Le livre tactile, un territoire à explorer
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Le livre tactile, un territoire à explorer par Sophie Curtil* Voir À partir de son expérience II est impossible, pour l'écrasante majori- d'ateliers d'arts plastiques avec té d'entre nous qui voyons, ou pour ceux des enfants aveugles, de visites parmi nous qui ont vu, de concevoir la tactiles au Musée national d'art cécité absolue, celle des personnes qui moderne du Centre Pompidou naissent privées de vue. Il est aussi très à Paris, de la conception difficile de nous figurer mentalement le d'une série de livres artistiques monde sans tenir compte de l'expérience tactiles, Sophie Curtil nous livre visuelle, tant la vue structure notre façon ses réflexions sur l'approche de penser. Cette domination de la vue sur de la création plastique les autres sens tient-elle à sa fulgurance par le sens du toucher - de l'œuvre et à son étendue, à sa capacité d'embras- d'art au livre tactile. ser la réalité d'un seul coup et du senti- ment d'évidence qui en résulte ? Nous ne doutons pas de ce que nous avons vu de nos propres yeux. Cela s'imprime dans notre cerveau avec une force telle que nous prenons souvent ces impressions pour des faits objectifs. Au contraire, le sens du toucher nous paraît subjectif, lui qui implique notre intimité en passant par notre épiderme. Et comment se fier à lui, si mouvant, si tâtonnant, si hésitant, si partiel, si lent, si peu propice à la confrontation et à la discussion ? * Sophie Curtil est artiste, auteur de livres d'art pour enfants, conceptrice des collections L'Art en jeu (Édi- tions du Centre Pompidou), Kitadi (Musée Dapper) et Pourtant, l'illusion est attachée à la d'une série de livres artistiques tactiles. Elle est égale- vision. Nous avons tous fait l'expérience ment chargée de projets au Centre Pompidou (DAEP). déstabilisante d'effets optiques ou de / N°216-UREVUEDESUVRESPOURENFANTS 75 dossier
mirages. Elle ouvre sur une sorte de d'autres sont inaccessibles au toucher. gouffre qui donne le vertige. Car si cha- Et il y a aussi des choses inaccessibles à cun voit la réalité autrement - ce qui est l'une et à l'autre, mais perceptibles par le cas justement des personnes ayant un l'ouïe, le goût ou l'odorat. Et d'autres, handicap visuel - et si la même réalité probablement en galaxies inombrables, n'est pas visible par tous, que reste-t-il totalement imperceptibles. de nos certitudes ? Ce qui m'intéresse le plus, dans l'ex- Voir, qu'est-ce donc au juste ? Est-il périence des parcours tactiles avec des nécessaire de regarder pour voir ? Pour visiteurs aveugles au Musée, c'est voir quoi ? Ce qui est montré, visible à d'observer le parallélisme entre le certains, invisible à d'autres ? Pouvons- regard et le toucher. La matérialité nous mentalement nous représenter l'in- d'une œuvre perçue par le toucher visible ? Si voir, c'est aussi imaginer l'in- peut déclencher la vision de l'œuvre, visible, ne peut-on pas aussi voir avec tout comme le regard. Si voir résulte les oreilles, en écoutant ? de la somme de regards, s'il faut regar- der une peinture 90 minutes pour com- Ces questions nous ont amenés, dans le mencer à la voir un peu, voir peut bien cadre du Service de l'action éducative aussi résulter d'une succession de tou- du Centre Pompidou, à proposer au chers qui nous permettent de recons- public aveugle ou malvoyant deux truire mentalement la réalité perçue en approches différentes et complémen- la complétant par l'imagination, les taires des œuvres d'art du Musée connaissances, l'expérience. Il est national d'art moderne : des visites même possible que la vision obtenue orales permettent au visiteur d'écouter par le toucher soit plus profonde, plus pour voir, tandis que des parcours tac- proche de la main et de l'esprit de l'ar- tiles leur permettent de toucher pour tiste que celle résultant du regard. voir. Grâce à l'expérience tactile, nous sai- sissons mieux à quel point la vue, en Regarder, toucher : deux façons de « surfant » sur les choses rapidement et voir superficiellement, nous prive d'une Toute chose, y compris une œuvre d'art, dimension, celle de la profondeur. peut être regardée sous sa forme maté- rielle : un tableau, c'est un châssis tendu Le handicap n'est pas là où on d'une toile recouverte de peinture. Cette l'attend même matérialité peut aussi être perçue Jeter un coup d'œil à l'œuvre d'art, puis par le toucher. Chaque mode de percep- lire le cartel pour vérifier qu'elle cor- tion a des avantages et ses limites : des respond bien à l'étiquette, voilà une pra- textures subtiles ou des volumes cachés tique courante qui illustre notre superfi- vont être découverts au toucher tandis cialité de spectateurs voyants qui qu'ils passeront inaperçus au regard. croyons avoir vu une œuvre que nous Inversement, la peinture étalée sur la avons simplement reconnue conforme. Il toile ne révélera pas ses couleurs au tou- en va de la découverte tactile comme de cher. Dans le monde extérieur, il y a des la découverte visuelle. Les enfants que choses inaccessibles à la vue comme l'on entraîne systématiquement à recon- LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS-N°216 dossier
naître et à identifier les choses en fonc- construction générale ; le mouvement, tion de la réalité (quelle réalité ?] vont l'orientation ; à nouveau les détails etc. conserver ce réflexe d'identification Le lien se fait peu à peu entre la surface aussi bien devant des œuvres d'art. perceptible des œuvres et leur structure C'est ce réflexe qui est le véritable han- interne. Au terme d'une reconstruction dicap. Il nous emprisonne dans les mentale, l'œuvre peut être vue, c'est-à- conventions et les préjugés, bride notre dire reconstruite et imaginée, susceptible curiosité et notre imagination. Le handi- d'être vécue, éprouvée, pensée et ques- cap n'est pas là où on l'attend, il n'est tionnée. pas dans tel ou tel mode de perception À chaque étape le corps adapte sa sensorielle, il est dans le formatage des position selon les dimensions et la esprits, entraînés à reconnaître que les nature de l'œuvre : debout, accroupi, à choses sont bien conformes à une réali- genoux, replié sur soi, rampant, mar- té dont les normes ont été établies chant, traversant, etc. Les bras, la tête d'avance. Le mérite des œuvres d'art participent. La découverte tactile contemporain, c'est que leur nouveauté demande une implication physique du déroute suffisamment nos esprits forma- visiteur qui dépasse le mouvement de tés pour briser ce réflexe. Quand on n'a la main. pas de mots tout prêts à mettre sur ce Évidemment, cela n'est pas très compa- que l'on perçoit, il faut puiser dans ses tible avec les règles de bonne conduite propres ressources et trouver par soi- et rien n'est fait pour intégrer cet même des formulations adéquates. apprentissage à l'école ni au musée. Découvrir par soi-même, réagir, échan- Apprendre à se servir de ses deux mains ger, questionner, écouter, confronter, est déjà un exploit tant l'inhibition est comparer, imaginer, exprimer... et forte, encouragée par l'omniprésence de recommencer, prendre son temps, l'interdit « Défense de toucher ». Au approfondir, réfléchir, s'interroger, musée, il faut encadrer les parcours s'émouvoir : telle est la dynamique de tactiles et les assortir de contraintes groupe qui peut être enclenchée par le pour sécuriser les œuvres. Alors que contact avec les œuvres, qu'il se fasse par dans leurs ateliers, les sculpteurs le regard, par le toucher ou par l'écoute. accordent avec un empressement enthousiaste la permission de toucher Toucher pour voir leurs œuvres, au musée, la découverte Tout comme regarder, toucher prend du tactile reste une sorte d'effraction. temps et les chemins à parcourir sont, sur une seule œuvre, innombrables. Le Le livre tactile toucher révèle l'œuvre par strates suc- Le visiteur aveugle qui sort d'un par- cessives, de dehors vers le dedans, de la cours tactile au musée ne pourra pas, surface vers l'intérieur : la texture, la comme nous tous qui voyons, passer à matière, le chaud, le froid ; la résistance, la librairie pour acheter une reproduc- l'emplacement, l'encombrement ; les tion ou un livre afin de garder une trace détails qui s'inscrivent peu à peu dans de ce qu'il a découvert ou d'élargir ses des formes, des volumes ; les limites, les connaissances. Il est clair que le livre bords, les vides ; leur articulation, la tactile n'est pas un support adéquat pour N°216-LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS dossier
reproduire des œuvres d'art, mais maux. .. qui doivent être identifiés par le comme plusieurs tentatives ont été faites lecteur comme tels. Voici par exemple, dans ce sens, il est intéressant de se adapté en relief, c'est-à-dire habillé poser quelques questions. d'une texture, d'une matière, un élé- phant. On peut suivre du doigt le Reproduire une œuvre contour de ses jambes, de son corps, de À partir du moment où il n'y a pas de sa trompe, de ses oreilles, et la main référence accessible, la reproduction effleure une surface rugueuse. Qui d'une œuvre perd tout sens en tant que parmi nous a jamais touché la peau telle. Comment le lecteur aveugle peut-il d'un éléphant, en vrai ? Imaginons que faire la différence entre une « reproduc- nous n'ayons jamais ni vu ni touché un tion » en relief et une œuvre originale, si éléphant, ce qui est le cas justement des cet original ne lui est pas perceptible ? enfants aveugles : la correspondance Une telle reproduction n'est-elle pas plu- entre la matière rugueuse et la peau de tôt une transposition, une re-création, l'éléphant n'est alors plus rattachée à une adaptation ? Tout mode d'adaptation rien, elle est une simple abstraction. est-il pertinent ? Peut-on, par exemple, Maintenant, quel est l'enfant aveugle adapter en relief une peinture en couleur qui a jamais pu suivre du doigt le ou une sculpture en trois dimensions ? contour d'un éléphant réel, et faire ainsi L'image en relief n'est-elle pas, en soi, le lien avec l'image proposée représen- une nouvelle œuvre ? tant sa silhouette, son profil ? La sil- Que veut-on transmettre au lecteur houette est une façon typiquement auquel on propose de lire, sous forme de visuelle de représenter un objet, elle lignes en relief, une peinture de Monet ? ne correspond en rien à l'expérience Que reste-t-il de l'intégralité de l'œuvre ? tactile. Du papier de verre collé sur la Qu'est-ce qui est vraiment lisible par le forme d'une biscotte ne permet pas lecteur ? non plus à l'enfant aveugle d'identifier Ces interrogations sont, à mon avis, au la biscotte. Une même matière peut cœur de toute réflexion sur le livre tactile. évoquer divers objets, pourquoi juste- ment une biscotte ? Et comment devi- Les pièges de l'adaptation ner qu'ici, on suit du doigt un dessin Sortons du domaine de l'art et prenons représentant un profil alors que là, les albums pour enfants. L'adaptation juste à côté, c'en est un autre vu d'a- tactile à partir de livres édités pour les vion ? enfants voyants est une pratique cou- Le travail d'adaptation est plein de rante qui peut se justifier par l'insup- pièges parce qu'il repose sur une portable pénurie de livres en relief pour logique visuelle et qu'il demande au les enfants aveugles. Mais dans l'ur- lecteur d'être bilingue dans deux lan- gence, on risque d'oublier l'essentiel : gues étrangères : de connaître les les livres que l'on propose au lecteur codes visuels et de comprendre les sont-ils lisibles ? codes tactiles. Car les images tactiles Dans les livres pour enfants, les images résultant de ces transpositions sont sont le plus souvent des représentations des abstractions sans lien avec la per- schématisées d'objets, personnages, ani- ception réelle des personnes aveugles. LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS-N°216 dossier
La création d'images tactiles Ne peut-on pas retourner la situation ? Un carré de papier de verre peut suggé- rer plusieurs interprétations, et si on pro- fitait de cette liberté ? Plutôt que d'en- fermer le lecteur aveugle dans des sché- mas et des codes bien définis par la logique des voyants, si on cherchait à exploiter l'imaginaire déclenché par le toucher ? À briser le réflexe d'identifica- tion réductrice ? Le désir de créer des images spéci- fiques pouvant être imaginées pour un peigne aux dents cassées, être lues avec les doigts s'est peu à peu emparé de moi. Je voyais bien les pièges 2 arêtes de poisson, à éviter, mais comment m'y prendre pour les contourner ? J'ai tâtonné un certain 7 notes de musique, temps sans voir la moindre issue avant 8 larmes de crocodile, de comprendre que, pour faire un livre lisible, il ne fallait traiter qu'une seule une mâchoire brisée, notion par livre. À partir de ce constat simple, j'ai renoncé à vouloir tout dire et une grosse perle crachée dans un seul livre et les choses se sont par un dragon chinois I mises en place facilement. Les thèmes à traiter se sont imposés d'eux-mêmes : les traces et les empreintes, les surfaces et les volumes, les formes et les textures, le poids et les matières... Ainsi s'est dessiné le schéma d'une Sophie Curtil : Ali ou Léo ?, Les Doigts Qui Rêvent série ouverte de livres artistiques tactiles fondée sur quelques notions fonda- mentales du langage plastique. Dans mon esprit, l'image tactile est là d'abord pour le plaisir de la surprise, puis pour déclencher l'imagination, susciter de multiples interprétations, ouvrir l'imaginaire du lecteur. Mais elle peut en même temps montrer la diversité des moyens d'expression et de représentation tactile, permettre d'élaborer une sorte de vocabulaire et de grammaire tactiles à partir desquels on peut constituer un langage. N dossier/ °216-LAREVUEDESLIVRESP0IJREN!:ANTS 79
Une série de livres artistiques tactiles Plis et plans Ali ou Léo ? Plis et plans est le deuxième titre édité Graver, mais aussi imprimer des gravures de cette série. L'auteur, Katsumi étant pour moi un travail familier, je me Komagata, ouvre une autre voie ayant suis plongée naturellement dans l'expéri- pour thématique la transformation des mentation d'empreintes pour imaginer ce formes et des surfaces de la deuxième à premier livre, Ali ou Léo ?x Douze images la troisième dimension. Ce graphiste en relief faites d'empreintes d'objets tels japonais, dont le remarquable travail que clous, grillage, fil de fer... engagent le repose habituellement sur des jeux lecteur à se frayer un chemin du doigt et visuels, a répondu avec enthousiasme à à parcourir les textures, le graphisme et la proposition qui lui était faite d'imagi- les espaces vides de la page. En chemi- ner un livre tactile. Ce défi lui permet- nant mentalement au fil de ce parcours trait, assurait-il, de renouveler son inspi- tactile, chacun peut à son tour imprimer ration. Effectivement, Plis et plans déve- son propre imaginaire sur l'empreinte loppe, déploie et prolonge ses recherches proposée. Ces images m'ont suggéré des tout en renouvelant leur mise en forme. métaphores que j'ai évoquées par le texte Une douzaine de figures planes, généra- pour que le lecteur s'en empare et pour- lement géométriques, se déplient dans suive à sa façon la liste des évocations. l'espace, permettant au lecteur d'entrer J'ai recherché des métaphores pouvant dans la structure des formes et de com- relier le lecteur à des expériences senso- prendre le lien entre la deuxième et la rielles, mais aussi à des références légen- troisième dimension. daires et mythologiques. Je voulais Mais c'est avant tout un livre de figures- avant tout sortir le lecteur aveugle de surprises, de petits scénarios à suspense, son univers quotidien et immédiat, d'un que le lecteur déplie et replie à son rythme, univers stéréotypé et pauvre de sens, pour le plaisir simplement, attiré par fragmentaire et superficiel. l'aspect ludique et la qualité esthétique, J'avais remarqué, au cours de séances parfaitement perceptible au toucher, des dans les écoles, l'immense effort que figures. les enfants aveugles doivent fournir pour apprendre à se repérer et à vivre Feuilles dans un monde de voyants. Il me semble Ce troisième titre signé lui aussi par qu'ils ont besoin, plus que d'autres, Katsumi Komagata met en scène le d'occasions de faire des expériences cycle de vie d'une feuille qui naît, gran- gratuites (non orientées vers un but dit, se multiplie, puis s'abîme et se dés- pragmatique) et d'exprimer leur imagi- agrège. La simplicité du scénario permet naire. Plus que d'autres aussi, ils ont au lecteur aveugle ou voyant de se laisser besoin de liens, de repères pour relier aller au plaisir esthétique - autant tactile les choses entre elles, non seulement que visuel - provoqué par la découverte géographiquement dans l'espace, mais des textures de beaux papiers japonais aussi dans le temps, dans l'histoire et et des formes découpées d'une grande dans la culture auxquelles ils ont diffi- subtilité. cilement accès. L'ensemble de cette édition est co-édité par l'association Les Doigts Qui Rêvent 80 LAREVUEDESLIVRESP0URENFANT5-N°216 j dossier
(éditeur spécialisé à Dijon) et Les Trois empreintes posent chacun des contraintes Ourses (association de bibliothécaires, à différentes. J'ai choisi un papier lisse et Paris), auxquels s'associe le Centre neutre pour le texte, un papier granuleux Pompidou pour le dernier titre à paraître, pour les empreintes. Je voulais qu'au Feuilles. toucher, ces deux papiers soient diffé- La conception et la réalisation des deux renciés, mais qu'à l'œil ils forment une premiers titres a bénéficié de l'aide du continuité sur la double page. Je me suis Centre National du Livre. L'ensemble de souvent sentie coincée entre deux l'édition n'a été possible qu'avec le sou- logiques contradictoires, l'une visuelle tien du SCÉREN-CNDP. qui réclamait l'unité et l'harmonie, l'autre tactile qui demandait des La fabrication contrastes et des repères forts. Il fallait La réalisation de ce type d'ouvrages sort pourtant les faire cohabiter puisque le en effet du cadre de l'édition courante et livre devait s'adresser à tous. n'aurait pas été possible sans subven- Pour parvenir à imprimer les empreintes, tions. La fabrication artisanale de ces il a fallu « bricoler » la presse (une presse livres les apparente aux livres d'artistes, hydraulique qui sert à emboutir) et faire à ceux du moins qui sont faits à la main, de nombreux essais avec différentes exemplaire par exemplaire, en quantité épaisseurs de mousse et différentes limitée. La logique commerciale, qui pressions. J'avais collé les compositions veut que plus un tirage est élevé, moins d'objets sur des plaques d'acier, mais les le coût du livre est cher, est à l'inverse de plaques se sont mises à rouiller sous la logique artisanale : ici, plus on l'humidité des feuilles de papier. Un ver- fabrique de livres, plus c'est cher. nis a résolu le problème, mais en enve- Indépendamment de l'aspect financier, loppant les objets d'une fine pellicule il a les contraintes techniques de fabrication enlevé l'acuité des arêtes et les empreintes demandent une collaboration étroite ont perdu en netteté. Bref, il me semblait entre éditeur et auteur dès la conception que chaque solution d'un problème du livre. J'avais discuté de mon projet avec apportait un nouveau problème... l'association Les Doigts Qui Rêvent, mon- tré mes premiers essais d'empreintes, L'exploitation pédagogique regardé les livres déjà édités et peu à peu Mais c'est justement en abordant le livre j'ai abordé les problèmes techniques spé- par la technique qu'il est possible de cifiques à l'édition tactile. susciter un travail d'expression plastique Pour réaliser Ali ou Léo ?, je suis allée avec les enfants ou les adultes, dans le régulièrement, pendant un an, à « L'Atelier cadre d'ateliers scolaires ou de stages de pour voir » qui fabrique les livres édités formation. par Les Doigts Qui Rêvent. Le format du Ali ou Léo ? suggère implicitement, à la livre, la couverture, la reliure, la fabrication fin du livre, de retrouver les empreintes du sac ont fait l'objet de longues discus- correspondant aux objets. À partir de ce sions, mais c'est surtout le choix des support, on pourra élargir le propos et papiers qui a été un véritable casse-tête, imaginer une chasse aux empreintes au sachant que l'embossage en braille, l'im- moyen de matériaux comme la terre. Un pression en noir et l'impression des travail plus approfondi sur le thème de N°216-LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS dossier
l'empreinte concernera autant les per- le sculpteur travaille autant avec ses sonnes aveugles, mal voyantes ou mains qu'avec ses yeux. voyantes. Ces ateliers pourraient per- mettre à chaque participant, handicapé Aujourd'hui, les institutions culturelles ou non, de partager une expérience com- ont ajouté un s à publics. Il y a des mune et d'être confronté à des approches publics : les enfants, les adultes, les indi- sensorielles différentes. En faisant sortir viduels, les groupes, les handicapés des milieux éducatifs spécialisés la moteurs ou mentaux, les déficients réflexion sur le handicap visuel, on peut visuels, les sourds... On pourrait allon- aussi espérer y sensibiliser des artistes, ger la liste : les touristes étrangers, les créateurs potentiels de nouveaux livres familles avec poussette, les personnes ou outils pédagogiques. âgées, les visiteurs pressés, etc. Jusqu'à Sous forme de stage expérimental des- ce que l'on s'aperçoive finalement que le tiné aux enseignants, bibliothécaires, public est fait d'individus qui sont cha- éducateurs..., ce travail pratique est cun un public en soi. À ce moment-là, la actuellement proposé dans le cadre du personne handicapée fera vraiment par- programme « L'Enfant et la création » tie du public. du Centre Pompidou (Service Program- mation jeune public), en collaboration 1. cf. interview de Sophie Curtil dans le n°206 de avec l'association Les Trois Ourses qui La Revue des livres pour enfants. tisse depuis de nombreuses années des liens entre bibliothécaires, enseignants et artistes, persistant à vouloir décloi- sonner des milieux fermés et provo- quer des synergies fructueuses. Dans la foulée des années soixante, l'intérêt pour une remise en question de nos perceptions avait généré des expressions artistiques comme l'art optique ou l'art minimal. C'est à la fin des années soixante-dix que Danièle Giraudy avait conçu et réalisé, à l'Atelier des enfants du Centre Pompidou, l'exposition itinérante « Les Mains regardent », interdisant de ne pas toucher les sculptures exposées. L'exposition ne s'adressait pas spécia- lement aux enfants déficients visuels. Elle s'adressait simplement à tous. Les enfants voyants devaient découvrir les œuvres les yeux bandés, ce qui, somme toute, est la façon la plus simple de rapprocher le spectateur du créateur : LAREVUEDESUVRESPOURENFANTS-N-216 / ( dossier
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