La construction d'une fresque étincelante de la nouvelle génération adolescente - Culture

 
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La construction d'une fresque étincelante de la nouvelle génération adolescente - Culture
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

The Bling Ring - Spring Breakers

La construction d'une fresque étincelante de la nouvelle génération
adolescente
La récente sortie du dernier film de Sofia Coppola, The Bling Ring, rappelle l'intérêt de la cinéaste
pour la jeunesse américaine désabusée (à l'image de son film Virgin Suicides). En filmant des
jeunes audacieux et décomplexés, elle fait indéniablement écho aux images du film Spring Breakers
réalisé par Harmony Korine, sorti il y a peu sur nos écrans, narrant les aventures de quatre amies
déterminées à participer au Spring Break (fête de deux semaines, où les Américains s'amassent
sur différentes plages en quête d'alcool, de drogue, et de sexe). Mais comment percevoir ces films,
dont la promotion et le marketing sont avant tout décidés et dédiés à un public jeune, alors qu'ils
proposent un spectacle violent et ambigu moralement, dépeignant d'une part l'excès en tout genre,
la folie sauvage et meurtrière, et d'autre part, l'audace, l'assurance de soi. Tentative de décryptage.

Bien que The Bling Ring et Spring Breakers soient des films diamétralement opposés dans leurs objets
(respectivement un fait divers, donc isolé, et un phénomène récurrent, se déroulant annuellement), ils
proposent néanmoins tous deux une représentation éloquente du mode de pensée teenager américain.
Harmony Korine et Sofia Coppola s'attardent ainsi sur une jeunesse bien actuelle, extravagante, friquée,
délurée, perpétuellement attirée par l'excès et la marginalité.

                             © Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 12/04/2019
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                                                                Dans The Bling Ring, Coppola met en scène une
                          1
histoire tirée d'un fait réel , centrée autour des cambriolages d'une petite dizaine de maisons de célébrités
américaines (Paris Hilton, Orlando Bloom,…) par une bande d'adolescents surnommés « The Bling Ring ».
La cinéaste reconstruit une réalité préexistante, en cherchant à explorer les comportements, les motivations,
les intentions de ces jeunes délinquants-clinquants, allant jusqu'à investiguer la réelle villa d'Hilton, prêtée
par la starlette pour l'occasion.

L'ombre de Spring Breakers ne plane pas bien loin, Korine choisissant également de représenter le réel
dans ce qu'il a de plus authentique (le tournage a pris part lors des événements du Spring Break), en faisant
appel à des stars adolescentes nécessairement attractives pour un public formaté, bien que placées dans
des situations extrêmes (prises multiples de drogues, ambiances érotiques, meurtres,…). Le film présente
d'emblée les intentions du réalisateur avec une séquence s'apparentant à une publicité pour le Spring
Break, sur fond de beats dubstep composés par le phénomène musical Skrillex, adulé par les teenagers.
Alors que Korine a volontairement mis à sa disposition tous les éléments lui permettant d'approcher au
plus près ce réel, il prend la décision de faire chavirer son récit vers un cauchemar chaotique et grinçant,
armant ses jeunes actrices de flingues et de cagoules, sous l'aile d'un protecteur halluciné et transgressif (le
personnage d'Alien, interprété par l'étonnant James Franco).

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C'est précisément dans cette rencontre entre les filles et Alien que le film connaît un second souffle
nécessaire, rencontre qui va dès lors aspirer le réel pour en recracher ce qu'il a de plus abject, repoussant,
risible, possédant une force découlant de l'originalité et de la capacité qu'a Korine de s'emparer de cette
réalité appréhendée. Il cherche à l'expérimenter formellement et moralement, sans jamais poser de
jugement critique, radicalisant systématiquement les motifs dont il s'empare (voir à ce sujet ses films Trash
Humpers et Gummo). Il met en scène l'histoire de ces filles de façon grotesque, bête, usant d'une imagerie
formatée, sale et agressive qui va dès lors conférer une véritable force à son propos. Si le film de Korine est
à ce point redoutable, c'est précisément parce qu'il fait le choix de s'accaparer cette réalité, d'en (sur)jouer,
au point de concevoir une fable poétisée d'un monde dont il se veut le témoin, l'admirateur, mais jamais le
juge.

The Bling Ring

Le film de Coppola se construit de façon plus ou moins similaire, en montrant dès les premières images
l'objet même de son propos (avec le vol d'une habitation d'une célébrité, suivi des témoignages des auteurs
sur leurs actes). Si The Bling Ring peut jouir d'une certaine authenticité en accrochant son spectateur à la
découverte de jeunes (anti-)héros, le film se perd rapidement dans une redondance liée à son sujet même
(après la réussite du premier vol et malgré la peur d'être pris, les adolescents enchainent les cambriolages).
Coppola se centre étonnement sur la succession des délits, jouant sur une logique de répétition. En
insistant sur le nombre de fois où les jeunes adolescents criminels ont transgressé l'ordre moralement
et légalement établi pour finalement aboutir à leur condamnation, la cinéaste appuie son intention de
comprendre et décrypter leur idéologie, en y posant un regard critique, voire moralisateur. Bien qu'elle ne
se contente pas de suivre à la lettre la construction de l'article dont elle s'empare, elle ne propose pas pour
autant de s'engager et reste sagement installée dans les fondations du fait divers, sans chercher à dérouter
et mettre à mal le spectateur, à l'image de ces adolescents torturés (ou, au contraire, blasés) par leurs actes

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et leurs états d'âmes. Elle ne donne jamais de liberté à son audience, ni même à ses acteurs qui semblent
retenus par des directives trop directrices, et, prisonnier de cette démarche redondante, le spectateur finit
par ressentir une lassitude évidente, en subissant perpétuellement l'enchaînement de mêmes images, de
mêmes gestes.

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 Il est mentionné dès le générique d'introduction que l'histoire du film est tirée d'un article issu du magazine
Vanity Fair, « Les suspects portaient des Louboutin ».

                                                          Korine se joue quant à lui sans cesse des réactions
spectatorielles perçues par les images qu'il conçoit, formes agressives, sons saturés, tantôt explosifs, tantôt
calfeutrés, ambiances tendues se mêlant dans une alternance de situations déroutantes, plongeant le public
dans un univers bien concret, en exploitant sa face la plus visible. Coppola s'appuie sur une démarche
opposée, et se contente de montrer au spectateur un spectacle dont il sait d'avance qu'il en sera le témoin.
Elle semble incapable de se jouer de cet ancrage réel, en restant constamment fidèle, comme enlisée, à
cette réalité dépeinte.

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Simple mise en image qui amène donc à se demander si elle ne propose pas de sublimer ses personnages,
sans chercher, ou du moins, sans parvenir à remettre leur statut en question. Même si elle lance quelques
tentatives de complexification de ses personnages, en s'attardant sur les maux que ceux-ci traversent
(relation du personnage de Nicki avec ses parents et ses amis ; le statut de la leadeuse, Rebecca, qui trahit
ses proches ; le statut de Marc (le garçon de la bande) en pleine crise existentielle,…), ces esquisses ne
parviennent jamais à résonner hors du cadre dans lequel elles sont circonscrites (séances d'essayage,
scènes en voitures bien peu convaincantes).

                                                                                               Spring Breakers

                                                                               Une séquence de Spring
Breakers offre à elle seule un motif bien plus épais, et troublant, lorsque les personnages de James Franco
et Selena Gomez sont filmés en gros plans, que cette dernière doute, effrayée par l'expérience qu'elle en
train de vivre et décide finalement de rentrer chez elle. Korine brille dans cette représentation du manque
d'assurance, du jeu malsain, purement affectif et matériel, mis en place par Alien (véritable adulation des
filles à son égard), à l'image du rapprochement entre Rebecca et Marc, traité de manière plus intériorisée,
moins spectaculaire, ne réussissant jamais à retenir suffisamment l'attention du spectateur au vu de l'objet
du film. L'investissement du réel de Coppola ne se fait jamais sentir, et c'est peut être bien là le problème.
Car en ne s'impliquant pas dans son film, elle flirte dangereusement avec une simple retranscription,
penchant vers une sublimation de cette jeunesse marginale, glamour, et profondément torturée.

Alors, entre un film sale, bête, et un film immaculé, tout en retenue, quoi de plus juste au final ? Pour ceux
qui n'ont pas vu les deux films, impossible de trancher. Pour les autres, difficile de masquer notre attirance
pour l'excès assumé, la marge (trans)figurée, plutôt qu'une voie empruntée, attendue, cachée derrière une
morale bien pensante (condamnation des actes des jeunes, mais surtout de leurs idoles, constamment
attirés par l'argent et l'image de soi), non sans contenir certains éléments opératoires (entre autre lorsque
Rebecca s'observe et se met du rouge à lèvre devant le miroir, la scène du procès). Dans ces implications

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artistiques, cette façon de scruter son sujet, Coppola confère à The Bling Ring une sorte d'entre-deux,
ayant maladroitement tendance à dépeindre minutieusement ses personnages, leurs attitudes et leurs
ressentis, plutôt que de s'en emparer viscéralement, en se laissant emporter par la folie. Celle-là même qui
est véhiculée par les thématiques des films, et qui offre un regard bien plus compact sur une jeunesse dont
Harmony Korine et Sofia Coppola choisissent en définitive tous deux, à leur manière, de brosser un portrait
amer et acide, empreint d'une fascination exaltante autant qu'aguicheuse.

                                                                                                 Nicolas Hainaut
                                                                                                      Juillet 2013

                           e
Nicolas Hainaut est en 2 année de Master en Arts du spectacle, à finalité spécialisée en cinéma
documentaire. Son sujet de mémoire : L'émergence du cinéma de genre horrifique en France dans
les années 2000.

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