuellement un
Revue Séquences,                        film avec Rex Harrison, sur un
Montréal.                               scénario de John Osborne.
   J'ai vu notre cher Cukor cet            En attendant Cukor dans ses
après-midi, à sa demeure de Bever-      jardins rococo-américains, je me
ley Hills. C'est une chance particu-    suis rappelé notre rétrospective-
lière d'avoir pu le rencontrer chez     "hommage" de l'an dernier, quel
lui, mais je vais regretter seulement   soin nous avions mis à la prépara-
qu'il m'ait été impossible de lé        tion d'un programme entièrement

DECEMBRE   1968                                                         57
consacré à ce grand réalisateur a-      au Québec face au cinéma améri-
méricain, dont nous aimons les           cain, ainsi que le paradoxe dans le-
 films, mais que trop peu de mem-        quel nous nageons : ou bien nos
bres de nos ciné-clubs prennent la       cinéphiles boudent le cinéma amé-
peine de voir et de comprendre;          ricain, en lui préférant exclusive-
je revoyais rapidement notre géné-       ment l'européen ou . . . le japo-
rique Cukor : Camille, Two Faced-        nais ; ou bien ils s'extasient sur son
 Woman, Adam's Rib, Born Yester-         compte en imitant la manière sur-
day, Bhowani Junction, Wild Is           tout dithyrambique et "mystérieu-
the Wind, Heller in Pink Tights,         se" des Cahiers du Cinéma. L'opi-
My Fair Lady ; et toute cette gale-      nion de Cukor là-dessus me paraît
rie erotique de portraits de fem-        claire et franche :
mes : Greta Garbo, Katharine Hep-           1. Ça lui semble snobisme et
burn, Judy Holliday, Ava Gardner,       naïveté que de bouder le cinéma
Anna Magnani, Sophia Loren, Au-         américain au nom d'un soi-disant
drey Hepburn . . .                      cinéma esthétique et intellectuel.
    Elle est d'ailleurs en permanence   "D'abord, dit-il, parce que les réa-
chez lui, cette galerie exception-      lisateurs dudit cinéma ont à af-
nelle du women's director, musée        fronter des problèmes matériels
individuel, miroir du musée de no-      aussi grands et complexes qu'à
tre imaginaire de cinéphile, photos     Hollywood et qu'ils doivent com-
à pleins murs de toutes celles que      poser eux aussi avec le "business".
Cukor a si magnifiquement diri-         D'autre part, rien ne peut garantir
gées. Et ce n'est là qu'une partie      que ces films, tant louanges au-
du beau désordre baroque qui ca-        jourd'hui, ne seront pas bientôt ou-
ractérise toute la maison du réa-       bliés. .."
lisateur de A Star Is Born, baro-           2. Cukor est contre la "politi-
quisme à l'image de celui qui est       que des auteurs" préconisée par
présent dans tous ses films, lourd      plusieurs esthètes français. En par-
et aérien à la fois, désordonné et      ticulier, il avoue qu'il ne comprend
contrôlé en même temps, passion-        très souvent rien de ce que veulent
nément lyrique et froidement sar-       dire les Cahiers et les critiques du
castique.                               même genre. "Ils parlent souvent
    C'est dans cette atmosphère vi-     de moi, dit-il, mais souvent je ne
vace, au milieu de l'été californien,   sais pas ce qu'ils veulent racon-
que nous avons parlé, surtout de        ter . . ." Il aime cependant les
critique cinématographique. J'ai dé-    Cahiers, comme nous aussi, parce
crit à Cukor notre situation de         que ses critiques aiment le cinéma
professeur et de critique de cinéma     et le font aimer.
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Pour Cukor, un réalisateur au        distribution d'acteurs -f" mauvais
cinéma n'est auteur que s'il est aus-    décors et photographie, MAIS mise
si écrivain. Lui n'est pas écrivain,     en scène de maître! Pour Cukor,
il s'entoure toujours de bons scéna-     cela ne se peut pas, car la réalisa-
ristes; il considère Mankiewicz plus     tion est justement la maîtrise et
écrivain que réalisateur, et Huston      l'harmonie de tous ces éléments.
lui apparaît le meilleur composé            Voilà un filon qui nous permet-
des deux fonctions. Car, en fait,        trait sans doute de pouvoir établir
Cukor définit le réalisateur comme       certains critères de base pour une
un "exécutant" (interpretor), l'exé-     authentique critique cinématogra-
cutant d'un scénario (interpretor of     phique. Il s'agit, au fond, de sa-
a script) un peu, en somme, com-         voir où placer l'activité créatrice
me un musicien chevronné qui             de la réalisation cinématographi-
"exécute" du Bach ou, plus préci-        que, dans la zone, je crois, qui fait
sément, comme un chef d'orches-          graviter aussi les chefs d'orchestre,
tre. La "créativité" du vrai réalisa-    les grands chanteurs et musiciens
teur apparaît dans la sincérité et la    et . . . pourquoi pas, les bons cri-
vérité de l'exécution. Ses qualités      tiques qui exécutent à leur tour
sont celles d'un artiste et d'un chef.   ou "interprètent" les oeuvres gra-
C'est pourquoi il ne peut concevoir      phiques, musicales ou cinématogra-
une approche critique comme celle-       phiques. (Je pense ici à l'idée de
ci : mauvais scénario + mauvaise
                                         Gide dans son film : imaginons
qu'un tel, tel soir, interprète tel        3. Étude des problèmes profes-
tableau de Cézanne, ou telle sculp-     sionnels des acteurs ;
ture de Rodin . . . Et j'ajoute ; un       4. Étude des problèmes de pro-
tel qui, tel soir, interprète une in-   duction ;
terprétation de Cukor, ou Seven            5. Étude des travaux des mon-
Women de Ford ou 7 Puritani de          teurs professionnels ;
la Callas...)                              6. Finalement, étude des pro-
   Tout ceci nous a amené à la cri-     blèmes professionnels et artistiques
tique du cinéma américain en par-       des réalisateurs.
ticulier. Voici les idées de Cukor         Tout ceci fait bien du boulot.
en vrac :                               Arriverons-nous jamais à pouvoir
   1. D'abord, voir le cinéma amé-      faire une critique au fond si exi-
ricain ;                                geante ? Je ne sais. Quoi qu'il en
   2. Le connaître ensuite pour         soit, je suis convaincu que la mo-
mieux le voir et le faire voir.         destie de Cukor cache une terrible
   Et, pour le connaître :              lucidité des problèmes de création
   a. s'arranger pour voir travailler   et de critique de son propre ciné-
les réalisateurs ;                      ma, ainsi que de celui de ses con-
                                        frères hollywoodiens. Il faudra plus
   b. entretenir des relations étroi-
                                        tard essayer de débroussailler toute
tes avec les différentes "guild" amé-
                                        cette matière...
ricaines — des acteurs, des réalisa-
teurs, des producteurs, etc.               En faisant un dernier tour dans
   3. Enfin, tout comme n'importe       la galerie des portraits de Cukor,
quel exécutant lui-même, musicien       je m'arrête plus longtemps avec lui
ou réalisateur, que le critique ci-     sur les visages de Katharine Hep-
nématographique soit créateur en        burn, la plus grande de toutes !
étant sincère et vrai par rapport       Comment oublier sa transcendance
au sujet qu'il a à interpréter.         de Philadelphia Story? Katharine
   Cette conception nouvelle de la      est revenue maintenant au cinéma
critique du cinéma américain — et       et, quelque part à Nice, elle pré-
peut-être de tout le cinéma — en-       pare l'inoubliable masque de La
gage le critique à une série de tra-    Folle de Chaillot. Cela n'est pas
vaux presque inconnus jusqu'ici :       surprenant : Giraudoux est chez lui
   1. Étude de scénarios. Cette étu-    avec les femmes et le baroque pré-
de est rarement faite ;                 cieux, comme Cukor, et Katharine
   2. Étude des esquisses des déco-     Hepburn peut bien avoit pensé
rateurs et des costumiers et, inci-     rassembler leur génie...
demment, des partitions musicales ;                     Réal La Rochelle

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