Innovation paysanne Comment la recherche agricole collabore fructueusement avec les paysans - Prolinnova
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7-2016 Dossier Un dossier de Misereor, Prolinnova et la Fondation McKnight en collaboration avec la rédaction de . Innovation paysanne Comment la recherche agricole collabore fructueusement avec les paysans Innovation d’un groupe recherche action de paysans du Burkina Faso : Ce grenier à oignons assure une bonne aération tout en protégeant les oignons contre la chaleur. Photo: Eva Wagner/Misereor
Éditorial Inhalt 3 Potentiels en friche Les paysans et paysannes d’Afrique doivent L‘agriculture paysanne en Afrique nourrir des villes en pleine croissance et Theo Rauch et Lorenz Bachmann pratiquer une agriculture leur permettant de dégager des revenus supérieurs au seuil 6 Innovations paysannes de pauvreté et de se positionner sur des Un trésor enfoui pour la recherche marchés en pleine mondialisation, le tout agricole dans un contexte général de plus en plus Roch Mongbo et Sabine Dorlöchter-Sulser difficile. 9 Au-delà du modèle de transfert Mgr Pirmin Spiegel Pour mener à bien cette tâche herculéenne, de technologie est le directeur général de Misereor. il faut qu’ils fassent une agriculture la plus De nouvelles voies pour la recherche intensive possible. Les centres de recherche agricole agricole devraient les y aider. Mais les « solu- Boru Douthwaite tions » qui sont conçues par les chercheurs 11 La valeur ajoutée des partenariats s’avèrent souvent inappropriées, inadaptées Le point de vue de la science et trop onéreuses pour des paysans qui Anja Christinck, Brigitte Kaufmann continuent, jusqu’à aujourd’hui, à faire et Eva Weltzien preuve de propres capacités d’innovation. Comment la recherche agricole doit-elle 14 « Nous avons besoin d’une recherche procéder pour soutenir efficacement hors murs ! » l’agriculture paysanne ? Qui doit définir les Interview avec Omer Agoligan du Bénin Chris Macoloo axes prioritaires et les questions-clé de la est le président du groupe de recherche ? Quels acteurs doivent coopérer ? 17 Les organisations paysannes influent sur supervision de Prolinnova. Et comment valoriser les capacités d’innova- la recherche agricole tion paysannes ? L’exemple de FUMA Gaskiya Bettina I.G. Haussmann et Ali M. Aminou Ce dossier a pour objet de faire connaître 19 Promouvoir l’innovation paysanne différentes approches novatrices de la Le rôle des partenariats entre divers recherche agricole dans lesquelles les acteurs paysans jouent un rôle déterminant, qu’il Gabriela Quiroga Gilardoni s’agisse de véritables partenariats entre et Ann Waters-Bayer organisations paysannes et organismes de recherche ou d’alliances entre groupes 21 La recherche d’innovations pay- paysans, ONG et chercheurs ; ou encore de sannes Jane Maland Cady recherches agricoles gérées par les orga- Implication systématique des potentiels est la directrice du programme inter- nisations paysannes. Dans ce contexte, d’innovation des agriculteurs national de la Fondation McKnight. ce ne sont pas seulement les innovations Tobias Wünscher paysannes en elles-mêmes qui comptent : il est également important de se pencher sur 23 42 n’est pas une réponse de nouvelles approches méthodologiques Changements dans la recherche permettant de renforcer les capacités des agricole paysans à « concevoir le changement ». Tous Ann Waters-Bayer et Fetien Abay les articles du dossier partagent la même 25 Reconnaître et valoriser les savoirs et vision d’une recherche agricole ayant pour savoirs faire paysans objet de contribuer, avec et par les paysans, La Foire de l’Innovation Paysanne en à améliorer durablement la productivité de l’Afrique de l’Ouest l’agriculture paysanne et, de ce fait, à lutter Aline Zongo efficacement contre la pauvreté. 26 Atteindre un maximum des petits producteurs agricoles Ce qui exige une mise à l’échelle des innovations paysannes Anne Floquet 7-2016 | Dossier
Innovation paysanne 3 Potentiels en friche La recherche agricole pourrait contribuer à l’intensification de l’agriculture paysanne en Afrique à condition d’être conçue de manière participative Photo: Lorenz Bachmann Theo Rauch et Lorenz Bachmann dans le monde ou est-il possible de les L’ICIPE, institut international de recherche, coopère avec les paysans. Il a développé un aider ? Et quel rôle la recherche agricole pesticide biologique. À ce jour, aucune entreprise Les paysans d’Afrique ont un problème joue-t-elle dans tout cela ? n’est intéressée à produire ce pesticide. d’image. À en croire les jérémiades des En Afrique subsaharienne, à l’exception de politiciens africains et les craintes de l’Afrique du Sud et de la Namibie, l’agricul- certains chercheurs et acteurs de ter- ture est surtout paysanne : 65 % de la popula- Mais après une analyse plus approfondie, rain, les paysans d’Afrique ne seraient tion vit de l’agriculture. La superficie cette image se transforme. La production de moyenne des fermes est de 1,6 hectare, mais céréales en Afrique a été multipliée par pas à même de subvenir à leurs propres la plupart d’entre elles sont plus petites. Au quatre depuis 1960 et a donc suivi le rythme besoins alimentaires et, à plus forte rai- premier abord, l’agriculture paysanne afri- de croissance de la population. Les paysans son, à ceux d’une population africaine caine ne fait pas le poids à l’échelle interna- d’Afrique se sont largement adaptés à la de plus en plus nombreuse ; par ail- tionale. Le rendement moyen n’est que de 1,5 demande. L’importation de produits alimen- tonne de céréales par hectare, alors qu’il est taires tient au fait qu’il est meilleur marché leurs, ils ne seraient pas compétitifs sur de 4 tonnes en Asie du Sud. De 10 à 20 % des de nourrir la population de grandes villes les marchés agricoles mondialisés. Les besoins en céréales des pays d’Afrique subsa- portuaires comme Lagos, Accra, Dakar ou paysans d’Afrique doivent-ils s’effacer harienne sont couverts par des importations. Dar-es-Salam avec des aliments sub devant les grandes exploitations agri- Les personnes souffrant de la faim se ventionnés et importés par voie maritime retrouvent en proportion très élevée dans les coles au nom de la lutte contre la faim régions rurales et parmi les populations vivant de l’agriculture. Dossier | 7-2016
4 Innovation paysanne Une paysanne expérimente les techniques de paillage dans son champ de culture mixte (café, manioc et bananes). qu’avec des aliments produits dans les dégradation des sols, l’augmentation de la régions agricoles, éloignées et mal desservies, production par la seule extension des sur- de son propre arrière-pays. Le fait que le ren- faces cultivées atteint ses limites dans de dement par hectare soit bas et n’augmente nombreuses régions. Il est devenu incontour- Photo: Lorenz Bachmann que lentement n’est donc pas dû aux faibles nable d’intensifier la production en augmen- potentiels des paysans ou à un manque de tant la productivité des surfaces cultivées et ressources naturelles. Traditionnellement, les cela pourrait même s’avérer rentable. Mais paysans d’Afrique ont toujours augmenté une question se pose : ce défi peut-il être rele- leur production en exploitant des terres sup- vé par la grande majorité des paysans afri- plémentaires. Là où il est encore possible cains, qui ne disposent que de peu de res- aujourd’hui d’augmenter la production en sources, ou uniquement par les exploitations étendant les surfaces cultivées, il n’y a aucune agricoles les mieux placées sur le marché ? nécessité d’investir dans une intensification De manière générale, le rendement par mercialisation et de l’accès aux services. En de l’agriculture, a fortiori si ce n’est pas ren- hectare de l’agriculture paysanne est, pour de effet, il est beaucoup plus complexe de mettre table en raison de la faiblesse des prix versés nombreux produits, plus élevé et la qualité en place un système de commercialisation et aux producteurs et de la morosité des mar- meilleure par rapport à la production à de services pour des dizaines de milliers de chés. Les déficits au niveau de l’auto-approvi- paysans ayant chacun cinq sacs de céréales à sionnement des familles paysannes ne sont vendre que pour une grande entreprise com- Photo: S. Dorlöchter-Sulser généralement pas dus à un manque de poten- mercialisant 100 000 sacs. tiels de production, mais tiennent plutôt au Un autre obstacle à l’intensification de la fait que les paysans doivent souvent, en rai- production : les familles paysannes ayant peu son de leurs besoins saisonniers en liquidités, de ressources gagnent leur vie en travaillant à vendre une partie de la récolte à bas prix, puis la fois en milieu rural et en milieu urbain, racheter des céréales au prix fort avant la parce que ni les revenus agricoles ni les reve- récolte, lorsque leurs réserves sont épuisées. nus urbains ne leur permettent de subvenir à Les paysans d’Afrique ont donc, au cours leurs besoins. De ce fait, la plupart des jeunes des 50 dernières années, adapté leur produc- adultes sont à la recherche d’un emploi en tion à la hausse de la demande en valorisant ville et un grand nombre d’entre eux, frustrés au mieux leurs potentiels, alors que les par l’abandon des régions rurales et du sec- conditions du marché et d’accès aux services teur agricole, se détournent de l’agriculture. Il étaient mauvaises. Si par ailleurs, ils n’ont arrive qu’il ne reste plus que les femmes, pas pu augmenter leur production, cela tient accompagnées de jeunes enfants, et les per- généralement au fait que, compte tenu des Semences prêtes à être plantées dans des sonnes âgées pour travailler dans la produc- faibles cours mondiaux et des frais de trans- champs d’expérimentation. L’ICRISAT, organisme tion agricole. De ce fait, il n’y a pas assez de port élevés, ils n’étaient pas compétitifs à international de recherche sur l’agriculture dans main-d’œuvre pour mener à bien l’intensifi- l’échelle internationale. les zones tropicales semi-arides, effectue des cation. Quelquefois, le savoir local agro-tech- recherches participatives au Niger. nique n’est plus présent. De nombreux pay- | Des potentiels d’intensification sans africains sont « pris de court » par la en friche hausse de la demande. Les potentiels dont ils Alors que jusqu’en 2005, les prix peu attrac- grande échelle, ceci étant dû au fait que la disposent ne sont pas mobilisables à court tifs et le manque d’intérêt politique entra- main d’œuvre familiale apporte générale- terme. Économiquement parlant : l’élasticité vaient l’intensification de l’agriculture afri- ment un plus grand soin à son travail, dispose de l’offre est faible. caine, la situation a radicalement changé d’un plus grand savoir-faire local, sont plus De nombreux projets, soutenus par des pour les paysans suite à la forte hausse des flexibles et font preuve de plus grandes capa- ONG, qui parviennent à augmenter la pro- prix agricoles de 2008 et à l’amélioration de cités d’adaptation que les ouvriers agricoles ductivité grâce à des innovations adaptées au leurs conditions commerciales. Désormais, qui travaillent selon des processus uniformi- contexte local, témoignent des capacités d’in- les ressources agricoles de l’Afrique consti- sés et mécanisés. Par contre, les avantages liés novation des paysans africains. Une question tuent un enjeu important pour la politique à la taille de l’exploitation agricole et à l’utili- se pose alors : comment la recherche agricole de développement, les investisseurs privés et sation des machines ne jouent généralement contribue-t-elle à mobiliser ces potentiels les gouvernements de pays émergents sou- qu’un rôle secondaire, car le coût du travail insuffisamment exploités ? cieux de nourrir leurs populations. Compte est faible en Afrique. Alors que les paysans tenu de la hausse de la demande et de la bénéficient d’atouts au niveau de la produc- tion, ils sont défavorisés au niveau de la com- 7-2016 | Dossier
Innovation paysanne 5 • Comme la plupart des recherches ne sont aussi échanger leur savoir-faire, concevoir et/ pas non plus ciblées spécialement sur les ou adapter des innovations, produire et diffu- femmes, les foyers pauvres et dirigés par ser des semences au niveau local. des femmes sont spécialement concernés Les ONG ont un rôle important à jouer par ce « fossé de l’innovation ». dans la création d’organisations paysannes • Chacune des « innovations majeures » des intégrant toutes les catégories sociales. Pour centres de recherche agricoles internatio- organiser les paysans sur l’ensemble du terri- naux n’a été mise en œuvre que par 5 000 toire, il faut un appui financier public. Afin exploitations agricoles en moyenne ; le que les résultats de la recherche agricole taux d’application pratique est donc faible soient adaptés au contexte local, il est indis- jusqu’ici. Les apports, qui sont nécessaires pensable que le processus de recherche soit pour la diffusion des innovations, comme participatif. Dans ce contexte, il faut que les par exemple des semences et des conseils, pratiques ne soient pas seulement adaptées | La contribution de la recherche n’ont pas été mis à disposition en quantité au site, mais aussi au groupe-cible et aux agricole à l’intensification de suffisante. ménages les moins aisés et leurs contraintes. l’agriculture paysanne Pour conclure, un système de recherche agri- Une étude réalisée en 2014 pour le compte du La recherche agricole en Afrique est donc sur- cole et de services agricoles axé sur l’inclu- Ministère fédéral allemand de la Coopéra- tout axée sur les paysans à orientation com- sion sociale et la durabilité écologique doit tion économique et du Développement merciale qui sont implantés dans les régions impliquer les paysans, ne devrait pas renon- (BMZ) a passé au crible les offres actuelles agricoles privilégiées. De ce fait, elle est peu cer à l’implication d’acteurs privés, mais d’innovations issues de la recherche agricole adaptée pour promouvoir les potentiels des relève en premier lieu de la responsabilité internationale pour l’Afrique. En voici les paysans - et surtout des paysannes - ayant des acteurs publics. Compte tenu de l’ur- conclusions essentielles : peu de ressources. gence des enjeux et du fait que les efforts • La recherche agricole s’est spécialisée sur pour améliorer la gouvernance dans de nom- les zones agro-écologiques les plus cou- | Exigences à l’égard de la politique breux pays à faibles revenus ne porteront rantes, à forte densité de population, et fait agricole et de la recherche agricole leurs fruits qu’à long terme, la coopération l’impasse sur les territoires marginaux, Pour que la majorité des paysans soient en internationale reste indispensable. | | comme les régions arides et de haute mon- mesure de mobiliser leurs potentiels d’inten- tagne, mais aussi sur les systèmes de pro- sification en friche, il faut qu’ils aient accès à Traduction: Juliette Vinbert duction plus rares. De ce fait, une part un savoir-faire adapté sur les pratiques les importante des paysans marginaux, non- plus rentables et respectueuses des res- Bibliographie : intégrés dans les chaînes de création de sources. Les prestataires privés n’offrent de Bachmann L, Woltering L, Letty B, Apina T, Benasser valeur, passent entièrement à travers les tels services que de manière sélective, pour Alaoui & Nyemba J. 2014 : Assessment of the mailles du filet. des gammes de produits lucratives et à proxi- demand-supply match for agricultural innovations. • Les innovations générées par la recherche mité des centres urbains. Par contre, veiller à ITAACC. Final report agricole ne sont financièrement abordables ce que les groupes vulnérables aient de quoi que pour environ un tiers des paysans. La subvenir à leurs besoins alimentaires ou plupart des nouveautés ne sont finançables développer une agriculture durable, préser- Theo Rauch que pour les grandes exploitations agri- vant les sols ou économisant l’eau, relève de est professeur honoraire à coles ou nécessitent de recourir à une sub- la responsabilité des acteurs publics : il est l’Institut géographique de vention ou à un crédit. Les critères fonda- nécessaire que l’État finance et pilote des ser- l’Université libre de Berlin. Il mentaux pour la conception des innova- vices agricoles intégrant toutes les catégories travaille sur le développe- tions sont les suivants : avantages compara- sociales et toutes les régions. ment rural et la promotion tifs élevés sur les rendements et un besoin Compte tenu des faiblesses de nombreux paysanne en Afrique. en capital assez important. Mais les paysans États africains et de leurs administrations, disposant de peu de ressources, qui consti- l’accès des paysans pauvres à un savoir-faire Lorenz Bachmann tuent la majorité des exploitants agricoles significatif nécessite l’existence d’une pay- a écrit sa thèse de doctorat d’Afrique, ne peuvent pas s’offrir d’investis- sannerie bien organisée. Se regrouper dans sur les méthodes participa- sements de moyenne importance et s’ils des organisations paysannes n’est pas seule- tives de recherche agricole prennent le risque de prendre un crédit, ils ment nécessaire pour être un partenaire en et travaille depuis de tombent très rapidement dans le piège de mesure de s’exprimer, d’agir et de défendre nombreuses années comme l’endettement avec des taux d’intérêt allant efficacement les intérêts communs de la pay- expert indépendant. de 20 à 50 %. sannerie ; en s’organisant, les paysans peuvent Dossier | 7-2016
6 Innovation paysanne Innovations paysannes Un trésor enfoui pour la recherche agricole Photo: Eva Wagner/Misereor | Roch Mongbo et aux multiples problèmes dans l’agri- Fière de l’innovation : Une paysanne présente les pierres minérales à lécher, Sabine Dorlöchter-Sulser culture d’Afrique qui est une pièce maî- composées de diz ingrédients locaux. tresse du développement. L’image de l’Afrique comme continent émergent (‘Afrique – réveil d’un géant’) La foire d’innovation paysanne Ouest-Afri- de savoirs anciens souvent dénommés savoir caine (FIPAO) à Ouagadougou en mai 2015 a endogène. Il s’agit plutôt d’un processus demeure encore actuelle, ceci avant tout une fois de plus fait la preuve de la créativité créatif, lors duquel les paysans et paysannes en raison de ses richesses minérales et et de l’imagination paysannes. Une soixan- observent, expérimentent et développent ressources naturelles sous-exploitées. taine de paysans et paysannes de huit pays des nouvelles solutions, et ceci en marge des ouest-africains ont exposé leurs innovations institutions et dispositifs qui sont formelle- Le potentiel en ressources humaines au grand public. Tous ces innovateurs pay- ment chargés de l’amélioration des pratiques est supposé localisé, le cas échéant, au sans ont surtout une chose en commun : ils en vue d’une meilleure productivité de l’agri- sein des start-up créatives et des jeunes ne baissent pas les bras face aux multiples culture. Dans le même temps, non seulement entrepreneurs, ou dans les milieux problèmes dans la production végétale et les paquets technologiques développés au animale, dans la santé animale, en matière de sein de ces institutions et dispositifs for- des artistes dans les agglomérations stockage, de transformation et de commer- mels obtiennent peu d’audience ou d’intérêt urbaines. Ceci ignore la capacité d’inno- cialisation. Ils mettent en valeur de manière auprès du monde paysan, mais les problèmes vation et l’ingéniosité des paysans et ciblée leur savoir-faire et leur connaissance multiformes auxquels sont confrontés la paysannes à développer des solutions entre autres des substances et des phéno- majorité des paysans et paysannes trouvent mènes naturels. En réalité, l’innovation pay- à peine place sur les paillasses, au sein des sanne dépasse de loin la simple application 7-2016 | Dossier
Innovation paysanne 7 Photo: Eva Wagner/Misereor Photo: Eva Wagner/Misereor Les innovations paysannes ont suscité un vif intérêt parmi les visiteurs de la Foire de l’Inno- vation Paysanne en l’Afrique de l’Ouest FIPAO (à gauche). Le « tao-tao », un baume contre les ectoparasites, est appliqué à une poule. Ce remède a été déve- loppé par des avicultrices de Toeghin au Burkina Faso (ci-dessus). espaces de réflexion ou dans les champs inscrite à l’agenda de la vulgarisation agri- Ouagadougou ont perdu chaque année le expérimentaux desdites institutions. cole étatique, la ‘validation’ des innovations profit des meilleures périodes de commer- Pourtant, c’est seulement vers la fin des paysannes par des institutions de recherche cialisation, car leurs productions d’oignons années 1980 que l’on constate un processus s’avère indispensable. De plus, ces innova- se gâtaient régulièrement lors de la saison d’appréciation des efforts paysans, premiè- tions portent sur des produits animaux et sèche chaude. Le mauvais stockage s’est avé- rement avec la redécouverte de l’importance végétaux. Or la recherche scientifique dispose ré comme l’une des raisons majeures des du savoir endogène, deuxièmement, avec la des moyens adéquats pour une évaluation pertes qu’ils enregistraient. Se basant sur reconnaissance de la grande flexibilité des des risques biologiques éventuels associés à leurs connaissances des greniers céréaliers, systèmes de production face à la variabilité de telles nouveautés, d’autant plus s’il s’agit les producteurs du groupe de recherche des facteurs environnementaux surtout dans des produits destinés à la consommation action ont conçu un grenier de stockage d’oi- les régions arides et troisièmement avec la humaine. Troisièmement, une implication gnon qui assure une bonne aération des valorisation successive de la capacité pay- plus active et effective des paysans et pay- oignons et les protège contre la chaleur. Ce sanne à travers la mise en œuvre des diverses sannes et la prise en compte de leurs priorités grenier localement fabriqué permet de stoc- approches participatives. Il est maintenant dans la recherche agricole permettent d’assu- ker les oignons pendant 10 mois. En fonction évident que celles-ci se retrouvent dans la rer que les institutions et dispositifs formels du niveau de production, divers modèles de pratique des ONG, des institutions nationales de recherche et de développement agricole greniers d’une capacité de 2 à 10 tonnes ont et internationales de recherche et au niveau s’adaptent aux besoins réels du monde pay- été développés à des prix abordables pour des programmes de recherche appuyés par san. Les exemples qui suivent illustrent en tous, allant de EUR 43 à 230. Ainsi des exploi- la Banque mondiale. Néanmoins, une recon- quoi une mise en valeur des capacités pay- tations agricoles de différentes tailles et reve- naissance officielle de ces approches reste sannes d’innovation sera sûrement dans l’in- nus sont en mesure de tirer profit d’une telle incertaine, encore moins leur institutionnali- térêt des Etats africains. innovation. sation dans la recherche agricole. A travers des approches qui mettent les Mais est-ce qu’il y a vraiment un besoin paysans et paysannes au centre (voir enca- | Exemple 2 : Validation de la pommade d’associer la recherche agricole aux innova- dré), DIOBASS une ONG burkinabè et ADAF- „Tao-Tao“ contre les ectoparasites de tions paysannes ou est-ce que ces dernières Gallé une ONG malienne accompagnent des la volaille font d’elles-mêmes suffisamment tache groupements paysans dans la recherche de La validation des innovations par les institu- d’huile , comme ceci a été le cas avec l’innova- solutions aux problèmes qu’ils rencontrent tions de recherche agricole se révèle comme tion du « zaï », une technique paysanne pour dans leurs activités agricoles. Un grand un véritable apprentissage conjoint, comme récupérer des terres dégradées, au Sahel? En nombre d’innovations paysannes promet- le montre le cas des femmes de Toeghin. Ces réalité, un ancrage institutionnel de l’inno- teuses ont été ainsi identifiées et expérimen- éleveuses de volaille ont longtemps déploré vation paysanne semble un objectif souhai- tées (voir tableau). beaucoup de pertes du fait de la prolifération table pour au moins trois raisons : Premiè- des puces, des tiques ou des punaises sur la rement, beaucoup d’innovations paysannes | Exemple 1: Des solutions accessibles et volaille. Ces parasites sont des vecteurs de risquent de connaître une diffusion dans un à la portée des paysans et paysannes certaines maladies provoquant de pertes de rayon limité, et ceci malgré leur pertinence Les pertes post-récoltes sont reconnues poids et une augmentation de la mortalité de sous-régionale. Deuxièmement, pour être comme l’une des causes majeures de la faible productivité agricole en Afrique. Les produc- teurs maraîchers de Noungou non loin de Dossier | 7-2016
8 Innovation paysanne L’approche Diobass L’approche Diobass intègre les principes de la recherche action paysanne (RAP) avec des éléments du Développement Participatif de l’Innovation (DPI). Elle consiste d’abord à collecter et caractéri- ser les initiatives et pratiques paysannes avec les paysans innovateurs dans la Elles lui ont alors soupçonné une vertu anti- fiques dans ces matières et sont une occasion production végétale et animale. Ces parasitaire et expérimenté les effets des de les déplacer. pratiques paysannes collectées sont décoctions de la plante sur ces parasites de Au total, ces exemples d’innovation pay- soumises à la sélection par un comité la tomate. Lors d’une de ses campagnes de sanne démontrent bien le grand potentiel de décision selon des critères définis de recensement des innovations paysannes, qui reste à être mis en valeur au profit de commun accord. Par la suite, les paysans ADAF-Gallé a repéré ces femmes qui étaient l’agriculture africaine. L’intégration des pay- et paysannes s’inscrivent en groupe pour reconnues dans leur communauté comme sans et paysannes dans la recherche agricole conduire des expérimentations sur les investigatrices de solutions pour des pro- au même titre que les chercheurs permet pratiques dignes d’intérêt. Les paysans blèmes de maraîchage. Une entomologiste de développer des innovations pertinentes, innovateurs relèvent des paramètres de l’IER (Institut d’Economie Rurale) invi- accessibles et abordables. De plus, leur créati- non maîtrisés et des zones d’ombre qui, tée par ADAF-Gallé a confirmé l’efficacité de vité, leur ingéniosité féconde et leur compré- par la suite, font l’objet des protocoles cette plante contre les acariens de la tomate à hension des liens complexes de l’écosystème de recherche. Les expérimentations la suite d’une série de tests. Ces femmes pay- agraire ouvrent aussi des nouvelles pistes sont mises au point et suivies conjointe- sannes et l’entomologiste ont alors poursuivi pour la recherche agricole. En perspective, ment avec la recherche scientifique, les les investigations sur les doses et moments une orientation de la recherche agricole vers services techniques agricoles de l’Etat, d’application appropriés. Ainsi, à l’image des approches de recherche avec ou par des les animateurs communautaires volon- de la recherche moderne, l’observation des paysans permettra non seulement de mieux taires et les acteurs de Diobass. Cela interactions des plantes en relation avec des prendre en compte les différentes catégories permet, à travers une stratégie multi- maladies ou d’autres phénomènes naturels sociales de paysans, leurs préoccupations, acteurs, une large diffusion des innova- comme sources d’invention fait partie inté- ambitions et potentiels concrets ainsi que tions auprès d’autres communautés de grante du processus d’innovation paysanne. leurs contextes agro-écologiques spécifiques producteurs. mais au-delà de s’ancrer davantage au sein de Léon Zongo (Diobass, Burkina Faso) | Exemple 4: Percer de nouveaux la société elle-même. horizons A cet effet, trois leçons cruciales à retenir Certaines innovations paysannes constituent sont de partir des priorités paysannes, de un défi pour la recherche formelle. Deux fonder les questions-clé et le protocole de la la volaille. Les femmes de Toeghin ont alors exemples sont évocateurs à ce sujet: il s’agit recherche sur les observations paysannes et développé un remède sous forme de pom- de deux produits mis au point par des groupes de valoriser les deux perspectives – celle des made contre cette infestation parasitaire, en paysans de recherche-action membres du chercheurs et celle des paysans. Avec une particulier chez les poules et les pintades. DIOBASS Burkina Faso, l’un contre la maladie telle approche, on pourrait amener toutes les Des chercheurs de l’INERA ont ensuite testé de Newcastle, une maladie aviaire virale avec potentialités, y compris celles des paysans et l’efficacité de la pommade de même que sa une forte mortalité et l’autre contre l’adven- paysannes pauvres, à contribuer à forger une tolérance cutanée et ses éventuels effets tice striga (striga hermonthica). Alors que Afrique émergente. | | toxiques sur la viande de la volaille. Compa- lesdits produits révèlent leur efficacité dans rée à un remède vétérinaire importé, la pom- les élevages et sur les champs, les chercheurs made s’est avérée de même niveau d’efficaci- n’arrivent pas encore à en démontrer l’effica- té tout en revenant moins cher et en étant de cité à l’aide d’une démarche scientifique. En Roch Mongbo fabrication locale. Les chercheurs de l’INERA effet, pour la maladie de Newcastle, la science est agronome et anthropo- s’intéressent à présent au développement n’envisage que des mesures de prévention à logue, professeur à l’Uni- d’une forme de présentation adaptée au pul- travers une vaccination. Les élevages atta- versité d’Abomey-Calavi et vérisateur, qui permettrait une application qués sont condamnés à l’extermination pour directeur de l’institut de plus rapide et qui pourrait intéresser aussi éviter la propagation du virus dans d’autres science sociale LADYD. les éleveurs commerciaux. élevages. L’application du remède mis au point par les paysans permet pourtant de | Exemple 3: Le ‘Potocolonimbo’ ou traiter la maladie avec succès dès qu’on Observer la nature pour innover. observe ses premiers signes. Pour ce qui est Sabine Dorlöchter-Sulser Les femmes de ce village malien ont observé du Songkoadba contre le striga, les premiers est sociologue et géo- que les plants de tomates poussant à proxi- tests réalisés par les chercheurs sur la base graphe et, depuis 2001, mité de cette plante qu’elles ont dénommée des hypothèses de germination se sont révé- chargée de développement ‘Potocolonimbo’, n’étaient pas infestés par lés non concluants. Néanmoins, les effets au rural auprès de Misereor. les acariens qui attaquaient les autres plants. champ sont flagrants. En réalité, ces innova- tions paysannes semblent se situer aux fron- tières actuelles des connaissances scienti- 7-2016 | Dossier
Innovation paysanne 9 Étang familial près de Khulna, Bangladesh. Il ne sert pas seule- ment à la pisciculture, l’eau est aussi utilisée de diverses autres Photo: Felix Clay/Duckrabbit manières – un résultat de la recherche dans le développement. Au-delà du modèle de transfert de technologie De nouvelles voies pour la recherche agricole | Boru Douthwaite Depuis les années 1970, les scientifiques du | L’approche de la recherche dans CGIAR recherchent des alternatives à « l’ap- le développement (RinD) En octobre 2015, le CGIAR, un consor- proche pipeline » afin de rendre la recherche L’approche RinD implique les communautés tium de centres internationaux de agricole plus appliquée et ciblée sur les solu- villageoises ou autres groupes d’intérêt tions. Malgré les efforts entrepris depuis de locaux dans les projets par le biais de la recherche agricole, a mis fin à un pro- nombreuses années afin de concevoir et recherche-action participative (RAP) et mise gramme destiné à faire avancer la d’établir des approches de recherche allant sur les atouts existant sur place. Dans chaque recherche appliquée et ciblée sur les dans ce sens, aucun modèle n’a réussi à s’im- pôle, une équipe AAS a convenu avec les poser. Pour faire bouger les choses, le CGIAR a populations locales d’un problème urgent à solutions. Qu’est-ce que le programme financé en 2011 un programme de recherche traiter dans le secteur de l’aquaculture. a atteint et pourquoi le soutien institu- sur les systèmes d’agriculture aquatique L’équipe AAS a aidé les communautés rurales tionnel lui a-t-il été retiré ? (AAS). Comme mentionné dans la demande à atteindre les objectifs définis par la com- de financement, le CGIAR voulait aller au-delà munauté dans le cadre de la RAP. Depuis les années 1960, la recherche agricole des limites du conventionnel et modifier son Prenons un exemple pour mieux com- suit grosso modo le modèle suivant : la mode de travail dans le sens d’une recherche prendre l’approche RinD : au Bangladesh, les recherche scientifique conçoit de nouvelles dans le développement (Research-in-Deve- étangs familiaux ont été reconnus comme méthodes et techniques que différents inter- lopment, RinD). Le centre mondial sur le pois- intérêt commun des paysans et des cher- médiaires transmettent ensuite aux paysans. son (WorldFish), qui coordonne le programme cheurs. Ces étangs remplissent diverses fonc- Un inconvénient de cette approche pipeline AAS, a conçu une approche RinD pour le tra- tions : ils servent à la pisciculture, mais aussi réside dans le fait que les capacités d’innova- vail du programme dans cinq pôles de de source d’approvisionnement en eau de tion paysannes risquent d’être sous-estimées recherche : Bangladesh, Cambodge, Philip- lavage et d’arrosage. Dans la région, ils repré- et affaiblies. pines, Îles Salomon et Zambie. sentent environ le tiers de la surface totale des petites exploitations agricoles (moins de 0,2 hectare). Normalement, ils sont ombra- Dossier | 7-2016
10 Innovation paysanne Photo: M. Yousuf Tushar/WorldFish Une paysanne du Bangladesh présente des poissons de son étang familial. gés, grâce à la présence d’arbres et de plantes de recherche conventionnelle au lieu d’expé- grimpantes. Les chercheurs et les conseillers rimenter de nouvelles approches alternatives agricoles recommandent normalement de comme mentionné dans sa proposition. grands étangs, non ombragés, qui peuvent quels des experts en genre et en RAP. Ce tra- Après les critiques de l’ISPC, les respon- seulement servir à la pisciculture. Les étangs vail de recherche a permis de développer de sables du programme AAS et la direction familiaux sous leur forme originelle et les nouvelles technologies, d’accroître les liens du WorldFish ont remis en cause l’approche besoins individuels des paysans ne sont pas entre les acteurs, d’améliorer la confiance en RinD. Par conséquent, cette approche, le compatibles avec les concepts convention- soi ainsi que la motivation. Par ailleurs, il a principal résultat de la recherche de l’AAS, nels de la recherche. permis de mieux comprendre comment la n’a pas été évoquée dans la proposition de Une équipe pluridisciplinaire de scien- science peut soutenir les capacités d’innova- financement de 2015 pour la poursuite de la tifiques a constitué dans huit villages des tion des paysannes et changer les normes afin recherche. groupes de recherche intégrant des pay- qu’elles aient accès aux ressources familiales Malgré cette fin prématurée, l’AAS a exercé sannes. Ces groupes de recherche, soute- et puissent participer aux processus décision- une certaine influence au sein du CGIAR. Avec nus par un coordinateur local, ont convenu nels. De ce fait, les populations sont mainte- des représentants des autres programmes de d’améliorer le rendement en poissons des nant davantage à même de faire avancer équi- recherche ciblés sur les systèmes, les repré- étangs sans remettre en question leurs autres tablement le processus d’innovation. sentants de l’AAS se sont engagés avec succès utilisations. Ils ont décidé par exemple d’y La plupart des résultats atteints grâce à afin que le renforcement des capacités d’inno- introduire d’autres espèces de poissons ou l’approche RinD sont dus au renforcement vation figure parmi les objectifs du plan stra- de varier la densité d’empoissonnement. des capacités d’innovation. En Zambie par tégique du CGIAR pour la période 2016–30. Ce WorldFish fournissait le savoir-faire tech- exemple, les relations entre les pêcheurs, le signal fort aux chercheurs devrait contribuer nique nécessaire. Jusque-là, il était courant ministère de la pêche et les autorités tradi- à l’émergence d’un environnement favo- de mettre dans les étangs de petites quantités tionnelles se sont améliorées grâce à la RAP rable à une recherche prenant en compte d’une unique espèce (la carpe indienne) ou qui avait pour objet la salaison du poisson. de manière ciblée les capacités d’innovation d’élever et de pêcher les poissons piégés dans Cela a permis par ricochet de mettre en paysannes. les étangs après les inondations saisonnières. œuvre plus efficacement une interdiction de Une nouvelle tentative visant à établir ce Dans le cadre de la RAP, les paysannes-cher- pêche visant à protéger une population de genre d’approche de recherche au sein du cheuses ont appris à évaluer leurs résultats et poissons menacée. De plus, un programme CGIAR ne devrait être entreprise que si les à déterminer ce qui fonctionnait le mieux de recherche destiné à protéger et contrôler deux conditions suivantes sont réunies : pre- dans leur situation concrète. Elles ont com- les activités piscicoles a été mis au point. mièrement, les bailleurs de fonds du projet mencé à partager avec leurs voisins les straté- concerné doivent comprendre que la gies performantes d’empoissonnement. Les | La fin du programme AAS recherche intégrée aux processus de déve- femmes ont davantage confiance en elles et En 2015, le CGIAR a réduit d’un tiers les loppement local suit une autre dynamique sont davantage reconnues par les membres fonds alloués à ses quinze programmes de que la recherche conventionnelle ; le succès de leurs familles et leurs collègues. Ayant recherche, dont l’AAS. Le CGIAR a décidé d’al- d’un projet se traduit par le renforcement exercé une fonction de leadership, certaines louer les fonds subsistant à des programmes des capacités locales d’innovation et non pas paysannes ont maintenant un meilleur accès de recherche mieux établis à orientation tra- par la mise en œuvre des technologies au marché et aux informations. Les scienti- ditionnelle. L’AAS et un autre programme de conçues par les chercheurs. Deuxièmement, fiques, quant à eux, ont appris à admettre que recherche systémique, Drylands, ont été clô- les critères d’évaluation du succès du projet les paysannes étaient en mesure d’identifier turés, ce qui marque aussi la fin de l’approche et la « théorie du changement » qui les sous- les problèmes et de trouver des solutions. RinD. tend devraient être définis sans ambiguïté Compte tenu du succès obtenu, davantage de Cette décision a été prise suite à l’évaluation dès le départ. | | moyens ont été mis à disposition, ce qui a négative de l’AAS par l’organe d’assurance- permis d’étendre la RAP à d’autres villages. qualité du CGIAR, l’ISPC. L’ISPC est parvenu à Traduction: Juliette Vinbert Selon la théorie qui sous-tend l’approche la conclusion que « l’expérimentation dans le RinD, des « espaces sûrs », dans lesquels processus de développement s’était trop éloi- les différents groupes d’intérêt peuvent gnée de la recherche d’innovations biotech- apprendre ensemble pendant une certaine niques ». L’AAS devrait plutôt, du point de vue période, sont créés dans le cadre de la RAP. de cet organe de conseil scientifique, appor- Dans le cas des étangs familiaux, il s’agissait ter la preuve que les recherches menées « Boru Douthwaite de groupes d’intérêts constitués de paysannes, contribuent à créer une plus-value au niveau est un chercheur et expert de coordinateurs locaux, de chercheurs en du pipeline des agro-technologies biophy- indépendant. sciences biophysiques et sociales parmi les- siques ». Autrement dit, le programme AAS devrait être davantage ciblé sur une approche 7-2016 | Dossier
Innovation paysanne 11 La valeur ajoutée des partenariats Comment les producteurs et les chercheurs peuvent coopérer – le point de vue de la science | Anja Christinck, Brigitte Kaufmann tique et la possibilité de fabriquer des pro- producteurs des pays en développement était et Eva Weltzien duits agrochimiques, comme par exemple souvent peu satisfaisante. des engrais azotés, à l’échelle industrielle C’était l’une des raisons pour attirer l’atten- Depuis les débuts de l’agriculture, bien ont entraîné une augmentation des rende- tion sur la recherche participative avec les avant que la science n’entre en jeu, les ments de l’agriculture dans les pays indus- producteurs. En même temps, les buts des trialisés. Avec la « Révolution verte » des stratégies de développement étaient perçus productrices et les producteurs œuvrent années 1960, l’utilisation de variétés à haut comme étant imposés de l’extérieur par les pour améliorer leurs méthodes de rendement, d’engrais synthétiques et de pro- pays en développement. Alors sont apparues culture. La diversité impressionnante duits chimiques destinés à lutter contre les des approches misant davantage sur la for- parasites, les mauvaises herbes et les mala- mation et le renforcement des capacités ainsi des cultures et variétés témoigne des dies s’est répandue. Ainsi les rendements que sur le transfert de technologie. La prise de capacités d’innovation paysanne d’hier de certaines céréales importantes ont triplé. conscience de la disponibilité limitée des res- et d’aujourd’hui. Pour renforcer ces capa- L’augmentation de la productivité agricole sources naturelles a ravivé l’intérêt pour les cités, il est important de reconnaître les était considérée comme le moyen de lutter contre l’insécurité alimentaire et de renforcer avantages d’une coopération entre les l’économie du monde rural. La « Révolution Une paysanne du Mali lors de l’évaluation producteurs et les chercheurs et de les verte » était fondée sur un modèle de « trans- de nouvelles variétés de sorgho. Elle met exploiter systématiquement. fert de technologie », où les technologies un papier de couleur dans une enveloppe développées dans les centres de recherche suspendue devant la parcelle pour indiquer Depuis le début du XXe siècle, les progrès étaient transmises et successivement mises si cette variété doit continuer à faire l’objet scientifiques dans le domaine de la géné- en pratique. Cependant leur adoption par les d’expérimentations ou non. Photo: Ousmane Traore Dossier | 7-2016
12 Innovation paysanne À gauche : Président d’une coopérative de semences à Wakoro, Mali, avec la récolte de son champ emblavé avec une nouvelle semence hybride. systèmes d’agriculture durable à faibles apports externes. De plus, une attention par- ticulière a été accordée aux processus d’inno- vation locale contestant la perception que les producteurs seraient avant tout des utilisa- teurs passifs de technologies. Dans les années 1980, quelques agronomes et chercheurs internationaux ont conçu l’ap- proche de recherche sur les systèmes de pro- duction agricoles. Au lieu de se focaliser sur certains éléments isolés, ils ont proposé une perspective systémique de production agri- cole. Le rôle actif du producteur en tant que gestionnaire de système de production agri- cole a été reconnu. Pour la première fois, les Photo: Mamourou Sidibe propres objectifs des producteurs en matière d’amélioration de leurs systèmes de culture ont été pris en compte. Le slogan « Les paysans d’abord ! » résumait parfaitement la critique du modèle de trans- fert de technologie dans la recherche agricole et revendiquait une plus large participation des producteurs et des productrices. Depuis, les approches de recherche participative ont | Complémentarité des perspectives, plus, ils ont accès au germoplasme et à des fait la preuve de leur efficacité dans plusieurs des ressources et des compétences informations du monde entier et peuvent secteurs, comme l’amélioration des varié- Le contexte local dans lequel les innovations consacrer beaucoup plus de temps que les tés et de la race animale, ainsi que dans la doivent fonctionner est généralement au producteurs à l’amélioration des variétés et à gestion des ressources naturelles. Quelques cœur de la perspective des producteurs, avec la communication ciblée. méthodes, comme par exemple les inter- tous ses aspects matériels, économiques et views et les outils de communication partici- socioculturels. Les producteurs disposent | Des partenariats qui créent patifs, se sont largement établies. Cependant, d’un savoir sur la diversité des conditions une valeur ajoutée un changement profond vers une conception, pédologiques et climatiques, sur les variétés Les projets de sélection participative montrent planification et réalisation conjointe des pro- locales existantes, sur les interactions entre comment la complimentarité du savoir, des jets de recherche agricole, se fait toujours les différentes activités agricoles, comme la ressources et les aptitudes des producteurs attendre. production vivrière, l’élevage et les besoins et des chercheurs permettent de créer une Néanmoins, les bailleurs de fonds exigent des ménages agricoles ainsi que les diverses valeur ajoutée. Le programme de sélection du une orientation plus prononcée des projets utilisations des récoltes. A partir de leurs sorgho et du mil pour la région du Sahel, en de recherche vers les besoins des « utilisa- expériences, les producteurs anticipent les Afrique de l’Ouest et centrale, que l’ICRISAT teurs finaux ». Par exemple, le programme de réactions des divers types de cultures aux (Institut international de recherche sur les recherche européen « Horizon 2020 » mise problèmes tels que la faible fertilité des sols, cultures des zones tropicales semi-arides) a sur un concept d’approche multi-acteurs : les insectes ou la sécheresse. mis en œuvre en est un exemple. les producteurs, les vulgarisateurs, les cher- Les chercheurs en sélection, quant à eux, Des organisations de producteurs au Mali, cheurs et les entreprises travaillent en parte- disposent de connaissances spécifiques en au Niger et au Burkina Faso et les sélection- nariat étroit afin de développer des innova- génétique, en statistiques et en dispositifs neurs de l’ICRISAT avec ses partenaires natio- tions. D’une manière similaire, le programme d’expérimentation. Ils sont en mesure d’éva- naux ont etabli une coopération à long terme ‘Collaborative Crop Research Program’ (CCRP) luer un grand nombre de plants par rapport à ayant pour objectif de créer de variétés plus de la Fondation McKnight fonde sa straté- certaines caractéristiques, d’augmenter la performantes dans les contextes locaux et gie de financement sur des communautés fréquence des traits cibles au sein des compo- mieux adaptées aux besoins des producteurs. régionales de pratique, dans lesquelles les sites ou d’évaluer le rendement dans des La première étape consistait à développer producteurs, les chercheurs et les experts du conditions environnementales diverses. De une vision commune de la complexité et de la développement travaillent ensemble afin de variabilité des conditions auxquelles les pro- résoudre des problèmes du système d’agricul- ducteurs font face. Les propres stratégies ture et d’alimentation. 7-2016 | Dossier
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