Le populisme selon Trump, un danger pour les droits de l'homme 2018/10 - Sireas
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2018/10 Le populisme selon Trump, un danger pour les droits de l’homme Pascal De Gendt Analyses & Études Droits de l’Homme Siréas asbl
2018/10 Le populisme selon Trump, un danger pour les droits de l’homme par Pascal De Gendt Analyses Analyses & & Études Études Droits l’Homme 3 de internationale Politique Siréas asbl
Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente, sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de SIREAS.. Les questions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui in- téressent notre public et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de rendre les textes accessibles à l’ensemble de notre public. Éditeur responsable : Mohamed Ben Abdelkader. Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes Questions sociales Droits de l’Homme Migrations Politique Internationale Économie Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur nos sites www.lesitinerrances.com et www.sireas.be, elles sont aussi disponibles en version papier sur simple demande à educationpermanente@sireas.be Siréas asbl Avec le soutien Service International de Recherche, de la Fédération d’Éducation et d’Action Sociale asbl Wallonie-Bruxelles Secteur Éducation Permanente Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58 educationpermanente@sireas.be www.lesitinerrances.com 4
L ’élection de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale a été un véritable séisme. Elle démontrait que les électeurs de la première puissance mondiale pouvaient se laisser séduire par une personnalité au style outrancier du moment qu’elle tenait un discours populiste. Si les spécialistes discutent encore de la teneur exacte de ce qu’est le populisme, l’année et demie que vient de passer Trump à la présidence permet de déterminer quelles sont les grandes lignes de son projet politique. Et d’analyser en quoi il constitue un danger pour les droits de l’homme. Une menace d’autant plus grande que, désormais, les partis et mouvements populistes actifs dans les démocraties parlementaires européennes ont un modèle auquel se référer. Le populisme en théorie Dans le discours politique et médiatique, l’adjectif populiste est devenu une expression à la mode. Il est donc utilisé à tort et à travers. Par exemple, par les hommes et femmes politiques qui veulent discréditer les positions ou les discours de leurs adversaires. Mais aussi, plus fréquemment encore, par les médias ou l’opinion publique pour lesquels ce terme semble avoir remplacé celui d’extrémisme. Le débat entre spécialistes de la politique reste, pour sa part, ouvert. Le populisme est-il une tactique pour arriver au pouvoir ou une véritable idéologie ? Peut-on distinguer un populisme de droite et un populisme de gauche ? Si oui, quelles sont leurs spécificités ? Et faut-il les mettre sur le même pied ? Nous n’allons pas entrer dans ce genre 5
de débats, mais plutôt tenter d’isoler quelques caractéristiques qui semblent communes à tous les discours qualifiés de populistes. Une posture anti-establishment Le premier point est logique puisqu’il est la racine même du mot : le populisme veut remettre le peuple en avant. Plus précisément, il veut rendre au peuple un pouvoir politique qui aurait été capturé par les élites. Celles-ci sont représentées par les partis politiques traditionnels qui deviennent donc les ennemis du peuple. Dans l’Union européenne, outre les commissaires et députés européens, cette élite serait aussi constituée des lobbyistes et autres technocrates. L’establishment auquel les populistes s’opposent comprend également les grands acteurs économiques et financiers. Ils sont tous accusés d’être des décideurs coupés des réalités du peuple. Cette identification avec le peuple, ou du moins une partie de celui- ci, Donald Trump l’a réussie au-delà de toute espérance. On la retrouve jusque dans son discours d’investiture le 20 janvier 2017 : « La cérémonie d’aujourd’hui revêt un sens très particulier, parce qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une simple passation de pouvoir entre deux gouvernements ou entre deux partis. Il s’agit d’une passation du pouvoir qui part de Washington et qui vous est rendu à vous, le peuple » (1). Cela ne manque d’ailleurs pas d’étonner. Comment le peuple peut-il se reconnaître dans ce milliardaire qui fait, de facto, partie de l’élite économique de son pays ? Parce que l’empire Trump, c’est trente-trois tours, neufs hôtels et dix-sept terrains de golf (2). Et s’il vit désormais en partie à Washington, sa Trump Tower est bien située à Manhattan, à proximité de « Wall Street », repaire d’une oligarchie financière désignée comme ennemie durant sa campagne électorale. Mais Trump adore exhiber sa réussite et ses électeurs en redemandent. Ils considèrent sa richesse comme un gage d’indépendance. Une impression qu’il se plait à renforcer par une attitude et des discours non-conventionnels pour une personne occupant la fonction présidentielle. Ce style, souvent outrancier, en plus de renvoyer au personnage de « The Apprentice », l’émission de télé-réalité qui l’a rendu populaire, s’inscrit dans un courant « anti-intellectuel » qui traverse la société américaine depuis le XVIIIe siècle (1). 6
Anti-intellectualisme historique Cette opposition entre croyance et connaissance, liée à l’essor des églises méthodistes et baptistes, reste vivace dans une partie de la population américaine et se traduit de nos jours par le rejet des discours jugés trop intellectuels ou trop politiquement corrects. En 1964, l’historien Richard Hostadter avait déjà identifié la « paranoïa », mêlant exagération, suspicion et fantasme du complot, qui existait dans une partie de l’opinion publique américaine qu’il qualifiait « d’esprits en colère » (3). Cela explique, par exemple, le refus de Trump de reconnaître les bouleversements climatiques et de considérer qu’il s’agit d’une invention des Chinois. Ou, plusieurs années avant d’être président, la polémique qu’avait fait naître sa mise en doute du lieu de naissance de Barack Obama. Et ce ne sont là que deux exemples parmi de très nombreux autres. Parce que, même s’il doit désormais un minimum policer son style, Donald Trump s’arrange pour ne pas trop s’éloigner de l’image donnée durant la campagne présidentielle. Qui est celle d’un homme n’utilisant pas la langue de bois des politiciens, mais le langage du peuple. Plutôt que de s’engager dans des débats politiques de fond, il s’en est tenu à scander des slogans simplistes en les accompagnant d’injures et de provocations. Il a ainsi porté la brutalité de la confrontation politique à des niveaux jamais atteints aux États-Unis (4). Et ses supporters ont adoré ça. Tout comme ses 20 millions d’abonnés sur Twitter attendent ses messages rageurs par lesquels il règle ses comptes avec ceux qui le critiquent ou lui déplaisent. Le tout à l’aide d’un champ lexical particulièrement limité. Après un an et demi de présidence, on peut aussi avancer que ce simplisme reflète sa vision du monde. Trump personnifie la caricature de l’homme d’affaires pour qui le monde se divise entre les « winners » et les « losers ». En politique nationale et internationale, il y a des amis et des ennemis, des bons et des méchants. Et les accords politiques ou commerciaux ne sont valables que si les États-Unis en sortent gagnants et les autres perdants. Cette binarité est souvent montrée du doigt par ses détracteurs, voire moquée, parce que pas adaptée à la complexité de sa fonction, ni à celle des relations internationales. Et cela ne fait que renforcer son crédit auprès de sa base de supporters qui y voient une preuve de plus que leur « champion » ne fait pas partie du même monde que ces élites. 7
Le culte du chef Si nous nous sommes attardés sur les ressorts de cette posture anti-establishment, c’est parce qu’elle est source d’un grand pouvoir. En établissant un lien direct avec leur population, sans passer par l’intermédiaire d’un parti ou d’une idéologie identifiée, les leaders populistes font renaître la figure du chef dont la parole est la seule à compter (5). Une situation qui peut être source de bien des dérives. Le premier danger que fait peser le populisme sur les droits fondamentaux concerne la liberté d’expression. En effet, un « chef » populiste ne cherchera pas à convaincre par les faits ou le raisonnement. Sa tactique est plutôt d’indiquer ce qu’il va faire et de persuader l’opinion que c’est la bonne décision en faisant appel aux émotions ou à l’intuition, ce qu’on appelle « le bon sens populaire » (6). Peu importe d’ailleurs si ses actes ne correspondent pas à ce qu’il a énoncé. Mais gare à ceux qui s’aviseraient de relever qu’il y a mensonge ou qui critiqueraient les décisions du président. L’agressivité dans la communication dont fait preuve le président des États-Unis envers ses détracteurs a comme conséquence de désinhiber ses supporters. Qui n’hésiteront pas à afficher des attitudes injurieuses à l’égard de tous ceux qui n’adhèrent pas aux discours aux accents virilistes et machistes, xénophobes et, de manière générale, très conservateurs du président. Cela est particulièrement visible sur les réseaux sociaux où les porteurs d’un discours s’opposant à celui de Trump se font parfois littéralement insulter et harceler. Ce n’est pas en soi une atteinte aux droits de l’homme, mais cela installe une ambiance nuisible à la liberté d’expression. La presse sur la sellette On a vu, par exemple, avec quelle férocité, Donald Trump s’est attaqué à la presse traditionnelle, accusée de partialité et de manque d’objectivité. Cette véritable guerre aux médias, considérée comme étant à la solde des élites, est une manière de montrer que Trump monte au front pour défendre le peuple contre les « fake news ». Celles-ci étant tout ce qui le contredit et prouve que son discours ne correspond pas aux faits. L’intensité de ce combat a pour objectif de complètement discréditer ces journalistes pour installer 8
un déni de vérité chez les suiveurs du président des États-Unis. Ainsi, même lorsqu’un média démontre par A+B que Trump dit n’importe quoi ou ment, ses suiveurs peuvent écarter la démonstration sans états d’âme parce qu’elle vient d’un organe décidé à répandre les « fake news » pour nuire à leur favori. De fil en aiguille, la parole du leader devient donc vérité. C’est problématique parce que la virulence du président des États-Unis envers les médias peut être considérée par une partie de l’opinion publique comme un signal que l’utilisation de la menace, voire de la violence, envers les journalistes est légitime. Les organisations défendant la liberté de la presse sont si préoccupées par l’ambiance de haine que Donald Trump a installée qu’ils ont créé un indice qui permet de surveiller le degré de menaces physiques et juridiques envers les journalistes, le US Press Freedom Tracker3. Chose qui, il y a peu de temps, paraissait encore impossible dans un pays qui a fait de la liberté d’expression le premier amendement de sa Constitution. Par ailleurs, la manie de décrire comme une « fake news » toute couverture médiatique qui déplaît aux autorités s’est répandue à travers le monde. C’est un danger pour la presse dont un des rôles est d’être un contre-pouvoir rappelant leurs responsabilités aux dirigeants. Ce sont également ces médias qui apportent des réponses « aux citoyens qui se demandent si l’eau du robinet est potable pour leurs enfants, si les vétérans reçoivent des soins médicaux adéquats, si des femmes de leurs familles font l’objet de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail ou sont victimes d’agressions sexuelles sur un campus universitaire, ou si le sol sur lequel ils vivent a été contaminé par des entreprises industrielles. » (7) Plutôt que de surfer sur le discrédit des médias, ou de l’attiser, des dirigeants démocratiques devraient chercher à protéger et renforcer leur indépendance. Parce que détruire le garde-fou qu’est la presse, c’est ouvrir la porte à l’autoritarisme. Un discours politique protecteur Le populisme, et la victoire de Donald Trump, ne sont pas apparus dans n’importe quel contexte. Dans nos sociétés occidentales, les inégalités sont croissantes et la mondialisation a mis à mal le lien traditionnel entre un État et son identité culturelle façonnée par l’histoire. La diversité croissante de nos sociétés sur les plans ethniques et religieux engendre des craintes dans 3 https://pressfreedomtracker.us 9
une partie de la population. D’autant plus que les guerres ne se déroulent plus uniquement dans des territoires lointains mais se sont invitées sur nos sols via le terrorisme djihadiste. Les nouvelles technologies ont accéléré de manière exponentielle la circulation des informations. Avec comme résultat, l’impression que le monde tourne de moins en moins rond et que l’on n’a jamais été aussi peu en sécurité. Une part de l’opinion en a conclu que le système politique que l’on connaît a failli à sa mission de protection et que les gouvernements ignorent les vrais problèmes du peuple. En janvier 2017, la revue américaine « Journal of Democracy » présentait un sondage inquiétant qui indiquait que moins de 30% des personnes nées dans les années 80, les trentenaires d’aujourd’hui, étaient convaincus qu’il est essentiel de vivre en démocratie (8). De la même manière, seuls 36% des Européens nés après les années 1980 jugent qu’un coup d’État militaire n’est pas légitime dans une démocratie, contre 53% des plus vieux. Voilà le terrain propice sur lequel se développent des personnalités politiques ou des partis aux programmes liberticides. Cela n’a pas échappé à l’équipe de Donald Trump qui, durant sa campagne présidentielle, s’est présenté comme celui qui allait protéger le peuple américain. Des slogans comme « America First ! » ou « Make America Great Again » jouent, au premier plan, sur la fibre patriotique. Sur un second plan, ils disent aussi qu’une Amérique qui restaure sa force est la meilleure des protections pour ses citoyens. C’est pourquoi, l’aspect sécuritaire, « law and order », était omniprésent durant la campagne électorale et ciblait comme dangers prioritaires l’immigration et les terroristes islamistes. Mur mexicain et « Muslim ban » Pour contrer l’immigration illégale, Trump a choisi de marteler qu’il construirait un mur tout le long de la frontière mexicaine et que c’est le Mexique qui paierait. Une promesse simpliste donc marquante. Un an et demi après son entrée en fonction, il la réitère dès que possible. Et le gouvernement mexicain répète à chaque fois qu’il est hors de question qu’il paie. Ce qui, normalement, aurait dû clôturer la discussion. Mais, comme dit plus haut, l’important pour Trump et ses soutiens n’est pas la réalité des faits, mais bien la tenue d’un discours dur qui fait des migrants la source de tous les maux du pays. Pour ce qui est de la menace terroriste, une semaine après son investiture le président américain publiait le « Muslim ban », un décret interdisant l’entrée sur le territoire américain, durant 90 jours, des ressortissants de sept 10
pays dont la population est très majoritairement musulmane (Yémen, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Syrie, Irak). Le même décret interdisait l’entrée sur le territoire, pendant 120 jours, de tout réfugié. Immédiatement, une bataille juridique s’engageait et la Cour suprême invalidait la disposition. C’est finalement une troisième mouture qui a été acceptée par la même Cour à la fin du mois de juin. Elle prévoit désormais l’interdiction permanente d’accès au territoire américain pour les ressortissants de six pays (Yémen, Iran, Libye, Somalie, Syrie, Corée du Nord) ainsi que pour certains responsables gouvernementaux du Venezuela (9). Le signal envoyé, à la fois par son discours sur l’immigration illégale présentée comme un réservoir de violeurs et de drogués, ainsi que par ce décret est catastrophique. Dans le premier cas, il véhicule des préjugés racistes et dans l’autre, il légalise une discrimination envers les ressortissants de pays présentés comme étant hostiles aux États-Unis. La réticence de Donald Trump à condamner les groupes qui font l’apologie de la haine raciale, observée lors du grand rassemblement « Unite the right » de Charlottesville à la mi-août 2017, était d’ailleurs symbolique du mépris apparent du président pour les principes d’égalité et de non-discrimination. Un recul des droits Outre les décisions très médiatisées évoquées ci-dessus, Human Rights Watch a listé une série de mesures prises, durant sa première année d’exercice, par l’administration Trump qui dégradent réellement les droits de plusieurs types de citoyens, surtout les plus vulnérables (10). Les migrants constituent la cible prioritaire. Les procédures d’expulsion accélérées ont été renforcées tout comme les poursuites judiciaires pour les délits d’immigration. Les conditions permettant une détention prolongée des migrants ont également été étendues. Toute une série de directives sont susceptibles d’affaiblir la protection des migrants et réfugiés mineurs. Enfin, les quotas d’admission des réfugiés ont été revus à la baisse. En 2018, le plafond sera de 45.000 réfugiés, le plus bas depuis l’adoption de la loi sur les réfugiés en 1980. Le ministère de la Justice a, pour sa part, « restreint l’encadrement des services de police locaux impliqués dans des abus systémiques, y compris en mettant fin à des enquêtes et au contrôle d’unités connues pour un usage disproportionné de la force et des violations constitutionnelles. » (10). D’autres mesures prises auront comme effet attendu de mettre fin aux efforts de réduction de la disparité raciale en prison et à ceux d’amélioration des perspectives de réinsertion. 11
Les droits des femmes ont également été visés par l’administration américaine. Comme le note encore Human Rights Watch : un décret annule la disposition de l’Obamacare qui obligeait les employeurs à prendre en charge les moyens de contraception lorsqu’ils proposent une couverture des frais de santé à leurs employées. L’administration Trump a également annulé l’initiative qui aurait dû contraindre, à partir de 2018, les employeurs et contracteurs de l’État fédéral à fournir des informations sur le salaire de leurs employées ventilées par ethnicité et sexe afin de vérifier qu’aucun d’entre eux ne se rendait coupable de discriminations salariales. Le ministère de l’Éducation a, pour sa part, annoncé qu’il allait modifier « les lignes directrices relatives aux agressions sexuelles sur les campus. » Enfin, différentes actions fragilisent les droits des communautés LGBT. On a beaucoup parlé, par exemple, de la décision d’interdire aux transgenres de servir dans l’armée américaine. Et un peu moins de la directive qui annule la disposition légale qui interdit, sur les lieux de travail, la discrimination fondée sur le genre Le double discours économique Durant la campagne électorale, le discours socio-économique de Donald Trump était en rupture avec celui que doit normalement tenir le candidat du parti républicain. Celui-ci est le tenant du libéralisme économique classique : responsabilité individuelle, intervention minimum de l’État, chasse aux profiteurs. Avec la promesse que travailler durement est la clé de la réussite économique. Mais la crise financière de 2008 est passée par là et les contribuables américains ont vécu une politique de deux poids, deux mesures. Le gouvernement est intervenu pour sauver les banques et institutions financières, dont les comportements irresponsables étaient à l’origine de la crise. Par contre, pour les simples citoyens qui avaient perdu, en tout ou en partie, leur pouvoir économique sans être fautifs, le discours est resté le même : « Si vous n’avez pas réussi, ne rejetez pas la faute sur Wall Street ou sur les grandes banques. Non. Vous n’avez qu’à vous en prendre à vous-même ! » (11) Ce qui fut vécu comme une trahison de la part des élites a participé à la montée en puissance du populisme. Donald Trump l’avait bien deviné. Durant la campagne, il n’a donc cessé de promettre d’augmenter les impôts pour les plus riches et désigner les grandes entreprises comme des tricheuses qui corrompent les élus (1). C’est un changement radical, les sans-emplois ne sont plus considérés comme des « losers » et des parasites, ils deviennent des victimes d’une tricherie, un discours que l’on retrouvait aussi du côté du parti démocrate. 12
À la différence d’une gauche américaine faisant preuve de plus de mesure, Donald Trump ne s’est pas contenté de vilipender les élites économiques américaines, il a également désigné comme coupable des ennemis de l’extérieur : les immigrés, qui franchissent la frontière mexicaine et viennent concurrencer les travailleurs américains, et la Chine qui détruit l’emploi américain en important des biens à bas prix. Sur le plan social, il a répété à l’envi son intention d’annuler l’Obamacare pour le remplacer par un meilleur système de protection sociale pour les travailleurs. Sans jamais vraiment entrer dans les détails. Au service des plus riches Une fois élu, ses actes seront différents de ses paroles. Alors que ses décisions, sur le plan de la sécurité intérieure ou des relations internationales, qui correspondent à ses promesses de campagne sont mises en avant, ses décisions économiques sont occultées. À une exception près : les dénonciations des traités économiques multilatéraux desquels les États- Unis se retirent. Des décisions qui font beaucoup de bruit et sont largement commentées dans les médias nationaux et internationaux, au contraire donc de sa politique économique intérieure. Entouré de conseillers économiques qui appartiennent au monde des grandes institutions bancaires, les mêmes qu’il avait tant vilipendées, Donald Trump mène une politique tout-à-fait conforme au parti républicain : « diminuer l’impôt des riches en taillant dans les dépenses sociales », comme le résume le Financial Times (12). À l’image de sa réforme fiscale présentée comme « la plus grande baisse d’impôts de l’histoire », en sous-entendant que tout le monde en profiterait. Le « Tax Policy Center » et le « Joint Comittee on Taxation », deux organismes non-partisans, ont calculé qu’en fait les plus grands bénéficiaires en seraient les grandes entreprises et les 1% d’Américains les plus riches (13). De quoi creuser un peu plus les inégalités dans la société. Or, nous exposons régulièrement les différentes conséquences néfastes pour les droits élémentaires provoquées par le néolibéralisme. Elles existent pour les populations qui vivent dans un système économique qui cherche constamment à diminuer les mécanismes de solidarité telles les différentes allocations sociales ou la garantie de l’accès à différents soins médicaux. À côté de cela, la privatisation de toute une série de domaines d’intérêt général les soumet à la logique marchande du profit et les rend donc, en tout ou en partie, inaccessibles aux personnes précarisées. Enfin, en considérant que la priorité est la santé financière des entreprises, ce système tend également 13
à diminuer la protection des travailleurs et à détériorer les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier. Au niveau international, cette sacralisation du profit des multinationales, et autres fonds d’investissement, conduit à une prédation aggravée des ressources naturelles ainsi qu’à une spéculation sur des ressources vitales. Sans aucune considération pour des populations entières qui se retrouvent à devoir lutter pour leur survie. Un mécanisme qui nourrit des phénomènes comme les conflits armés et les migrations. En augmentant le sentiment d’insécurité économique et sociale, en créant un monde où tout le monde est en compétition, le néolibéralisme nourrit une colère que les populistes tenteront de canaliser en désignant des boucs émissaires. Ceux-ci pourront être l’allocataire dépeint en profiteur ou fraudeur et/ou « l’étranger » qu’il soit né sur le territoire ou qu’il y soit arrivé au cours de sa vie. Attention à la contamination Voilà en quelque sorte le circuit du populisme. D’autres dirigeants que Trump en ont déjà profité. Les discours et attitudes populistes accompagnés de cette duplicité socio-économique sont, par exemple, également appliqués par Recep Tayyip Erdogan en Turquie ou Viktor Orbán en Hongrie. Deux exemples éloquents quand il s’agit de démontrer que le populisme est un danger pour les libertés fondamentales et les droits de l’homme, surtout si on est opposant ou migrant. Ils sont aussi malheureusement représentatifs du populisme véhiculé par les partis de droite radicale qui ont le vent en poupe dans notre partie du monde. Ceux-ci ont recyclé et transformé les discours racistes des partis d’extrême-droite. Ils tiennent un discours identitaire qui fait de l’immigration une menace pour la sécurité, le bien-être économique et la culture de la majorité présumée. Et les droits humains sont présentés comme des règles qui profitent systématiquement aux terroristes, aux demandeurs d’asile et autres immigrés accusés de tous les maux de la société. Ces populistes diffusent l’idée selon laquelle la majorité devrait pouvoir restreindre les droits des réfugiés, des migrants et des minorités en général (14). Ceux qui s’y opposent sont dénigrés ou combattus. On voit ainsi chez nous, un secrétaire d’État à l’Asile attaquer verbalement des organisations qui sauvent la vie de candidats à l’asile naufragés en pleine mer. Ou ne pas hésiter à endommager la séparation des pouvoirs, mesure sacro-sainte dans tout État de droit qui se respecte, lorsqu’une décision de justice l’empêche 14
de mener une politique d’asile restrictive. En France, lorsque des membres du Rassemblement National (ex- Front National), ou des proches de celui-ci, sont élus pour diriger une municipalité, une des premières mesures prises est souvent la diminution, voire la suppression, des subsides des associations de défense des droits de l’homme ou des associations militant pour une société multiculturelle. Ce n’est pas anodin parce que lorsque « les populistes traitent les droits humains comme un obstacle à la volonté de la majorité, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne s’en prennent à ceux qui sont en désaccord avec leur programme » (14). Il ne faut pas s’y tromper, une fois qu’ils ont conquis le pouvoir, les populistes ont comme objectif prioritaire de le garder. Et la tentation autoritaire, voire totalitaire, n’est jamais loin. Les sources d’espoir La culture de respect des droits humains doit donc être entretenue. Elle forme le socle de l’opposition au populisme et peut même le faire reculer lorsqu’il va trop loin. Une illustration en a été donnée lorsque le sort des enfants séparés de leurs parents, arrêtés pour avoir franchi illégalement la frontière américano-mexicaine, a été révélé. Différents milieux aussi éloignés que l’American Medical Association ou la Chambre américaine de commerce ont alors uni leurs voix pour condamner vigoureusement ce qui leur semblait être une mesure inhumaine (15). Cette protestation massive et multiforme a poussé le président américain à signer un décret suspendant cette mesure. Dans notre pays, également, toute une série d’associations et d’initiatives citoyennes travaillent quotidiennement à faire reculer ce cancer pour notre démocratie qu’est le populisme. Une image médicale qui n’est pas choisie au hasard : l’histoire démontre que c’est lorsque ses opposants baissent leurs bras que, tels des métastases, les populistes prolifèrent. 15
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Le populisme selon Trump, un danger pour les droits de l’homme Pascal De Gendt L’élection de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale a été un véritable séisme. Elle démontrait que les électeurs de la première puissance mondiale pouvaient se laisser séduire par une personnalité au style outrancier du moment qu’elle tenait un discours populiste. Si les spécialistes discutent encore de la teneur exacte de ce qu’est le populisme, l’année et demie que vient de passer Trump à la présidence permet de déterminer quelles sont les grandes lignes de son projet politique. Et d’analyser en quoi il constitue un danger pour les droits de l’homme. Une menace d’autant plus grande que, désormais, les partis et mouvements populistes actifs dans les démocraties parlementaires européennes ont un modèle auquel se référer. Siréas asbl Avec le soutien de la Fédération Service International de Recherche, Wallonie-Bruxelles d’Éducation et d’Action Sociale asbl Secteur Éducation Permanente Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58 20 educationpermanente@sireas.be – www.lesitinerrances.com
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