Le Monde : la fracture éditoriale - Comment le journalisme militant met en péril le contrat de confiance avec les lecteurs - France Medias

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Le Monde :
  la fracture éditoriale
 Comment le journalisme militant met en péril le
     contrat de confiance avec les lecteurs

                              Par Denis Morineau,
                           Directeur de France Médias

France Médias février 2019 - Tous droits réservés - Le Monde : la fracture éditoriale
Le Monde : la fracture éditoriale - Comment le journalisme militant met en péril le contrat de confiance avec les lecteurs - France Medias
Comme chaque année, le baromètre du quotidien La Croix mesure la
confiance des français à l’endroit de leurs médias. Pour la seconde année
consécutive, les chiffres obtenus pour 2019 témoignent d’un niveau de défiance
inédit. Jamais le degré de crédibilité que portent les français vis à vis de leurs
médias, comme sources d’information, n’aura été aussi bas depuis la création de
cet indice, en 1987.

En l’espace de 2 ans, la crédibilité de la presse écrite, comme moyen
d’information, a chuté de 14 points ; là encore, le phénomène n’avait jamais été
aussi marqué dans l’histoire de cet outil de mesure. Cette dernière se trouve
désormais à peine mieux perçus, par les français, que la télévision (média
traditionnellement considéré comme le moins fiable pour les informer).

La réaction de la presse écrite, face à cette crise de confiance historique, oscille
entre fatalisme (« Depuis Balzac, les français ont toujours été assez hostiles à la
presse écrite » peut on lire dans Le Monde) et indignation que « les français ne
prennent plus le temps de penser et de réfléchir et se contentent d’une position
crédule et insuffisamment étayée », ce qui justifierait que ces derniers ne soient
plus en mesure de bien évaluer la réelle qualité de leurs médias…

Longtemps considéré comme le quotidien de référence en France, le journal Le
Monde essuie, sur ces 18 derniers derniers mois, de fortes critiques qui
concernent aussi bien sa ligne éditoriale, des manquements répétés à la
déontologie des journalistes ou encore des carences, décrites comme
manifestes par certain(e)s, dans son rapport à ses lecteurs et abonné(e)s.

Parmi ce flot de critiques, les plus vives se concentrent sur le site lemonde.fr,
premier média d’information en ligne avec 3 millions de visiteurs par jour. Ce
dernier se voit taxé de dérives idéologiques, de partis-pris répétés voire même
de manipulation(s) dans le traitement de l’information.

De façon incontestable, il semble qu’un malaise certain se soit installé, de façon
progressive, entre une partie du lectorat du Monde et les différentes rédactions
de ce média. Ce phénomène se révèle, notamment, au travers des milliers de
commentaires, avis et témoignages rédigés sur lemonde.fr par ses abonné(e)s.

En l’occurrence, et depuis l’élection de mai 2017 qui a vu l’arrivée d’Emmanuel
Macron à la présidence de la république, différents clivages paraissent s’illustrer
au sein des rédactions du groupe Le Monde. Aux côtés d’une ligne historique
généralement considérée comme « modérée » qui continue à privilégier la
réflexion et l’analyse distancée, un journalisme plus radical, revendicatif voire

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partisan semble vouloir émerger au gré des crises et tensions traversées par le
pays.

De l’affaire Benalla à la Une du magazine M en passant par la crise des Gilets
jaunes, nous tenterons d’identifier si de réelles dérives ont pu effectivement être
constatées et, si tel est le cas, d’en comprendre les possibles causes et
conséquences.

Le travail d’investigation mené pour cette étude a duré environ 10 semaines et
cible les périodes du 1er juillet 2018 au 20 février 2019, a consisté à étudier près
de 190 Unes du site lemonde.fr, notamment via le site waybackmachine.org, à
observer les choix éditoriaux et rédactionnels mis en oeuvre, à (re)lire 220
articles par le moteur de recherche multimédia du site lemonde.fr, à analyser
près de 400 photos, à identifier les outils et moyens de communication utilisés
pour diffuser l’information, à répertorier et analyser 3.500 commentaires
d’abonné(e)s et de lecteurs du Monde.

Organisée en 6 parties, l’étude consacre les 3 premières à des événements
marquants de l’actualité puis les 3 suivantes à une réflexion plus large sur la
ligne éditoriale du Monde, aux malaises observés dans le lectorat puis,
finalement, aux solutions envisageables pour restaurer une confiance durable.
Notons que les pistes de réflexion et solutions proposées, même si elles se
destinent au Monde en premier lieu, peuvent être éventuellement valables
auprès d’autres médias de presse écrite.

En outre, nous mentionnerons que malgré nos demandes, ni le directeur du
Monde (Monsieur Fenoglio) ni le directeur de la publication (Monsieur Bronner)
n’ont souhaité répondre aux questions, interrogations et constats soulevés par
cette étude.

Notons enfin que celle-ci a été réalisée de manière entièrement bénévole, sans
subvention ni publicité et n’est liée à aucune institution, entreprise, parti
politique ou groupe de pression. Elle se veut indépendante et citoyenne dans
son orientation et dans ses finalité(s).

Elle est diffusée auprès de l’ensemble des journalistes du Monde, auprès de la
société des lecteurs du Monde, auprès du comité d’éthique et de déontologie
du Monde, auprès des principaux médias français (presse écrite, télévision, radio
et principaux sites Internet d’information), auprès du département Médias du
Ministère de la Culture et auprès des agences de presse (AFP et Reuters).

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Sommaire

I. L’affaire Benalla
II. La crise des gilets jaunes
III. La Une du magazine « M »
IV. La ligne éditoriale en question(s)
V. Un lectorat déboussolé
VI. Les solutions envisageables

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I. L’affaire Benalla

    3 jours seulement après la victoire de l’équipe de France de football à la
coupe du monde en Russie, la révélation d’abus manifestes, de la part d’un
conseiller de l’Elysée à l’endroit de manifestants, lors des violentes
manifestations du 1er mai 2018 à Paris, signe le début d’une longue affaire
médiatico-politique qui s’étalera sur plusieurs mois.

A l’origine de ce scandale, la rédaction du Monde va choisir la manière forte pour
assurer une surface éditoriale maximale à cet événement, au point d’en faire la
plus large couverture médiatique du site lemonde.fr depuis sa création en 1998…

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Le traitement du monde.fr en chiffres

L’analyse des Unes et des surfaces de visibilité (au dessus de la ligne de regard
dite « ligne de flottaison »), du site lemonde.fr, a de quoi impressionner. Du 18
juillet 2018 au 30 août 2018, l’affaire occupe 85% des Unes et 88% de l’espace
majeur de visibilité.

A titre de comparaison, cela représente environ 2,5 fois la couverture dédiée aux
attentats terroristes de Paris en novembre 2015 (perpétrées notamment au
Bataclan) ou encore 2 fois plus que l’affaire DSK, à périmètres équivalents (durée
du traitement et intensité de la visibilité). Cette intensité médiatique est
également supérieure au total de tous les candidats à la présidentielle de 2017
réunis, sur une période comparable (de 6 semaines).

Jamais aucun événement géopolitique, politique ou économique n’aura disposé
d’une telle surface de visibilité médiatique depuis le lancement du site
lemonde.fr en 1996.

« L’affaire Bennalla a disposé de 2,5 fois plus de visibilité que la
couverture dédiée aux attentats de Paris en novembre 2015 »

Sur les éléments à notre disposition, on peut également affirmer qu’aucun des
grands sites d’information en ligne européen (El Pais en Espagne, le Frankfurter
allgemeine en Allemagne ou Le Times en Angleterre) n’a jamais consacré une
place aussi importante au traitement d’une seule information au cours des 10
dernières années.

La couverture du Brexit, à titre d’exemple, par le site Internet du Times
(thetimes.co.uk), a représenté une visibilité inférieure de 40% à celle de l’affaire
Benalla par lemonde.fr (à temps et périmètre équivalents).

Un dispositif éditorial jamais vu

Notons également l’utilisation de « dispositifs » éditoriaux exceptionnels pour la
couverture de cette affaire : 106 articles publiés dans le quotidien et sur le site
du Monde, auxquels s’ajoutent 77 autres articles publiés exclusivement sur
Lemonde.fr soit un total de 183 articles mis en ligne sur le site Internet du Monde
à la fin août 2018 (source : le médiateur du Monde, article du 08 septembre 2018
intitulé « Le Monde a t’il surjoué l’affaire Benalla ? »).

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Précisons que chaque article est relayé sur Google news et référencé sur les
différents moteurs de recherche ; en étant affiché en priorité sur les mots clés
en lien avec cette affaire.

Pour près de la moitié de ces publications, un système de Une extensive (très
grande photo et très grand titre) a été retenu. Ce système est généralement
réservé aux actualités d’extrême importance tels que les attentats du Bataclan
de novembre 2015 à Paris.

En outre et durant environ 8 semaines d’affilées, une très large majorité des
articles liés à cette affaire – et cela quel que soit leur apport éditorial objectif –
bénéficieront d’une mise en avant réservée aux faits majeurs d’actualité
(nationaux et internationaux) : titres surlignés en gras et en rouge sur le fil
d’information (rubrique « En direct »), mise en avant systématique sur la page
d’accueil, le plus souvent en position de « Une » durant plusieurs heures puis
accessibles ensuite en informations importantes, en dessous de la Home page
(avec photo et chapeau introductif).

A la vue de ce déploiement inédit dans l’histoire du monde.fr, de nombreux
abonné(e)s afficheront, progressivement, leur incompréhension ou leur
exaspération. Certain(e)s évoquent un « matraquage disproportionné et délirant
», d’autres un « détournement éditorial et idéologique » voire même une
« confiscation du droit des lecteurs à être informé(e) ».

Quoi qu’il en soit, cette hyper focalisation et cette insistance, sur une si longue
période, interroge et génère aussi une sorte de malaise au delà du seul lectorat
du Monde. Pourquoi la rédaction du monde.fr a t’elle opté pour une couverture
d’une telle ampleur ? Comment expliquer que ses journalistes aient déployé de
tels efforts pour imposer l’idée qu’il devait s’agir, de gré ou de force, d’une
affaire d’Etat ?

Un traitement partial et uniquement à charge ?

Au delà de la surface médiatique - inédite - consacrée à cette seule affaire, on
peut être assez surpris, à la (re)lecture des articles, de la tonalité générale qui
s’en dégage.

Durant les 10 premiers jours de l’affaire, la quasi totalité des articles ne présente
que les éléments à charge contre l’ex conseiller de l’Elysée. Ce choix éditorial
multiplie les angles décrivant les faits avec, à chaque fois, une insistance toute
particulière sur les coups portés par Alexandre Benalla.

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Ce parti-pris semble faire oublier, dans la rédaction de certains articles, la prise
de distance critique et nécessaire à la restitution des scènes décrites. En effet, le
contexte général (climat de forte tension, violences urbaines, brutalités contre
les policiers…) ne figure que très rarement dans les récits qui ne se concentrent
que sur les interpellations musclées d’Alexandre Benalla.

Plusieurs articles soulignent notamment qu’Alexandre Benalla s’en prend à des
badauds, à des personnes présentes sur la place de la Contrescarpe (visiblement)
par hasard sans qu’à aucun moment les journalistes ne s’interrogent sur la
participation de ces personnes aux (violentes) manifestations en cours. Il s’agit
là d’un parti-pris qui déroge à l’article 1 de la charte déontologique du Monde
(dans lequel la recherche de la vérité doit être privilégiée).

Une vidéo tronquée et censurée par Le Monde

Au centre de la polémique et de l’affaire, la vidéo diffusée en boucle dans une
grande partie de articles du monde.fr (au milieu ou en fin des articles), montre
les agissements - a-priori répréhensibles - d’Alexandre Benalla.

Curieusement, et bien que la rédaction du Monde ait disposé de la vidéo
complète - au plus tard - quelques jours après la révélation de l’affaire (France 3
national la diffuse dans plusieurs de ses journaux 5 jours après son
déclenchemen), le choix a été fait de ne pas montrer le début de celle-ci,
pourtant essentiel, où l’on voit clairement le couple en question s’en prendre
assez violemment aux policiers et forces de l’ordre.

Cet acte volontaire de suppression d’une partie de la vidéo et donc de censure
de l’information semble difficilement compréhensible pour des journalistes
censés « rechercher la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences ». Ils
bafouent là, volontairement, plusieurs des articles du code déontologique du
Monde et du code européen des journalistes de Munich.

L’éthique journalistique se basant sur le fait de relater l’ensemble des faits et la
globalité du contexte, comment justifier qu’une omission aussi déterminante ait
été décidée par la rédaction ? Etait-ce dans le but de maintenir les thèses –
uniquement à charge – proposées et présentées par le journal ? Enfin, comment
expliquer qu’aucune sanction n’ait été prise, au sein de la rédaction, dans la
foulée de cette importante dérive ?

Suite à cet épisode, certain(e)s abonné(e)s ont souligné que « des poursuites
judiciaires à l’encontre du journal devraient être envisagées » ou encore qu’«en

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plus de trahir volontairement la vérité des faits et la confiance de ses lecteurs,
Le Monde fait le choix de manipuler les preuves d’une affaire afin d’orienter
l’opinion ».

40% des articles ne respectent pas la charte déontologique

Autre sujet de préoccupation pour nombre d’abonné(e)s, la façon de traiter et
de relater l’information, avec des méthodes parfois « très éloignées de la
déontologie journalistique ».

Récits biaisés ou orientés, répétition systématique des accusations, oublis
(volontaires ?) d’éléments pourtant connus (et relayés sur d’autres médias),
complaisance à l’endroit des « victimes » sans aucune précaution ni
discernement du contexte… Toutes ces constatations vont clairement à
l’encontre des règles les plus élémentaires du journalisme d’investigation en
général mais aussi de de la charte d’éthique du Monde en particulier.

D’une façon générale, sur les 110 articles relus sur l’affaire Benalla (publiés sur
lemonde.fr), au moins 40% peuvent être considérés comme orientés sur le plan
idéologique et donc ne respectent pas, au minimum, l’article 1 de la charte
d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde.

Certains s’avèrent grossièrement accusateurs et parti-pris quitte à en oublier
certains faits, à les modifier pour étayer la thèse du journaliste ou à en sur
exposer d’autres. Là encore, on ne se situe plus du tout dans un journalisme
qualitatif et exigeant mais bien dans des logiques d’influence du lectorat voire
de manipulation volontaire de l’opinion publique.

Exemple d’un article orienté et complaisant

  Parmi les nombreux articles qui peuvent être considérés comme orientés, on
pourra citer celui consacré aux extraits de l’audition du couple molesté ; l’un de
ceux qui le plus suscité d’émoi voire d’indignation chez les lecteurs du Monde.

Rédigé par la journalistique à l’origine de l’affaire Benalla, l’article intitulé
« Affaire Benalla : le couple molesté le 1er mai livre sa version » (daté du 20
septembre 2018, soit 2 mois après la révélation de l’affaire) semble
symptomatique des reproches formulés par une partie du lectorat du Monde à
l’endroit de sa rédaction.

Le récit de la journaliste et des « 2 jeunes molestés de la place de la

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Contrescarpe » s’entremêlent dans un sens unique, celui de l’absolue
victimisation du couple « présents sur place par hasard ». Les policiers incriminés
et Alexandre Benalla y sont présentés comme des agresseurs d’une extrême
violence dont les agissements paraissent incompréhensibles, presque gratuits.

Quelques semaines après la publication de cet article, une bonne partie des
déclarations relayées et cautionnées par la journaliste du Monde s’avèreront
imprécis voire fantaisistes. Là encore, on s’interrogera sur le processus - au sein
des rédactions du Monde - qui amène à ce que de tels articles, rédigés sous la
forme de « story telling » complaisants et même romancés, puissent être validés
et publiés en l’état, sans autre forme de précaution(s).

Les suites de l’affaire Benalla : vers plus de raison

Des articles réguliers ont ensuite été diffusés, des mois d’octobre à décembre
2018, en particulier sur lemonde.fr, sans que la valeur ajoutée, pour le lecteur,
paraisse toujours significative.

L’article intitulé « Alexandre Benalla à la fête du JDD » (daté du 28 novembre
2018 et toujours rédigée par la même journaliste), par exemple, relate la
présence de l’ex conseiller de l’Elysée à l’étage d’un restaurant du 8ème
arrondissement tandis qu’une fête organisée par le Journal du dimanche se
déroulait au rez-de-chausssée. La présence d’un membre du gouvernement
(Gérald Darmanin) est la première citée de façon à ce que le lecteur s’interroge
sur les possibles (ou probables) collusions (encore) existantes entre les différents
intervenants à cette soirée.

On y apprend finalement que la présence d’Alexandre Benalla était fortuite et
n’avait aucun lien avec la fête du JDD (à laquelle il n’a pas participé). Du coup,
on est en droit de se demander si ce type d’information s’avère indispensable à
relayer et offre une quelconque valeur ajoutée aux déroulements de l’affaire.

Notons que la résurgence de l’affaire Benalla, notamment au travers de la
révélation des contrats de sécurité lié à un oligarque russe, a fait ensuite l’objet
d’un traitement plus factuel et équilibré de la part du monde.fr.

Au cours des mois de janvier et jusqu’au 20 février 2019, plusieurs articles
décrivent les protagonistes et les enjeux, cette fois sans excès particuliers ou
extrapolations marquantes.

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Les périodes de « mise en Une » des nouveaux éléments, y compris
l’incarcération d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase, n’ont duré - le plus
souvent - que quelques heures pour ensuite intégrer les principaux titres ; sans
cannibaliser le reste des actualités nationales et internationales.

Le système de « Unes en rotation » semble plus fréquemment utilisé par
lemonde.fr, depuis peu, et permet de présenter une meilleure diversité de
l’information avec, espérons le, la fin des traitements « monomaniaques » qui
participent à la défiance des français à l’endroit de leurs médias (cf. chapitre sur
« La ligne éditoriale »).

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II. Les gilets jaunes
     A partir du 17 novembre 2018, un mouvement de protestation contre
l’augmentation des taxes sur les prix des carburants, fédère plusieurs dizaines
de milliers de personnes à travers la France.

Au fil des semaines, cette contestation sociale hors norme évolue dans ses
revendications et laisse apparaître des profils sociologiques et humains difficiles
à identifier selon les critères habituels d’analyse.

La forme inédite de cette expression sociale (concentrée initialement
essentiellement sur des ronds points, sans représentants et détachée des partis
politiques et syndicats) interpelle les médias, dont Le Monde, qui suivent de près
ce conflit…

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La couverture du monde.fr en chiffres

Lemonde.fr a été le site d’information français à proposer la plus forte visibilité
aux Gilets jaunes avec plus de 710 articles au total, très largement devant des
sites comme liberation.fr (pourtant censé disposer d’une proximité idéologique
plus forte avec les revendications sociales du mouvement), lefigaro.fr ou encore
leparisien.fr.

L’estimation de la visibilité du mouvement en Une et ou au dessus de la ligne de
flottaison est d’environ 72% sur la période allant du 16 novembre 2018 au 07
janvier 2019. Cela signifie qu’environ 7 Unes sur 10, et cela 24 heures sur 24,
étaient consacrées au conflit des gilets jaunes. Seule la période de l’attentat de
Strasbourg a relégué au second plan, durant quelques jours, cette « hyper
couverture ».

Notons qu’aucun autre conflit social, dans les 20 dernières années, n’avait fait
l’objet d’une telle densité de traitement et d’un choix éditorial aussi marqué. Y
compris des conflits sociaux mobilisant beaucoup plus de personnes (plusieurs
centaines de milliers).

Le journalisme d’immersion et ses limites

L’étude qualitative et sémiologique des articles amène à un constat double
concernant la couverture de ce conflit…

D’une part, on constate qu’une moitié environ des articles relate les faits
objectifs sans qu’il y ait de connotation ou d’orientation particulière à relever :
le quotidien sur les ronds points, les samedis de manifestation, les dérapages et
violences…

D’autre part, on observe un journalisme d’immersion sur utilisé en comparaison
des conflits sociaux habituels, en particulier durant les 2 premiers mois du
conflit. Officiellement dans le but de « mieux comprendre » les motivations des
Gilets jaunes, lemonde.fr a multiplié de nombreuses interviews, souvent fleuves,
de gilets jaunes sur les ronds points ou lors des samedis de manifestation.

Des dizaines d’articles relaient donc les visions, souvent assez extrêmes, des
quelques milliers de gilets jaunes (généralement les plus remontés) qui ont
choisi de bloquer ou filtrer la circulation automobile durant environ 8 semaines.

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Ce qui peut plus surprendre, dans ces longs récits, c’est qu’au delà de la haine
généralisée à l’endroit du pouvoir, les journalistes n’opposent le plus souvent
aucune contradiction, aucune nuance même.

Dans le même temps, la parole gouvernementale est réduite à son plus simple
appareil tout comme les réflexions et analyses de sociologues, historiens ou
philosophes dont les éclairages sont souvent partiaux et insuffisants (sur la
période étudiée). Une partie d’entre eux, et cela qui peut sembler très
surprenant, prend ouvertement parti pour le mouvement des Gilets jaunes. Ce
qui interroge, forcément, sur la façon dont la rédaction du Monde choisit ses
intervenants et autres experts…

La France repeinte en jaune ?

Mis bout à bout, le lecteur peut avoir l’impression que les quelques milliers de
personnes sur les ronds points représentent effectivement « le peuple français »
et que les quelques dizaines de milliers de manifestants du samedi représentent
la grande majorité de la France.

Certains articles ont particulièrement retenu notre attention. Par exemple,
l’article réalisé le 31 décembre sur les Champs Elysées. Malgré le très faible
nombre de gilets jaunes (environ 200) comparé aux 250.000 personnes
présentes sur place, l’intégralité de l’article, en Une durant près de 10 heures,
décrit la nuit des gilets jaunes, entre confidences, déceptions et combats. Les
lecteurs du monde.fr ne peuvent qu’avoir l’impression, avec une telle mise en
avant éditoriale, que le réveillon à Paris était essentiellement « jaune », ce qui
dans les faits n’était en rien le cas.

Un manque de distance dans la couverture journalistique ?

Nous avons comptabilisé environ un tiers des articles qui nous a semblé
favorable voire très favorable aux gilets jaunes. Les journalistes du monde.fr se
montrent globalement d’une grande ouverture et bienveillance à l’endroit des
manifestants.

A l’inverse, il nous a fallu approfondir nos recherches pour trouver des articles
plus critiques ou qui donnaient la parole à d’autres français, durant toute la
première période du conflit.

Ce phénomène de fixation journalistique autour d’un angle éditorial a, semble
t’il, heurté ou même exaspéré une partie des lecteurs et abonné(e)s du

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monde.fr. Beaucoup ne se retrouvaient pas dans cette façon de montrer le
mouvement, les réactions les plus fréquentes parlant de « déconnexion » des
journalistes et de la rédaction, de « complaisance » à l’endroit du
mouvement voire de « confiscation du droit à l’information » pour tous les
autres sujets de société, d’économie, de politique… qui se trouvaient nettement
moins relatés durant cette période.

Un président détesté et isolé ?

Autre sensation assez diffuse mais bien présente (et relatée dans de nombreux
commentaires de lecteurs), la haine « anti Macron » est largement relayée et
mise en exergue dans les articles du monde.fr, bien plus encore que sur
liberation.fr où le ton et le traitement paraissent, paradoxalement, plus neutres
et moins partisans.

Les violences verbales, menaces physiques, menaces de mort à l’endroit du
président mais aussi l’ensemble des griefs qui lui sont reprochés par les gilets
jaunes (la liste serait trop longue pour tous les relater) se voient offrir une caisse
de résonnance inédite dans les colonnes du monde.fr.

Là encore, le sentiment du lecteur, à la lecture de ces articles assez homogènes
et véhéments, et sans autres formes de contradiction, ne peut qu’inciter à une
accentuation de l’hostilité à l’endroit du chef de l’Etat.

On est d’ailleurs surpris de constater que seule la parole officielle,
gouvernementale ou elyséenne, est relayée par Le Monde. Cela renvoie l’image
d’un pouvoir esseulé et qui ne dispose d’aucun soutient parmi les différentes
catégories de la population. Ce qui, objectivement, n’était pas tout à fait
représentatif des opinions, y compris dans les premières semaines du conflit.

En sus de cet angle éditorial, « l’isolement du président » a été largement mis
en avant sur lemonde.fr. Décrit comme « enfermé à l’Elysée » (article du 15
janvier 2019), on y apprend notamment que « Tous les soirs, jusque tard dans la
nuit, Emmanuel Macron textote sur l’un de ses deux iPhone (…) Rares sont
pourtant ceux à connaître la teneur de ces discussions, sur lesquelles règne un
épais brouillard. Même ses proches ne savent pas tout. Plusieurs ont été troublés
d’apprendre récemment qu’Emmanuel Macron avait pu continuer d’échanger
des SMS avec Alexandre Benalla bien après la crise de l’été 2018, alors qu’eux-
mêmes assuraient le contraire à l’extérieur du Château. ».

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Sans aller bien loin dans l’analyse sémiologique, l’association « textote sur ses 2
Iphone » ; « épais brouillard » ; « ses proches ne savent pas tout » et « Alexandre
Benalla » offre une image des plus obscures, quasi occulte des activités
(supposées) du président de la république.

On retrouve ces procédés mélangeant éléments factuels, imaginaire du
journaliste voire relaie de rumeurs (non étayées) très régulièrement dans
différent articles publiés sur lemonde.fr sur les mois de décembre et janvier
2019. Il en ressort l’impression d’un président très sombre (cf. La Une du
magazine M), en dehors des réalités, en proie à des relations dissimulées et peu
recommandables.

Prise(s) de conscience (très) tardive(s)

Plus de 8 semaines pour évoquer explicitement le noyautage du mouvement des
gilets jaunes par l’extrême droite française, cela semble un peu long pour de
nombreux lecteurs... D’autant que ces réalités d’imprégnation idéologique sont
connues et décrites par plusieurs médias dès le début du mois de décembre 2018
(JDD le 8 décembre 2018 : « comment l’extrême droite a infiltré le
mouvement »).

Dans un article (instructif et détaillé) intitulé « Les gilets jaunes, nouveau terrain
d’influence de la nébuleuse complotiste » daté du 19 janvier 2019, la journaliste
du Monde souligne l’infiltration des thèses de l’ultra droite dans les discours et
le mouvement des « gilets jaunes ».

Exemple de commentaire d’un lecteur (parmi plusieurs dizaines) : « Eh bien, il
aura fallu près de 2 mois au Monde pour constater ce que nombreux de ses
abonnés dénoncent depuis le début de ce mouvement factieux. 3 mois à devoir
subir les remontrances d'Aline, Faustine and co. On a même eu droit à un article,
attention avec une sociologue, pour nous pousser à l'autocritique et à la
rééducation. Priés de dégonfler notre mépris de nantis devant les dazibaos
inscrits au dos des gilets jaunes ».

Le poids des photos : mouvement d’ampleur et violences policières

Les photos mises en ligne sur lemonde.fr relèvent bien évidemment de la ligne
éditoriale et traduisent, le plus souvent, la volonté du journaliste et ou de la
rédaction de mettre l’accent sur un phénomène.

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Sur environ 400 photos étudiées (photos principales d’article et photos insérées
à l’intérieur des contenus), 2 orientations dominent : l’impression d’un
mouvement d’ampleur d’une part et des violences policières omniprésentes
d’autre part.

Pour ce qui concerne l’ampleur du mouvement donnée à voir aux lecteurs et
abonné(e)s, lemonde.fr choisi régulièrement d’accentuer l’effet de masse avec
des gros plans sur quelques dizaines de manifestants, des plans plus larges
lorsqu’il y a des des cortèges fournis. Quand il s’agit de quelques personnes sur
un rond point, la pratique semble consister à les montrer rassemblés et proches
les uns des autres pour donner l’impression d’une densité.

La fameuse Une du 31 décembre 2018 à Paris, à titre d’exemple, donne
l’impression d’une « vague jaune » là où les gilets jaunes représentaient à peine
le millième de l’assistance présente sur les Champs Elysées…

D’autre part, les violences et maltraitances policières ont été très largement
affichées sur lemonde.fr. Colonne de CRS semblant charger un homme seul à
terre, policiers montrés en train de frapper ou de menacer des manifestants,
gilets jaunes délogés de leur rond point… Toute la panoplie des images montrant
une Police brutale et injuste s’est trouvée mise en exergue durant des semaines.

Sur les photos analysées, on peut considérer qu’au minimum 7 sur 10 sont
défavorables aux forces de l’ordre et montrent des manifestants victimes de la
répression. Les violences - parfois extrêmes - de certains gilets jaunes et
casseurs, les menaces de mort envers les policiers et gendarmes ou encore les
provocations quasi systématiques envers les forces de l’ordre sont, quant à elles,
globalement peu ou pas mises en avant ; parfois totalement mises sous silence
dans la photographie du monde.fr.

La police (beaucoup) plus blâmée que les manifestants violents

D’une façon générale, les articles du monde.fr ont relaté à la fois les violences
des manifestants mais aussi celles de certains policiers. A plusieurs reprises
néanmoins, le choix de la rédaction du Monde a été de plutôt de mettre en avant
les dérapages policiers et plus rarement les violences des manifestants.

C’est le cas par exemple le 06 janvier 2019 où, après de nouvelles violences très
graves à l’endroit des forces de l’ordre, la rédaction choisit de mettre en Une,

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durant plus de 12 heures, le dérapage violent d’un commandant de gendarmerie
à Toulon, en spécifiant dans la titre qu’il avait été « décoré » (par l’Elysée).

Là encore, et comme dans le traitement de l’affaire Benalla, beaucoup de
lecteurs et abonné(e)s se sont indignés de cette orientation éditoriale, du choix
d’associer (indirectement) ce commandant à l’Elysée comme si c’était bien cette
dernière qui avait cautionné voire commandité, au moins symboliquement, ces
violences policières.

6 à 7 fois fois plus de visibilité éditoriale pour les blessures des
manifestants que pour celles des policiers

Les illustrations de ce phénomène sont nombreuses. L’accentuation est mise
nettement plus sur « les violences policières » que sur celles des manifestants
(pourtant flagrantes sur les images des chaines d’information, des JT et même
des vidéos privées).

On a comptabilisé entre 6 à 7 fois fois plus de visibilité éditoriale pour les
blessures des manifestants (dont au moins une trentaine d’articles sur les LBD,
les lanceurs de balles de défense) que pour celles des policiers. Dans les faits, le
rapport de blessés n’est pourtant, au total, que de 1,5 fois plus de blessés du
côté des manifestants.

Le 14 février 2019, lemonde.fr met en Une un article intitulé « Le Parlement
européen condamne le recours disproportionné à la force contre les
manifestants » en expliquant qu’un texte non coercitif a été voté au parlement
visant notamment « le recours à certains types d’armes à létalité réduite par les
forces de police contre des manifestants pacifiques, comme les projectiles à
impact cinétique ».

Ce qui surprend, à la lecture de cet article comme dans beaucoup d’autres, c’est
l’absence de recul du journaliste. En effet, le parallèle avec les manifestations
des Gilets jaunes est directement fait (y compris sur la photo d’illustration de
l’article) mais le contexte dans lequel ces LBD sont utilisés, par les forces de
l’ordre, est totalement passé sous silence. Là encore, seuls les arguments
dénonçant la violence des policiers et les points de vue (et déclarations) de la
France Insoumise et du Rassemblement national sont relayés dans l’article.

De fait, il paraît difficile de qualifier les manifestations hebdomadaires des Gilets
jaunes de « manifestations pacifiques » : les provocations, violences aggravées,
saccages, menaces de mort… Ainsi que les 1.200 policiers blessés semblent ne

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pas exister selon le prisme du journaliste ; seule la violence des armes de défense
est mise en accusation.

Un nouvel effet de saturation du lectorat ?

On retrouve des critiques très similaires à l’affaire Benalla, de la part des
abonné(e)s au monde.fr, quant à la ligne éditoriale retenue par la rédaction du
site d’information en ligne.

Environ 40% des commentaires évoquent, directement ou non, une
« saturation », un « matraquage », ou encore un « traitement partisan » de ce
conflit social. Notons que cette impression ne se retrouve pas, dans les mêmes
proportions, dans les commentaires et réactions des autres journaux en ligne
(où les critiques existent mais sont plus contrastées et diverses).

Il semble que ce soit installé, depuis l’affaire Benalla et tout au long du conflit
des gilets jaunes, une sorte de ligne de fracture entre une partie du lectorat du
monde.fr et la rédaction du site d’information. Au delà d’un simple
mécontentement ou mouvement d’humeur, il s’agit plutôt d’une défiance à
l’endroit de l’angle éditorial retenu, d’une colère de « se voir confisquer la ligne
éditoriale de notre journal par un petit clan de journalistes militants. »

Un type de réflexion revient régulièrement dans les commentaires des
abonné(e)s : « lemonde.fr n’est plus un site d’information qui relate les faits et
en propose une analyse mais bien un site d’opinion(s) définitivement marqué
sur le plan idéologique ; un média qui fait désormais clairement de la politique
plutôt que du journalisme ».

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III. La Une de M, le magazine
Le samedi 29 décembre, le magazine du Monde (M) présente une couverture
(Une) très particulière. On y voit le président Macron, le regard froid et
inquiétant, le visage fermé, une foule nombreuse sur les champs Elysées - en sur
impression sur sa veste – ainsi qu’un fond vieilli aux couleurs dominantes de
rouge, de noir et de blanc.

Dès le jour de sa sortie, des réactions assez vives s’expriment émanant de
différents milieux et domaines : des intellectuels, des historiens, des hommes et
femmes politiques, des descendants de déportés mais aussi de simples citoyens
et lecteurs / abonné(e)s au Monde.

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La codification totalitaire voire nazie

Tandis que la polémique enfle sur la résonnance totalitaire voire nazie de cette
couverture, le quotidien belge Le soir révèle que cette Une s’inspire directement
d’une représentation d’Hitler par un artiste contemporain, Lincoln Agnew. De
fait, la mise en parallèle du tableau de l’artiste représentant le dictateur et la
Une du magazine est édifiante : tout est repris, quasiment à l’identique jusqu’au
fond de page, à la géométrie, aux couleurs…

Le directeur de la publication, lors de rapides justifications sur son compte
Twitter, évoquera l’inspiration de l’artiste dans la conception de la Une ainsi
qu’un hommage au « graphisme des constructivistes russes au début du XXe
siècle ». Cette première explication ne convaincra pas et, au contraire, ne fera
qu’amplifier la polémique (qui atteindra les 8.000 tweets à son plus haut).

Le fait de déjuger les lecteurs et abonné(e)s qui n’auraient pas compris la
référence induite par cette Une tout en niant toute volonté, de la part du Monde,
de nuire à l’image du président Macron, a suscité des vagues de colère et
d’indignation ; bien au delà des lecteurs et abonné(e)s du journal…

Une « erreur » symptomatique ?

Pour certain(e)s, cette Une n’a rien d’un accident mais se révèle plutôt être
l’énième expression d’une ligne éditoriale profondément partisane qui, dès
qu’elle en a l’occasion, vilipende, rabaisse et s’en prend à la présidence Macron.

Ce « climat de ressentiment voire de haine » qui dominerait au sein de la
rédaction du Monde, de nombreux lecteurs ne s’en montrent que partiellement
surpris(e) et le font savoir, plus ou moins délicatement.

« M. Bronner, encore une réaction et on en sera à 1000, dont une écrasante
majorité vous étrillant... Là-dessus, votre Directeur doit venir se justifier... de
votre justification ! Quelles conclusions personnelles comptez-vous tirer de ces
camouflets ? L'évolution partisane du Monde en 2018 s'est effectuée sous votre
commandement. »

De façon concomitante, cet autre commentaire reprend plusieurs idées et avis
récurrents parmi lesquels la responsabilité de la rédaction du Monde, dans la
montée des populismes, serait non négligeable…

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« L’intention scabreuse et malodorante est avérée. Que la rédaction du Monde
rétropédale lamentablement ne change rien. Ce Macron bashing de la part du
Monde est idéologique et sectaire. Si MLP est élue en 2022, le Monde aura une
lourde responsabilité, qu’il devra assumer sans lâcheté. En attendant, j’ai la
nausée. »

Les apparences préservées

L’intervention de Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, s’est avérée nettement
plus efficace. Reconnaissant « l’erreur » et en partie sa gravité, il a pu restauré,
partiellement, une confiance largement ébranlée depuis plusieurs mois à
l’endroit de son lectorat.

Evoquant une couverture « ratée », le directeur du Monde défend néanmoins la
ligne éditoriale de son journal en contestant toute dérive anti-Macron, à l’origine
de ce nouvel incident.

Cette partie de l’article semble avoir nettement moins convaincue les lecteurs et
abonné(e)s puisqu’un déferlement de réactions est venu contredire cette
position officielle.

En réponse à l’article intitulé « A propos de la « une » de « M le magazine du
Monde : notre erreur et notre responsabilité », plus de 500 commentaires ont
été publiés sur lemonde.fr. En voici 2 qui illustrent assez bien la tonalité
dominante…

« "Nous ne renoncerons pas à décrire, sans concession pour aucune partie, les
enjeux anciens et récents de cette fragmentation de nos sociétés. C’est par ce
rôle que se construit l’utilité d’un journalisme indépendant, et la confiance de
ses lecteurs." C'est, il me semble, ce que la majorité des lecteurs demandent au
Monde qui devrait se hisser à la hauteur de ces exigences. Trop
d'approximations, de partis pris, de recherche de buzz, d'absence de recul ont
émaillés ces derniers temps ce journal. »

« Le simple fait de lire l'affirmation, dans cet article, que ce journal serait « non
militant » est une stupéfaction, un manque de lucidité, et peut-être faut-il aller
jusqu'à dire : une hypocrisie. Et jour après jour, semaine après semaine, les
journalistes du Monde font la promotion de leurs idées et de leur perception de
la société et de ses évolutions. C'est leur droit, c'est le jeu de la liberté
d'expression, mais qu'ils ne prétendent pas être exempts de tout
positionnement idéologique. »
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La ligne éditoriale en question(s)
       Avec la crise des gilets jaunes et les violences qui ont émaillé les cortèges,
notamment à l’encontre de journalistes, de nombreuses rédactions (en
télévision, radio et presse écrite) se sont interrogées sur leur traitement des faits
et sur les éventuelles dérives qui auraient pu s’opérer dans la couverture du
conflit.

Dans un article intitulé « Les gilets jaunes poussent les médias au débat », 3
journalistes du Monde décrivent les réflexions menées dans différentes
rédactions : « Le directeur de France Info, a chargé, début janvier, quatre
journalistes de piloter des ateliers de « réflexion collective » sur « la façon
d’exercer notre métier ». « Face à la dégradation de la relation de la situation, il
nous faut être plus transparents sur nos méthodes, estime M. Thuillier, de LCI. ».
Dans le même esprit, le 15 février 2019, la direction de BFM TV annonce que « la
chaine va diffuser moins d'images « en boucle » et renouveler ses
éditorialistes ».

Du côté du Monde, l’introspection s’est, semble t’il, limitée à un exercice de
questions réponses unilatérales (sans contradicteurs) autour d’accusations de
gilets jaunes à l’endroit de la presse. Pas d’ateliers de réflexion, pas de débats
sur la ligne éditoriale avec les abonné(e)s, pas d’interrogation(s) sur la façon
dont Le Monde a couvert cet événement…

Ce qui est résumé dans l’un des commentaires de l’article : « Les médias
s’interrogent visiblement mais pas Le Monde. A moins qu’il y ait un débat à la
rédaction du journal mais que ce dernier aurait cru bon ne pas en informer ses
lecteurs et ses encore fidèles abonnés? ».

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2 histoires, 2 identités et un mélange explosif

Pour de nombreux lecteurs, l’objectif d’une partie des articles du Monde n’est
pas de les informer de façon neutre et objective mais plutôt de leur présenter
une vision orientée et idéologique ; une finalité spécieuse éloignée des règles
déontologiques dont se prévaut la direction du journal.

On doit déjà se rappeler que l’identité des 2 éditions du Monde est
fondamentalement différente. Pendant plus de 10 ans, les 2 rédactions
(« papier » et numérique) ont cohabité sans se côtoyer, chacune à un étage
différent, avec des organisations très différentes.

La première était constituée des journalistes les plus aguerris, des « signatures »
du Monde et des moyens les plus importants (correspondants dans le monde
entier, relecteurs…). Elle véhiculait une approche rigoureuse et factuelle de
l’information, une vision d’un journalisme ambitieux et fiable.

La seconde rédaction (numérique) s’est formée à la fin des années 90, presque
en opposition avec sa grande sœur. Essentiellement constituée de jeunes
journalistes et disposant de moyens limités, il lui fallait exister et se singulariser
en explorant des voies qui n’étaient pas celles du journal papier « traditionnel ».

Longtemps dirigée par un trio de rédacteurs en chefs, lemonde.fr a souvent
contourné voire bousculé les codes journalistiques classiques. Son « ADN »
éditorial est nettement plus orienté sur le plan politique et idéologique. On y
retrouve un journalisme plus militant, particulièrement en pointe sur les
dénonciations des « affaires », la corruption des élus ou encore les
revendications sociales.

On retrouve, dans les soubresauts de ces derniers mois, cette même dualité
entre une information qualitative et éthique puis, à la faveur de crises sociétales
ou politiques plus fortes, la (ré)émergence d’un journalisme plus radical, plus
idéologique voire partisan, dans les colonnes du site lemonde.fr en particulier.

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