Une histoire des germanophones de Belgique - Reflexions

 
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Une histoire des germanophones de Belgique
27/02/14

L'histoire de la communauté germanophone a encore beaucoup à révéler et reste mal connue des Belges.
Cette petite région frontalière, située au croisement de deux grandes cultures, a pourtant connu une histoire
tourmentée par des changements de nationalité successifs. Autour de Carlo Lejeune, enseignant àl'École
supérieure de pédagogie à Eupen, et Christoph Brüll, chercheur qualifié FRS-FNRS au département des
sciences historiques de l'Université de Liège, une équipe d'auteurs de tous horizons s'est donné le défi
monumental de recomposer l'histoire de ce territoire, de l'Antiquité à nos jours. Le premier des six volumes en
langue allemande vient d'être publié aux éditions du Grenz-Echo. Consacré à la période de l'après-guerre, il
s'intéresse aux enjeux politiques et socio-économiques qui ont conduit à l'autonomie culturelle d'une minorité
linguistique.

                                                                                 Originaire de l'est de la Belgique,
Christoph Brüll réserve depuis toujours une place privilégiée à sa communauté d'origine dans ses
recherches. Sans être au centre de ses travaux, la communauté germanophone s'inscrit comme un chantier
permanent dans ceux-ci.
Lorsque le gouvernement de la communauté germanophone a inscrit dans son plan de développement
régional le travail sur le passé de la région, c'est donc tout naturellement que ce jeune chercheur de l'Université
de Liège a pris part au projet. La rédaction d'une histoire de la communauté germanophone était en effet l'une
des étapes de ce plan.
Des historiens originaires de la communauté germanophone, mais aussi des chercheurs allemands,
luxembourgeois ou belges se sont réunis pour écrire ensemble cet ouvrage de référence. Un conseil

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scientifique, composé essentiellement d'historiens de la région ou d'universités proches ayant déjà travaillé sur
des sujets similaires, s'est constitué afin de superviser les travaux, procéder au choix des différents auteurs et
établir la structure générale de l'ouvrage. Le rôle de la communauté germanophone se limitant au financement
du projet et au suivi administratif du dossier. L'ensemble des travaux est coordonné par Carlo Lejeune et, pour
les volumes concernant les 19e et 20e siècles, Christoph Brüll.

Une histoire en six volumes

Pour rendre compte de ces siècles d'histoire, ce n'est pas un ouvrage mais six qui sont prévus. Paru au
mois de décembre 2013, le premier volume est en fait le cinquième dans l'ordre chronologique. Baptisé
  Expériences frontalières. Une histoire de la communauté germanophone de Belgique. Epuration civique,
reconstruction, débats autour de l'autonomie (1945-1973)(1), il rend compte de la période de l'après-guerre,
de 1945 à 1973, année d'institution du conseil de la communauté culturelle allemande à la suite de la première
révision constitutionnelle de 1970. Dix auteurs au total ont contribué à ce premier volume.
Après ce premier volume (mais cinquième chronologiquement), c'est le premier ouvrage dans l'ordre
chronologique qui devrait être publié. Portant sur une période allant de l'histoire ancienne jusqu'à la fin du
Moyen-Âge, ce volume est en passe d'être achevé et paraîtra dans le courant de 2014. Les ouvrages II (16e
siècle-1789), III (1789-1919) et IV (1919-1945) sont pour leur part toujours en phase de recherche et devraient
aboutir à l'horizon 2015 - 2016. Enfin, le dernier volume, relatif à la période allant de 1973 à nos jours est
toujours à l'état de projet. La rédaction de cette histoire contemporaine demandera aux chercheurs un peu
de recul.
« L'objectif premier de l'ouvrage est de présenter et d'analyser une histoire d'une région particulière de l'Europe
occidentale, explique Christoph Brüll. Le passé de la communauté germanophone est assez intéressant
puisqu'elle se situe à l'intersection de deux Etats-nations mais aussi de deux grandes cultures. L'avantage de
choisir un tel sujet d'étude, qui est aussi un inconvénient, est la petite taille de la communauté étudiée. Les
sujets de recherches sont en effet assez vite circonscrits et l'exploration des sources est facilement gérable.
Le pendant négatif tient plutôt à la réception de ce travail. Il est probable que le volume bénéficie de quelques
comptes rendus dans des revues scientifiques dans les mois qui viennent mais le public principal de cet
ouvrage en langue allemande reste la population de la région germanophone et de ses communes voisines. »
Si le public visé par ces publications reste avant tout la population belge de langue allemande et ses proches
voisins, une adaptation française, voire même néerlandaise, de l'ouvrage n'est pas exclue. « La parution d'un
ouvrage en français et en néerlandais est envisagée. Celui-ci ne serait pas une traduction mais plutôt un travail
de synthèse sur la période des XIX et XXe siècles. » projette Christoph Brüll, soucieux de communiquer aussi
les fruits de ses recherches à l'intérieur de la Belgique.

Une perspective transnationale

L'histoire de la communauté germanophone est une histoire belge, mais aussi à bien des égards une
histoire allemande. Successivement belge, allemande puis à nouveau belge entre 1920 et 1945, cette
entité a été profondément influencée par l'histoire des deux pays. C'est pourquoi les différents auteurs
accordent beaucoup d'importance à l'histoire en dehors des frontières de la région. L'ouvrage témoigne d'une
volonté d'ouvrir la perspective à tout le territoire belge, de ne pas se concentrer sur la seule communauté
germanophone. « Notre objectif n'est pas seulement d'écrire une histoire interne, consacrée aux seuls
germanophones, mais bien d'écrire une histoire transrégionale, voire transnationale, indispensable au vu du

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caractère transfrontalier de la région. Ceci se traduit notamment dans le choix des auteurs» rapporte Christoph
Brüll.
Dans le chapitre consacré à l'histoire politique, les différents contributeurs ont ainsi tenté de placer l'évolution
politique de la région germanophone dans l'évolution de l'Etat belge. Tout le processus qui a mené en
1962-1963 à la fixation de la frontière linguistique et à la création d'une région de langue allemande, et les
débats de 1968 autour de la première révision de la constitution ont été placés dans un contexte belge. La
place des germanophones n'étant évidemment pas centrale, l'autonomie de 1973 ne peut être comprise que
dans ce contexte de décentralisation et de fédéralisation de la Belgique.

L'après-guerre

                                                                                Entamer l'écriture de l'histoire de
la communauté germanophone par un volume concernant le passé récent résulte d'un choix mûrement réfléchi
de la part du conseil scientifique chargé de définir les principes directeurs de l'ouvrage. L'ordre de parution
du premier volume de cet ouvrage est d'abord hautement symbolique : 2013 a marqué le 40e anniversaire
de l'institution du conseil de la communauté culturelle allemande, l'actuel parlement de la communauté
germanophone. Or, le présent ouvrage analyse en détail les différents événements qui ont conduit à cette
autonomie culturelle, à la date charnière de 1973.
Par comparaison à la période 1919-1945, sur laquelle les recherches se sont multipliées depuis les années
1990, la période traitée par le volume qui vient de paraitre a été relativement peu étudiée. C'est aussi la raison
pour laquelle ce premier ouvrage est le seul à être presque entièrement composé par des « natifs » de l'Est
de la Belgique qui sont familiarisés avec le sujet étudié.
Les ouvrages suivants réclament une recherche internationale plus poussée et la mise au jour de nouveaux
questionnements. Une des difficultés tient au territoire étudié, qui d'un volume à l'autre, diffère. Déjà pour ce
cinquième volume contemporain, il était nécessaire pour les auteurs de ne pas se limiter aux seules neuf

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communes qui forment aujourd'hui le territoire de la communauté germanophone. Se cantonner à ce seul
territoire aurait été un non-sens pour l'époque romaine, le Moyen-Âge ou les Temps modernes. Pour ces
époques, la région entre Meuse et Rhin est analysée. Un chapitre commun à tous les volumes, baptisé
« L'homme et l'espace » s'intéresse à ces questions territoriales et étudie la transformation de la population
ainsi que l'évolution du rapport entre l'homme et l'espace dans la période considérée. « La perspective sera
évidemment très différente pour des volumes qui vont couvrir des périodes chronologiques plus vastes. Ainsi,
le volume sur l'Antiquité et le Moyen-Âge couvre près de 2000 ans d'histoire, ce qui est incomparable avec
le présent volume, d'une trentaine d'années ».

L'institution de la communauté culturelle allemande

Suivant une structure qui sera commune à l'ensemble des volumes de cette série sur les germanophones
de Belgique, l'ouvrage est scindé en trois grandes thématiques latentes : la politique, l'économie et la vie
quotidienne.
Les questions abordées dans ce volume consacré à l'après-guerre sont multiples : l'épuration civique, le
traitement réservé par l'Etat belge aux enrôlés de force et les débats autour de l'autonomie culturelle en
constituent les principales lignes directrices. L'histoire politique de la région et ses changements corrélatifs
dans les mentalités sont analysés. Les auteurs rendent compte de l'expérience vécue par les germanophones
à la lumière de deux points de vue : celui des habitants du nord de la région, autour d'Eupen, et celui des
germanophones des alentours de Saint-Vith. Bien qu'elles partagent le même caractère rural, ces deux régions
restent très différentes du point de vue des mentalités et de la culture économique. La culture germanophone
est également examinée (politique culturelle, médias, littérature et politique sociale).

Le 23 octobre 1973 - date choisie pour clôturer ce volume consacré à l'après-guerre - est incontestablement
une date essentielle pour la communauté germanophone puisqu'elle correspond à l'institution du conseil de
la communauté culturelle allemande. Pour la première fois, les belges de langue allemande disposent de
leur propre assemblée parlementaire. La proportion des membres par parti est d'abord fixée par rapport aux
élections nationales. Le 10 mars 1974 a lieu la première élection directe de ses membres. « Il s'agit de la
première élection d'un conseil de communauté culturelle en Belgique » rapporte Christoph Brüll.
La date de 1973 est cependant une césure arbitraire comme les historiens peuvent en fixer. En 1973, la
population est peu concernée par ces débats autour de l'autonomie culturelle et de l'avenir politique de leur
région dans une Belgique en mutation.
Au sortir de la guerre, il est reproché à de nombreux Belges de l'Est d'avoir collaboré avec l'ennemi
allemand. Afin d'éviter que se reproduise la situation de l'entre-deux-guerres, l'Etat belge poursuit une politique
d'assimilation. L'intégration de ces nouvelles populations germanophones après 1920 et jusqu'en 1940 était
considérée comme un échec. D'où une tentative de mener une politique plus sévère après 1945, d'abord dans
le cadre de l'épuration civique, puis au moyen de cette politique d'assimilation. Celle-ci consistait notamment
en une francisation par l'enseignement. A partir de 1945, dans les écoles moyennes et secondaires, tous les
cours sont donnés en français. L'échec de cette politique devient évident dès la fin des années 1950.
Ce passé passablement compliqué, de même que la perception partielle ou faussée que la population avait de
la Belgique, expliquent le manque d'intérêt des germanophones pour les conflits politiques belges. Dans les
médias, et surtout dans le Grenz-Echo, principal journal de la région, ces conflits belgo-belges sont très peu
évoqués. « Or l'autonomie de la communauté germanophone n'aurait jamais vu le jour sans le conflit belgo-
belge. C'est vraiment un rejeton de celui-ci » ajoute Christoph Brüll. La population est très peu engagée dans
le monde politique et sa participation aux débats sur l'autonomie est quasiment inexistante. Ces discussions

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sont l'affaire de quelques milieux restreints. Les premiers membres de l'assemblée parlementaire sont ainsi
principalement des jeunes. Ceux-ci ont fait leurs études à Leuven, ils ont connu le mouvement étudiant et
les milieux contestataires et ont vécu de près le conflit belgo-belge. Ils arrivent avec leurs revendications
identitaires dans cette petite région.
La césure de 1973 est donc toute relative. L'importance qu'on lui reconnaît aujourd'hui est proche de passer
inaperçue auprès de la population de l'époque. Il y a donc très clairement une différence entre le jugement
postérieur et le jugement des contemporains.
Toutefois, l'année 1973 reste significative à d'autres titres. A côté des changements politiques, 1973 marque
aussi la fin des trente glorieuses. La période de l'après-guerre et de l'essor économique entamé dans
les années 1950 prend fin. Dans cette région essentiellement rurale, s'entame une phase de mutation
économique, plus tardive que dans le reste de la Belgique. Les mentalités évoluent également. Le processus
est semblable à celui de beaucoup de régions en Europe occidentale, même s'il arrive avec un décalage de
quelques années et qu'il est loin d'être aussi violent. Plusieurs évolutions confluent donc au milieu des années
70 et justifient cette césure.
Ces différentes questions sont analysées dans l'ouvrage bien souvent pour la première fois ou à partir de
perspectives nouvelles, en situant les événements dans un contexte belge. S'il laisse pas mal de portes
ouvertes, la force de ce volume est d'amener des questions inédites et d'offrir un changement de perspective.

Carlo Lejeune et Christoph Brüll (eds), Grenzerfahrungen. Eine Geschichte der Deutschsprachigen
Gemeinschaft Belgiens, vol. 5: Säuberung, Wiederaufbau, Autonomiediskussionen (1945-1973), éd.
Grenz-Echo, Eupen, 2014, 288 p. [titre traduit: Expériences frontalières. Une histoire de la Communauté
germanophone de Belgique, vo. 5: Épuration civique, reconstruction, débats autour de l'autonomie
(1945-1973)].

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