La naissance du projet Arpège-IFS à Météo-France et au CEPMMT

 
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La naissance du projet Arpège-IFS à Météo-France et au CEPMMT
La Météorologie - n° 112 - février 2021                                                                                           35

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                                          La naissance du projet
                                          Arpège-IFS à Météo-France
                                          et au CEPMMT
                                          Jean Pailleux1, Jean Coiffier1, Philippe Courtier2, Emmanuel Legrand3
                                          1. Météo et Climat
                                          2. Ancien de Météo-France et du CEPMMT
                                          3. Météo-France, ancien responsable du service Prévi/Compas

                                          jean.pailleux@free.fr

                                          C
                                                et article couvre la période de
                                                dix ans (1985-1995) correspon-
                                                dant à la transition du système
                                          de prévision numérique de Météo-
                                          France depuis le système Émeraude-
                                          Péridot vers le système Arpège.
                                          Jean-François Geleyn est le respon-
                                          sable du groupe de prévision numé-
                                          rique français, groupe qu’il a rejoint
                                          en 1983, après avoir travaillé plus de
                                          7 ans à Reading (Royaume-Uni) sur le
                                          développement du premier modèle du
                                                                                      Figure 1. L’ordinateur Cray-2 utilisé à Météo-
                                          CEPMMT. Ce groupe, appelé d’abord
                                                                                      France de 1987 à 1992. En arrière plan,
                                          EERM/CRMD1, déménage de Paris à             l’ordinateur Cray C98 qui lui a succédé à partir
                                          Toulouse en septembre 1991, date à la-
Résumé                                    quelle il est renommé CNRM/Gmap2
                                                                                      de 1993. Photo : Météo-France, J.-M. Destruel.

                                          dans l’organigramme de Météo-
À Météo-France, la décennie 1985-         France.                                     au CEPMMT ou le modèle Émeraude,
1995 a vu une profonde transforma-                                                    en particulier l’étude de schémas nu-
tion de la prévision numérique du         En 1985 les systèmes globaux de prévi-      mériques semi-lagrangiens comme al-
temps (PNT) qui a d’abord conduit         sion du CEPMMT et de Météo-France           ternative aux schémas eulériens ;
au remplacement des modèles de            sont assez semblables dans leurs as-        – l’utilisation des données satellitaires
prévision opérationnels Émeraude          pects scientifiques et les équipes          (en particulier celles des sondeurs
et Péridot par Arpège et Aladin.          s’accordent sur les pistes visant à les     Tovs3) dans l’assimilation ;
Dans la même période, un vaste            améliorer ou les transformer. Cette si-     – l’approfondissement des études por-
programme de recherche et de dé-          militude est due à une étroite collabo-     tant sur les schémas d’assimilation va-
veloppement a été lancé conjointe-        ration scientifique entre Météo-France      riationnelle, schémas vus comme un
ment avec le CEPMMT concernant            et le CEPMMT. Jean-François Geleyn          moyen de remédier à des déficiences
l’initialisation des modèles par des      a beaucoup contribué à développer           des chaînes opérationnelles d’assimi-
techniques d’assimilation de don-         et maintenir cette étroite collabora-       lation fondées sur « l’interpolation op-
nées dites « variationnelles ». Cette     tion quand il a travaille au CEPMMT         timale » et l’initialisation des modèles
période a été aussi marquée par un        (jusqu’au début 1983), puis quand il a      par « modes normaux ».
virage vers beaucoup plus de coopé-       rejoint Météo-France à Paris. Depuis
ration entre institutions travaillant     1988, le modèle Émeraude est exploité       En 1988, Météo-France a commencé à
sur la PNT dans les différents pays       sur un calculateur Cray-2 (figure 1), de    préparer la succession d’Émeraude et
européens. Jean-François Geleyn           la même famille que les calculateurs        de Péridot avec le projet Arpège, alors
s’est trouvé en première ligne de         du CEPMMT.
cette profonde transformation, tou-                                                   1. Établissement d’études et de recherches mé-
jours impliqué dans les décisions         Les principaux sujets faisant alors l’ob-   téorologiques/Centre de recherche en météoro-
stratégiques, mais aussi souvent im-      jet d’une réflexion commune sont les        logie dynamique.
                                                                                      2. Centre national de recherches météorolo-
pliqué comme expert dans les études       suivants :                                  giques/Groupe de modélisation et d’assimila-
et développements touchant plu-           – l’efficacité des modèles spectraux        tion pour la prévision.
sieurs aspects scientifiques.             globaux tels que le modèle opérationnel     3. Tiros operational vertical sounder.
La naissance du projet Arpège-IFS à Météo-France et au CEPMMT
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Abstract                                  piloté par Michel Rochas. Philippe
                                          Courtier travaille au CEPMMT de-             Aspects scientifiques
                                          puis plus d’un an ; il a pu y importer
The birth of the Arpège-IFS
project at Météo-France
                                          les idées résultant de son travail de        Un modèle spectral
                                          fin d’étude sur « l’analyse variation-
and at ECMWF                              nelle par modèle adjoint », qu’il a ef-      dans la continuité
                                          fectué en 1983-1984 sous la direction        du modèle Émeraude
At Météo-France, the 1985-1995            d’Olivier Talagrand du Laboratoire de
decade was marked by a com-               météorologie dynamique (Courtier et          Pour le modèle Arpège-IFS, la tech-
plete transformation of Numerical         Talagrand, 1987). Plusieurs chercheurs       nique spectrale inaugurée à Météo-
Weather Prediction (NWP) which            en France et au CEPMMT s’efforcent           France par Sisyphe, puis prolongée par
led first to the replacement of the       d’améliorer l’utilisation des données        Émeraude, est reconduite. Elle consiste
operational models Émeraude and           satellitaires, en explorant toutes les       à effectuer une partie des calculs dans
Péridot by Arpège and Aladin. In          pistes, y compris le développement           un espace dont la base de fonctions
the same period, a large research         d’une assimilation variationnelle.           est constituée par les « harmoniques
and development programme was                                                          sphériques » sur la sphère terrestre
initiated jointly with ECMWF on           La convergence des différentes préoc-        (Coiffier, 2011, page 61). L’autre par-
model initialisation through so-          cupations scientifiques conduit alors        tie des calculs s’effectue sur une grille
called “variational” assimilation         Météo-France et le CEPMMT à dé-              latitude-longitude dite « grille de col-
techniques. This period was also          buter officiellement une coopération         location ». La technique d’intégration
marked by an important change             autour d’un système logiciel commun,         semi-implicite est utilisée comme dans
towards closer cooperation between        Arpège-IFS, intégrant le codage d’un         Émeraude et Péridot.
the different institutions working on     nouveau modèle de prévision global
NWP in European countries. Jean-          et spectral, associé à tous les outils       La résolution horizontale d’un tel mo-
François Geleyn was instrumental          numériques permettant de couvrir             dèle spectral est caractérisée par le
in this complete transformation of        ces sujets scientifiques communs.            nombre d’ondes n que l’on peut repré-
NWP. He was always involved in the        IFS (Integrated Forecasting System)          senter dans la base des harmoniques
strategic decisions, but also as an ex-   est le nom du modèle de prévision du         sphériques limitée à une troncature
pert in the studies and developments      CEPMMT et Arpège-IFS désigne à la            triangulaire notée Tn. Ainsi, la réso-
on several scientific aspects.            fois l’ensemble logiciel et le projet coo-   lution spectrale du modèle Émeraude
                                          pératif qui l’a conçu et développé.          est T79, alors que la grille de colloca-
                                                                                       tion associée a une maille moyenne de
                                          Dès 1990, Météo-France et Jean-              l’ordre de 150 km. La première version
                                          François Geleyn lancent un nouveau           opérationnelle du modèle Arpège en
                                          projet coopératif, Aladin, qui se pré-       septembre 1992 reproduit cette réso-
                                          sente comme une extension du projet          lution T79. Elle augmente progressi-
                                          Arpège-IFS visant à modéliser l’atmos-       vement jusqu’à T149 en octobre 1995,
                                          phère sur des domaines à aire limitée,       profitant des autres développements
                                          en plus du modèle global. Le projet          scientifiques et techniques.
                                          Aladin est initié en coopération étroite
                                          avec une dizaine de pays d’Europe cen-       La technique spectrale peut s’adap-
                                          trale et orientale (Horányi et Brožková,     ter à un domaine limité moyennant
                                          2021). Le système logiciel Aladin s’ap-      quelques adaptations du système logi-
                                          puie sur le même code Fortran qu’Ar-         ciel, du moins tel qu’il est programmé
                                          pège-IFS (modélisation globale), mais        dans Arpège-IFS. Cette propriété per-
                                          s’y rajoutent les parties de code spéci-     met à Jean-François Geleyn d’initier
                                          fiques pour traiter des domaines limi-       le projet coopératif Aladin en 1990,
                                          tés. C’est le début d’une vie foisonnante    quand le contexte géopolitique appa-
                                          pour la prévision numérique du temps         raît favorable.
                                          en Europe. Ainsi, Aladin connaît des
                                          utilisations opérationnelles en Europe
                                          dès 1994 ; il se munit rapidement d’une
                                                                                       Une maille variable
                                          « option non hydrostatique » permet-         resserrée autour d’une zone
                                          tant de modéliser des échelles plus          géographique d’intérêt
                                          petites, il génère pendant plusieurs
                                          décennies des projets nationaux ou           Avant le lancement du projet commun
                                          internationaux dans lesquels on re-          Arpège-IFS (figure 2), Courtier et
                                          trouve souvent Jean-François Geleyn          Geleyn (1988) ont étudié un concept de
                                          au cœur de l’action (Bénard, 2021 ;          maille variable sur la sphère, concept
                                          Termonia et Pottier, 2021). Le présent       bien adapté à la technique spectrale
                                          article décrit plus spécialement l’évolu-    déjà en place. La méthode consiste à
                                          tion d’Arpège-IFS depuis sa naissance        appliquer une transformation géomé-
                                          jusqu’à ses premiers débuts opération-       trique conforme à la sphère terrestre
                                          nels à Météo-France et au CEPMMT.            dans laquelle le pôle Nord géogra-
                                          La suite de l’évolution d’Arpège après       phique est basculé en un autre point
                                          1995, en particulier ses débouchés opé-      du globe (pôle d’intérêt). Ainsi, la
                                          rationnels en assimilation, sont abordés     nouvelle grille latitude-longitude est
                                          dans Bouyssel et al. (2021).                 étirée de façon à avoir une résolution
La naissance du projet Arpège-IFS à Météo-France et au CEPMMT
La Météorologie - n° 112 - février 2021                                                                                                         37

maximale au pôle d’intérêt, résolu-
tion diminuant régulièrement jusqu’à
l’antipode. Cette technique de maille
variable est aisée à mettre en œuvre,
car elle se traduit par l’adjonction
d’un facteur d’échelle dans les équa-
tions. Elle est utilisée dans le système
Arpège-IFS dès le début du projet sous
la forme d’une option. À ce jour, cette
option n’a jamais été utilisée opéra-
tionnellement au CEPMMT, alors qu’à
Météo-France elle est utilisée pour la
prévision quotidienne depuis octobre
1993.
La résolution horizontale variable est
caractérisée par le facteur c qui est le
rapport de la résolution maximale (au
                                           Figure 2. Documents de travail utilisés à Météo-France lors du lancement du projet Arpège. Crédit :
pôle d’intérêt) à la résolution moyenne    Pascal Marquet.
(sur l’équateur de la sphère transformée
par étirement). Entre les résolutions      la configuration numérique des diffé-              entre les modèles. Cette interface n’a
maximale et minimale, le rapport est       rents modèles Arpège opérationnels à               pas pu être mise en place par manque
égal à c2. Une absence d’étirement cor-    partir de septembre 1992 sont donnés               de consensus des experts concernés.
respond à c = 1. La première utilisation   dans Pailleux et al. (2015).                       Deux jeux de paramétrisations phy-
opérationnelle d’Arpège étiré a lieu en                                                       siques cohabitent donc dans le sys-
octobre 1993 avec un facteur d’étire-                                                         tème, l’un pour le modèle Arpège,
ment de 3,5 associé à une résolution       Les paramétrisations                               l’autre pour le modèle IFS.
T95. Cette configuration « T95/c3.5 »
d’Arpège permet alors de remplacer à
                                           physiques
la fois Émeraude et Péridot sans perte     Par rapport aux paramétrisations                   Développement
de résolution horizontale sur la France
et sans faire appel à un modèle à aire
                                           physiques utilisées dans Émeraude                  de modèles linéaires
                                           et Péridot (Coiffier et al., 2021), deux
limitée pour remplacer Péridot.            axes de développement sont à mettre                tangents et adjoints
                                           en œuvre pour le projet Arpège :                   C’est l’assimilation variationnelle
                                           – adapter les différentes paramétrisa-
Schémas                                    tions physiques pour qu’elles restent
                                                                                              qui a déclenché le besoin de dévelop-
                                                                                              per des modèles linéaires tangents
numériques eulériens                       réalistes sur la vaste gamme d’échelles            et adjoints (voir encadré) associés à
et semi-lagrangiens                        horizontales susceptibles d’être utili-
                                           sées par un modèle Arpège à maille
                                                                                              un modèle de prévision (Le Dimet et
                                                                                              Talagrand, 1986). C’est ce besoin qui
Traiter dans les équations les termes      variable ;                                         a conduit Mats Hamrud et Philippe
d’advection de façon lagrangienne plu-     – concevoir et développer une « phy-               Courtier à coder un nouveau modèle
tôt qu’eulérienne était une idée étudiée   sique simplifiée » permettant de
dans plusieurs centres de prévision        construire les modèles de prévision
numérique dans les années 1980. Dès        linéaire tangent et adjoint nécessaires              Opérateurs linéaires tangents
le début de la construction du système     au fonctionnement de l’assimilation
Arpège-IFS en 1988, on prévoit d’y         variationnelle 4D.                                   et adjoints
développer à la fois l’option numérique
                                                                                                X(t) désigne un vecteur rassemblant toutes
eulérienne et l’option semi-lagran-        Ces développements sont décrits dans                 les variables décrivant l’état de l’atmo-
gienne (Robert, 1981 ; Coiffier, 2000).    Bouyssel et al. (2021). L’ensemble                   sphère à l’instant t. Un modèle de prévision
Cette dernière, permettant un gain         des paramétrisations physiques, leur                 météorologique est un opérateur mathé-
substantiel de temps de calcul grâce à     évolution et leur état dans le modèle                matique M qui, à partir de l’état X(ti) à un
un pas de temps plus long, est sélec-      Arpège en 2009 sont décrits en détail                instant initial, calcule l’état X(tf) à un instant
tionnée au final pour les prévisions       dans Coiffier (2011, pages 192-244).                 final qui lui est postérieur. En linéarisant
opérationnelles. Au CEPMMT, le                                                                  l’opérateur M au voisinage de chaque état
schéma semi-lagrangien est mis en          Jean-François Geleyn a toujours beau-                X(t), on obtient le modèle linéaire tangent
œuvre opérationnellement en 1991,          coup travaillé directement sur les                   MTL qui, par définition, à partir d’une per-
                                                                                                turbation DX(ti) au voisinage de l’état X(ti),
trois ans avant que le modèle IFS ne       paramétrisations physiques, sa spécia-               calcule une perturbation DX(tf) au voisinage
devienne opérationnel.                     lité d’origine. Il a toujours porté une              de l’état X(tf). Le modèle adjoint MAD est le
                                           attention rigoureuse à la cohérence                  transposé de MTL. Pour toute fonction F de
À Toulouse, beaucoup d’expériences         d’ensemble des paramétrisations phy-                 l’état final X(tf), différentiable par rapport
numériques sont menées sous la hou-        siques au sein d’un modèle numérique,                à X(t), le modèle adjoint calcule la dérivée
lette de Jean-François Geleyn, entre       en particulier à la façon dont elles sont            vectorielle (ou gradient) de la fonction F à
1993 et 1995, pour choisir et optimiser    interfacées avec le noyau dynamique.                 l’instant initial ti à partir de la même déri-
la configuration semi-lagrangienne         Pendant longtemps, il a souhaité éta-                vée à l’instant final tf. En d’autres termes, le
d’Arpège qui devient opérationnelle en     blir une interface commune avec le                   modèle adjoint MAD évalue la « sensibilité »
                                                                                                de F(X(tf)) par rapport à X(ti). Les vecteurs
octobre 1995 (T149 ; 27 niveaux ; 3,5      CEPMMT dans le système Arpège-                       singuliers sont les vecteurs propres de la
comme facteur d’étirement) sur un cal-     IFS qui aurait permis d’échanger faci-               composition d’opérateurs MTL MAD.
culateur Cray-C90. Tous les détails sur    lement les différentes paramétrisations
La naissance du projet Arpège-IFS à Météo-France et au CEPMMT
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au CEPMMT (plutôt que d’utiliser le         (4D-Var) en s’appuyant sur le premier       prend toute sa mesure dès la concep-
modèle opérationnel et d’en dévelop-        noyau Arpège-IFS développé par              tion du système de prévision Arpège-
per le linéaire tangent et l’adjoint). Ce   Mats Hamrud et Philippe Courtier            IFS. Le logiciel d’analyse se construit
nouveau modèle constitue en 1988 le         au CEPMMT. Dans son principe, un            alors autour du modèle de prévision
premier noyau d’Arpège-IFS. Il est uti-     schéma 4D-Var est une solution effi-        et de ses équations plutôt qu’indé-
lisé dès cette période pour les premiers    cace pour éliminer le bruit inhérent à      pendamment de ce dernier. Le gros
tests d’assimilation variationnelle 4D.     tous les champs analysés par simple         avantage recherché est de résoudre
Il sert aussi à calculer les « vecteurs     interpolation spatiale des observa-         les problèmes dits de spin-up (mise en
singuliers », une option incluse dès        tions, et pour fournir au modèle de         route) qui se rencontrent dans tous les
l’origine dans le code Arpège-IFS et        prévision un état initial équilibré.        modèles à équations primitives et se
qui est très utile pour développer la                                                   traduisent par des oscillations intem-
prévision probabiliste (ou prévision        Un autre sujet scientifique pousse for-     pestives ou des évolutions brusques
d’ensemble). Ce calcul de vecteurs          tement vers l’étude et le développement     lors de l’intégration du modèle sur les
singuliers constitue la première utili-     d’algorithmes variationnels : l’utilisa-    premiers pas de temps. Ces problèmes
sation opérationnelle au CEPMMT du          tion des sondeurs satellitaires qui four-   de spin-up proviennent du bruit qui
système Arpège-IFS en 1991.                 nissent des données observées sous          est introduit dans l’analyse par des ob-
                                            forme de luminances (micro-ondes et         servations nécessairement imparfaites
                                            infrarouges). L’utilisation directe des     et injectées dans le modèle sans tenir
Assimilation de données :                   luminances, bien que déjà réalisée à        compte des propriétés de ses équa-
vers les méthodes                           Météo-France avec l’analyse Péridot,        tions d’évolution. Traiter rigoureuse-
variationnelles                             peut s’effectuer dans une analyse va-       ment ces questions était la motivation
                                            riationnelle de manière beaucoup plus       principale de toutes les études menées
La décennie 1985-1995 est celle d’une       naturelle et rigoureuse (Pailleux et al.,   depuis la décennie 1970 sur le thème
évolution majeure des algorithmes d’as-     2000).                                      de l’assimilation 4D, en particulier de
similation de données, particulière-                                                    celles s’appuyant sur les techniques
ment à Météo-France et au CEPMMT.           Au moment du déménagement de Paris          variationnelles et adjointes.
Les algorithmes opérationnels en 1985       à Toulouse de Météo-France, les pre-
calculent à un instant donné (typique-      mières expériences numériques prépa-        L’évolution algorithmique vers une
ment toutes les 6 heures) les variables     ratoires à l’assimilation variationnelle    assimilation intégrée s’est faite pro-
nécessaires à l’initialisation du modèle    ont déjà été menées. Mais il reste en-      gressivement à Météo-France depuis
en chaque point d’une grille régulière      core plusieurs obstacles à lever avant      l’analyse Émeraude en 1985 jusqu’au
(proche ou identique à la grille du mo-     d’atteindre le stade opérationnel. Et       4D-Var devenu opérationnel en 2000.
dèle de prévision). Ils procèdent à une     c’est seulement entre 1996 et 2000 que      L’analyse Émeraude ignore tout du
sélection locale de données observées       les différentes mises en œuvre opéra-       modèle de prévision et de ses équa-
au voisinage de chaque point.               tionnelles au CEPMMT et à Météo-            tions ; son domaine de calcul et sa
                                            France sont réalisées (Bouyssel et al.,     grille horizontale sont très proches
L’algorithme variationnel préconisé par     2021). C’est à partir de l’an 2000 que le   de celle du modèle, mais elle uti-
Courtier et Talagrand (1987) présente a     projet variationnel livre toute sa puis-    lise une coordonnée verticale s’ap-
priori deux avantages numériques :          sance dans l’utilisation des nouvelles      puyant sur une série de niveaux dits
– il calcule les champs analysés en         données satellitaires.                      « standard » en pression, lesquels ne
cherchant le minimum d’une fonc-                                                        reflètent qu’approximativement la ré-
tionnelle F qui dépend de toutes les                                                    solution verticale du modèle (qui est
variables du modèle. Tous les points                                                    en niveaux « hybrides »). Un premier
analysés utilisent alors le même en-                                                    pas est effectué par l’analyse Péridot
semble d’observations. Il n’est plus        Aspects                                     qui effectue les calculs d’interpolation
utile d’opérer une sélection locale de
données qui a l’inconvénient d’in-
                                            algorithmiques,                             optimale directement sur les niveaux
                                                                                        du modèle plutôt que sur les niveaux
troduire beaucoup de bruit dans les         techniques                                  standard. L’évolution se poursuit avec
champs analysés ;
– le temps de calcul nécessaire croît       et organisationnels                         les schémas variationnels 3D (3D-Var
                                                                                        opérationnel au CEPMMT en 1996 et
presque     proportionnellement      au                                                 à Météo-France en 1997), mais il faut
nombre d’observations utilisées, alors                                                  attendre le 4D-Var (plus coûteux et
qu’on peut montrer qu’il croît beau-
                                            Un code intégrant modèle                    plus difficile à mettre en œuvre que le
coup plus vite avec les méthodes opé-       de prévision et assimilation                3D-Var) pour pousser encore plus loin
rationnelles en 1985.                       de données                                  cette intégration dans un code com-
                                                                                        mun entre analyse et prévision.
Jean-François Geleyn comprend très          Avant le développement du système
tôt l’importance de ces aspects numé-       Arpège-IFS, une prévision numérique
riques. Sans être directement impliqué      consiste à exécuter successivement          Cohérence de l’ensemble
dans les développements, il pousse for-     trois tâches informatiques indépen-         des traitements du système
tement pour que le code Arpège-IFS          dantes : une « analyse », une « ini-
contienne le plus tôt possible tous les     tialisation » (respect des principaux       Arpège-IFS
ingrédients permettant de tester l’assi-    équilibres de l’atmosphère), une « pré-     Avant le développement d’Arpège-
milation variationnelle avec un modèle      vision » (intégration du modèle).           IFS, une chaîne de prévision nu-
assez proche des modèles de prévi-                                                      mérique se compose d’une série de
sion opérationnels. Jean-Noël Thépaut       L’évolution vers les algorithmes varia-     programmes Fortran : analyse, prévi-
et Florence Rabier réalisent les pre-       tionnels conduit in fine à intégrer dans    sion, préparation des observations, pré-
mières expériences d’assimilation 4D        un logiciel unique ces trois tâches. Elle   paration des champs climatologiques
La Météorologie - n° 112 - février 2021                                                                                                    39

et géographiques (exemple : champ                 époque, Jean-François était membre du              l’équipe chargée des adaptations statis-
d’orographie adapté à la résolution ho-           WGNE (Working group on Numerical                   tiques des prévisions, mais aussi deux
rizontale du modèle), post-traitements            Experimentation, groupe d’experts in-              autres équipes. L’une est chargée de
produisant les champs souhaités par               ternationaux étudiant la modélisation              gérer les codes opérationnels de pré-
les prévisionnistes et autres utilisa-            numérique de l’atmosphère et du cli-               vision numérique, dont la taille et la
teurs des prévisions. Tous ces logiciels          mat), où il discutait de toutes les inno-          complexité nécessitent désormais ce
sont développés indépendamment et                 vations dans ce domaine effectuées à               type d’organisation. L’autre, qui s’est
souvent par des personnes différentes.            l’échelle mondiale (figure 3).                     étoffée au fur et à mesure de l’impor-
La durée de vie opérationnelle de ces                                                                tance croissante de la thématique, ini-
logiciels divers est généralement de 5                                                               tie les premiers travaux structurés sur
à 10 ans (7 ans pour Émeraude, 8 ans              Mise en place d’une équipe                         la prévisibilité atmosphérique.
pour Péridot). Un recodage complet
est effectué à presque chaque chan-
                                                  dédiée au contrôle
                                                                                                     En s’inspirant largement du CEPMMT
gement de calculateur (Pailleux et al.,           des prévisions                                     et de son expérience, Compas installe
2000).                                            et observations : Compas                           en quelques mois les premières briques
                                                                                                     des outils informatiques nécessaires à
Une idée forte du système Arpège-                 À Météo-France, avant le déménage-                 la surveillance de la disponibilité et
IFS est d’intégrer tous ces logiciels             ment de 1991 à Toulouse, une équipe                de la qualité des observations, et au
dans un système unique de façon                   chargée du contrôle régulier des pré-              contrôle des prévisions. Cette surveil-
que chaque opération mathématique                 visions et des études de base sur la               lance s’effectue aujourd’hui quotidien-
commune à plusieurs éléments de la                prévisibilité s’est mise en place sous             nement, de manière systématique, avec
chaîne soit traitée par le même calcul            la direction de Philippe Veyre. Mais il            retour vers les spécialistes des modèles
(en pratique, par le même morceau                 n’y a pas d’équipe dédiée à la surveil-            et de l’assimilation, chaque fois qu’une
de code). Cela implique entre autres              lance (monitoring) des observations.               anomalie est détectée. Les statistiques
choses que les diverses interpolations            C’est l’équipe en charge de l’analyse              mensuelles produites systématique-
horizontales, verticales, les transfor-           qui s’occupe de surveiller la disponi-             ment et l’analyse fine du comportement
mations de l’espace spectral en points            bilité des observations ainsi que leur             des « chaînes en double » préalables à
de grille, les calculs liés à la physique         qualité.                                           chaque montée de niveau des logiciels
de l’atmosphère, etc. soient traités par                                                             de prévision numérique permettent de
un jeu unique de programmes repo-                 Dans la phase de préparation du dé-                juger des progrès réalisés.
sant sur les mêmes hypothèses. En                 ménagement, Jean-François Geleyn et
appliquant cette stratégie de codage,             Christian Blondin proposent une ré-
Ryad El Khatib a développé le logi-               organisation des équipes de prévision
ciel de post-traitement « Full-Pos »              numérique, donnant naissance aux                   Coordination
au sein d’Arpège-IFS (Pailleux et al.,            deux entités Gmap côté recherche et                des développements
2015).                                            Compas côté opérations, qui existent               entre Arpège et IFS
                                                  toujours sous ces noms trente ans
Maintenir cette cohérence à travers               après. Cette réorganisation vise d’une             Dès 1988, la coopération entre Météo-
les développements d’Arpège-IFS,                  part à rapprocher, au sein de Gmap,                France et le CEPMMT, déjà étroite
puis d’Aladin, sur lesquels travaillent           l’analyse et la prévision dans la pers-            sur le plan scientifique, s’élargit pour
plusieurs dizaines de scientifiques,              pective du 4D-Var, d’autre part à créer            couvrir les aspects techniques tels
nécessite beaucoup de rigueur dans la             une équipe indépendante, au sein des               que le développement et la gestion du
coordination des équipes. Les connais-            opérations, en charge du contrôle de la            code commun. Les développements
sances exceptionnelles et souvent très            qualité des prévisions et du monitoring            informatiques menés de part et d’autre
pointues de Jean-François Geleyn                  des observations. Tout comme Gmap,                 de la Manche doivent être synchro-
dans tous les domaines de la prévision            Compas voit le jour à Toulouse en                  nisés en construisant régulièrement
numérique et de la météorologie en gé-            septembre 1991, dirigé par Emmanuel                une bibliothèque de codes commune.
néral s’avérèrent décisives dans cette            Legrand. Outre le contrôle des pré-                Chaque version (ou cycle) commune
phase de mise en œuvre opérationnelle             visions et le monitoring des observa-              du code doit être validée vis-à-vis des
au cours de la décennie 1990. À cette             tions, Compas comprend dès le début                nombreuses configurations qu’elle
                                                                                                     contient : modèle de prévision, modèle
                                                                                                     linéaire tangent et adjoint, assimila-
                                                                                                     tion variationnelle, etc. La validation
                                                                                                     doit être faite à la fois sur le calcula-
                                                                                                     teur de Météo-France et sur celui du
                                                                                                     CEPMMT, qui sont parfois proches
                                                                                                     mais jamais identiques. Il faut s’as-
                                                                                                     surer que le code est portable d’un
                                                                                                     calculateur à l’autre, qu’il est suffi-
                                                                                                     samment efficace sur chacun, et qu’il
                                                                                                     restera portable et efficace sur les cal-
                                                                                                     culateurs envisagés pour les années à
                                                                                                     venir.

                                                                                                     La première mise en service opéra-
Figure 3. Photo souvenir de septembre 1990, lors d’une réunion du WGNE au BoM (Bureau of             tionnelle du code commun Arpège-
Meteorology), service météorologique australien à Melbourne. Jean-François Geleyn est la troisième   IFS a lieu à Météo-France en
personne debout à partir de la gauche. Crédit : William Bourke.                                      septembre 1992. À partir de cette date,
40                                                                                                                                            La Météorologie - n° 112 - février 2021

(a)                                                                                      (b)

Figure 4. Résolution horizontale du modèle opérationnel Arpège (a) en 1993 et (b) en 2019. Les isolignes caractérisant la résolution sont exprimées en
kilomètres.

l’organisation des développements in-                       pour le modèle opérationnel Arpège                           avant comme après cette clôture of-
formatiques et des cycles de code com-                      dont l’augmentation de résolution en                         ficielle pour coordonner l’ensemble
mun se structure davantage, de façon                        26 ans est documentée sur la figure 4.                       des tâches, anticiper les bonnes tra-
à ce que chaque centre puisse vivre sa                                                                                   jectoires d’évolution et participer aux
propre vie opérationnelle. Ainsi, à par-                                                                                 recherches pointues sur les paramé-
tir d’un cycle commun à Reading et à                                                                                     trisations physiques. Son rôle pour les
Toulouse numéroté « n », chaque centre
génère des bibliothèques qui lui sont
                                                            Conclusion                                                   grandes étapes postérieures à 1995 est
                                                                                                                         décrit dans Bouyssel et al. (2021).
propres numérotées « nR1, nR2... » à                        Lorsqu’en octobre 1993 le modèle
Reading, « nT1, nT2... » à Toulouse.                        Péridot est retiré de la chaîne numé-                        Développement non planifié au tout dé-
La constitution d’un nouveau cycle                          rique de Météo-France et remplacé par                        but du projet Arpège, le projet Aladin
commun nécessite généralement une                           une version d’Arpège étiré (configu-                         de modélisation à aire limitée, direc-
réunion d’une journée entre les scien-                      rée pour remplacer aussi Émeraude),                          tement dérivé de la modélisation glo-
tifiques et informaticiens concernés                        le « projet Arpège » est officielle-                         bale Arpège-IFS, prend son envol un
des deux centres, au moins une fois                         ment clos à Météo-France, mais le                            peu avant le déménagement à Toulouse
par an. Jean-François Geleyn anime                          développement et la vie d’Arpège sont                        de Météo-France en septembre 1991
et dirige beaucoup de ces « réunions                        loin d’être terminés. Il faut attendre                       (Horányi et Brožková, 2021). Dans
IFS-Arpège ». Le système fonctionne                         octobre 1995 pour que la version se-                         les années qui suivent, Jean-François
encore en novembre 2020 où, par                             mi-lagrangienne du modèle de prévi-                          Geleyn y consacre de plus en plus de
exemple, la version d’IFS-Arpège uti-                       sion entre en service. La vie d’Arpège                       temps et d’énergie, tout en veillant
lisée opérationnellement au CEPMMT                          continue encore en 2020, ainsi que la                        étroitement à ce que les deux projets
est le cycle « 47R1 ». La version uti-                      collaboration avec le CEPMMT. Jean-                          restent cohérents scientifiquement et
lisée en France est le cycle « 43T2 »                       François Geleyn a beaucoup œuvré                             informatiquement.

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