Le traité de lisbonne - l'action extérieure de l'union européenne et

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Le traité de lisbonne - l'action extérieure de l'union européenne et
le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne   

     le traité de lisbonne
                                                   et
         l'action extérieure
       de l'union européenne
                                    Federico Santopinto

                                                                         2007/5
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le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne                    

                                             Sommaire

                  Introduction
                  Pourquoi l'UE doit réformer sa politique extérieure             5
                  Le paradoxe de la puissance européenne                          5
                  L'architecture institutionnelle actuelle face
                      aux nouvelles menaces                                       5

                  Première partie : Les réformes du traité de Lisbonne
                  en matière de relations extérieures                             7
                  Une PESC solidement intergouvernementale                        7
                  La personnalité juridique de l'UE                               8
                  Le président du Conseil européen                                8
                  Un « ministre des Affaires étrangères » redevenu
                     Haut représentant                                            8
                  Le service extérieur européen et la réforme de la Commission    9
                  Le vote à l'unanimité et les coopérations renforcées           10
                  Le rôle manqué du Parlement européen                           11
                  Quelle cohérence après Lisbonne ?                              11

                  Deuxième partie : Les réformes du traité
                  de Lisbonne en matière de défense                            13
                  La coopération structurée : une Europe plus armée ?            13
                     Qu'est-ce que la CSP ?                                      13
                     Trois particularités …                                      13
                     … pour un objectif implicite                                14
                     Un « Maastricht » de la défense                             14
                     Quelles ne seront pas les conséquences de la CSP ?          15
                  Quelques autres nouveautés mineures en matière de défense      16

                  Conclusions                                                    17

                  Annexe 1 - Les trois piliers de l'UE
                    et les relations extérieures après Nice                      19
                  Annexe 2 - Le Conseil et la Commission après Nice :
                    qui fait quoi ?                                              20
                  Annexe 3 - Institutions et acteurs de la PESC après Nice       22
le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne                                                     

                                                           d'influence » représente le principal enjeu que la
Introduction
                                                           réforme des traités européens devait aborder dans
Pourquoi l'UE doit réformer                                le domaine des relations extérieures2.
sa politique extérieure
                                                           L'architecture institutionnelle actuelle face
Le paradoxe de la puissance européenne                     aux nouvelles menaces

    Le rôle de l'Union européenne sur la scène                 Les raisons qui expliquent ce paradoxe sont bien
internationale n'est pas facile à comprendre. Sur          connues. D'un part, l'éclatement des compétences
le plan commercial ou en matière de coopération            entre institutions dans le domaine des relations
au développement, l'UE a pu se profiler comme              extérieures crée un problème de cohérence de l'ac-
un acteur incontournable et reconnu sur la scène           tion globale de l'UE. D'autre part, la complexité
mondiale. Dans un domaine plus proprement poli-            des procédures mises en place dans ce domaine
tique, toutefois, l'identité de l'Union est nettement      explique la lenteur de réaction de l'UE, lorsque le
moins bien définie. Au fil des années, les institutions    Conseil européen parvient au consensus nécessaire
européennes ont certes acquis d'importantes compé-         pour réagir.
tences en matière de relations étrangères, de sécurité         Le problème de la cohérence de l'action extérieure
et de défense, mais la complexité des mécanismes           européenne a surgi en 1993, avec l'institution de la
institutionnels qui régissent ces compétences et la        Politique étrangère et de sécurité commune (PESC),
règle de l'unanimité n'ont pas permis à l'Union de         et s'est accentué en 1999, lors de la création de
s'imposer sur l'arène internationale avec un rôle          la Politique européenne de sécurité et de défense
clairement défini.                                         (PESD). Le lancement de la PESC et de la PESD
    Il en résulte ainsi un cadre plutôt confus, où         reflète la volonté des États membres de doter l'UE
l'UE apparaît et disparaît selon les dossiers traités      de compétences en matière de politique étrangère
et les humeurs des membres du Conseil européen.            qui aillent au-delà de la dimension économique
Kosovo, Irak, Russie, Liban, ONU, Afrique, Iran :          et de coopération, tout en évitant d'en perdre le
lorsqu'elle ne s'évapore pas, l'UE se présente aux         contrôle au profit de la sphère supranationale de
grands rendez-vous sécuritaires internationaux de          l'UE. En d'autres mots, la PESC/PESD a été créée
manière toujours différente, avec un degré de par-         dans l'optique de marginaliser la Commission euro-
ticipation et d'influence très variable.                   péenne (ainsi que le Parlement européen et la Cour
    Dans un tel contexte, il est difficile de définir ce   de justice européenne) au profit du Conseil.
qu'est l'UE dans le monde. Selon certains analystes,           Toutefois, pendant que les États membres de l'UE
comme Hanns Maull, l'UE ne peut être considérée            mettaient en place la PESC/PESD, en la séparant
comme une puissance classique, car elle exerce             nettement des compétences de la Commission, et
son influence à travers ce qu'elle est et ce qu'elle       donc de la puissante politique de coopération de
représente, plutôt que à travers ce qu'elle fait1. En      l'UE, l'évolution du contexte international brouillait
d'autres termes, l'UE serait davantage une force           les cartes. L'émergence des « nouvelles menaces »
passive qu'une puissance active.                           (terrorisme, États en faillite, criminalité transnatio-
    Ce jugement est sans doute trop sévère. Dans           nale, immigration incontrôlée), en effet, a changé
certaines circonstances l'UE a su se montrer très          la nature de la coopération au développement, en
active : c'est le cas notamment en Afrique, où son         la transformant en un outil stratégique et « géopo-
action est souvent sous-estimée par les médias et          litique » de plus en plus important. L'aide s'est ainsi
les analystes. Il n'en demeure pas moins que l'UE          affirmée comme un atout central de toute politique
n'apparaît pas comme un acteur global sachant s'im-        étrangère. La Stratégie européenne de sécurité ne
poser avec cohérence et constance dans le temps.           manque pas de le souligner indirectement lorsqu'elle
Ainsi, bien qu'exagérée, l'image de Maull a le mérite
d'illustrer la nature du problème auquel l'UE fait             1. H. W. Maull, « Europe and the new balance of global
                                                           order », International Affairs, n° 81, 4, 2005.
face hors de ses frontières : elle est un acteur faible
                                                               2. Voir F. Santopinto, « Why the EU Needs an Institutional
qui dispose, néanmoins, d'un « capital d'influence »       Reform of Its External Relations », Note d'analyse, 19/6/2007,
considérable. La capacité d'exploiter ce « capital         http://www.grip.org/bdg/g1081.htm
                                                                                                  Rapport du GRIP 2007/05

affirme que « Notre concept traditionnel d'autodé-          du fonctionnement de chacune de ces institutions,
fense reposait sur la menace d'une invasion (…).            en effet, dévoile une machine institutionnelle très
Face aux nouvelles menaces, c'est à l'étranger que          complexe, comme les annexes 1, 2 et 3 au présent
se situera souvent la première ligne de défense »3.         Rapport le démontrent. La Commission européenne,
Or, l'aide est justement un instrument qui permet à         par exemple, lorsqu'elle intervient dans le domaine
l'UE d'intervenir à l'étranger, dans cette première         des relations extérieures, est éclatée en 6 Directions
ligne de défense, notamment en :                            générales gérées par 4 Commissaires différents,
   - apaisant les tensions sociales et économiques          auxquels, bien sûr, il ne faut pas oublier d'adjoindre
     sous-jacentes au terrorisme et aux conflits,           le rôle du président de la Commission. Le Conseil
   - renforçant les Etats en déliquescence, ces der-        aussi se divise en de nombreux organes compétents
     niers étant perçus comme un terrain fertile pour       pour les relations étrangères.
     la prolifération des « nouvelles menaces »,                En réalité, les décideurs européens sont parfaite-
   - étendant l'influence culturelle et politique de l'UE   ment conscients du problème de la cohérence. Depuis
     au détriment des dérives extrémistes et fonda-         maintenant plusieurs années, les documents et les
     mentalistes qui sont à l'origine du terrorisme,        initiatives annonçant une majeure coordination et une
   - influençant directement le comportement des            meilleure complémentarité des actions extérieures
     responsables qui perçoivent l'aide à travers la        de l'UE prolifèrent8. Cette prise de conscience a
     conditionnalité politique de l'aide.                   indéniablement permis d'améliorer l'action de l'UE
                                                            sur le terrain.
     Inévitablement, une telle évolution du rôle de
l'aide a engendré un problème croissant de cohérence            Toutefois, au-delà des bonnes intentions et des
de l'action de l'UE dans le monde, étant donné que          nombreuses procédures de consultation mises en
les outils stratégiques de l'Union (la coopération au       place à ce propos, il n'en demeure pas moins que, à
développement d'un côté, la PESC/PESD de l'autre)           la base, le problème de la cohérence est intimement
se sont retrouvés divisés entre des institutions et des     lié à la qualité et au niveau d'intégration européenne
procédures distinctes.                                      en matière de politique étrangère. Les procédures
                                                            de coordination et de consultation peuvent certes
     Ce problème s'est accentué à partir de 1999. À
                                                            améliorer une situation donnée, mais elles ne sont pas
cette date, la PESD a été créée à partir de la PESC
                                                            en mesure d'aborder le problème de fond. Seule une
afin d'attribuer à l'UE des pouvoirs en matière de
                                                            réforme institutionnelle courageuse peut le faire.
gestion militaire des crises4. Les États membres ne
se sont cependant pas limités à la seule dimension
militaire. Ils ont également conféré à la PESD des               3. Voir la Stratégie européenne de sécurité, « Une Europe
compétences dans le domaine de la gestion civile            sûre dans un monde meilleur », adoptée lors du Conseil européen
des crises, et plus précisément, dans quatre secteurs :     du 8 décembre 2003.
                                                                 4. Pour plus d'informations sur la PESD, voir F. Santopinto,
l'État de droit, la police, l'administration civile et la   « La politique européenne de sécurité et de défense : enjeux et
protection civile5. Or, la politique de coopération au      réalités », Note d'analyse, 22/12/2005, http://www.grip.org/bdg/
développement de l'UE n'a jamais été confinée à             g4592.html
                                                                 5. Pour plus d'informations, voir A. Nowak, « Civilian Crisis
des activités de nature exclusivement économique            Management within ESDP », dans A. Nowak (éd.), Civilian Crisis
et sociale, car elle s'étend à des thèmes tels que la       Management : the EU Way, Chaillot Paper, n° 90, disponible sur
prévention des conflits, la reconstruction et la ré-        le site de l'Institut d'études de Sécurité de l'Union européenne,
                                                            http://www.iss-eu.org/, juin 2006.
habilitation post-conflit, la promotion de l'État de             6. Voir F. Nkundabagenzi et F. Santopinto, Le développement,
droit, des droits de l'homme, de la démocratie, de la       une arme de paix - La coopération de l'UE et la prévention des
                                                            conflits, Bruxelles, Éditions Complexe / GRIP, 2003.
bonne gouvernance6. Les activités de gestion civile
                                                                 7. La capacité de l'UE à adopter une approche globale et cohé-
des crises se sont donc retrouvées à cheval entre les       rente de gestion de crise est évoquée par la Stratégie européenne
deux premiers piliers de l'UE, en embrouillant inévi-       de sécurité, qui définit la doctrine de l'UE en matière de sécurité
                                                            internationale. Voir aussi C. Egenhofer, Policy Coherence for
tablement le processus d'élaboration d'une stratégie        Development in the EU Council: Strategies for the Way Forward,
cohérente de la part des institutions européennes7.         CEPS, juin 2006.
     De plus, il convient de rappeler que le problème            8. Voir : Commission européenne, Communication au Conseil
                                                            européen de juin 2006, L'Europe dans le monde - Propositions
de la cohérence est loin d'être confiné au seul dua-        concrètes visant à renforcer la cohérence, l'efficacité et la visibilité,
lisme entre le Conseil et la Commission. L'analyse          COM(2006) 278 final, 8/6/2006.
le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne                                                        

                                                         Deuxièmement, le Royaume-Uni a fait adopter
Première partie                                          deux déclarations annexées aux traités européens11,
Les réformes du traité                                   qui soulignent à nouveau la dimension étatique de
de Lisbonne en matière                                   la PESC/PESD : « les dispositions portant sur la
de relations extérieures                                 politique étrangère et de sécurité commune (…)
                                                         n'affecteront pas (…) les responsabilités ni les
                                                         compétences de chaque État membre en ce qui
    Les règles élémentaires de la sociologie de          concerne l'élaboration et la conduite de sa politi-
l'administration nous enseignent que, lorsque les        que étrangère, son service diplomatique national,
organes et les institutions prolifèrent sans que         ses relations avec les pays tiers et sa participation
leurs relations hiérarchiques soit bien définies,        à des organisations internationales, y compris
elles se posent souvent en concurrence les unes          l'appartenance d'un État membre au Conseil de
envers les autres, en provoquant un problème de          sécurité des Nations unies. (…) Les dispositions
cohérence. Ainsi, parmi ses principaux objectifs,        couvrant la PESC ne confèrent pas de nouveaux
la Constitution pour l'Europe devait « clarifier »       pouvoirs à la Commission, ne lui accordent pas
les compétences des institutions européennes en          l'initiative de décisions ni n'accroissent le rôle du
matière de relations extérieures.                        Parlement européen »12.
    Après l'échec de sa ratification, en 2004, le            Ces nouvelles dispositions, qui, rappelons-le,
nouveau traité de Lisbonne, adopté le 13 décembre        n'étaient pas prévues dans le texte constitutionnel,
2007, a repris l'essentiel des réformes proposées        ne changeront pas la nature actuelle de la PESC.
par le texte constitutionnel9. Toutefois, il apporte     Plutôt, elles ont pour but de mettre les points sur
certaines précisions de nature symbolique que la         les « i ». Surtout, Londres a voulu exclure défi-
Constitution ne mentionnait pas, dans le but de          nitivement la possibilité de voir l'UE influencer
consolider et de pérenniser la dimension intergou-       sa politique en tant que membre permanent du
vernementale de la PESC.                                 Conseil de sécurité de l'ONU : elle pourra donc
    Le traité de Lisbonne devrait entrer en vigueur en   continuer à gérer, avec Paris, son siège permanent
2009, avant les prochaines élections du Parlement        indépendamment d'éventuelles prises de position
européen, à condition, bien sûr, que le processus        unanimes du Conseil européen13. Ainsi, certains
de ratification arrive à bon terme. Dans la première     observateurs n'hésitent pas à comparer les disposi-
partie de ce rapport, nous passerons en revue les        tions ici mentionnées à une véritable « déclaration
nouveautés qu'il apporte tant aux traités en vigueur     sur l'autonomie des politiques étrangères des États
que par rapport à la Constitution pour l'Europe.         membres », au détriment de l'UE14.
                                                             Ces précisions apportées par le traité de Lis-
Une PESC solidement                                      bonne ne s'adressent, bien entendu, qu'à la PESC et à
intergouvernementale                                     la PESD. La Commission européenne restera, quant
                                                         à elle, compétente pour la politique de coopération
    Le Royaume-Uni, inquiet que la Cour de justice       au développement, l'aide humanitaire et la politique
européenne puisse, graduellement, grignoter des          commerciale, selon le mode de fonctionnement
compétences des États membres au profit de la
Commission et du Parlement européen, a su pro-
                                                              9. Voir F. Santopinto, « La Constitution pour l'Europe et la
fiter de l'échec de la ratification de la Constitution   politique étrangère : quelle avancée ? », Note d'analyse, 5/8/2004,
pour introduire, dans les traités européens, deux        http://www.grip.org/bdg/g4549.html
dispositions qui verrouillent le caractère intergou-          10. Art. 24 du TUE, tel que modifié par le traité de Lis-
                                                         bonne.
vernemental de la PESC et de la PESD.                         11. Déclarations 30 et 31 annexées au TUE tel que modifié
    Premièrement, le traité de Lisbonne insère expli-    par le traité de Lisbonne (disponibles sur www.grip.org).
                                                              12. Déclaration 31 annexée au TUE tel que modifié par le
citement dans le traité sur l'UE (TUE) l'interdiction,   traité de Lisbonne.
pour la Cour de justice, d'étendre sa juridiction à la        13. EPC, Egmont Institute, CEPS, « Foreign Policy: Many
PESC et à la PESD. L'adoption d'actes législatifs        Opportunities and Few Unknows », dans The Treaty of Lisbon :
                                                         Implementing the Institutional Innovations, novembre 2007.
contraignants pour les États membres dans ces                 14. Voir O. Jehin, « Comment définir l'intérêt européen ? »,
domaines est elle aussi expressément interdite10.        Europe Diplomatie & Défense, n° 85, 6 décembre 2007.
                                                                                              Rapport du GRIP 2007/05

communautaire traditionnel (semi-supranational).           Un « ministre des Affaires étrangères »
Le dualisme Conseil-Commission est donc destiné            redevenuHaut représentant
à demeurer, bien que, comme nous le verrons plus
tard, la création du poste de Haut représentant de             La réforme la plus importante et médiatisée
l'Union pour les Affaires étrangères et la politique       proposée par la Constitution était la création d'un
de sécurité (HRU) devrait améliorer la coordination        poste de ministre des Affaires étrangères (MAE),
entre ces deux institutions.                               appelé à remettre de l'ordre dans le labyrinthe
                                                           institutionnel et procédural qui régit les actions
                                                           extérieures de l'UE18. Le but expressément affiché
La personnalité juridique de l'UE                          dans le texte constitutionnel était ainsi de veiller
    Comme la Constitution l'avait déjà prévu, le traité    à la cohérence de l'action extérieure de l'Union.
de Lisbonne confère une personnalité juridique à           Implicitement, il s'agissait surtout de mettre un
l'Union. En réalité, la Communauté européenne dis-         terme au dualisme Conseil-Commission dans ce
pose déjà d'une personnalité juridique formellement        domaine, en établissement un pont entre les com-
reconnue dans le TCE, mais aucune disposition ne           pétences du Conseil (PESC/PESD) et celles de la
l'étend à l'UE (selon certains juristes, cependant, l'UE   Commission (politique de coopération et relations
en disposerait de facto). Or, le traité de Lisbonne,       économiques)19.
qui prévoit l'absorption de la CE par l'UE, efface             Pour ce faire, le ministre, nommé par le Conseil
les doutes à ce propos et confère explicitement la         européen à la majorité qualifiée, aurait dû réunir les
personnalité juridique à l'UE. Celle-ci pourra donc        actuelles compétences du Haut représentant pour
stipuler des accords internationaux15.                     la PESC (et donc du Conseil) et celles de l'actuel
    L'attribution d'une personnalité juridique à l'UE      Commissaire aux Relations extérieures (Relex) de
a de nouveau poussé le Royaume-Uni à demander              la Commission. Plus que cela, il aurait dû être à la
et à obtenir l'adoption d'une énième déclaration,          fois vice-Président de la Commission européenne et
elle aussi non prévue initialement par la Constitu-        président du Conseil Relations extérieures de l'UE
tion, devant évacuer toute interprétation extensive        (qui réunit les ministres des Affaires étrangères
des compétences extérieures de l'UE. Selon cette           des États membres, et qui sera séparé, à l'avenir,
déclaration, « le fait que l'Union européenne ait          du Conseil Affaires générales).
une personnalité juridique ne l'autorisera en aucun            Les changements que le traité de Lisbonne
cas à légiférer ou à agir au-delà des compétences          apporte aux dispositions de la Constitution sont
que les États membres lui ont attribuées dans les          surtout symboliques. Les Britanniques ont demandé
traités »16.                                               et obtenu que le titre de ministre soit retiré, soucieux

Le Président du Conseil européen                                15. M. Comelli, « Il nuovo trattato di riforma dell'Ue e la
                                                           politica estera e di sicurezza europea: cosa cambia ? », Servizio
   Une réforme importante (qui reste complète-             studi - Senato della Repubblica italiana, Istituto Affari Interna-
                                                           zionali (IAI), octobre 2007.
ment inchangée par rapport à la Constitution, mais              16. Déclaration 32 annexée au TUE tel que modifié par le
qui représente une nouveauté notable par rapport           traité de Lisbonne.
aux traités existants) est la création d'un poste de            17. Le Président du Conseil européen présidera seulement le
                                                           Conseil européen. Quant aux différentes formations du Conseil
président du Conseil européen permanent, qui sera          des ministres de l'UE, elles resteront soumises à une présidence
élu à la majorité qualifiée par les États membres.         tournante des États membres via un système de rotation de 18 mois,
Les Présidences tournantes assurées par les gouver-        à l'exception, bien-sûr, du Conseil Affaires générales et Relations
                                                           extérieures (CAGRE), qui sera lui présidé par le Haut représentant
nements tous les six mois sont en effet considérées        de l'Union pour les étrangères et la Politique de sécurité.
comme une des principales causes de discontinuité               18. Voir F. Santopinto, « La Constitution pour l'Europe et la
de l'action extérieure européenne. Le nouveau              politique étrangère : quelle avancées ? », Note d'analyse, 2004,
                                                           http://www.grip.org/bdg/g4549.html
président, qui représentera l'UE dans le monde                  19. Le labyrinthe institutionnel et procédural qui caractérise
au plus haut niveau, restera en exercice pendant           la politique extérieure de l'UE a été décrit dans l'introduction de
une durée de deux ans et demi, renouvelable une            ce rapport : d'un côté la Commission (avec son Président et quatre
                                                           autres Commissaires préposés aux relations extérieures), de l'autre
fois, en garantissant ainsi un suivi plus constant         le Conseil et la PESC (représentés par l'État exerçant la Présidence
des dossiers traités.                                      tournante et par le Haut représentant pour la PESC).
le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne                                                                              

                                                Encadré - Une myriade de titres
   Titres prévus dans le traité sur l'UE avant le traité de Lisbonne :

   Haut représentant pour la PESC - Représentant de la PESC et de la PESD pour le Conseil, selon le traité sur l'Union européenne ac-
   tuellement en vigueur.

   Commissaire pour les Relations extérieures (RELEX) - Responsable pour la Commission européenne des relations économiques et
   de coopération avec tous les pays du monde (y compris les États-Unis), à l'exception des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique
   (dont les relations sont gérées par le Commissaire au développement) et des pays candidats à l'adhésion ou potentiellement candidats
   (Commissaire à l'élargissement). Le commissaire Relex est cependant compétent aussi pour les aspects politiques de la coopération au
   développement (droit de l'homme, démocratie, État de droit, prévention des conflits) pour tous les pays du monde, y compris les ACP et les
   candidats à l'adhésion. Enfin, le Commissaire Relex participe, pour compte de la Commission, aux travaux de la PESC, bien que dans ce
   domaine son rôle soit secondaire.

   Titre qui était prévu dans la Constitution pour l'Europe :

   Ministre des Affaires étrangères (MAE) - Poste qui était prévu par la Constitution afin de réunir les fonctions de Haut représentant pour
   la PESC et de commissaire pour les Relations extérieures (ainsi que du vice-président de la Commission).

   Titre prévu dans le traité sur l'UE après le traité de Lisbonne :

   Haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (HRU) - Nouvelle appellation attribuée au ministre
   des Affaires étrangères de l'Union selon le traité de Lisbonne.

d'effacer tout vocabulaire pouvant évoquer l'exis-                         tionales qui font de l'UE l'organisation régionale
tence d'un super-gouvernement européen. Ainsi                              la plus intégrée du monde. Lorsqu'il agira dans
la nouvelle figure représentant l'UE en matière                            le domaine politique, diplomatique et sécuritaire
de relations extérieures portera le titre de Haut                          (PESC et PESD), il changera de casquette, en rede-
représentant de l'Union pour les Affaires étrangères                       venant ce que « Monsieur PESC » est aujourd'hui :
et la Politique de sécurité (HRU), et non celui de                         un mandataire du Conseil et des États membres,
ministre. Ce changement de nom, toutefois, n'aura                          et non un décideur politique.
pas réellement de répercussion dans la substance.                              Les nouvelles dispositions établissent donc un
Le Haut représentant de l'Union sera ce que le                             pont entre les deux sphères d'actions européennes,
ministre devait être : le Commissaire Relex (et                            mais ne touchent pas au dualisme Conseil-Commis-
le vice-Président de la Commission) ainsi que le                           sion en tant que tel20. Surtout, elles ne renforcent
représentant pour la PESC.                                                 pas les compétences de l'UE en matière de relations
    Un pied au Conseil et l'autre à la Commission,                         extérieures : elles tentent plutôt de concentrer une
deux casquettes pour une seule tête : voilà donc                           partie de ses compétences sous une seule figure,
la formule qui fut proposée par la Constitution et                         dans le but affiché de rendre l'action européenne
qui est reprise par le traité de Lisbonne pour faire                       plus cohérente et unitaire.
face au problème de la cohérence. Cette solution
de compromis sera-t-elle en mesure de mettre fin
                                                                           Le Service extérieur européen
au dualisme entre les deux institutions ?
                                                                           et la réforme de la Commission
    En réalité, les nouvelles dispositions ne modi-
fient en rien la distinction entre les compétences                             Afin d'appuyer l'action du ministre des Affai-
communautaires de la Commission et celles                                  res étrangères, la Constitution prévoyait en outre
intergouvernementales du Conseil. Lorsque le                               la création d'un « service européen pour l'action
HRU interviendra, par exemple, dans le domaine
de la coopération, traditionnelle prérogative semi-
supranationale de l'UE, il le fera dans le cadre des
                                                                              20. Voir N. Nuttall, « On Fuzzy Pillars: Criteria for the
compétences traditionnelles de la Commission                               Continued Existence of Pillars in the Draft Constitution », CFSP
européenne et de ses procédures semi-suprana-                              Forum, vol. 4, n° 2, juillet 2004.
10                                                                                          Rapport du GRIP 2007/05

extérieure »21 (appelé par certains « service diplo-    inévitablement convoité tant par la Commission
matique »), sans préciser toutefois où ce service se    que par le Conseil.
situerait (au sein de la Commission ? du Conseil ?          Au contraire, si la création du nouveau service
en dehors de ces deux institutions ?). Le traité de     extérieur venait à s'ajouter aux Dg actuelles de
Lisbonne a repris cette disposition telle quelle,       la Commission et aux services du Secrétariat du
sans y apporter de précisions supplémentaires.          Conseil déjà existants, il ne ferait qu'augmenter
L'organisation et le fonctionnement du service          la complexité administrative que la réforme des
extérieur seront fixés par une décision du Conseil      traités devait justement réduire24.
(avec consultation préalable du PE et approbation
de la Commission) une fois le traité adopté22.
                                                        Le vote à l'unanimité
    Le contenu de cette réforme reste donc à défi-
                                                        et les coopérations renforcées
nir. Or, l'institution du service extérieur, qui sera
composé de fonctionnaires de la Commission, du              Actuellement, lorsque les États membres de
Conseil et des États membres, représente une pièce      l'UE doivent prendre une décision au titre de la
essentielle du puzzle institutionnel que le traité de   PESC/PESD, ils se réunissent au sein du Conseil
Lisbonne doit recomposer en matière de relations        et du Conseil européen et votent à l'unanimité.
extérieures. Le succès global des réformes propo-       L'élargissement à douze nouveaux États membres
sées à Lisbonne dépendra aussi de la manière dont       a fait craindre que cette règle puisse paralyser le
ce nouveau service sera organisé et de l'endroit où     fonctionnement du Conseil dans un domaine aussi
il se situera.                                          délicat que la politique étrangère. Or, le traité de
    En effet, comme on l'a vu, le problème de           Lisbonne n'a pas remédié au problème. À quelques
la cohérence ne s'explique pas seulement par le         exceptions près, le système de vote de la PESC
dualisme entre le Conseil et la Commission en           demeurera celui de l'unanimité. La seule avancée
matière de relations étrangères, mais, plus généra-     pouvant atténuer la rigidité de cette règle, appor-
lement, par l'éclatement des organes compétents à       tée par la Constitution et reprise dans le nouveau
l'intérieur même de ces institutions (voir l'annexe     texte, consiste dans la possibilité, pour le Conseil,
2). Dès lors, la création d'un service extérieur mis    d'identifier au fur et à mesure, à l'unanimité, les
à la disposition du Haut représentant de l'Union        matières pour lesquelles il pourra voter à la ma-
n'a de sens que s'il met de l'ordre dans la myriade     jorité qualifiée.
d'or-ganes existants, notamment à l'intérieur de            Deux maigres options restent aux États mem-
la Commission, où 6 Directions générales et 4           bres afin de surmonter les difficultés que la règle
Commissaires sont compétents pour les relations         de l'unanimité pose dans le domaine PESC. La
extérieures.                                            première concerne le principe de l'abstention
    Une restructuration de la Commission, qui           constructive, introduit par le traité de Nice de 2000
rédui-se le nombre de Commissaires et de Dg
compétentes pour l'extérieur et qui rationalise
leurs pouvoirs, représente l'autre pièce essentielle         21. Art. 27.3 du TUE tel que modifié par le traité de Lis-
                                                        bonne.
du puzzle institutionnel que le traité de Lisbonne           22. Après l'adoption de la Constitution pour l'Europe, en 2004,
doit recomposer. Or, à l'instar de la Constitution,     les négociations entre le Conseil et la Commission afin d'instituer
le traité de Lisbonne introduit une réforme de la       le service extérieur avaient déjà commencé. Elles ont ensuite
                                                        été interrompues à la suite des « non » français et hollandais à
Commission qui vise à réduire le nombre de com-         la ratification du texte. Un premier document avait toutefois été
missaires en 2014, sans toutefois préciser quelle       produit : Secrétariat général du Conseil de l'UE / Commission
                                                        européenne, European External Action Service : Join Progress
sera la nouvelle répartition de compétences au sein     Report to the European Council, CAB 24 RELEX 304, DQPG.
de l'exécutif européen23.                                    23. À partir de 2014, le nombre de Commissaires ne pourra
    Une solution aurait été de regrouper dans le        dépasser, selon les termes établis par le traité de Lisbonne, les
                                                        2/3 du nombre de pays de l'UE (actuellement tous les États
nouveau service extérieur la Dg Relex, la Dg Dev        membres ont le droit de disposer d'un Commissaire, ce qui porte
(et éventuellement la Dg Enlarg) ainsi que les          leur nombre à 27).
services équivalents du Secrétariat du Conseil. Il           24. Pour un approfondissement des enjeux sous-jacents du
                                                        service extérieur européen, voir European Policy Centre (EPC),
resterait toutefois à résoudre l'épineux problème       The EU Foreign Service: How to Build a More Effective Common
de la localisation de ce service extérieur, qui est     Policy, Document de travail n° 28, novembre 2007.
le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne                                                         11

et aujourd'hui confirmée. La deuxième concerne les       membres ayant au contraire jugé plus prudent de
coopérations renforcées, elles aussi introduites par     ne pas garantir au PE un tel contrôle au niveau
le traité de Nice. Le but des coopérations renforcées    du TUE. C'est d'ailleurs dans cette optique que,
est de permettre aux membres plus volontaristes          comme il a été mis en exergue précédemment, le
de l'Union d'entreprendre des actions ou des po-         traité de Lisbonne a inséré une déclaration annexée
litiques dans certains domaines, sans pour autant        au TUE affirmant que « les dispositions couvrant la
engager les pays qui ne souhaitent pas les suivre.       PESC (…) n'accroissent pas le rôle du Parlement
Cette règle, en réalité, reprend une pratique déjà       européen »28.
consolidée avec la monnaie unique et les accords
de Schengen sur les frontières européennes. Bien
                                                         Quelle cohérence après Lisbonne ?
entendu, dans le domaine de la PESC, les coopé-
rations renforcées doivent être autorisées par le            Le problème de la cohérence sera-t-il résolu par
Conseil à l'unanimité. Dans les faits, ainsi, le droit   les réformes ici examinées ? Rien n'est moins sûr.
de veto qu'un seul État membre peut opposer à une        Le traité de Lisbonne est resté intentionnellement
initiative extérieure de tous les autres membres de      très vague, et même imprécis, sur de nombreux
l'Union reste en vigueur.                                points qui auraient pourtant requis plus de clarté.
                                                             La mise en place des nouvelles institutions et des
Le rôle manqué 				                                      nouveaux acteurs des relations extérieures de l'UE
du Parlement européen (PE)                               sera encore laborieuse et requerra d'ultérieures et
                                                         difficiles négociations. Plusieurs questions restent
    La légitimité démocratique de la politique           sans réponse, témoignant que le problème de la
étrangère représente un autre grand défi auquel la       cohérence est encore loin d'être résolu :
réforme institutionnelle européenne était appelée          - Quelle sera la relation entre le HRU et le Pré-
à répondre. Si la coopération au développement et            sident de la Commission, qui assure lui aussi
la politique commerciale sont soumises au contrôle           la représentation extérieure de l'Union dans
du Parlement européen (c'est le cas, en général,             les domaines autres que la PESC ? Un Com-
de toutes les activités encadrées par la CE, pour            missaire européen doit toujours rendre compte
lesquelles le PE participe au processus législatif),         à son président, qui peut d'ailleurs demander
dans le domaine de la PESC/PESD, l'assemblée                 sa démission. Cette relation hiérarchique sera
européenne ne détient au contraire qu'un rôle mar-           toutefois compromise avec le nouveau HRU,
ginal, que ni la Constitution ni le traité de Lisbonne       dont la légitimité dérive essentiellement du
n'ont modifié dans le fond. Comme précédemment,              Conseil européen, qui doit le nommer29. Lors-
le traité de Lisbonne se limite à demander que               que le Haut représentant prendra la place de
le PE soit régulièrement informé des principaux              l'actuel Commissaire aux Relations extérieures
aspects et des choix fondamentaux de la PESC et              (RELEX), quels sont les relations qu'il entre-
de la PESD. Il prévoit que le PE organise deux
fois par an un débat sur les progrès réalisés dans
                                                              25. Art. 36 du TUE, tel que modifié par le traité de Lis-
le domaine de la PESC, sans toutefois apporter           bonne.
d'autres précisions25.                                        26. Accord interinstitutionnel entre le PE, le Conseil et la
                                                         Commission, du 6 mai 1999, sur la discipline et l'amélioration
    Au cours de la précédente législature (1999-         budgétaires, JO C 172 du 18 juin 1999.
2004), le PE et le Conseil étaient toutefois parvenus         27. Voir notamment le Policy Paper rédigé pour le Parlement
à un accord afin de garantir un encadrement mi-          européen par le GRIP « Approche intégrée des outils et des
                                                         acteurs de la gestion civile des crises par l'UE et son finance-
nimal de ces consultations. L'accord interinstitu-       ment », de F. Nkundabagenzi, en collaboration avec B. Adam,
tionnel qui avait été signé à ce propos prévoyait        C. Pailhe, V. Peclow et F. Santopinto, janvier 2004 publié sur le
que « chaque fois que le Conseil adopte des déci-        site du PE (http://www.europarl.eu.int/meetdocs/committees/
                                                         afet/20040127/05c_fr.pdf).
sions dans le domaine de la PESC qui entraînent               28. Déclaration 31 annexée au TUE tel que modifié par le
des dépenses, il communique immédiatement au             traité de Lisbonne.
Parlement une estimation de coûts »26. En vain                29. Le Conseil européen nomme le Haut représentant et,
                                                         surtout, peut le révoquer. Le président de la Commission devra
les députés européens ont voulu faire insérer cette      être consulté dans cet exercice, mais il reste difficile à croire qu'il
disposition dans les traités européens27, les États      sera en mesure de s'imposer face aux États membres.
12                                                                                        Rapport du GRIP 2007/05

   tiendra avec le président de la Commission ?               hiérarchique n'est établie entre ces deux figures.
   Et surtout : si le HRU doit coordonner le tra-             Le traité de Lisbonne reste muet à ce sujet. En
   vail des commissaires exerçant des fonctions               outre, le nouveau service extérieur étant placé
   extérieures, ne risque-t-il pas de se heurter aux          sous le HRU, lorsque le président du Conseil
   compétences du président de la Commission,                 devra représenter la PESC au niveau des chefs
   qui, par sa nature, devrait coordonner le travail          d'États et de gouvernement, sur quels services
   de son institution ?                                       administratifs s'appuiera-t-il ?30
   Hors des frontières européennes, la Commission           - Face au dualisme entre le Conseil et la Com-
   deviendra un corps à deux têtes. Et le traité de           mission, où se situera le service européen
   Lisbonne, pourtant très détaillé dans certaines            pour l'action extérieure et comment sera-t-il
   de ses parties, reste opaque sur ce sujet. Ainsi,          organisé ? Comme on l'a vu précédemment, le
   non seulement le dualisme entre le Conseil et              traité de Lisbonne n'apporte aucune précision à
   la Commission demeure intact, mais il risque               ce propos. Cette délicate question, étroitement
   maintenant d'être transporté à l'intérieur même            liée à la restructuration de la Commission et à
   de la Commission européenne.                               la réduction du nombre de commissaires, devra
 - Quelle sera la relation entre le HRU et le                 être soumise à de nouvelles négociations entre
   président du Conseil européen, qui devra, lui              le Conseil et la Commission, des négociations
   aussi, représenter l'Europe dans le monde ?                qui s'annoncent aussi difficiles que capitales
   Après avoir institué le poste de HRU et après              pour le succès global des réformes en matière
   lui avoir retiré le titre de « ministre », on aurait       de relations extérieures (voir le paragraphe
   pu s'attendre à ce que la représentation de la             relatif au service extérieur).
   PESC à l'étranger soit soustraite au président
   du Conseil européen pour être laissée au Haut
   représentant, lui aussi émanant de la volonté des
   États membres. Il n'en sera pas ainsi. Le HRU              30. Pour un approfondissement sur ce thème lire G. Avery,
   et le président du Conseil européen incarneront        « The New Architecture of EU Foreign Policy », dans Chal-
                                                          lenge Europe - The People Project? The New EU Treaty and
   ensemble la politique étrangère et de sécurité de      the Prospects for Future Integration, European Policy Centre
   l'UE, chacun à son niveau. Or, aucune relation         (EPC), décembre 2007.
le traité de lisbonne et l'action extérieure de l'union européenne                                                      13

                                                          vement le secteur de la défense : elle contient, en
Deuxième partie
                                                          effet, des dispositions spécifiques qui régissent la
Les réformes du traité                                    possibilité, pour certains États membres, d'inten-
de Lisbonne en matière                                    sifier leur collaboration dans le domaine militaire
de défense                                                sans pour autant impliquer tout le monde.
                                                              Le contenu concret de cette collaboration n'est
                                                          toutefois pas clairement défini par le nouveau traité.
   Dans le domaine de la défense, le double objectif      Les dispositions en question demeurent vagues.
de la PESD (promouvoir une intégration progres-           Elles mentionnent notamment la nécessité d'attein-
sive des politiques de défense et conférer à l'Union      dre des objectifs agréés en matière d'équipement
une capacité opérationnelle de gestion civile et          et de développer des programmes communs d'ar-
militaire des crises en dehors de ses frontières)         mement, afin d'harmoniser les capacités des États
reste inchangé. Toutefois, la Constitution pour           participants, en évitant les doublons.
l'Europe avait introduit d'importantes nouveautés
                                                              Or, ces objectifs sont ceux de la PESD et de
qui ont toutes été intégrées dans le traité de Lis-
                                                          l'Agence européenne de défense. Quelle sera donc
bonne. Parmi celles-ci, la coopération structurée
                                                          la valeur ajoutée de la coopération structurée ?
permanente, qui pourrait comporter, à terme, une
                                                          En impliquant les États les plus volontaires, on
augmentation des budgets militaires des États
                                                          peut supposer que celle-ci poursuivra les objectifs
membres, pose de nombreuses questions.
                                                          établis de manière plus résolue. Cependant, le
                                                          traité de Lisbonne ne précise pas si les décisions
La coopération structurée : une Europe                    prises dans le cadre de la coopération structurée
plus armée ? 31                                           seront contraignantes pour les États participants
                                                          (ce qui représenterait une véritable valeur ajoutée
    Elle était déjà passée inaperçue en 2004, lorsque
                                                          par rapport aux règles actuelles de la PESD et de
la Constitution pour l'Europe fut adoptée. Elle est
                                                          l'Agence européenne de défense, qui, en matière
restée incognito en décembre 2007, à la veille de la
                                                          d'armement, ne constituent qu'un forum de coor-
signature du traité de Lisbonne. La « coopération
                                                          dination entre les États membres). Dès lors, il
structurée permanente » (CSP) est pourtant une
                                                          faudra sans doute attendre la mise en œuvre de la
nouveauté importante que la Constitution devait
                                                          CSP pour comprendre quelle sera sa portée sur la
introduire au sein de la PESD, et qui est reprise
                                                          politique européenne de défense.
telle quelle par le nouveau traité.
                                                              Néanmoins, certaines caractéristiques de la CSP,
    Le silence médiatique qui entoure la CSP
                                                          qui ne concernent pas son contenu mais plutôt ses
s'explique sans doute par le consensus discret qui
                                                          critères de base et ses modalités de fonctionnement,
plane autour d'elle. Toutefois, le fait qu'elle n'ait
                                                          nous fournissent déjà des indices intéressants sur
pas fait l'objet de disputes spectaculaires entre chefs
                                                          les conséquences qu'elle pourrait avoir par rapport
d'État ne signifie pas qu'elle soit moins importante
                                                          à la PESD, notamment en matière budgétaire.
que d'autres réformes plus médiatisées du traité de
Lisbonne. Bien au contraire.
                                                          Trois particularités …
Qu'est-ce que la CSP ?                                       L'originalité de la coopération structurée per-
                                                          manente réside dans trois particularités, dont les
   La CSP introduit la possibilité de créer une Eu-
                                                          deux dernières la différencient des coopérations
rope à deux vitesses dans le domaine de la défense.
                                                          renforcées.
En cela, elle s'inspire des « coopérations renforcées
                                                             Premièrement, la coopération structurée perma-
» (CR), qui, comme nous l'avons vu, établissent un
                                                          nente se fera seulement entre « les États membres
mécanisme permettant aux États les plus volontaires
                                                          qui remplissent des critères plus élevés de capacités
de prendre des initiatives auxquelles d'autres États
                                                          militaires et qui ont souscrit des engagements plus
ne veulent pas souscrire.
                                                          contraignants en cette matière (…) »32. La CSP
   Dans cette même logique, la coopération struc-
turée permanente peut être vue comme une sorte                31. Cette Note d'analyse a été rédigée et publiée par l'auteur
de grande coopération renforcée qui vise exclusi-         en octobre 2007 sur http://www.grip.org/bdg/g0966.html
14                                                                                          Rapport du GRIP 2007/05

n'est donc pas une initiative destinée à s'adresser      il n'existera aucune alternative. Les États qui y
seulement aux États qui voudront y participer, mais      participeront modèleront de facto le processus
surtout à ceux qui pourront y participer.                d'intégration européenne dans le domaine de la
    Deuxièmement, comme son nom l'indique, la            défense, en influençant par conséquent toute la
CSP sera unique et permanente. Il ne s'agit donc         politique étrangère de l'Union. Les États réticents
pas d'une forme de collaboration de circonstance,        n'auront dès lors pas d'alternative s'ils veulent éviter
à géométrie variable. à l'inverse, les États de l'UE     la marginalisation : ils devront suivre la voix déjà
peuvent établir autant de coopérations renforcées        tracée par les pays les plus dépensiers en matière
qu'ils veulent dans les domaines qui ne relèvent pas     militaire.
des compétences exclusives de l'Union (y compris             En outre, le fait que la CSP doit être instituée
la Politique étrangère et de sécurité commune).          à la majorité qualifiée (3e caractéristique) signifie
    Troisième particularité, les critères prévus pour    que même s'il la juge trop contraignante, un État
créer la coopération structurée sont moins contrai-      membre sera tout de même poussé à y participer,
gnants que ceux des coopérations renforcées. Ces         étant donné qu'il ne dispose pas du droit de veto.
dernières, en effet, lorsqu'elles concernent la PESC,    Et ses marges de manœuvre quant aux négociations
seront instituées sous délibération du Conseil à         destinées à définir le contenu de la coopération
l'unanimité, alors que la CSP, au contraire, ne          structurée seront inévitablement réduites.
nécessite qu'un vote à la majorité qualifiée. Cette          La majorité qualifiée est pourtant une exception
règle sera également appliquée lorsque les États         remarquable dans le domaine de la PESC/PESD.
participants à la CSP décideront d'inclure un nou-       La politique étrangère et de défense, en effet, s'est
veau membre. Il est même prévu que le Conseil,           toujours reposée sur un fonctionnement strictement
toujours à la majorité qualifiée, pourra suspendre       intergouvernemental, basé sur une règle de l'unani-
un État participant à la CSP s'il ne remplit plus les    mité considérée comme sacrée. En cela, le contraste
critères établis.                                        entre la CSP et les coopérations renforcées, qui,
                                                         lorsqu'elles s'adressent à la PESC, restent soumises
… pour un objectif implicite                             à l'unanimité, est parlant.
    Ces trois particularités susmentionnées sem-             En somme, afin d'éviter de rester marginalisés au
blent avoir été pensées dans le but de promouvoir        sein de la PESD/PESC, et donc dans le monde, les
une augmentation des budgets militaires des États        États réticents à la CSP pourraient être contraints
participant à la coopération structurée. En réalité,     d'augmenter leurs dépenses militaires pour y par-
combinées entre elles, ces trois caractéristiques        ticiper. Pour ne citer qu'un exemple, la Belgique
feront plus : elles créeront un mécanisme qui pour-      pourrait entrer dans ce cas de figure : en 2005, ses
rait, de facto, pousser vers le haut la moyenne des      dépenses militaires correspondaient à 1,24% de
budgets militaires de quasi tous les États de l'Union,   son PIB, alors que la moyenne européenne était
et non pas uniquement de ceux qui pourraient être        de 1,84% et celle des États « plus vertueux »,
initialement intéressés à lancer la CSP.                 comme la France, le Royaume-Uni ou la Grèce,
    Lorsque le législateur européen affirme que la       dépassait les 2%. Si, en 2009, le traité est ratifié,
CSP doit se baser sur les États qui remplissent des      le gouvernement belge pourrait donc être appelé
critères plus élevés en matière militaire (1re carac-    à faire face à un dilemme : augmenter son budget
téristique de la CSP), il n'invoque pas explicitement    militaire ou prendre le risque d'être marginalisé
une augmentation des budgets de la défense. Mais         au sein de la PESC.
il oblige la plupart des États membres à un nivel-
lement vers le haut de leurs dépenses militaires,        Un « Maastricht » de la défense
sous peine de rester exclus du projet.                      La coopération structurée ne se borne pas à
    Or, étant donné que la CSP sera unique et per-       instituer un mécanisme qui pousse vers le haut
manente (2e caractéristique), la plupart des États       la moyenne des budgets militaires européens. Un
membres ne pourront se permettre d'en rester
exclus. En effet, le principe de l'unicité fera de            32. Art. 42, par. 6 du traité sur l'UE, tel que modifié par le
la CSP une avant-garde de la PESD, à laquelle            traité de Lisbonne.
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