La métaphore familiale appliquée aux entreprises organisées en groupes de sociétés - EDP Sciences
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DOSSIER HUGUES BOUTHINON-DUMAS ESSEC Business School La métaphore familiale appliquée aux entreprises organisées en groupes de sociétés Cet article explore une métaphore courante : le fait de désigner une société qui en contrôle une autre comme une société « mère », celle qui est contrôlée comme sa « fille » et ainsi de penser leurs relations selon le modèle de la parenté, ce qui conduit à traiter l’ensemble des entités constituant un groupe de sociétés comme une « famille ». Cette métaphore n’est en l’occurrence pas simplement un moyen commode de parler des groupes de sociétés, mais plus fondamentalement un concept essentiel pour assurer l’intelligibilité, la coordination et le bon fonctionnement d’un type d’organisation particulièrement sophistiqué par rapport à une entreprise intégrée ou à des entreprises totalement indépendantes et liées entre elles par des relations de marché. DOI: 10.3166/rfg.2021.00588 © 2022 Lavoisier
78 Revue française de gestion – N° 301/2021 D ire qu’une société qui détient la d’autres organisations qui essaiment ou qui majorité du capital d’une autre ont des relations d’appartenance à une société est une « société mère » famille d’organisations tout en ménageant et que la société contrôlée est une « filiale » l’autonomie de chacune. On parle ainsi est si évident que l’on perd de vue qu’il d’associations mères/filles, d’églises mères/ s’agit en réalité d’une métaphore. En filles (issues des actions missionnaires), de l’occurrence, on utilise une métaphore loges maçonniques mères/filles, d’un club familiale (mère/fille) pour désigner les de foot maison mère par rapport à un club entités constituant un groupe de sociétés1. filiale, etc. Mais c’est certainement dans le C’est sans doute l’une des métaphores les domaine des groupes de sociétés (notam- plus utilisées en gestion, aussi bien par ment des sociétés par actions) que cette les praticiens que par les chercheurs image est la plus établie, de sorte que le (Montmorillon, 1986). Cette métaphore caractère proprement métaphorique tend peut servir à la fois de concept théorique paradoxalement à être imperceptible. pour analyser les pratiques de gestion et Cette métaphore joue ainsi un rôle fonda- d’instrument cognitif employé par les mental pour rendre compte d’une forme praticiens pour désigner l’objet de leurs d’organisation des entreprises très répandue pratiques (Cornelissen et al., 2008). La (elle paraît assez universelle) et néanmoins fréquence de l’usage de cette métaphore spécifique. L’organisation de l’entreprise en s’explique par le fait qu’il est en réalité très groupe de sociétés est une forme très difficile de désigner les entités d’un groupe particulière de structuration multi-division- de sociétés autrement qu’en s’appuyant sur nelle en business units (BU). Les différentes cette image, tout comme il est très difficile sociétés sont dotées d’une autonomie de désigner les « ailes » d’un avion juridique, mais elles sont reliées à la autrement qu’en utilisant cette métaphore structure globale de l’entreprise par des animalière. Cette métaphore étant passée relations capitalistiques qui en font des dans le langage courant, elle constitue donc entités contrôlées. une catachrèse. Les groupes de sociétés sont très courants en Cette métaphore est ancienne puisqu’elle pratique2, mais cette organisation n’en trouve son origine dans l’organisation des demeure pas moins délicate à saisir. abbayes du Moyen Âge, en particulier Comment une société peut-elle être à la cisterciennes (Mahn, 1945). Elle a aussi fois autonome et dépendante d’une autre un champ d’application relativement large société, agir pour elle-même et agir en tant puisqu’on l’utilise non seulement pour que partie d’un ensemble ? Les groupes de décrire les relations entre les sociétés mères sociétés reposent sur un énigmatique « en et les sociétés filiales, mais aussi dans le cas même temps » qui ne renvoie pas à une 1. Dans le cadre de cette étude, nous n’évoquons pas l’utilisation d’une autre métaphore familiale, à savoir celle du « mariage » et des « fiançailles », pour désigner le rapprochement entre deux entreprises. Il s’agit de deux métaphores différentes et elles sont relativement incompatibles en pratique, puisque la fusion de deux entreprises met fin à une éventuelle relation de contrôle de la mère sur la fille. En droit des sociétés, le mariage n’est pas le préalable à la parenté, mais à une organisation alternative. 2. Cf. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3285206. Les groupes sont même de plus en plus nombreux en France : 1 306 en 1980, 6 882 en 1995, 31 000 en 2004 (Coulomb, 2007, p. 20).
La métaphore familiale appliquée aux groupes de sociétés 79 hybridité, c’est-à-dire à la cohabitation de organisation peut présenter des avantages caractères rattachés à des natures différen- par rapport au marché, mais ne peut pas tes, mais plutôt à une contradiction entre des pour autant atteindre une taille infinie principes opposés, qui se combinent de (Arrow, 1974). Les chercheurs en sciences manière problématique (Hannoun, 1991). de gestion et en théorie des organisations Le premier objectif de cet article est de faire ont souligné la variété des arrangements apparaître que l’usage de termes empruntés institutionnels ou organisationnels suscepti- au champ lexical de la famille pour désigner bles de permettre à une entreprise de croître les composantes d’un groupe constitue à sans devenir ingouvernable et inefficace proprement parler une métaphore (partie 2), (Thiétart et Marmonier, 1996). puis de souligner que c’est cette métaphore Il existe ainsi de multiples formes d’orga- spécifique qui a été consacrée par l’usage nisation des entreprises. Les groupes de (partie 3), avant d’explorer sa signification sociétés constituent une de ces formes (partie 4) et ses implications (partie 5). Au d’organisation (Bathel et Leibeskind, préalable, pour prendre la mesure du rôle 1998). Le groupe de sociétés est caractérisé essentiel que joue la métaphore familiale par une structure juridique particulière, mais pour saisir les rapports intra-groupe, il est la forme juridique n’est que l’instrument nécessaire de situer les groupes de d’une stratégie managériale déterminée par sociétés parmi les formes d’organisation une dynamique de croissance et par une des entreprises et de souligner la spécificité recherche d’efficience organisationnelle de ce type d’agencement organisationnel (Montmorillon, 1986). Cette forme d’orga- (partie 1). nisation des relations économiques se situe donc, sur le continuum qui va de l’entreprise intégrée au marché décentralisé, parmi les I – LA SPÉCIFICITÉ DE structures intermédiaires, plutôt du côté de L’ORGANISATION DES l’entreprise intégrée. Le degré d’intégration ENTREPRISES EN GROUPES est en effet plus fort que celui des réseaux DE SOCIÉTÉS d’entreprises indépendantes. Les réseaux, Un groupe est une entreprise qui est en effet, ne sont pas coordonnés par un composée de plusieurs entités ayant une centre de décision (comme la société mère) existence propre, mais qui sont liées entre mais gouvernés par des mécanismes de elles par une relation de dépendance à coordination qui sont notamment contrac- l’égard d’une société qui les contrôle de tuels. Les réseaux inter-firmes peuvent manière directe ou indirecte. déboucher sur la constitution de groupes Les sciences de gestion cherchent notam- lorsque les ensembles constitués d’entités se ment à comprendre comment il est possible structurent de façon hiérarchique par le biais à une organisation de se structurer de façon de prises de contrôle (Grandori et Soda, efficace pour neutraliser le mieux possible 1995). les coûts de transaction et les coûts En tant que forme d’organisation écono- d’organisation (Williamson, 1995). Ceux- mique intermédiaire entre l’entreprise inté- ci ont été mis en évidence par les grée et le marché, le groupe de sociétés économistes pour expliquer pourquoi une repose sur une coordination par les règles et,
80 Revue française de gestion – N° 301/2021 dans une moindre mesure, par une coor- indéterminées en raison des degrés de dination par les prix, lesquels sont alors liberté laissés par leur statut juridique imparfaitement déterminés par le marché d’entités contrôlées mais relativement (les prix de transfert notamment). La autonomes. Les groupes sont traversés métaphore des liens de parenté entre les par des tendances contradictoires à la sociétés d’un groupe constitue un modèle centralisation et à la décentralisation normatif de comportement qui joue un rôle (Foudriat, 2011). Il faut conjecturer que en tant que dispositif de coordination cette organisation présente des avantages complémentaire des autres modes de coor- qui justifient cette complexité et compen- dination des acteurs (règles, prix, etc.), pour sent cette tension problématique qui pour- assurer le fonctionnement de cet agence- rait rendre ces organisations instables. De ment singulier. La métaphore constitue ainsi fait, un certain nombre de groupes un type original de « convention » suscep- de sociétés ne résistent pas aux forces tible de faciliter le fonctionnement de centripètes (les entités relativement auto- l’entreprise au sens de l’économie des nomes sont en quelque sorte réintégrées, conventions (Ughetto, 2000 ; Rebérioux, comme dans le cas d’Elf par rapport au 2006) (figure 1). groupe Total) ou aux forces centrifuges La question de la contribution de la (qui débouchent sur une fragmentation du métaphore au fonctionnement des groupes groupe en plusieurs entreprises, à l’image de sociétés est importante parce que cette de Vivendi-Veolia). Mais ces évolutions forme d’organisation des entreprises sont loin d’être systématiques ni même représente un défi du point de vue de la fréquentes. Nous voudrions accréditer coordination. Les groupes de sociétés sont l’hypothèse que l’image et le modèle de en effet des structures forcément plus la famille sous-jacents aux concepts de complexes que les entreprises adossées à sociétés mères et filiales contribuent à une unique structure juridique. Les rela- rendre pensables et praticables les groupes tions entre les entités sont relativement de sociétés. Figure 1 – Le groupe de sociétés parmi les formes d’organisation des relations économiques
La métaphore familiale appliquée aux groupes de sociétés 81 II – LA STRUCTURE exemple en cas de participations croisées ou MÉTAPHORIQUE DE LA de participations circulaires. Dans ces cas, il REPRÉSENTATION FAMILIALE n’y a ni mère, ni filles. La société qui détient DES GROUPES DE SOCIÉTÉS le contrôle d’une autre société, générale- ment à travers la détention de la majorité de L’utilisation des concepts de sociétés mères son capital social, est la société « mère » et de sociétés filles pour désigner les tandis que la société ainsi contrôlée est la composantes des groupes de sociétés révèle société « fille » ou « filiale »3. Notons qu’il l’existence d’une véritable métaphore en existe d’autres techniques pour avoir le gestion. La présente partie vise à montrer contrôle d’une société comme les droits de que la caractérisation des groupes de vote doubles, des conventions de vote ou sociétés comme ensembles constitués par des formes sociétaires particulières comme une société mère qui contrôle une ou les commandites. La société mère peut ne plusieurs sociétés filles opère un déplace- pas avoir d’autre activité que de prendre des ment des concepts originellement forgés participations dans le capital d’autres dans le champ familial pour décrire adé- sociétés et on parle alors de société quatement les relations entre sociétés liées « holding ». L’existence d’un groupe de entre elles par des rapports capitalistiques sociétés repose donc sur deux conditions de conférant le contrôle de l’une sur les autres. nature juridique et vérifiées en droit français Quand peut-on peut parler d’un groupe de comme dans la plupart des autres systèmes sociétés comme d’une famille ? juridiques : premièrement, une personne Pour qu’il y ait un groupe de sociétés, il faut morale et notamment une société peut être logiquement qu’il y ait plusieurs sociétés, associée ou actionnaire d’une autre société4, qu’elles soient liées entre elles par un lien deuxièmement, la détention de la majorité qui assure leur commune appartenance à cet du capital social d’une société confère ensemble et que l’ensemble ait une exi- à la première le contrôle de la seconde stence en tant que tel. (cf. art. L. 233-3 du code du commerce, Lorsque ce lien est de nature capitalistique « considérant » 31 et art. 22 de la directive et confère à l’une des sociétés le contrôle européenne. direct ou indirect sur les autres sociétés, on Une entreprise n’est jamais d’emblée peut appliquer la métaphore de la famille. organisée en groupe de sociétés. Il y a En revanche, un groupe de sociétés ne toujours un processus de constitution d’un constitue pas une famille lorsque les groupe de sociétés. La « famille » peut se sociétés sont capitalistiquement liées sans former de deux manières principalement : que l’une d’elle ne contrôle les autres, par soit la société constitue une filiale à partir de 3. Le code de commerce donne une définition « légale » de la « filiale » : « Lorsqu’une société possède plus de la moitié du capital d’une autre société, la seconde est considérée, pour l’application du présent chapitre [consacré aux « filiales, participations et sociétés contrôlées »], comme filiale de la première » (art. L. 233-1 du code de commerce). L’expression de « société mère » est par ailleurs couramment utilisée dans la jurisprudence et dans la doctrine, ainsi que dans des textes particuliers (ex. art. 145 du code général des impôts). 4. La capacité des personnes morales dans ce domaine n’est restreinte que pour les collectivités territoriales (autorisation préalable du Conseil d’État, création de sociétés d’économie mixte, sociétés ayant pour objet l’exploitation d’un service public local, etc.).
82 Revue française de gestion – N° 301/2021 ses propres actifs et activités, le cas échéant biologique et la filiation juridique (à travers déjà succursalisés, soit elle acquiert le l’adoption par exemple). Il y a une grande contrôle d’une société existante. Dans le variabilité dans le temps et dans l’espace des premier cas, il y a constitution d’un groupe systèmes de parenté et des écarts autorisés, par filialisation qui est une forme d’engen- favorisés ou proscrits entre parenté biolo- drement ; dans le second cas, il y a gique et parenté sociojuridique que souli- affiliation de la société originellement gnent les historiens et les ethnologues. extérieure à la famille, ce qui apparente 3) Le plan des relations capitalistiques entre l’opération à une adoption. les personnes dotées de la personnalité Il y a un rapport métaphorique5 entre les juridique. Une personne, y compris une relations familiales (lien de parenté entre personne morale, peut être propriétaire une mère et sa ou ses filles) et l’organisation d’actions émises par une société. Cette d’un groupe de sociétés (lien entre la société relation est de prime abord de nature contrôlaire et la ou les sociétés contrôlées). patrimoniale – elle est de l’ordre de l’avoir Il convient de préciser que la métaphore repose – mais dans le cas où cette participation sur une mise en relation de plans ayant des donne à l’actionnaire la majorité en degrés de réalité ou des natures différents. On assemblée générale ordinaire, la relation doit ainsi distinguer quatre plans : patrimoniale se double d’une relation inter- 1) Le plan « naturel » des relations biolo- personnelle : la personne qui détient la giques entre les êtres humains. Il y a majorité du capital de la société en devient la « filiation » biologique lorsqu’une per- contrôlaire. Cette situation de fait est sonne possède en partie le patrimoine d’ailleurs spécifiquement reconnue par le génétique d’une autre personne (le géniteur droit comme on l’a noté. ou la génitrice). Généralement, le terme de 4) Le plan des relations « familiales » filiation n’est pas utilisé, en tout cas pas projetées dans le système des relations sans un qualificatif (« naturelle », « biolo- capitalistiques entre les personnes morales, gique », etc.), de manière à réserver la qui conduit à parler des sociétés mères et filiation tout court et le champ lexical de la fille(s) par analogie avec les relations de parenté aux relations reconnues socialement parenté reconnues en « droit de la famille », ou juridiquement. lequel ne concerne à strictement parler que 2) Le plan des relations familiales entre les les personnes physiques (figure 2). êtres humains déterminées par les normes Il faut noter que seule une partie du référent juridiques et sociales applicables à la ou phore (la famille juridique entre les famille6. Les relations de parenté sont personnes physiques) est exploitée dans la déterminées par des règles qui peuvent construction métaphorique du thème (les créer un décalage entre la filiation relations entre sociétés mère et filles). 5. Selon Dumarsais dans son Traité des Tropes (Dumarsais, 1730), la métaphore est « une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit ». 6. Dans certaines régions ou communautés, les règles régissant les relations familiales ne relèvent pas du droit étatique mais de la coutume ou de normes religieuses. Nous n’avons pas connaissance de sociétés qui ne posséderaient pas de règles régissant la parenté distinctes des seuls rapports de fait de nature biologique.
La métaphore familiale appliquée aux groupes de sociétés 83 Figure 2 – Les projections constitutives de la métaphore familiale des groupes de sociétés Les termes les plus courants, comme nous fille, voire petite-fille, sœur, etc.). Les l’avons vu, sont le couple mère/fille(s). Mais groupes de sociétés sont des sociétés (au il est possible de filer la métaphore. Ainsi la sens ethnologique du terme) strictement filiale d’une filiale est une sous-filiale mais « matrilinéaires » (Cozian et al., 2020). Les peut aussi être qualifiée de société « petite- sociétés des groupes apparaissent même fille » de la société « grand-mère ». Deux comme des sortes d’amazones dans la filiales d’une même société sont des sociétés mesure où les figures masculines sont « sœurs ». On peut même parler de sociétés totalement absentes de cet univers. Cela « jumelles » dans le cas, par exemple, des apparaît d’ailleurs comme une limite de la deux sociétés, l’une française, l’autre métaphore familiale. Les groupes de socié- anglaise, « Eurotunnel » exploitant le tun- tés apparaissent en définitive comme une nel sous la Manche. Les sous-filiales d’un « drôle de famille » où les pères et les fils même groupe peuvent être considérées n’existent pas ! On pourrait objecter que comme des sociétés « cousines », comme l’on parle de mères et de filles pour les le souligne par exemple Cozian et al. accorder en genre au substantif « société » (2020). Ces expressions sont utilisées mais qui est féminin. Mais cette explication n’est moins couramment que celles de sociétés pas suffisante. Les entités d’un groupe mères et filiales, de sorte que la dimension susceptibles d’être désignées par des termes métaphorique est alors plus apparente. Ce masculins ne donnent pas lieu à une variante ne sont plus des catachrèses. au masculin. On ne dit pas par exemple Enfin, il apparaît que l’importation de qu’un groupe contrôlé par une société mère concepts empruntés aux relations familiales est un « groupe fils » ! On dit qu’un club de pour désigner les composantes d’un groupe football est le « club filiale » d’un autre de société est sélective. Ce n’est pas tout le club, sans accorder dans ce cas le nom à champ lexical de la famille qui est exploité valeur d’adjectif « filial » au masculin qui dans cette métaphore, mais seulement les est le genre du substantif « club ». Il en va références à des figures féminines (mère, de même au demeurant dans les langues qui
84 Revue française de gestion – N° 301/2021 ne connaissent pas la différence entre les sociétés qui sont liées entre elles par un genres masculin et féminin appliquée aux rapport de dépendance ménageant un noms communs. Ainsi en anglais, si certain degré d’autonomie. l’expression « daughter company » est Théoriquement, on peut imaginer toute une moins usuelle que celle de subsidiaries, série de métaphores alternatives, dont on notera qu’il n’existe en tout cas pas de certaines sont par ailleurs utilisées en « son company », ni de « father sciences de gestion : company », mais seulement l’expression – Usant de métaphores politiques, on pour- neutre de « parent company »7. La méta- rait dire que la société mère est comme une phore des sociétés mères et des sociétés métropole par rapport à ses colonies ou que filles est donc non seulement une métaphore les filiales sont des seigneuries vassales familiale, mais aussi une métaphore stricte- soumises à un suzerain. On pourrait aussi ment féminine. On notera que la féminité de souligner que les sociétés d’un groupe sont l’organisation contraste avec la masculinité comme les États fédérés d’une fédération encore prévalente des dirigeants et des qui comprendrait aussi une capitale fédérale modes de management (on parle ainsi à sa tête. d’un P-DG plus volontiers que d’une – Usant d’une métaphore patrimoniale, on « pédégère » et on qualifie un style de peut dire que la société contrôlaire possède management de « paternaliste »…). sa filiale comme un maître possède un esclave. Ce dernier est un être distinct du premier, mais il lui appartient. III – UNE MÉTAPHORE – Usant d’une métaphore astrophysique, on CONSACRÉE PAR L’USAGE pourrait dire que les groupes de sociétés Parler des sociétés comme des membres s’organisent comme un système solaire où d’une famille n’est pas une métaphore parmi des planètes gravitent autour d’un soleil et d’autres. C’est la métaphore qui s’est où des lunes peuvent elles-mêmes graviter imposée pour décrire les groupes de autour des planètes. sociétés, du moins dans le contexte franco- – Usant d’une métaphore optique, on peut phone comme on l’a noté. dire qu’une société est appréhendée avec Il y a un intérêt pratique évident à utiliser la une autre société, comme si la première était métaphore familiale pour désigner les transparente par rapport à la seconde. Cette sociétés mères et les sociétés filles plutôt métaphore joue un rôle non négligeable en que de recourir à des périphrases lourdes et matière fiscale où l’on distingue la trans- mal commodes : « société détenant la parence, la translucidité et l’opacité fiscale. majorité de… » ou « société dont le capital – Usant d’une métaphore musicale, on peut est détenu majoritairement par… ». dire que chaque société joue sa partition, Comprenons la contrainte linguistique et mais que ce qui compte c’est l’harmonie pratique : il s’agit de trouver un ou des mots produite par les instrumentistes jouant tous pour rendre compte de la situation de ensemble sous la baguette d’un chef 7. Si le modèle d’organisation de certaines entreprises sous la forme de groupes de sociétés est universel, la métaphore familiale qui en rend compte, en langue française, n’est pas aussi universel.
La métaphore familiale appliquée aux groupes de sociétés 85 d’orchestre. La métaphore musicale est en ensemble au sens de la théorie des réalité surtout utilisée pour évoquer le ensembles, que des sous-ensembles sont contrôle conjoint exercé par des entités compris dans l’ensemble et qu’il existe des distinctes, ce qu’on appelle une « action de relations au sens mathématique du terme concert ». entre les éléments, les parties et l’ensemble – Usant d’une métaphore hydraulique, on englobant. peut dire qu’un groupe de sociétés est Parmi les multiples métaphores conceva- comme un fleuve qui se divise en une bles, on observe finalement que certaines ne multitude de bras pour former un delta, ou sont guère employées en pratique (par inversement comme un réseau de ruisseaux exemple la métaphore fédérale), d’autres et de rivières qui conduisent des flux (de ne sont employées que dans un domaine très bénéfices par exemple) jusqu’à un fleuve particulier (comme la métaphore optique en (l’entité consolidante). Une variante arbo- fiscalité), d’autres encore sont employées de ricole de cette métaphore pourrait exister : façon partielle. On dit ainsi volontiers le groupe serait constitué d’un tronc qui se qu’une entreprise « essaime », mais pas divise en branches qui elles-mêmes possè- pour autant que les entreprises sont des dent des ramifications, etc. Cette métaphore ruches ou des abeilles. On dit que la société arboricole est utilisée en gestion à un niveau mère est la tête du groupe, mais on ne dit pas macroéconomique pour désigner les bran- pour autant que les divisions du groupe sont ches sectorielles, mais pas à l’échelle des des « membres ». entreprises. Notons enfin que la métaphore de l’arbre – Usant d’une métaphore géographique et n’est guère utilisée dans la communication administrative, on peut se représenter un discursive : on ne dit pas qu’un groupe est groupe de sociétés comme une aggloméra- composé d’un tronc et de branches, de tion qui possède un centre-ville autour rameaux, etc. En revanche, l’arbre joue un duquel prennent place des communes rôle majeur dans la représentation graphique périphériques ou comme un État souverain de la métaphore familiale : les groupes sont composé de régions et de départements qui très volontiers représentés par l’image d’un en dépendent tout en ayant une certaine arbre… généalogique. La similitude entre autonomie. les organigrammes des groupes (Pesqueux, – Usant d’une métaphore biologique, on 2002, p. 37) et les arbres généalogiques peut dire que la société mère est comme la descendants des familles n’est en effet tête du groupe qui est aussi composé nullement fortuite. Dans les deux cas, il d’autres membres et organes. s’agit de représentations graphiques codi- – Usant d’une métaphore animalière, on fiées destinées à permettre une visualisation peut dire qu’une société mère est comme aisée de relations conçues sur le modèle de une ruche qui essaime pour donner nais- la parenté. Les entités élémentaires sont les sance à une nouvelle société d’abeilles qui personnes, physiques ou morales, entre en sera issue tout en ayant son existence lesquelles il existe des relations, représen- propre. tées par des « lignes », « directes » ou – Usant d’une métaphore mathématique, on « collatérales », avec une convention peut dire que les sociétés forment un conduisant généralement à placer les
86 Revue française de gestion – N° 301/2021 générations les plus anciennes (parents) en la notion de société employée de préférence haut par rapport aux générations plus jeunes à celle d’entreprise, de site ou d’établisse- (enfants / sociétés filles). ment. La métaphore familiale prolonge et En fin de compte, deux métaphores domi- corrobore la théorie des « entreprises en nent en se combinant : la métaphore sociétés » (par opposition aux entreprises mathématique et la métaphore familiale. individuelles) (Didier, 1993) analysées Les « groupes » de sociétés sont des comme des « personnes », qualifiée de groupes au sens mathématique du terme, « personnes morales » par opposition aux mais seul le terme de groupe est utilisé (en « personnes physiques » (les êtres pratique, on ne parle pas de sous-groupes, ni humains). de singletons, etc.). Pour désigner les Il est essentiel de comprendre que la composantes du groupe, on utilise très métaphore utilisée en gestion pour désigner largement les termes de mères et de filiales, commodément les composantes d’un alors que l’ensemble est rarement désigné groupe est issue d’une conceptualisation comme une famille mais plutôt comme un juridique qui contribue puissamment à lui groupe ou comme une entreprise. donner son sens. L’image de l’entreprise Les entreprises organisées en groupes de organisée en groupe de sociétés est un sociétés sont donc principalement décrites à prolongement de la théorie de la personni- travers le champ lexical des relations fication juridique des sociétés, d’une part, et familiales matrilinéaires, associé au concept de la théorie classique du patrimoine, de groupe qui vient quant à lui plutôt des d’autre part, ce qui contribue à souligner mathématiques. Les autres métaphores la dimension personnaliste du groupe de jouent un rôle marginal ou résiduel. L’usage sociétés saisi à travers la métaphore de la consacre ainsi la métaphore se référant aux relation mère-fille(s). Il en ressortira que les relations de parenté et cette métaphore entreprises organisées en groupes de socié- usuelle a été adoptée par le législateur. tés sont conçues comme des personnes entre lesquelles il existe des relations hiérarchi- ques sur le modèle générationnel. IV – LA MÉTAPHORE FAMILIALE Pour comprendre le sens que peut avoir le DES GROUPES DE SOCIÉTÉS fait de désigner les composantes d’un COMME PROLONGEMENT groupe comme les membres d’une famille, DE LA THÉORIE PERSONNALISTE il est utile de faire un détour par la théorie Après avoir caractérisé la métaphore fami- fondamentale du droit. Le droit applicable liale employée pour désigner les sociétés aux entreprises est très largement dépendant d’un groupe, il est utile de comprendre d’où de la représentation du monde qui est issue vient cette métaphore pour en saisir la du droit romain et qui s’est actualisée dans signification spécifique. La métaphore fami- les systèmes juridiques contemporains, en liale appliquée aux entreprises organisées en particulier ceux de la tradition civiliste, sans groupes trouve conceptuellement son ori- être profondément altérée par une histoire gine dans la théorie juridique. La métaphore plus que bimillénaire. Classiquement, l’uni- familiale appliquée aux groupes de sociétés vers juridique est divisé en deux grandes conserve une connotation juridique, comme catégories de phénomènes : les sujets de
La métaphore familiale appliquée aux groupes de sociétés 87 droit et les objets de droit, autrement dit, les « un mensonge de la loi, consistant à faire personnes et les choses. Le droit qualifie les comme si, à supposer un fait contraire à la phénomènes, la plupart du temps de façon réalité en vue de lui faire produire un effet de binaire (on est soit une chose, soit une droit » (Cornu, 2020). En l’occurrence, le personne…). Le droit définit ensuite des droit assimile, aux termes d’une analogie relations entre les choses (par exemple la forcée, les groupements-personnes morales commune affectation), entre les personnes aux êtres humains-personnes physiques dans (par exemple la créance ou l’instance) ou le but de reconnaître aux sociétés notamment entre les personnes et les choses (par la capacité générale d’avoir des droits et des exemple la propriété). obligations. La métaphore de la famille De façon simplifiée, on peut représenter appliquée au groupe de sociétés prolonge l’univers juridique à travers l’arborescence et corrobore la fiction anthropomorphique de présentée figure 3. la personnalité morale des sociétés. Elle a Cette représentation permet de mettre en pour effet de souligner l’altérité de la filiale évidence que la métaphore familiale appli- par rapport à la société mère (puisque ce sont quée aux groupes de sociétés correspond à bien, du point de vue du droit, deux une extension du système conçu pour les personnes distinctes), par contraste notam- personnes physiques aux personnes morales. ment avec une représentation qui montrerait Le fait de traiter un certain nombre de les sociétés d’un groupe comme des parties groupements (notamment les sociétés imma- contiguës mais réifiées au sein de triculées) comme des personnes morales, l’organisation. c’est-à-dire comme des personnes juridiques, La deuxième racine juridique de la méta- alors même que ce ne sont pas des êtres phore familiale réside dans la théorie humains est techniquement, du point de classique du patrimoine élaborée par vue du droit, une fiction, c’est-à-dire deux juristes, Aubry et Rau, à la fin du Figure 3 – Schéma de l’univers juridique
88 Revue française de gestion – N° 301/2021 XIXe siècle à partir de quelques articles du capital d’une autre société, l’une (la mère) Code civil qu’ils ont interprétés de façon contrôle l’autre (la fille). Elles ne sont donc remarquablement créative. Cette théorie pas sur le même plan, tout comme les peut être résumée de la manière suivante : parents n’appartiennent jamais à la même toute personne a un patrimoine et un seul ; génération que leurs enfants. L’affiliation ce patrimoine est composé d’un actif (les correspond à une relation originale et subtile biens et créances) et d’un passif (les combinant une certaine autonomie (puis- dettes) ; l’actif répond du passif de la qu’il s’agit de deux personnes différentes et personne. Cette théorie entretient évidem- libres) et une certaine emprise ou autorité de ment une grande proximité avec la théorie l’une sur l’autre (cette ascendance de la comptable, singulièrement le bilan. Ce qu’il mère sur la fille fait écho à l’autorité faut retenir de la théorie du patrimoine, pour parentale). On commence à saisir ici les besoins de notre étude, c’est qu’il existe l’originalité et la subtilité de la relation de une relation très intime entre le patrimoine société mère à société fille : ce qui lie une et la personne. Le patrimoine est la mère à sa fille, ce n’est pas une relation de projection de la personne dans l’ordre des possession ou une relation de puissance biens. Mais la vision inverse est également souveraine, mais une autorité laissant de la possible : une relation patrimoniale peut place à de l’autonomie. Cette relation est à créer une relation personnelle spécifique. vrai dire si subtile que le concept de La métaphore familiale appliquée aux « contrôle » en rend moins bien compte groupes de sociétés est fondée sur le fait que celui d’« autorité maternelle », dont il qu’une relation patrimoniale (la détention resterait à faire la théorie en gestion. d’actions émises par une autre personne) Il ressort de l’examen des racines juridiques peut donner naissance à une relation de la métaphore familiale que les relations personnelle. Plus précisément, la relation entre les sociétés d’un groupe sont fonda- inter-patrimoniale entre l’actionnaire et la mentalement conçues sur un mode inter- société émettrice des actions donne nais- personnel et hiérarchisé, alors que la sance à une relation interpersonnelle tout à tentation est grande de concevoir les fait singulière. Ordinairement, une relation relations entre la société mère ou le groupe inter-patrimoniale tenant à une obligation et la filiale sur le mode de l’appropriation (la personnelle est le corrélat d’une relation de société mère « possède » la fille) ou de créancier à débiteur. Et bien sûr, juridique- l’équi-appartenance (les sociétés « font ment, on peut voir les choses comme cela : partie » du groupe). La métaphore familiale la société qui détient des actions d’une filiale n’est pas neutre : elle nous conduit à voir les est, comme tout actionnaire, dans une groupes de sociétés d’une certaine manière. position de créancière (plus précisément de « créancière résiduelle » selon la théorie V – LES EFFETS STRUCTURANTS de l’agence) vis-à-vis de cette filiale. Mais DE LA MÉTAPHORE en droit des sociétés s’ajoute une autre relation beaucoup plus caractéristique : une La métaphore de la famille appliquée aux relation de dépendance et de contrôle. Dès groupes de sociétés n’est pas simplement un lors qu’une société détient la majorité du moyen commode de désigner les entités
La métaphore familiale appliquée aux groupes de sociétés 89 constitutives du groupe, elle a aussi un effet de s’y retrouver. Par exemple, un salarié structurant aussi bien pour les chercheurs recruté par une sous-filiale d’un grand que pour les acteurs du monde des groupe pourra légitimement s’interroger entreprises. Comme le souligne Morgan, sur la question de savoir pour qui au juste, (1999, p. 340), « les métaphores créent des il est censé travailler (la société avec façons de voir et de modeler la vie de laquelle il a signé un contrat de travail, la l’organisation ». L’image de la famille et division à laquelle appartient cette entité ou des relations entre mère et filles permet à la bien le groupe qui les englobe…). La fois aux acteurs économiques de l’entreprise métaphore de la famille apporte une réponse de comprendre intuitivement leur place dans à ce genre d’interrogation et constitue un une organisation complexe et d’orienter les ancrage cognitif familier (car tout le monde comportements dans un contexte concret sait à peu près ce que c’est qu’une famille). d’action comportant des marges de liberté, Tout d’abord, l’image de la famille permet de l’incertitude et des tensions possibles. La dans une certaine mesure de tracer une métaphore apparaît ainsi comme une res- limite entre l’intérieur et l’extérieur de source organisationnelle (Pesqueux, 2002). l’entreprise. Une société contrôlée fait partie La situation d’une entreprise organisée en « de la famille » puisque c’est une filiale, groupe de sociétés est plus complexe que tandis qu’une société dans laquelle une autre celle d’une entreprise intégrée (où chacun société ne détient qu’une participation est censé obéir à la direction), d’une part, et minoritaire, voire un simple placement, à celle d’un marché (sur lequel chacun est « ne fait pas partie de la famille ». Ensuite, censé participer à l’échange en fonction de l’image de la famille donne le sens de la ses intérêts personnels), d’autre part. Dans hiérarchie existant dans le groupe : c’est la le cas d’une entreprise organisée en groupe « mère » qui a autorité sur les « filles » de sociétés, il n’est donc pas aisé pour les (même si cette idée est inspirée par une acteurs de savoir où ils se situent (dans le conception peut-être un peu datée de la groupe ou dans ses composantes ?) et famille…) (Baudry et Tinel, 2003). Au-delà comment ils doivent agir (dans l’intérêt de la métaphore langagière, l’image de la du groupe ou dans l’intérêt de la filiale ?). famille peut faire l’objet de représentation Analytiquement, la situation relative des graphique avec l’organigramme-arbre filiales par rapport à la société mère est assez généalogique, comme on l’a noté (il s’agira obscure, car elle dépend d’une combinaison alors d’une projection de la projection). complexe de règles relevant du droit des L’organigramme du groupe est un outil sociétés (la règle de la majorité notamment, précieux pour permettre aux acteurs internes ou celle de l’autonomie juridique des et mêmes externes à l’entreprise, de se personnes morales), des valeurs mobilières repérer face à une réalité aussi complexe (les droits attachés aux actions susceptibles qu’un groupe de sociétés. Finalement, la de conférer le contrôle), des contrats (qui métaphore familiale permet d’avoir une idée permettent l’acquisition des actions et même intuitive et synthétique des rapports entre les du contrôle, alors qu’en tant que personne, entités dans les entreprises qui ont adopté ce une société n’est pas appropriable, etc.). Il type d’organisation. Cette fonction cogni- est donc bien difficile à un non-spécialiste tive de la métaphore n’est pas négligeable.
90 Revue française de gestion – N° 301/2021 Pour autant, la métaphore de la famille a rendre compte d’une construction aussi l’avantage d’offrir un cadre souple complexe, caractérisée par le fait qu’une pour se représenter l’entreprise et dresser entité contrôle d’autres entités au sein d’un des typologies. Comme l’expérience per- ensemble, tout en leur reconnaissant un sonnelle, la sociologie et l’anthropologie certain degré d’autonomie. Mais c’est nous l’enseignent, il existe une multitude de incontestablement la métaphore de la types de familles. De même, les entreprises parenté entre la société mère et ses filles adoptant la forme du groupe de sociétés qui s’est imposée, à la fois dans le langage pour se structurer juridiquement et organi- courant, dans le discours des acteurs de la sationnellement, peuvent être très différen- vie des affaires et dans la littérature tes les unes des autres. Du seul point de vue académique. Cette métaphore accède même de l’intensité du contrôle exercé par la au statut de concept normatif dans la mesure société mère sur ses filiales et sous-filiales, où le législateur français la reprend à son on observe des variations considérables compte. Dès lors, la métaphore de la parenté d’un groupe à l’autre. À l’échelle d’un n’est pas une image parmi d’autres, mais la même groupe, le contrôle exercé par l’entité façon adéquate de parler d’un groupe. de tête sur les autres composantes de Au-delà de son utilité descriptive, la l’entreprise, peut évoluer dans le temps, métaphore familiale appliquée aux groupes en fonction des circonstances, de la per- de sociétés fait figure d’instrument concep- sonnalité des managers ou des mouvements tuel qui permet de penser le groupe, et même de capitaux. Ainsi, la présence au capital dans une certaine mesure, de prédire ou d’une filiale d’un actionnaire minoritaire qui d’expliquer son fonctionnement. L’intérêt « n’est pas de la famille » incline à respecter du modèle familial qui découle de la l’autonomie et les processus de décision au métaphore des rapports mère-filles est niveau de la filiale, tandis qu’une filiale d’offrir aux acteurs économiques et aux contrôlée à 100 % sera plus volontiers observateurs une référence familière pour « pilotée » directement par les dirigeants saisir une configuration qui peut paraître de la société contrôlaire. La métaphore de la déroutante (les rapports contradictoires de la famille est donc tout à fait compatible avec société mère à ses filiales à la fois contrôlées la souplesse et la plasticité des techniques et autonomes). Cet article a donné quelques d’organisation des entreprises, cherchant à exemples du rôle original que peut jouer en combiner les principes de différenciation et l’occurrence une métaphore comme dis- d’intégration (Foudriat, 2011, p. 39). positif de coordination. Mais la métaphore familiale, comme la métaphore personna- liste qu’elle prolonge, ont une fécondité plus CONCLUSION importante. La métaphore ne demande qu’à La désignation des composantes d’une continuer à être filée, tout en gardant à entreprise organisée en groupe de sociétés l’esprit que ce n’est qu’une métaphore et à travers des termes empruntés au champ que le parallèle entre les membres d’une lexical de la famille apparaît comme une famille (de personnes physiques) et les métaphore de référence. En théorie, d’autres entités constituant un groupe de personnes images auraient pu être mobilisées pour morales n’est pas parfait.
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