La Littérature malgré tout by François Ricard (review)

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La Littérature malgré tout by François Ricard (review)
   Éric Chevrette

   Nouvelles Études Francophones, Volume 34, Numéro 2, 2019, pp. 202-205
   (Review)

   Published by University of Nebraska Press
   DOI: https://doi.org/10.1353/nef.2019.0050

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        https://muse.jhu.edu/article/751319

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sibilités offertes par la géographie littéraire. Bien structuré, malgré une absence de
hiérarchisation des titres qui ne facilite pas une lecture sélective, il propose une ana-
lyse juste et convaincante de textes encore peu étudiés, et pourtant porteurs d’un
discours idéologique et social très fort. Il serait intéressant, à ce titre, de poursuivre
la réflexion de l’auteure en s’interrogeant sur la représentation, par ces œuvres, de
la question environnementale, importante dans le contexte minier, et pour laquelle
les outils de l’écocritique, proches de la géographie littéraire, sembleraient tout
indiqués.
                                               Irène Chassaing, Université du Manitoba

Ouvrages cités
Bakhtine, Mikhaïl. Esthétique et théorie du roman. Paris, Éditions du Seuil, 1981.
Collot, Michel. “Pour une géographie littéraire.” Fabula-LhT, no. 8, “Le Partage des
     disciplines,” mai 2011. www.fabula.org/lht/8/collot.html.

Ricard, François. La Littérature malgré tout. Montréal, Boréal, 2018. ISBN
9782764625484. 208 p.

Il semble souvent de bon ton d’annoncer à grands cris, et preuves à l’appui, la fin dé-
finitive de ceci ou de cela: de l’Histoire aux grands récits, des idées aux idéaux. Dans
le champ littéraire se font notamment entendre deux positions opposées qui pour-
tant se rejoignent, “[c]eux qui pleurent la littérature d’avant depuis toujours et ceux
qui réalisent que la littérature d’après est devenue celle déjà d’avant, etc.,” comme
l’écrit avec beaucoup d’humour Olivier Cadiot (28). Évidemment, un tel déclinisme
n’a rien de profondément nouveau, et demeure forcément incomplet et en deçà
d’une réalité difficile à saisir dans son immédiateté. Reconnaître des changements,
voire des métamorphoses, tout en demeurant sensible aux fins et aux renouveaux, et
en limitant avec lucidité les jugements de valeur péremptoires: voici toutefois une
posture qui, si elle peut se rapprocher à certains égards des déclinistes les moins cy-
niques, ouvre vers un propos plus productif, plus nuancé et, à cet effet, sans doute un
peu plus fidèle à la réalité qu’il tente de décrire.
      Or, que soit ou non advenue la fin de la littérature (et c’est de cette dernière
dont il sera ici question), il reste tout de même à lire une certaine matière livresque,
somme colossale et croissante qui a de quoi impressionner lors de chacune des ren-
trées littéraires, et qui s’ajoute bien sûr aux petits et grands chefs-d’œuvre connus,
reconnus, oubliés ou ignorés. Tout de même, ou malgré tout, pourrait-on dire.
C’est, entre autres choses, ce qu’aborde le dernier ouvrage de François Ricard, La
Littérature malgré tout, publié dans la collection “Papiers collés” des Éditions du
Boréal, collection qu’il a fondée en 1984 et dont il demeure à ce jour l’unique di-
recteur. Aussi l’ouvrage s’inscrit-il pleinement dans l’esprit de cette collection en
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ce qu’il est constitué du recueil d’une vingtaine de petits essais, écrits à diverses
époques et publiés dans divers cadres, mais “retouchés” voire “remaniés considéra-
blement” par l’auteur, comme il le précise en préambule. Ceci explique sans doute
que ne soient pas donnés de détails concernant la parution initiale de ces textes.
Cette information aurait au demeurant été superflue tant l’intégrité du livre est pa-
tente et tant la lecture peut en être faite de bout en bout dans une même atmos-
phère méditative.
      Cette atmosphère est d’ailleurs créée dès le titre, lequel mérite qu’on s’y arrête.
Car malgré quoi la littérature est-elle, se positionne-t-elle, survit-elle? Ou pour le
dire autrement, à quoi le tout de l’intitulé réfère-t-il? On le voit avec nuances au fil
de la lecture, les oppositions sont nombreuses et ne manquent pas de venir égale-
ment de l’intérieur — la littérature malgré tout incluant la littérature malgré elle-
même: malgré un scepticisme à l’égard de la notion de canon, malgré la normali-
sation ou la standardisation des littératures nationales à partir des années 1980 (la
littérature québécoise n’y échappant évidemment pas), malgré les doutes qui pèsent
sur les capacités mêmes de la littérature (ce qu’elle peut offrir à penser, par exemple),
ce qui la définit et ce qu’elle s’approprie, ou ce qu’on lui attribue à son corps défen-
dant. Ce sont là autant de questions que Ricard aborde, déployant pour l’occasion
une réflexion riche et ouverte, puisant à même sa prolifique expérience et respec-
tant, pour ces deux raisons, le caractère nuancé, non définitif et éminemment per-
sonnel de la forme de l’essai.
      La première partie, intitulée “Art poétique” et sous-titrée “où l’auteur réfléchit
sur le sens et la nature de son travail,” couvre différents aspects des multiples tâches
que Ricard a accomplies durant sa carrière d’essayiste, de critique, de professeur et
de biographe. Cette partie regroupe des essais qui se penchent entre autres sur le
travail réflexif et essayistique en tant que tel (“Souvenir de Liberté”), sur l’inter-
textualité, la lecture et l’écriture (“D’où viennent les livres?”), sur ce que pourrait
être une méthode de la littérature comme quête de sens aussi inatteignable qu’es-
sentielle (“Discours de la méthode”), sur la critique littéraire comme forme avec
ses (quelques) réussites et ses (nombreux) ratés (“L’art de la critique”). On y trouve
également un essai sur le travail du biographe écrivain qui doit raconter en donnant
“la première place, toute la place, [ . . . ] à l’œuvre de cet écrivain” (“La biographie”)
— Ricard, faut-il le rappeler, est l’auteur d’une importante biographie de Gabrielle
Roy. Dans cette partie, mais aussi à vrai dire à travers tout le livre, l’essayiste manie
une réflexion faite de tours et de détours visant à exposer des idées ou des situations
qui l’interpellent, constatant certes que le sort réservé à la littérature n’est plus ce
qu’il était, mais aussi que la littérature subsiste en partie grâce à une certaine forme
de résistance (cultivée) à laquelle son ouvrage contribue.
      À mi-chemin entre le compte rendu critique et les notes de lecture (avec toute
la finesse que ces dernières peuvent avoir, tant que cela est possible), les chapitres
composant la deuxième partie — intitulée “Lectures au grand air” — sont tout à
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fait séduisants. Le lecteur se laissera assurément prendre par les découvertes d’au-
teurs majoritairement étrangers peu lus, pas lus, ou mal lus (Séféris, Bieńczyk,
Kiourtsakis, Malaparte, Jaeggy et Kachtitsis, auxquels s’ajoutent Kafka, Déon,
Muray et Roy). Ricard explique avec soin les raisons pour lesquelles, selon lui, les
œuvres de ces auteurs participent de ce que la littérature a produit de plus abouti,
de plus prenant, de plus marquant. Il ne craint d’ailleurs pas de parler de grandes
œuvres, l’expression revenant sous différentes formes dans plusieurs chapitres. Si
cette deuxième partie occupe près de la moitié de l’ouvrage, on ne s’en lasse pas
pour autant. L’écriture de Ricard et sa lecture des œuvres y sont d’une finesse et
d’une sensibilité remarquables, et bien mal venu celui ou celle qui n’aurait pas l’en-
vie irrépressible de passer une commande substantielle à son libraire . . .
      C’est dans la troisième partie (“Une littérature qui se défait,” sous-titrée “où
l’auteur s’accroche à ce qu’il voit disparaître”) que le discours décliniste se fait le plus
marqué. S’il tâche de rendre compte de la mutation qu’a subie la littérature qué-
bécoise depuis une trentaine d’années (en apparence vidée de ce qu’on appelait ja-
dis sa québécitude, et dès lors “normalisée”), Ricard inscrit un certain nombre de
changements (“[e]xpansion quantitative, diversification, relativisation des codes”
(168)) dans un contexte mondial plus large qui rend problématique la définition,
voire l’appellation de littérature nationale. Dans le dernier chapitre, il poursuit cette
réflexion en s’interrogeant sur ce que pourrait être une post-littérature, c’est-à-dire
une littérature hantée par elle-même, ployant sous le poids de ses avatars et n’étant
plus que l’ombre, voire le fantôme d’elle-même. Il reprend cette idée et cette image
de L’Écologie du réel de Pierre Nepveu. Devant un constat aussi irrévocable posé
envers la littérature québécoise, mais aussi plus largement envers la littérature tout
court, Ricard parvient à boucler la boucle, en voyant là non pas une faillite, mais
plutôt un défi. Il clôt son ouvrage sur ces mots: “Écrire ou lire après la littérature, je
crois, c’est accepter de vivre comme un fantôme au milieu des fantômes. Et conti-
nuer de faire confiance à la littérature, malgré tout” (195). Tout est là: la finesse du
mot juste, la profondeur de la réflexion, l’implacabilité du constat, et l’espoir teinté
d’une certaine nostalgie.
      Dans l’Avertissement qui ouvre l’ouvrage, Ricard décrit son “lecteur idéal”
comme un “individu [ . . . ] pour qui les œuvres littéraires [ . . . ] [sont] un art de
vivre, une manière de préserver et d’approfondir en nous le petit espace d’huma-
nité et de liberté qui nous reste” (7). Comme on a pu le voir dans ce qui précède,
certains textes abordent pourtant des sujets pointus mais Ricard le fait sans jamais
de didactisme ni de recours à la langue technique du chercheur en littérature (qu’il
juge au demeurant avec circonspection). Le propos demeure donc fluide et clair.
Or, sous ces apparences se cache une réflexion touffue qui rend compte de divers
courants de pensée et d’auteurs influents (sans toutefois qu’il les nomme systéma-
tiquement), qui évoquent la littérature comme notion, mais aussi tout ce qui est et
fut appelé à la composer à travers le temps. Et puisque le lecteur érudit demeure,
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espérons-le, un individu pour qui la littérature est un art de vivre, chacun y trouve-
ra son compte (entendre par là, son plaisir) dans un ouvrage qui aurait aussi bien
pu s’intituler La Littérature en partage, tant Ricard est généreux de sa plume autant
que de sa réflexion.
                                                  Éric Chevrette, Université de Toronto

Ouvrages cités
Cadiot, Olivier. Histoire de la littérature récente, Vol. 1. Paris, P.O.L, 2016.
Nepveu, Pierre. L’Écologie du réel: Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine.
    Montréal, Boréal, 1988.

Asie
Rubrique ponctuelle dirigée par Alexandra Gueydan-Turek, Swarthmore College,
États-Unis

Nguyen, Giang-Huong. La Littérature vietnamienne francophone (1913–1986).
Paris, Classiques Garnier, 2018. Collection Bibliothèques francophones, no. 6.
ISBN 9782406081623. 271 p.1

Giang-Huong Nguyen est chargée de collections en langues et littératures d’Asie
du Sud-Est à la Bibliothèque nationale de France, et titulaire d’une thèse intitulée
La Poétique du sujet multiculturel dans le roman vietnamien francophone de l’époque
coloniale, soutenue sous la direction de Jean-Marc Moura en 2015. Elle propose ici,
dans le prolongement de ses travaux, un remarquable et éclairant ouvrage. Celui-
ci rend enfin accessible un “lieu d’oubli” (Moura) de la littérature et de la culture
francophones. Nous associons, en effet, généralement le Vietnam à des auteures
contemporaines vivant hors de ses frontières, telles Kim Lefèvre, Anna Moï, Linda
Lê, Kim Thúy, qui ont inspiré de nombreux travaux universitaires. En revanche, le
Vietnam de la période coloniale, de la guerre d’indépendance et de l’immédiate pé-
riode postcoloniale reste un continent littéraire méconnu et l’auteure en explique
les raisons. Citons, parmi d’autres, la déconfiture de la langue française après l’exil
des francophones vers des pays anglophones suite à la chute de Saigon en 1975 ou “la
déstructuration de la communauté des écrivains et du public potentiel” (Guillemin
271).
      Quelques articles ou travaux d’envergure, au demeurant trop peu nombreux, ont
été consacrés à cette littérature comme ceux de Ching Selao, Karl Ashoka Britto ou
Jack Andrew Yeager. Ce dernier signe d’ailleurs la préface de cet ouvrage. S’appuyant
ainsi sur ses prédécesseurs et sachant en même temps s’en distinguer, Giang-Huong
Nguyen axe sa recherche sur douze romans représentatifs de l’ensemble des vingt-
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