L'exil québécois du gouvernement du Luxembourg - Érudit

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Histoire Québec

L’exil québécois du gouvernement du Luxembourg
Philippe Bernier Arcand

Volume 15, Number 3, 2010                                                     Article abstract
                                                                              Il est connu de plusieurs qu’Ottawa a été la ville hôte de la famille royale des
URI: https://id.erudit.org/iderudit/66123ac                                   Pays-Bas durant la Seconde guerre mondiale. En 1945, à la fin de ce conflit, la
                                                                              reine Juliana offrait 100 000 bulbes de tulipes à la ville en reconnaissance de
See table of contents                                                         l’asile dont la famille royale a bénéficié et du rôle des troupes canadiennes
                                                                              dans la libération des Pays-Bas. Encore aujourd’hui, Ottawa commémore cet
                                                                              évènement à chaque année avec son festival des tulipes au début du mois de
Publisher(s)                                                                  mai. Il est en revanche beaucoup moins connu que, à la même époque,
                                                                              Montréal a été la ville hôte de la famille grand-ducale de Luxembourg et le
Les Éditions Histoire Québec                                                  siège du gouvernement luxembourgeois en exil. Cet article tente de présenter
La Fédération des sociétés d’histoire du Québec                               les motivations qui ont amené les exilés à choisir Montréal, à faire étudier
                                                                              leurs enfants à l’Université Laval, au Collège des Jésuites de Québec et au
ISSN                                                                          Collège Jésus-Marie de Sillery, et à parler des liens qui les unissaient avec
                                                                              l’impératrice Zita et la famille impériale d’Autriche-Hongrie qui avait trouvé
1201-4710 (print)                                                             exil à Québec.
1923-2101 (digital)

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Bernier Arcand, P. (2010). L’exil québécois du gouvernement du Luxembourg.
Histoire Québec, 15(3), 19–26.

Tous droits réservés © Les Éditions Histoire Québec, 2010                    This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                             (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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                                                                             This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                             Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                             Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                             promote and disseminate research.
                                                                             https://www.erudit.org/en/
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                                           HISTOIRE QUÉB E C            VOLUME 15       NUMÉRO 3       2 0 10

        L’exil québécois du gouvernement du Luxembourg
        par Philippe Bernier Arcand,
        doctorant en sociologie

          Philippe Bernier Arcand est fonctionnaire et doctorant en sociologie. Diplômé en communication, en sciences poli-
          tiques, en administration publique et en gestion des entreprises, il est l’auteur de l’essai Je vote moi non plus
          (Amérik Média, 2009).

        Il est connu de plusieurs qu’Ottawa            le congrès de Vienne décide d’éri-            Au début de la Première Guerre
        a été la ville hôte de la famille royale       ger le Luxembourg en grand-                   mondiale, malgré la neutralité
        des Pays-Bas durant la Seconde                 duché souverain de la Confé-                  du Luxembourg garantie par le
        guerre mondiale. En 1945, à la fin             dération germanique et de le                  traité de Londres de mai 1867,
        de ce conflit, la reine Juliana offrait        donner à titre personnel au roi               les troupes allemandes envahi-
        100000 bulbes de tulipes à la ville           des Pays-Bas. Lorsque Guillaume               rent le sol luxembourgeois. La
        en reconnaissance de l’asile dont la           III d’Orange-Nassau décède sans               crise sociale engendrée par la
        famille royale a bénéficié et du rôle          héritier mâle en 1890, le trône du            guerre et les manipulations poli-
        des troupes canadiennes dans la                grand-duché passe à une autre                 tiques dont elle fut victime ne
        libération des Pays-Bas. Encore                branche de la famille, les                    rendirent pas le règne facileà la
        aujourd’hui, Ottawa commémore                  Nassau-Weilbourg. En 1907, la                 grande-duchesse Marie-Adélaïde.
        cet évènement à chaque année avec              loi salique est abolie, ce qui per-           Cette dernière fut aussi critiquée
        son festival des tulipes au début du           met à une femme, Marie-                       pour avoir reçu à plusieurs
        mois de mai. Il est en revanche                Adélaïde alors âgée de 17 ans,                reprises le kaiser Guillaume II
        beaucoup moins connu que, à la                 d’accéder au trône.                           d’Allemagne lors de ses passages
        même époque, Montréal a été la
        ville hôte de la famille grand-ducale
        de Luxembourg et le siège du gou-
        vernement luxembourgeois en exil.
        Cet article tente de présenter les
        motivations qui ont amené les exi-
        lés à choisir Montréal, à faire étu-
        dier leurs enfants à l’Université
        Laval, au Collège des Jésuites de
        Québec et au Collège Jésus-Marie
        de Sillery, et à parler des liens qui
        les unissaient avec l’impératrice
        Zita et la famille impériale d’Au-
        triche-Hongrie qui avait trouvé exil
        à Québec.

        Le Luxembourg naît en 963,
        reste indépendant jusqu’en
        1443, et passe par la suite de
        main en main jusqu’en 1815
        sous la domination successive
        de la Bourgogne, de l’Espagne,
        de la France, de l’Espagne
        encore, de l’Autriche et de la                         Le Prince Félix et les enfants grand-ducaux sur le Trenton à Annapolis.
        France encore une fois. En 1815,                              (Source: Centre national de l’audiovisuel, Luxembourg)

                                                                         19
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                                            HISTOIRE QUÉB E C                VOLUME 15       NUMÉRO 3    2 0 10

        au Luxembourg et, comme si ce                    glais, l’allemand et ont été ini-              nationaux d’éviter les erreurs de
        n’était pas suffisant, pour les                  tiés à l’italien par leur père1. Le            la Première Guerre mondiale et
        fiançailles en 1918 de sa sœur, la               grand-duc héritier Jean a pour-                d’écarter ainsi le risque d’une
        princesse Antonia, avec Ruppecht,                suivi ses études au Ampleforth                 collaboration avec l’ennemi.
        fils du roi Louis III de Bavière,                College en Angleterre, pen-
        prince héritier et chef de l’armée               sionnaire de 1934 à 1938. Ses                  Après la capitulation française,
        allemande de Flandre. Au len-                    soeurs Élisabeth et Marie-                     les autorités luxembourgeoises et
        demain de la guerre, la grande-                  Adélaïde ont étudié au Sacred                  la famille grand-ducale passent
        duchesse Marie-Adélaïde, à qui                   Heart School à Roehampton,                     d’abord en Espagne (19 juin
        l’on prêtait des sentiments germa-               près de Londres.                               1940) et ensuite au Portugal (24
        nophiles, était devenue inaccep-                                                                juin 1940), à Cascais dans les
        table et pour les gouvernements                  À l’aube du 10 mai 1940, la                    environs de Lisbonne. Là-bas, ils
        alliés et pour une large partie                  Wehrmacht envahit la Belgique,                 rejoignent l’ex-impératrice d’Au-
        des forces politiques luxem-                     les Pays-Bas et le Luxembourg,                 triche Zita de Habsbourg, sœur
        bourgeoises. Elle abdiqua en                     violant ainsi pour la seconde                  du prince Félix de Bourbon-
        1919 en faveur de sa sœur                        fois la neutralité luxembour-                  Parme et ses enfants, de même
        Charlotte.                                       geoise. Échappant de justesse à                que le roi de Belgique Léopold
                                                         l’armée allemande, la grande-                  III et ses enfants.
        La grande-duchesse Charlotte se                  duchesse Charlotte, sa famille et
        maria avec son cousin Félix de                   son gouvernement – les minis-                  Le prince Félix de Bourbon-
        Bourbon-Parme. De ce mariage                     tres Pierre Dupong, Joseph                     Parme avait réussi à contacter la
        naquit Jean de Luxembourg en                     Bech, Pierre Krier et Victor                   Maison-Blanche. Le président
        1921, suivi d’Élisabeth en 1922,                 Bodson – choisissent le chemin                 américain Franklin Delano
        de Marie-Adélaïde en 1924, de                    de l’exil2. Ils avaient quitté le              Roosevelt a renvoyé à Lisbonne
        Marie-Gabrielle en 1925, de                      territoire luxembourgeois tôt le               le croiseur USS Cruiser Trenton
        Charles en 1927 et d’Alix en                     matin pour installer le siège de               qui était déjà en route, revenant
        1929. Dès leur plus jeune âge, les               la législation luxembourgeoise à               vers les États-Unis. Le 15 juillet
        enfants ont appris le luxem-                     Paris. La décision de l’exil résul-            1940, Félix de Bourbon-Parme
        bourgeois, puis le français, l’an-               tait de la volonté des dirigeants              embarquait sur le navire avec
                                                                                                        tous ses enfants.

                                                                                                        La grande-duchesse Charlotte
                                                                                                        demeura à Lisbonne avec l’es-
                                                                                                        poir de retourner au Luxem-
                                                                                                        bourg avec son gouvernement.
                                                                                                        L’annexion de fait du Luxem-
                                                                                                        bourg par l’Allemagne lui fit
                                                                                                        renoncer à un retour dans son
                                                                                                        pays. Le 2 août 1940, Gustav
                                                                                                        Simon, Gauleiter du Gau Coblence-
                                                                                                        Trèves est nommé Chef der Zivil-
                                                                                                        verwaltung au Luxembourg; il
                                                                                                        prend en main l’administration
                                                                                                        du pays et commence une poli-
                                                                                                        tique de germanisation de la
                                                                                                        population et de démantèle-
                                                                                                        ment de l’État. Toutes les institu-
                                                                                                        tions de l’État luxembourgeois
          La grande-duchesse Charlotte et le prince Félix reçus par Eleanor Roosevelt à la Maison-
                     Blanche. (Source: Centre national de l’audiovisuel, Luxembourg)                   sont supprimées.

                                                                        20
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                                           HISTOIRE QUÉB E C                 VOLUME 15       NUMÉRO 3      2 0 10

        À Lisbonne, la grande-duchesse                 En route vers Montréal, la
        Charlotte et ses ministres déci-               grande-duchesse de Luxem-
        dèrent d’abandonner la tradi-                  bourg passa par les États-Unis.
        tionnelle politique de neutralité              Elle y a été reçue par le prési-
        luxembourgeoise en rejoignant                  dent américain Franklin Delano
        le camp des Alliés et de quitter               Roosevelt qui, le 20 octobre
        le Portugal pour s’établir au                  1940, offrit à sa résidence privée
        Québec. Mais avant, la souve-                  de Hyde Park un dîner en cercle
        raine et son ministre des Affaires             restreint en son honneur et celui
        étrangères Joseph Bech se ren-                 de son mari. Alexander Cam-
        dront à Londres le 29 août 1940.               bridge, comte d’Athlone et gou-
                                                       verneur général du Canada, son
        L’exil québécois                               épouse la princesse Alice d’Al-
                                                       bany ainsi que Hugues Le
        Après avoir rejoint Londres, la                Galais, chargé d’affaires luxem-
        grande-duchesse Charlotte quitta               bourgeois à Washington, et son
        l’Europe pour aller s’établir à                épouse, y étaient les autres invi-
        Montréal avec les ministres                    tés.
        Victor Bodson, Pierre Dupong et                                                                     La grande-duchesse Charlotte. (Source:
        leurs familles en plus des                     La grande-duchesse Charlotte et                         Centre national de l’audiovisuel,
                                                                                                                        Luxembourg)
        familles des ministres Joseph                  sa suite arrivèrent à Montréal le
        Bech et Pierre Krier puisque ces               24 octobre 1940. Après un bref
        derniers resteront à Londres et                séjour à l’hôtel, la famille emmé-                 famille grand-ducale de trouver
        voudront laisser leurs familles                nagea dans un manoir, à                            refuge dans une maison de style
        en sécurité.                                   quelque 30 km de Montréal4.                        villa italienne appelée Ravens-
                                                       Elle n’y restera cependant pas                     crag, aujourd’hui l’Institut Allan
        Composition du gouvernement du                 très longtemps jugeant l’endroit                   Memorial, rattaché à l’Hôpital
        Luxembourg en exil – 1940-19443                trop isolé. Quelques mois plus                     Royal Victoria de l’Université
                                                       tard, elle déménagera à nou-                       McGill. L’offre a été refusée
        Pierre Dupong à Montréal                       veau pour venir se fixer à                         parce qu’elle ne voulait pas
            Ministre d’État, Président du              Montréal. On offre alors à la                      vivre dans un « tel palace »…
            gouvernement, Ministre des
            Finances et de la Force
            armée (Parti de la droite)
        Joseph Bech à Londres
            Ministre des Affaires étran-
            gères, de la Viticulture, des
            Arts et des Sciences,
            Ministre de l’Intérieur et de
            l’Instruction publique (Parti
            de la droite)
        Pierre Krier à Londres
            Ministre du Travail et de la
            Prévoyance sociale (Parti
            ouvrier socialiste)
        Victor Bodson à Montréal
            Ministre de la Justice, des
            Travaux publics et des
            Transports (Parti ouvrier                         Famille grand-ducale en 1948. (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery)
            socialiste)

                                                                             21
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                                             HISTOIRE QUÉB E C                  VOLUME 15     NUMÉRO 3    2 0 10

                                                                                                         cains voulaient éviter qu’un pré-
                                                                                                         cédent à propos du Luxem-
                                                                                                         bourg n’entraîne d’autres gou-
                                                                                                         vernements à faire de même.

                                                                                                         Il fallait aussi trouver des écoles
                                                                                                         appropriées pour les enfants
                                                                                                         grand-ducaux, qui choisirent
                                                                                                         d’aller rejoindre leurs cousins
                                                                                                         d’Autriche-Hongrie en exil à
                                                                                                         Québec avec leur mère, Zita,
                                                                                                         impératrice d’Autriche et reine
                                                                                                         de Hongrie. Zita de Habsbourg,
                                                                                                         née princesse de Bourbon-
                                                                                                         Parme, était la sœur du prince
                                                                                                         Félix de Bourbon-Parme. Deux
                                                                                                         autres frères de Félix et Zita
                                                                                                         séjourneront aussi au Québec
                                                                                                         avec leur famille. Il s’agit du
                                                                                                         prince René de Bourbon-Parme,
                                                                                                         à Montréal, et du prince Xavier
                                                                                                         de Bourbon-Parme qui, lui,
                   Les filles de la famille grand-ducale au Collège Jésus-Marie de Sillery.
                             (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery)                        demeurera à Québec à partir de
                                                                                                         l’automne 1948.
        Les ministres et quelques fonc-                    réussit à obtenir les visas cana-             L’impératrice Zita s’était retrou-
        tionnaires rescapés s’établiront à                 diens pour les membres du gou-                vée à Québec avec sa famille
        Londres et à Montréal qui, en                      vernement luxembourgeois et                   puisqu’elle cherchait, lorsqu’elle
        tant que ville hôte du président                   leur famille. Les autorités cana-             était en exil aux États-Unis, un
        du       gouvernement       Pierre                 diennes n’avaient pas opposé de               endroit où ses quatre plus jeunes
        Dupong et de la famille souve-                     résistance pour délivrer des                  enfants pourraient poursuivre
        raine, apparaît comme le siège                     visas à la grande-duchesse Char-              leurs études dans des établisse-
        officiel du gouvernement en                        lotte et à sa famille, mais il n’en           ments catholiques et franco-
        exil. Le choix de Montréal peut                    fut pas de même pour les minis-               phones. Le fait qu’un professeur
        étonner, mais reste que la ville                   tres luxembourgeois5. Les réti-               de l’Université de Louvain,
        possédait plusieurs avantages.                     cences canadiennes étaient,                   Charles de Koninck, enseignait
        En plus d’être éloignée des bom-                   entre autres, d’ordre politique et            à l’Université Laval n’était pas
        bardements de Londres, la                          concernaient les relations avec               étranger à la décision de s’éta-
        métropole jouissait de la proxi-                   les États-Unis. Le gouvernement               blir à Québec puisque ce dernier
        mité des États-Unis, sur lesquels                  du premier ministre canadien                  allait permettre de faciliter
        le Luxembourg semblait beau-                       William Lyon Mackenzie King,                  l’adaptation académique des
        coup compter. Finalement, le                       par égard pour la neutralité                  enfants princiers Charles-Louis,
        Québec avait l’avantage d’être à                   américaine, voulut connaître                  Rodolphe et Charlotte, les trois
        la fois catholique et francophone                  l’avis de Washington avant de se              déjà étudiants à l’Université de
        en plus de posséder des univer-                    décider. Les États-Unis avaient               Louvain avant de quitter
        sités et des collèges pour les                     accepté l’entrée des responsa-                l’Europe6.
        enfants encore aux études.                         bles politiques luxembourgeois
                                                           sur leur territoire, à la condition           Dès septembre 1940, la princesse
        Le ministre Pierre Dupong eut à                    qu’ils ne fussent que de passage              Elisabeth de Luxembourg fré-
        gérer les problèmes du gouver-                     et qu’ils s’établissent officielle-           quenta le Collège Jésus-Marie
        nement en exil. C’est lui qui                      ment au Canada. Les Améri-

                                                                              22
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                                           HISTOIRE QUÉB E C               VOLUME 15       NUMÉRO 3      2 0 10

        de Sillery avec sa cousine                     Charlotte et, l’année suivante,                  Selon sa correspondance, il
        Elisabeth-Charlotte d’Autriche.                Elisabeth-Charlotte. Durant                      aurait rencontré à Québec des
        L’année d’après, ses sœurs Marie-              l’année 1941-42, il était le seul                membres du gouvernement
        Adélaïde, Maire-Gabrielle et Alix              représentant de son pays à                       québécois et le cardinal Rodri-
        les rejoignirent. Durant leurs                 l’Université Laval, tout comme                   gue Villeneuve, à Montréal, le
        études, les jeunes filles vivaient             ses cousins archiducs d’Autri-                   maire Adhémar Raynault et l’ar-
        en pension au collège. Bien                    che. Le répertoire des Anciens                   chevêque Joseph Charbonneau
        qu’elles portaient le titre                    du Collège des Jésuites men-                     et, à Ottawa, le premier ministre
        d’Altesse Royale et Illustrissime,             tionne que Charles de Luxem-                     du Canada William Lyon
        elles étaient traitées comme toutes            bourg y a fait ses classes d’Élé-                Mackenzie King. En témoigne
        les autres élèves du collège même              ments latins et de Syntaxe en                    cette lettre envoyée le 11 novem-
        si, pourtant, toutes les reli-                 1942 et en 1943.                                 bre 1940 au ministre Joseph
        gieuses et les élèves devaient les                                                              Bech à Londres.
        appeler « Madame ». La prin-                   Les enfants des ministres étu-
        cesse Elisabeth a fait découvrir               dièrent aussi dans des établisse-                     « La vie ici est assez agréa-
        son pays aux autres collégiennes               ments d’enseignement québé-                           ble. N’étaient (sic) l’exil et
        en écrivant « Mon beau pays le                 cois. Lambert, fils du ministre                       l’oppression morale, on
        Luxembourg » dans le journal                   Pierre Dupong, et Charles, fils                       pourrait s’y habituer. Mont-
        du Collège7. La collation des                  du ministre Joseph Bech, s’enga-                      réal est une grande ville
        grades du 25 octobre 1941 fut                  gèrent même dans l’armée cana-                        commerçante et indus-
        présidée par l’impératrice Zita                dienne10.                                             trielle. Il y a de très beaux
        et celle du 18 juin 1943, où la                                                                      quartiers, des couvents
        princesse Marie-Adélaïde a reçu                Le ministre Dupong sembla se                          nombreux et grands, des
        son diplôme, par la grande-                    sentir parfaitement à l’aise au                       établissement (sic) d’ensei-
        duchesse Charlotte. Après leur                 Québec et son activité politique                      gnement de toutes espèces
        départ, les jeunes étudiantes du               plutôt réduite lui permettait de                      et de tous grades. Nos
        Luxembourg ont entretenu une                   cultiver ses relations avec les                       enfants auront plutôt l’em-
        correspondance suivie avec les                 autorités civiles et religieuses.                     barras du choix.
        religieuses de Jésus-Marie et
        leurs anciennes compagnes d’étu-
        des. De même, la revue Sillery
        des anciennes du Collège Jésus-
        Marie publia au fil des ans
        toutes leurs lettres, les annonces
        de leurs fiançailles, de leur
        mariage, des naissances, ainsi
        que des photos d’elles en grande
        toilette de mariée et celles de
        leurs enfants8.

        Le prince Charles de Luxem-
        bourg fut admis au Collège des
        Jésuites de Québec9. Le grand-
        duc héritier Jean, quant à lui, a
        suivi les cours de l’École des
        sciences sociales, politiques et
        économiques de l’Université
        Laval. Il étudiait en même
        temps que ses cousins d’Au-                       Les enfants grand-ducaux en 1941. (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery)
        triche Rodolphe, Charles-Louis,

                                                                            23
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                                           HISTOIRE QUÉB E C                VOLUME 15      NUMÉRO 3    2 0 10

             « Notre consul à Québec,                         « Nous voilà dans le nou-                    droit. Vivre ici en lâche
             Metty Koetz, était venu                          veau continent depuis plus                   derrière les lignes me répu-
             nous recevoir à la gare, lors                    de 2 mois. Si à New York la                  gne et me rend malade.
             de notre arrivée. Il est très                    vie était supportable, ici à                 Venez à mon secours. »12
             serviable. Dans quelques                         Montréal elle est franche-
             jours, j’irai faire ma visite au                 ment intolérable. […] Lors-             Cette séparation du gouverne-
             gouvernement de la pro-                          que nous nous sommes                    ment en deux – la présidence à
             vince de Québec et au cardi-                     séparés à Lisbonne, il avait            Montréal et les affaires étran-
             nal, tous les deux à Québec.                     été bien entendu que nous               gères à Londres –, entraînait des
             Koetz m’accompagnera. Le                         ne ferions que placer notre             complications diplomatiques
             conseiller de légation de                        famille au Canada et que                assez curieuses. En effet, le
             Sellier, qui se trouve au                        tout le gouvernement irait à            Canada, la Belgique et les États-
             Consulat de Belgique à                           Londres où est d’ailleurs               Unis étaient représentés auprès
             Montréal, m’accompagnera                         incontestablement sa place.             du gouvernement luxembour-
             auprès       du     maire     de                 Or, rien ne bouge ici […]               geois par leurs diplomates à
             Montréal et de l’évêque de                                                               Ottawa, alors que la plupart des
             Montréal. Comme j’ai déjà                        « Nous sommes ici dans un               autres alliés l’étaient par leurs
             rendu visite à Monsieur                          coin oublié, sur une voie de            représentants diplomatiques à
             Mackenzie King à Ottawa, il                      garage dont la sortie est blo-          Londres, auprès du ministre des
             y a 15 jours, je n’ai pour le                    quée. […] Vous êtes placé là-           Affaires étrangères Joseph Bech.13
             moment pas besoin d’aller à                      bas au centre des évène-
             Ottawa. »11                                      ments. […] Vous pouvez me               Une déclaration du ministre
                                                              réclamer si vous pensez que             Pierre Dupong aux journalistes
        Le ministre Victor Bodson quant                       tout le gouvernement n’a                canadiens disant que le gouver-
        à lui sembla moins se plaire à                        pas besoin d’être à Londres.            nement était établi à Montréal
        Montréal, comme le démontre                           Je compte dans tous les cas             n’a pas plu au Foreign Office. Le
        cette lettre envoyée le 17 décem-                     sur vous pour me délivrer               ministre des Affaires étrangères
        bre 1940 au ministre Joseph                           d’ici et pour me replacer au            Joseph Bech se faisait constam-
        Bech.                                                 travail absorbant auquel j’ai           ment demander par le ministère
                                                                                                      britannique où était le siège de
                                                                                                      son gouvernement. En fait, le
                                                                                                      Luxembourg était le seul pays
                                                                                                      victime des troupes hitlériennes
                                                                                                      dont le gouvernement ne s’était
                                                                                                      pas établi à Londres14.

                                                                                                      Que pouvait faire le gouverne-
                                                                                                      ment en exil depuis Montréal
                                                                                                      pour porter secours au peuple
                                                                                                      luxembourgeois? Il n’avait pas
                                                                                                      les moyens de changer cet état
                                                                                                      de chose et il ne lui était guère
                                                                                                      possible d’aider concrètement le
                                                                                                      peuple en détresse. Tout ce qu’il
                                                                                                      pouvait faire était de lui appor-
                                                                                                      ter un réconfort moral.

                                                                                                      Sur le plan politique, l’objectif
         Charlotte d’Autriche et Marie-Adélaïde de Luxembourg au Collège Jésus-Marie de Sillery.      de cette administration était de
                           (Source: Archive du Collège Jésus-Marie de Sillery)                       sauvegarder l’indépendance du

                                                                          24
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                                           HISTOIRE QUÉB E C            VOLUME 15    NUMÉRO 3    2 0 10

        Luxembourg et d’assurer sa                     Le gouvernement en exil tenta,           conviendrait beaucoup mieux. »
        place dans l’organisation de                   malgré la petitesse de son État,         Il ajouta « N’a-t-elle pas toujours
        l’après-guerre, dans l’hypothèse               de jouer son rôle sur la scène           été une avenue royale? Et votre
        d’une victoire. Sa première                    internationale. Ainsi, le Luxem-         pays n’est-il pas en guerre?
        réaction sera de protester contre              bourg signa les déclarations de          Pourquoi le prince Jean ne join-
        la violation de l’indépendance et              St. James’s Palace (12 juin 1941) et     drait-il pas les rangs de l’armée
        de la neutralité de leur pays par              de Washington (1er janvier 1942),        britannique? Après avoir appris
        l’Allemagne et d’invoquer le                   adhéra à la Charte Atlantique            le métier et gravi un à un les
        secours de la France et de la                  (14 août 1941), participa à la           échelons nécessaires, il pourrait
        Grande-Bretagne. Le but de l’ac-               conférence de Bretton Woods (1er         ensuite y devenir un élément
        tion diplomatique du gouverne-                 au 22 juillet 1944), conclut à           précieux, un atout unique
        ment en exil était triple: assurer            Londres un avenant restaurant            quand sonnera l’heure de la
        la survie du pays, éviter qu’une               la parité du franc belge et du           libération du Luxembourg. »
        nouvelle question luxembour-                   franc luxembourgeois (31 août
        geoise naisse à l’issue du conflit,            1944) et signa la convention du          Il faut croire que l’élève a suivi
        comme ce fut le cas lors de la                 Benelux le 5 septembre 1944. En          les conseils du père Lévesque
        Première Guerre mondiale, et                   1944, l’administration réussit           puisque, le 6 octobre 1942, il par-
        faire admettre le Luxembourg                   même à fournir une modeste               tait pour Londres afin de s’enga-
        comme un allié à part entière                  contribution à l’effort militaire        ger sous les drapeaux alliés en
        malgré la faiblesse de son                     des Alliés en créant la                  rejoignant l’armée britannique.
        apport militaire.                              Luxembourg Battery composée de           Entré comme volontaire en
                                                       volontaires luxembourgeois et            novembre de la même année
        Le gouvernement du Luxem-                      intégrée dans la brigade belge           dans le régiment des Irish
        bourg développa une politique                  Piron.                                   Guards, il a reçu sa formation
        de communication très active                                                            militaire au Royal Military
        destinée à la fois à faire entendre            Contrairement à ses cousins              College de Sandhurst. Le 11 juin
        la voix de son peuple dans le                  archiducs d’Autriche, le grand-          1944, soit cinq jours après le
        concert des nations ainsi qu’à                 duc héritier Jean n’obtint jamais        débarquement allié en Norman-
        soutenir le moral de sa popula-                de diplôme de l’Université               die, il traversa la Manche avec
        tion par de la propagande en                   Laval; il recevra toutefois un           son régiment et débarqua près
        direction du Luxembourg. Il                    doctorat honoris causa de cette          de Bayeux. Il prit part à la
        publia un Grey Book, plaça des                 institution le 29 mai 2007. Selon        bataille de Caen et entra le 3 sep-
        articles dans les journaux et                  le professeur Charles De                 tembre 1944 à Bruxelles. Avec
        obtint des émissions en langue                 Koninck qui lui donnait pour-            les premières troupes alliées qui
        luxembourgeoise à la radio de la               tant des cours particuliers, ainsi       libérèrent le grand-duché, le 10
        BBC où la grande-duchesse de                   qu’à ses cousins, son frère et ses       septembre 1944, il rentra à
        Luxembourg fit des discours,                   sœurs dans sa résidence privée           Luxembourg aux côtés de son
        dont le fameux « Léif Lëtze-                   du Vieux-Québec15, Jean était un         père, Félix de Bourbon-Parme.
        buerger » du 5 septembre 1940                  élève médiocre, guère intéressé          Toujours avec les forces alliées,
        qui fera date dans l’histoire de               par la philosophie. Le père              Jean continua la campagne en
        son pays. La grande-duchesse                   Georges-Henri Lévesque, direc-           Allemagne jusqu’à la fin des
        Charlotte fonda une œuvre de                   teur de l’École des sciences             hostilités.
        charité qui portait son nom pour               sociales, politiques et écono-
        venir en aide aux Luxembour-                   miques de l’Université Laval, se         Après la chute de l’Allemagne,
        geois les plus touchés par la                  souvient dans ses mémoires16             la grande-duchesse Charlotte
        guerre. Elle et son fils Jean                  d’avoir dit au père de son étu-          revint au Luxembourg le 14
        furent le symbole de la résis-                 diant, le prince Félix de                avril 1945 où elle fut accueillie
        tance luxembourgeoise.                         Bourbon-Parme, que son fils ne           dans la liesse populaire. Quant
                                                       serait jamais un philosophe et           au gouvernement, il était rentré
                                                       que «… la carrière militaire lui         d’exil depuis le 23 septembre

                                                                        25
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                                           HISTOIRE QUÉB E C                   VOLUME 15        NUMÉRO 3       2 0 10

                                                       Notes
        1944. Après la libération,            le       1
                                                            Sillery : chroniques/Association des anciennes de Jésus-Marie, n° 20, avril 1942, p. 399.
        grand-duché va renoncer à             la       2
                                                            Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg, jeudi, 30 mai 1940, n°37.
        neutralité, rejoindre l’OTAN          et
        devenir l’un des piliers de           la
                                                       3
                                                            Du 10 mai 1940 au 23 septembre 1944. Source: Les gouvernements du Grand-Duché de
                                                            Luxembourg depuis 1848, Service information et presse du gouvernement,
        construction européenne.                            Luxembourg, 2006.
                                                       4
                                                            Extrait de la lettre de Pierre Dupong à Joseph Bech, 11 novembre 1940. HAAG, Émile,
        L’expérience vécue durant l’exil                    KRIER, Émile, « La grande-duchesse et son gouvernement pendant la deuxième
        explique sans doute cette                           guerre mondiale – 1940 l’année du dilemme », Luxembourg, RTL Éditions, 1987. Les
        volonté. Le 12 novembre 1964,                       sources consultées ne permettent pas d’identifier clairement l’emplacement du
        après 45 ans de règne, la grande-                   manoir.
        duchesse de Luxembourg abdi-                   5
                                                            HAAG, É., KRIER, É., op. cit.
        qua en faveur de son fils Jean.                6
                                                            DIONNE, Raymond, « Québec, refuge de la famille impériale d’Autriche », Cap-aux-
        Ce dernier abdiqua le 28 sep-                       Diamants, vol. 1, n°4, hiver 1986, p. 34-36.
        tembre 2000 en faveur de son                   7
                                                            Sillery : chroniques/Association des anciennes de Jésus-Marie, op. cit.
        fils Henri.                                    8
                                                            DESCHÊNES, Fabienne, Que reste-t-il de Sillery, Sillery, ACJMS, 1984.
                                                       9
                                                            Le Canada Français, Chronique de l’Université, Québec, vol. XXVIII, n°2, octobre 1940,
        Bien que peu connu du grand                         p. 202
        public, il reste du séjour au                  10
                                                            HAAG, É., KRIER, É., op. cit.
        Québec du gouvernement du                      11
                                                            Extrait de la lettre de Pierre Dupong à Joseph Bech, 11 novembre 1940. HAAG, É.,
        Luxembourg durant la Seconde                        KRIER, É., op. cit.
        Guerre mondiale, l’avenue du                   12
                                                            Extrait de la lettre de Victor Bodson à Joseph Bech, 17 décembre 1940. HAAG, É.,
        Luxembourg dans l’arrondisse-                       KRIER, É., op. cit.
        ment Sillery-Sainte-Foy de la                  13
                                                            HAAG, É., KRIER, É., op. cit.
        ville de Québec, ainsi désignée                14
                                                            Ibid.
        en l’honneur de la famille                     15
                                                            HAMMERSCHMID, Leo J., Zita, The Last Empress Of Austria, Montréal, Meridian Press,
        grand-ducale de ce pays d’Eu-                       1989.
        rope.                                          16
                                                            LÉVESQUE, Georges-Henri, Souvenances, tome 3, Montréal, La Presse, 1989, p. 342-343.

                                                                             26
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