La gazette des cimes, mars 2020
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La gazette des cimes, mars 2020 Comment minimiser l’impact de nos déplacements sur les écosystèmes et sur le dérèglement climatique ? Le point commun de nos activités est qu’elles se déroulent en milieu naturel. Même si les lieux que nous investissons ont tous un propriétaire (état, collectivités, particuliers), il s’agit de la nature et, par essence même, la nature n’appartient à personne. Il convient donc d’admettre que nous réalisons chaque fois une incursion dans un milieu vivant auquel nous faisons courir un risque potentiel de détérioration. Prétendre que nos activités n’ont aucune incidence n’a pas de sens, en revanche faire en sorte qu’elles aient un impact le plus limité possible sur les écosystèmes est devenu un devoir collectif. Déplacements, écosystèmes et dérèglement climatique Il est bon de se rappeler ce qu’est un écosystème : il s’agit d’un ensemble d’être vivants qui vivent au sein d’un environnement spécifique et qui interagissent entre eux mais aussi avec cet environnement. Nous pouvons porter atteinte aux écosystèmes que nous traversons de plusieurs façons : • Directement en dégradant ce milieu (piétinement, déchets, présence dérangeante pour la faune, rejet de substances toxiques issues de nos équipements) ; • mais aussi indirectement en modifiant les paramètres du climat (températures, pluviométrie etc.). Pour ce qui est du climat, une enquête récente montre que le dérèglement climatique est devenu, en quelques années le premier sujet de préoccupation des français, avant le chômage et l’insécurité. Il s’agit d’une bonne nouvelle dans le sens où cette prise de conscience collective nous incite à modifier nos comportements. Pour ce qui nous concerne, ce sont nos déplacements qui agissent sur le climat. Trajets courts pour les activités locales, généralement effectués en voitures, trajets plus long nécessitant parfois l’avion, et aussi déplacement en VTT électriques. Paradoxalement, ce ne sont pas les informations qui manquent ! journaux, publications, publicités nous expliquent à grand renfort de chiffres, courbes et autres diagrammes comment pratiquer les sports de montagne sans mettre en péril les milieux ainsi que le climat de notre planète. Des termes nouveaux sont apparus : tourisme responsable, voyage climato-compatibles, compensation carbone, etc. La première démarche utile consiste à porter un regard critique sur ces bonnes pratiques dites « vertueuses ». ➢ Les chemins utilitaires légués par l’histoire des Hommes se sont convertis en sentiers de randonnée Dès les années 1960, la montagne va attirer un public nouveau prêt à utiliser les temps de loisir pour découvrir la montagne. Plus récemment, le mouvement s’accentue, et l’attrait pour les cimes concerne des milliers de personnes : « homo randonicus » est né, et avec lui une ère nouvelle s’ouvre pour les sentiers de randonnées qui font l’objet d’une fréquentation parfois très importante. Cette évolution crée des problèmes nouveaux.
Les sentiers organisés en réseaux sont devenus une composante majeure des milieux naturels. Des études approfondies montrent que leur rôle va bien au-delà de ce pourquoi ils ont été tracés. Il s’agit d’une étroite bande de terrain parfois fortement dégradée où la flore a disparu, et où le sol subit une forte compaction accompagnée d’une érosion. Sur le plan écologique, le sentier joue à la fois un rôle de barrière fragmentant les populations, mais aussi une zone de circulation utilisée par une partie de la faune (on parle de corridor écologique). Des études ont montré que les sentiers font disparaître les végétaux sensibles au piétinement mais favorisent des espèces de bordure et modifient la répartition des lichens. Il est impératif de progresser en suivant les sentiers, en évitant les raccourcis. Les Dourbes, Alpes de Haute-Provence. Photo : CAF la Crau Gorges du M’Goun, Maroc. Photo : R Ferrus Il convient donc lorsqu’on le peut : • De marcher sur le sentier, sur le sentier principal s’il existe. En cas de déplacement en groupe, hors sentier, éviter de marcher tous au même endroit. Eviter de « couper » les lacets du sentier. • Dans les environnements fragiles, comme dans certains déserts, certaines zones en montagne, certaines prairies, il convient d’éviter de randonner hors-sentiers car l’impact sera élevé. • De préférer les zones « durables » : roche, sable, gravier. • D’éviter le piétinement des zones encore pourvues de plantes. S’il fallait illustrer le fait que la solution idéale n’existe pas, arrêtons-nous sur le cas des gorges du M’Goun au Maroc. Dans ces gorges qui constituent localement l’unique voie de passage, les tronçons de sentier ont nécessité des travaux de soutènement (voit photo ci-dessus). Très souvent le sentier n’existe pas obligeant bêtes et hommes à emprunter le lit de la rivière. En foulant les graviers et galets qui tapissent le lit du cours d’eau, on détruit alors l’habitat de nombreuses espèces, fragilisant l’écosystème de la rivière.
...quand le torrent devient sentier... (gorges du M’Goun, Maroc). Source : Photo R Ferrus. ➢ Pour en savoir plus, se reporter à l’excellent article de la revue « Espaces naturels » : CONNAÎTRE LE RÔLE ÉCOLOGIQUE DES SENTIERS Modification des écosystèmes et rôle de corridor biologique Espaces naturels n°19 - juillet 2007 Le Dossier Sébastien Franchini Docteur en écologie Alexandre Mignotte Cipra France http://www.espaces-naturels.info/espaces-naturels-19 ➢ A consulter également un dossier très complet sur l’origine, l’évolution et l’entretien des sentiers dans le parc des Ecrins : http://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins- parcnational.com/files/fiche_doc/12133/cahiertechniquesentierspnm-pne.pdf ➢ Le vélo à assistance électrique : une éthique particulière La pratique du VTT est en pleine expansion et il est fréquent de le rencontrer sur les sentiers historiquement prévus pour les marcheurs. Au-delà d’un phénomène de mode, il s’agit d’une nouvelle façon de se déplacer et donc un nouveau mode de découverte. L’impact des VTT sur les milieux vivants fait l’objet de nombreuses études. Il convient de distinguer deux aspects : l’impact direct sur le sol essentiellement et l’impact indirect sur les milieux (lié à l’utilisation de batterie électrique) dont nous parlerons plus loin. Sur le terrain pour que le risque de dégradation du sol soit avéré il faut que soient réunies un certain nombre de conditions : • Une pente forte, des virages serrés, • Un sol meuble et une utilisation excessive du freinage, • Un nombre excessif de passages. La dégradation se traduit par un surcreusement et/ou un élargissement du sentier. En dehors de ce contexte, le VTT n’est ni plus ni moins intrusif que la marche.
Sol dégradé par le passage répété de VTT. Photo : Tribune libre de Bleau. Photo : Tribune libre de Bleau. Limiter l’action néfaste du VTT sur les milieux est donc une affaire de choix d’itinéraire, d’appréciation des conditions de terrain et aussi une question de pilotage. Voici un article émanant de l’agence française pour la biodiversité et qui montre comment le développement durable est pris en compte pour élaborer des circuits de VTT et pour encadrer la pratique du VTT en montagne : ➢ http://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/11-20150612-PRE- SeminaireMontagne_VTT_cle274a13.pdf ➢ Le dilemme des modes de déplacement utilisant des énergies fossiles Si nous voulons réussir le pari de limiter le réchauffement climatique à 1.5-2 degrés, tous les domaines industriels doivent fournir un effort. Or, si des progrès nets sont enregistrés dans les procédés industriels, l’agriculture, les déperditions d’énergie, le secteur des transports lui voit ses émissions de gaz à effet de serre continuer à croître avec des ventes en hausse et une demande accrue de véhicules. En attendant que les industriels du secteur prennent la décision ferme de cesser la commercialisation des moteurs à kérosène, essence, diesel et hybride, que faire ? • Pour ce qui est du transport routier, on peut minimiser l’impact : o En se regroupant de façon à utiliser un nombre le plus réduit possible de véhicules, o En privilégiant les transports en commun aux voitures individuelles, en préférant le minibus à la voiture), le train aux voitures, etc. Vous en avez rêvé, le Caf de la Crau l’a fait !
• Concernant les déplacements en avion, on peut minimiser l’impact : En choisissant de voler avec des compagnies qui mènent une politique de compensation carbone. Aujourd’hui, de nombreuses compagnies de transport aérien promettent à leurs clients une compensation carbone. Une offre bien accueillie et quand on sait qu’un aller-retour Paris-New York équivaut à un rejet de 2,5 à 3 tonnes de CO2 par personne et que le niveau maximal d’émission que la Terre peut supporter est de 2 tonnes par personne et…par an ! La bonne conscience écologique a un prix ! L’accord de Paris, en 2015, pour la première fois, a exigé que les pays s’efforcent à compenser leurs émissions de carbone, non seulement en protégeant leurs forêts existantes, mais en plantant de nouvelles forêts. Le but étant de limiter à 2 degrés le réchauffement d’ici 2030. Quel est le principe de cette compensation ? La compagnie en question propose de « réparer » les dégâts » en facturant quelques euros supplémentaires sur le prix de votre billet. La somme versée finance directement ou indirectement un projet de réduction d’émission comme de la reforestation ou de l’investissement dans les énergies renouvelables. Si le principe de cette démarche est louable son efficacité pose problème. Pourquoi les arbres sont-ils considérés comme des « puits » de carbone, c’est-à-dire des éléments de stockage du carbone ? Pendant qu’il grandit et s’accroit l’arbre absorbe par ses feuilles du CO2 de l’air et incorpore le carbone dans des molécules qu’il utilise pour vivre et pour croître. Il contribue donc à faire baisser le taux de CO2 atmosphérique et donc l’effet de serre responsable du réchauffement climatique. Planter des milliers, des milliards d’arbres apparaît donc comme une merveilleuse idée ! Sur le terrain les choses sont moins évidentes. Voici pourquoi. • L’arbre piège le carbone tant qu’il vit. Le jour où il meurt, qu’il soit brulé ou décomposé par les micro-organismes, il restitue l’intégralité de son carbone à… l’atmosphère. Le stockage aura duré quelques décennies seulement. • Les compagnies communiquent beaucoup sur le nombre de plants mis en terre, mais ne disent rien le taux de réussite de ces plantations. Tous les jeunes plants ne deviendront pas des arbres adultes ! • Il est prouvé, scientifiquement que les plantations à grande échelles (arbres serrés, bien alignés, de même essence) sont moins efficaces que les forêts naturelles. • A quoi bon planter des millions d’arbres si, dans le même temps, on continue à dégrader les forêts voire même à les faire disparaître ? ➢ La montée en puissance des moteurs électriques La transition énergétique passe par une intensification massive de la mobilité électrique ce qui implique inévitablement l’utilisation de batteries. Or, la technologie des batteries nécessite l’emploi de métaux rares, le cobalt, le lithium par exemple. Les mines d’extraction de ces « terres rares » sont généralement très énergivores, polluantes et destructrices d’environnement. C’est une des raisons qui fait que cette extraction se déroule souvent au sein de pays en voie de développement. C’est un exemple typique de déplacement de problématique, dépolluer chez nous en polluant chez les autres. Dans ces pays, les règles sont moins contrôlées ce qui aboutit à l’emploi d’enfants (40 000 enfants africains travaillent dans les mines de cobalt), de sacrifier des hectares de terres cultivables, et de polluer l’environnement. Des organisations comme Amnesty International, l’Unicef, et d’autres ONG sensibilisent régulièrement l’opinion sur ces problèmes.
Photo : AFP/Junior Kannah, Le Parisien. D’autres types d’écosystèmes renferment des métaux rares. Prenons l’exemple des salars. Un salar est une vaste étendue de sel, vestige d’un ancien lac salé ayant subi une évaporation sur une longue période. Ce sel recèle des métaux rares, qu’on retrouve dans certains d’éléments électroniques et dans les batteries. Le Salar d’Atacama. Photo : R Ferrus Liolaemus fabiani, un des très rares reptiles capables de vivre dans un salar. Photo : R Ferrus Les salars comme celui d’Atacama, d’Uyuni et d’autres, sont des écosystèmes rares, fragiles, et menacés par l’extraction des métaux rares. Un article expose très bien ces problématiques : https://www.velochannel.com/le-velo-electrique-au-dela-des-limites-de-lacceptable-37127 Pour ce qui est des VTT, faire le choix d’une bonne marque et pratiquer un entretien régulier augmente la durée de vie des batteries. Eyguières, Mars 2020 Auteur : R. Ferrus Remerciements : Cécile Ferrus (relecture et mise en page)
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