L'exil québécois du gouvernement du Luxembourg - Érudit
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Document generated on 07/13/2022 11:15 p.m. Histoire Québec L’exil québécois du gouvernement du Luxembourg Philippe Bernier Arcand Volume 15, Number 3, 2010 Article abstract Il est connu de plusieurs qu’Ottawa a été la ville hôte de la famille royale des URI: https://id.erudit.org/iderudit/66123ac Pays-Bas durant la Seconde guerre mondiale. En 1945, à la fin de ce conflit, la reine Juliana offrait 100 000 bulbes de tulipes à la ville en reconnaissance de See table of contents l’asile dont la famille royale a bénéficié et du rôle des troupes canadiennes dans la libération des Pays-Bas. Encore aujourd’hui, Ottawa commémore cet évènement à chaque année avec son festival des tulipes au début du mois de Publisher(s) mai. Il est en revanche beaucoup moins connu que, à la même époque, Montréal a été la ville hôte de la famille grand-ducale de Luxembourg et le Les Éditions Histoire Québec siège du gouvernement luxembourgeois en exil. Cet article tente de présenter La Fédération des sociétés d’histoire du Québec les motivations qui ont amené les exilés à choisir Montréal, à faire étudier leurs enfants à l’Université Laval, au Collège des Jésuites de Québec et au ISSN Collège Jésus-Marie de Sillery, et à parler des liens qui les unissaient avec l’impératrice Zita et la famille impériale d’Autriche-Hongrie qui avait trouvé 1201-4710 (print) exil à Québec. 1923-2101 (digital) Explore this journal Cite this article Bernier Arcand, P. (2010). L’exil québécois du gouvernement du Luxembourg. Histoire Québec, 15(3), 19–26. Tous droits réservés © Les Éditions Histoire Québec, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:18 Page 19 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 L’exil québécois du gouvernement du Luxembourg par Philippe Bernier Arcand, doctorant en sociologie Philippe Bernier Arcand est fonctionnaire et doctorant en sociologie. Diplômé en communication, en sciences poli- tiques, en administration publique et en gestion des entreprises, il est l’auteur de l’essai Je vote moi non plus (Amérik Média, 2009). Il est connu de plusieurs qu’Ottawa le congrès de Vienne décide d’éri- Au début de la Première Guerre a été la ville hôte de la famille royale ger le Luxembourg en grand- mondiale, malgré la neutralité des Pays-Bas durant la Seconde duché souverain de la Confé- du Luxembourg garantie par le guerre mondiale. En 1945, à la fin dération germanique et de le traité de Londres de mai 1867, de ce conflit, la reine Juliana offrait donner à titre personnel au roi les troupes allemandes envahi- 100000 bulbes de tulipes à la ville des Pays-Bas. Lorsque Guillaume rent le sol luxembourgeois. La en reconnaissance de l’asile dont la III d’Orange-Nassau décède sans crise sociale engendrée par la famille royale a bénéficié et du rôle héritier mâle en 1890, le trône du guerre et les manipulations poli- des troupes canadiennes dans la grand-duché passe à une autre tiques dont elle fut victime ne libération des Pays-Bas. Encore branche de la famille, les rendirent pas le règne facileà la aujourd’hui, Ottawa commémore Nassau-Weilbourg. En 1907, la grande-duchesse Marie-Adélaïde. cet évènement à chaque année avec loi salique est abolie, ce qui per- Cette dernière fut aussi critiquée son festival des tulipes au début du met à une femme, Marie- pour avoir reçu à plusieurs mois de mai. Il est en revanche Adélaïde alors âgée de 17 ans, reprises le kaiser Guillaume II beaucoup moins connu que, à la d’accéder au trône. d’Allemagne lors de ses passages même époque, Montréal a été la ville hôte de la famille grand-ducale de Luxembourg et le siège du gou- vernement luxembourgeois en exil. Cet article tente de présenter les motivations qui ont amené les exi- lés à choisir Montréal, à faire étu- dier leurs enfants à l’Université Laval, au Collège des Jésuites de Québec et au Collège Jésus-Marie de Sillery, et à parler des liens qui les unissaient avec l’impératrice Zita et la famille impériale d’Au- triche-Hongrie qui avait trouvé exil à Québec. Le Luxembourg naît en 963, reste indépendant jusqu’en 1443, et passe par la suite de main en main jusqu’en 1815 sous la domination successive de la Bourgogne, de l’Espagne, de la France, de l’Espagne encore, de l’Autriche et de la Le Prince Félix et les enfants grand-ducaux sur le Trenton à Annapolis. France encore une fois. En 1815, (Source: Centre national de l’audiovisuel, Luxembourg) 19
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:18 Page 20 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 au Luxembourg et, comme si ce glais, l’allemand et ont été ini- nationaux d’éviter les erreurs de n’était pas suffisant, pour les tiés à l’italien par leur père1. Le la Première Guerre mondiale et fiançailles en 1918 de sa sœur, la grand-duc héritier Jean a pour- d’écarter ainsi le risque d’une princesse Antonia, avec Ruppecht, suivi ses études au Ampleforth collaboration avec l’ennemi. fils du roi Louis III de Bavière, College en Angleterre, pen- prince héritier et chef de l’armée sionnaire de 1934 à 1938. Ses Après la capitulation française, allemande de Flandre. Au len- soeurs Élisabeth et Marie- les autorités luxembourgeoises et demain de la guerre, la grande- Adélaïde ont étudié au Sacred la famille grand-ducale passent duchesse Marie-Adélaïde, à qui Heart School à Roehampton, d’abord en Espagne (19 juin l’on prêtait des sentiments germa- près de Londres. 1940) et ensuite au Portugal (24 nophiles, était devenue inaccep- juin 1940), à Cascais dans les table et pour les gouvernements À l’aube du 10 mai 1940, la environs de Lisbonne. Là-bas, ils alliés et pour une large partie Wehrmacht envahit la Belgique, rejoignent l’ex-impératrice d’Au- des forces politiques luxem- les Pays-Bas et le Luxembourg, triche Zita de Habsbourg, sœur bourgeoises. Elle abdiqua en violant ainsi pour la seconde du prince Félix de Bourbon- 1919 en faveur de sa sœur fois la neutralité luxembour- Parme et ses enfants, de même Charlotte. geoise. Échappant de justesse à que le roi de Belgique Léopold l’armée allemande, la grande- III et ses enfants. La grande-duchesse Charlotte se duchesse Charlotte, sa famille et maria avec son cousin Félix de son gouvernement – les minis- Le prince Félix de Bourbon- Bourbon-Parme. De ce mariage tres Pierre Dupong, Joseph Parme avait réussi à contacter la naquit Jean de Luxembourg en Bech, Pierre Krier et Victor Maison-Blanche. Le président 1921, suivi d’Élisabeth en 1922, Bodson – choisissent le chemin américain Franklin Delano de Marie-Adélaïde en 1924, de de l’exil2. Ils avaient quitté le Roosevelt a renvoyé à Lisbonne Marie-Gabrielle en 1925, de territoire luxembourgeois tôt le le croiseur USS Cruiser Trenton Charles en 1927 et d’Alix en matin pour installer le siège de qui était déjà en route, revenant 1929. Dès leur plus jeune âge, les la législation luxembourgeoise à vers les États-Unis. Le 15 juillet enfants ont appris le luxem- Paris. La décision de l’exil résul- 1940, Félix de Bourbon-Parme bourgeois, puis le français, l’an- tait de la volonté des dirigeants embarquait sur le navire avec tous ses enfants. La grande-duchesse Charlotte demeura à Lisbonne avec l’es- poir de retourner au Luxem- bourg avec son gouvernement. L’annexion de fait du Luxem- bourg par l’Allemagne lui fit renoncer à un retour dans son pays. Le 2 août 1940, Gustav Simon, Gauleiter du Gau Coblence- Trèves est nommé Chef der Zivil- verwaltung au Luxembourg; il prend en main l’administration du pays et commence une poli- tique de germanisation de la population et de démantèle- ment de l’État. Toutes les institu- tions de l’État luxembourgeois La grande-duchesse Charlotte et le prince Félix reçus par Eleanor Roosevelt à la Maison- Blanche. (Source: Centre national de l’audiovisuel, Luxembourg) sont supprimées. 20
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:18 Page 21 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 À Lisbonne, la grande-duchesse En route vers Montréal, la Charlotte et ses ministres déci- grande-duchesse de Luxem- dèrent d’abandonner la tradi- bourg passa par les États-Unis. tionnelle politique de neutralité Elle y a été reçue par le prési- luxembourgeoise en rejoignant dent américain Franklin Delano le camp des Alliés et de quitter Roosevelt qui, le 20 octobre le Portugal pour s’établir au 1940, offrit à sa résidence privée Québec. Mais avant, la souve- de Hyde Park un dîner en cercle raine et son ministre des Affaires restreint en son honneur et celui étrangères Joseph Bech se ren- de son mari. Alexander Cam- dront à Londres le 29 août 1940. bridge, comte d’Athlone et gou- verneur général du Canada, son L’exil québécois épouse la princesse Alice d’Al- bany ainsi que Hugues Le Après avoir rejoint Londres, la Galais, chargé d’affaires luxem- grande-duchesse Charlotte quitta bourgeois à Washington, et son l’Europe pour aller s’établir à épouse, y étaient les autres invi- Montréal avec les ministres tés. Victor Bodson, Pierre Dupong et La grande-duchesse Charlotte. (Source: leurs familles en plus des La grande-duchesse Charlotte et Centre national de l’audiovisuel, Luxembourg) familles des ministres Joseph sa suite arrivèrent à Montréal le Bech et Pierre Krier puisque ces 24 octobre 1940. Après un bref derniers resteront à Londres et séjour à l’hôtel, la famille emmé- famille grand-ducale de trouver voudront laisser leurs familles nagea dans un manoir, à refuge dans une maison de style en sécurité. quelque 30 km de Montréal4. villa italienne appelée Ravens- Elle n’y restera cependant pas crag, aujourd’hui l’Institut Allan Composition du gouvernement du très longtemps jugeant l’endroit Memorial, rattaché à l’Hôpital Luxembourg en exil – 1940-19443 trop isolé. Quelques mois plus Royal Victoria de l’Université tard, elle déménagera à nou- McGill. L’offre a été refusée Pierre Dupong à Montréal veau pour venir se fixer à parce qu’elle ne voulait pas Ministre d’État, Président du Montréal. On offre alors à la vivre dans un « tel palace »… gouvernement, Ministre des Finances et de la Force armée (Parti de la droite) Joseph Bech à Londres Ministre des Affaires étran- gères, de la Viticulture, des Arts et des Sciences, Ministre de l’Intérieur et de l’Instruction publique (Parti de la droite) Pierre Krier à Londres Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale (Parti ouvrier socialiste) Victor Bodson à Montréal Ministre de la Justice, des Travaux publics et des Transports (Parti ouvrier Famille grand-ducale en 1948. (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery) socialiste) 21
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:18 Page 22 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 cains voulaient éviter qu’un pré- cédent à propos du Luxem- bourg n’entraîne d’autres gou- vernements à faire de même. Il fallait aussi trouver des écoles appropriées pour les enfants grand-ducaux, qui choisirent d’aller rejoindre leurs cousins d’Autriche-Hongrie en exil à Québec avec leur mère, Zita, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie. Zita de Habsbourg, née princesse de Bourbon- Parme, était la sœur du prince Félix de Bourbon-Parme. Deux autres frères de Félix et Zita séjourneront aussi au Québec avec leur famille. Il s’agit du prince René de Bourbon-Parme, à Montréal, et du prince Xavier de Bourbon-Parme qui, lui, Les filles de la famille grand-ducale au Collège Jésus-Marie de Sillery. (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery) demeurera à Québec à partir de l’automne 1948. Les ministres et quelques fonc- réussit à obtenir les visas cana- L’impératrice Zita s’était retrou- tionnaires rescapés s’établiront à diens pour les membres du gou- vée à Québec avec sa famille Londres et à Montréal qui, en vernement luxembourgeois et puisqu’elle cherchait, lorsqu’elle tant que ville hôte du président leur famille. Les autorités cana- était en exil aux États-Unis, un du gouvernement Pierre diennes n’avaient pas opposé de endroit où ses quatre plus jeunes Dupong et de la famille souve- résistance pour délivrer des enfants pourraient poursuivre raine, apparaît comme le siège visas à la grande-duchesse Char- leurs études dans des établisse- officiel du gouvernement en lotte et à sa famille, mais il n’en ments catholiques et franco- exil. Le choix de Montréal peut fut pas de même pour les minis- phones. Le fait qu’un professeur étonner, mais reste que la ville tres luxembourgeois5. Les réti- de l’Université de Louvain, possédait plusieurs avantages. cences canadiennes étaient, Charles de Koninck, enseignait En plus d’être éloignée des bom- entre autres, d’ordre politique et à l’Université Laval n’était pas bardements de Londres, la concernaient les relations avec étranger à la décision de s’éta- métropole jouissait de la proxi- les États-Unis. Le gouvernement blir à Québec puisque ce dernier mité des États-Unis, sur lesquels du premier ministre canadien allait permettre de faciliter le Luxembourg semblait beau- William Lyon Mackenzie King, l’adaptation académique des coup compter. Finalement, le par égard pour la neutralité enfants princiers Charles-Louis, Québec avait l’avantage d’être à américaine, voulut connaître Rodolphe et Charlotte, les trois la fois catholique et francophone l’avis de Washington avant de se déjà étudiants à l’Université de en plus de posséder des univer- décider. Les États-Unis avaient Louvain avant de quitter sités et des collèges pour les accepté l’entrée des responsa- l’Europe6. enfants encore aux études. bles politiques luxembourgeois sur leur territoire, à la condition Dès septembre 1940, la princesse Le ministre Pierre Dupong eut à qu’ils ne fussent que de passage Elisabeth de Luxembourg fré- gérer les problèmes du gouver- et qu’ils s’établissent officielle- quenta le Collège Jésus-Marie nement en exil. C’est lui qui ment au Canada. Les Améri- 22
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:24 Page 23 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 de Sillery avec sa cousine Charlotte et, l’année suivante, Selon sa correspondance, il Elisabeth-Charlotte d’Autriche. Elisabeth-Charlotte. Durant aurait rencontré à Québec des L’année d’après, ses sœurs Marie- l’année 1941-42, il était le seul membres du gouvernement Adélaïde, Maire-Gabrielle et Alix représentant de son pays à québécois et le cardinal Rodri- les rejoignirent. Durant leurs l’Université Laval, tout comme gue Villeneuve, à Montréal, le études, les jeunes filles vivaient ses cousins archiducs d’Autri- maire Adhémar Raynault et l’ar- en pension au collège. Bien che. Le répertoire des Anciens chevêque Joseph Charbonneau qu’elles portaient le titre du Collège des Jésuites men- et, à Ottawa, le premier ministre d’Altesse Royale et Illustrissime, tionne que Charles de Luxem- du Canada William Lyon elles étaient traitées comme toutes bourg y a fait ses classes d’Élé- Mackenzie King. En témoigne les autres élèves du collège même ments latins et de Syntaxe en cette lettre envoyée le 11 novem- si, pourtant, toutes les reli- 1942 et en 1943. bre 1940 au ministre Joseph gieuses et les élèves devaient les Bech à Londres. appeler « Madame ». La prin- Les enfants des ministres étu- cesse Elisabeth a fait découvrir dièrent aussi dans des établisse- « La vie ici est assez agréa- son pays aux autres collégiennes ments d’enseignement québé- ble. N’étaient (sic) l’exil et en écrivant « Mon beau pays le cois. Lambert, fils du ministre l’oppression morale, on Luxembourg » dans le journal Pierre Dupong, et Charles, fils pourrait s’y habituer. Mont- du Collège7. La collation des du ministre Joseph Bech, s’enga- réal est une grande ville grades du 25 octobre 1941 fut gèrent même dans l’armée cana- commerçante et indus- présidée par l’impératrice Zita dienne10. trielle. Il y a de très beaux et celle du 18 juin 1943, où la quartiers, des couvents princesse Marie-Adélaïde a reçu Le ministre Dupong sembla se nombreux et grands, des son diplôme, par la grande- sentir parfaitement à l’aise au établissement (sic) d’ensei- duchesse Charlotte. Après leur Québec et son activité politique gnement de toutes espèces départ, les jeunes étudiantes du plutôt réduite lui permettait de et de tous grades. Nos Luxembourg ont entretenu une cultiver ses relations avec les enfants auront plutôt l’em- correspondance suivie avec les autorités civiles et religieuses. barras du choix. religieuses de Jésus-Marie et leurs anciennes compagnes d’étu- des. De même, la revue Sillery des anciennes du Collège Jésus- Marie publia au fil des ans toutes leurs lettres, les annonces de leurs fiançailles, de leur mariage, des naissances, ainsi que des photos d’elles en grande toilette de mariée et celles de leurs enfants8. Le prince Charles de Luxem- bourg fut admis au Collège des Jésuites de Québec9. Le grand- duc héritier Jean, quant à lui, a suivi les cours de l’École des sciences sociales, politiques et économiques de l’Université Laval. Il étudiait en même temps que ses cousins d’Au- Les enfants grand-ducaux en 1941. (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery) triche Rodolphe, Charles-Louis, 23
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:24 Page 24 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 « Notre consul à Québec, « Nous voilà dans le nou- droit. Vivre ici en lâche Metty Koetz, était venu veau continent depuis plus derrière les lignes me répu- nous recevoir à la gare, lors de 2 mois. Si à New York la gne et me rend malade. de notre arrivée. Il est très vie était supportable, ici à Venez à mon secours. »12 serviable. Dans quelques Montréal elle est franche- jours, j’irai faire ma visite au ment intolérable. […] Lors- Cette séparation du gouverne- gouvernement de la pro- que nous nous sommes ment en deux – la présidence à vince de Québec et au cardi- séparés à Lisbonne, il avait Montréal et les affaires étran- nal, tous les deux à Québec. été bien entendu que nous gères à Londres –, entraînait des Koetz m’accompagnera. Le ne ferions que placer notre complications diplomatiques conseiller de légation de famille au Canada et que assez curieuses. En effet, le Sellier, qui se trouve au tout le gouvernement irait à Canada, la Belgique et les États- Consulat de Belgique à Londres où est d’ailleurs Unis étaient représentés auprès Montréal, m’accompagnera incontestablement sa place. du gouvernement luxembour- auprès du maire de Or, rien ne bouge ici […] geois par leurs diplomates à Montréal et de l’évêque de Ottawa, alors que la plupart des Montréal. Comme j’ai déjà « Nous sommes ici dans un autres alliés l’étaient par leurs rendu visite à Monsieur coin oublié, sur une voie de représentants diplomatiques à Mackenzie King à Ottawa, il garage dont la sortie est blo- Londres, auprès du ministre des y a 15 jours, je n’ai pour le quée. […] Vous êtes placé là- Affaires étrangères Joseph Bech.13 moment pas besoin d’aller à bas au centre des évène- Ottawa. »11 ments. […] Vous pouvez me Une déclaration du ministre réclamer si vous pensez que Pierre Dupong aux journalistes Le ministre Victor Bodson quant tout le gouvernement n’a canadiens disant que le gouver- à lui sembla moins se plaire à pas besoin d’être à Londres. nement était établi à Montréal Montréal, comme le démontre Je compte dans tous les cas n’a pas plu au Foreign Office. Le cette lettre envoyée le 17 décem- sur vous pour me délivrer ministre des Affaires étrangères bre 1940 au ministre Joseph d’ici et pour me replacer au Joseph Bech se faisait constam- Bech. travail absorbant auquel j’ai ment demander par le ministère britannique où était le siège de son gouvernement. En fait, le Luxembourg était le seul pays victime des troupes hitlériennes dont le gouvernement ne s’était pas établi à Londres14. Que pouvait faire le gouverne- ment en exil depuis Montréal pour porter secours au peuple luxembourgeois? Il n’avait pas les moyens de changer cet état de chose et il ne lui était guère possible d’aider concrètement le peuple en détresse. Tout ce qu’il pouvait faire était de lui appor- ter un réconfort moral. Sur le plan politique, l’objectif Charlotte d’Autriche et Marie-Adélaïde de Luxembourg au Collège Jésus-Marie de Sillery. de cette administration était de (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery) sauvegarder l’indépendance du 24
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:24 Page 25 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 Luxembourg et d’assurer sa Le gouvernement en exil tenta, conviendrait beaucoup mieux. » place dans l’organisation de malgré la petitesse de son État, Il ajouta « N’a-t-elle pas toujours l’après-guerre, dans l’hypothèse de jouer son rôle sur la scène été une avenue royale? Et votre d’une victoire. Sa première internationale. Ainsi, le Luxem- pays n’est-il pas en guerre? réaction sera de protester contre bourg signa les déclarations de Pourquoi le prince Jean ne join- la violation de l’indépendance et St. James’s Palace (12 juin 1941) et drait-il pas les rangs de l’armée de la neutralité de leur pays par de Washington (1er janvier 1942), britannique? Après avoir appris l’Allemagne et d’invoquer le adhéra à la Charte Atlantique le métier et gravi un à un les secours de la France et de la (14 août 1941), participa à la échelons nécessaires, il pourrait Grande-Bretagne. Le but de l’ac- conférence de Bretton Woods (1er ensuite y devenir un élément tion diplomatique du gouverne- au 22 juillet 1944), conclut à précieux, un atout unique ment en exil était triple: assurer Londres un avenant restaurant quand sonnera l’heure de la la survie du pays, éviter qu’une la parité du franc belge et du libération du Luxembourg. » nouvelle question luxembour- franc luxembourgeois (31 août geoise naisse à l’issue du conflit, 1944) et signa la convention du Il faut croire que l’élève a suivi comme ce fut le cas lors de la Benelux le 5 septembre 1944. En les conseils du père Lévesque Première Guerre mondiale, et 1944, l’administration réussit puisque, le 6 octobre 1942, il par- faire admettre le Luxembourg même à fournir une modeste tait pour Londres afin de s’enga- comme un allié à part entière contribution à l’effort militaire ger sous les drapeaux alliés en malgré la faiblesse de son des Alliés en créant la rejoignant l’armée britannique. apport militaire. Luxembourg Battery composée de Entré comme volontaire en volontaires luxembourgeois et novembre de la même année Le gouvernement du Luxem- intégrée dans la brigade belge dans le régiment des Irish bourg développa une politique Piron. Guards, il a reçu sa formation de communication très active militaire au Royal Military destinée à la fois à faire entendre Contrairement à ses cousins College de Sandhurst. Le 11 juin la voix de son peuple dans le archiducs d’Autriche, le grand- 1944, soit cinq jours après le concert des nations ainsi qu’à duc héritier Jean n’obtint jamais débarquement allié en Norman- soutenir le moral de sa popula- de diplôme de l’Université die, il traversa la Manche avec tion par de la propagande en Laval; il recevra toutefois un son régiment et débarqua près direction du Luxembourg. Il doctorat honoris causa de cette de Bayeux. Il prit part à la publia un Grey Book, plaça des institution le 29 mai 2007. Selon bataille de Caen et entra le 3 sep- articles dans les journaux et le professeur Charles De tembre 1944 à Bruxelles. Avec obtint des émissions en langue Koninck qui lui donnait pour- les premières troupes alliées qui luxembourgeoise à la radio de la tant des cours particuliers, ainsi libérèrent le grand-duché, le 10 BBC où la grande-duchesse de qu’à ses cousins, son frère et ses septembre 1944, il rentra à Luxembourg fit des discours, sœurs dans sa résidence privée Luxembourg aux côtés de son dont le fameux « Léif Lëtze- du Vieux-Québec15, Jean était un père, Félix de Bourbon-Parme. buerger » du 5 septembre 1940 élève médiocre, guère intéressé Toujours avec les forces alliées, qui fera date dans l’histoire de par la philosophie. Le père Jean continua la campagne en son pays. La grande-duchesse Georges-Henri Lévesque, direc- Allemagne jusqu’à la fin des Charlotte fonda une œuvre de teur de l’École des sciences hostilités. charité qui portait son nom pour sociales, politiques et écono- venir en aide aux Luxembour- miques de l’Université Laval, se Après la chute de l’Allemagne, geois les plus touchés par la souvient dans ses mémoires16 la grande-duchesse Charlotte guerre. Elle et son fils Jean d’avoir dit au père de son étu- revint au Luxembourg le 14 furent le symbole de la résis- diant, le prince Félix de avril 1945 où elle fut accueillie tance luxembourgeoise. Bourbon-Parme, que son fils ne dans la liesse populaire. Quant serait jamais un philosophe et au gouvernement, il était rentré que «… la carrière militaire lui d’exil depuis le 23 septembre 25
Histoire Québec Vol 15, no3:Layout 1 10-02-16 10:24 Page 26 HISTOIRE QUÉB E C VOLUME 15 NUMÉRO 3 2 0 10 Notes 1944. Après la libération, le 1 Sillery : chroniques/Association des anciennes de Jésus-Marie, n° 20, avril 1942, p. 399. grand-duché va renoncer à la 2 Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg, jeudi, 30 mai 1940, n°37. neutralité, rejoindre l’OTAN et devenir l’un des piliers de la 3 Du 10 mai 1940 au 23 septembre 1944. Source: Les gouvernements du Grand-Duché de Luxembourg depuis 1848, Service information et presse du gouvernement, construction européenne. Luxembourg, 2006. 4 Extrait de la lettre de Pierre Dupong à Joseph Bech, 11 novembre 1940. HAAG, Émile, L’expérience vécue durant l’exil KRIER, Émile, « La grande-duchesse et son gouvernement pendant la deuxième explique sans doute cette guerre mondiale – 1940 l’année du dilemme », Luxembourg, RTL Éditions, 1987. Les volonté. Le 12 novembre 1964, sources consultées ne permettent pas d’identifier clairement l’emplacement du après 45 ans de règne, la grande- manoir. duchesse de Luxembourg abdi- 5 HAAG, É., KRIER, É., op. cit. qua en faveur de son fils Jean. 6 DIONNE, Raymond, « Québec, refuge de la famille impériale d’Autriche », Cap-aux- Ce dernier abdiqua le 28 sep- Diamants, vol. 1, n°4, hiver 1986, p. 34-36. tembre 2000 en faveur de son 7 Sillery : chroniques/Association des anciennes de Jésus-Marie, op. cit. fils Henri. 8 DESCHÊNES, Fabienne, Que reste-t-il de Sillery, Sillery, ACJMS, 1984. 9 Le Canada Français, Chronique de l’Université, Québec, vol. XXVIII, n°2, octobre 1940, Bien que peu connu du grand p. 202 public, il reste du séjour au 10 HAAG, É., KRIER, É., op. cit. Québec du gouvernement du 11 Extrait de la lettre de Pierre Dupong à Joseph Bech, 11 novembre 1940. HAAG, É., Luxembourg durant la Seconde KRIER, É., op. cit. Guerre mondiale, l’avenue du 12 Extrait de la lettre de Victor Bodson à Joseph Bech, 17 décembre 1940. HAAG, É., Luxembourg dans l’arrondisse- KRIER, É., op. cit. ment Sillery-Sainte-Foy de la 13 HAAG, É., KRIER, É., op. cit. ville de Québec, ainsi désignée 14 Ibid. en l’honneur de la famille 15 HAMMERSCHMID, Leo J., Zita, The Last Empress Of Austria, Montréal, Meridian Press, grand-ducale de ce pays d’Eu- 1989. rope. 16 LÉVESQUE, Georges-Henri, Souvenances, tome 3, Montréal, La Presse, 1989, p. 342-343. 26
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